Décembre 1960

 

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1 décembre 1.960 :

Grenade dans un cinéma à Mostaganem. 23 blessés dont plusieurs enfants.

Un dessinateur industriel assassiné à Oran.

Un enfant de dix ans à Boufarik.

 A Paris Jouhaud éconduit de mystérieux interlocuteurs qui lui demandent de prendre la tête d'une révolte des pieds noirs pour faire une algérie indépendante, il pense à une provocation gaulliste.

 

2 décembre 1.960 :

Rien.

 

3 décembre 1.960 :

Le parti des indépendants et paysans, dans son premier congrès de la cinquième république rappelle que son programme comporte l'algérie française.

Rue de la charbonnière à Paris, fusillade entre F.L.N. et harkis, un mort Abdeslem Brahim, harki, à deux.

 

4 décembre 1.960 :

Début de la séance de l'ONU, l'algérie est toujours à l'ordre du jour, le Tchad et le Congo (Brazza) demandent l'ajournement. Les nouveaux états indépendants viennent renforcer la position de la france.

 

5 décembre 1.960 :

 Près de Constantine, découverte dans un silo des corps martyrisés d'un homme et de son fils de 15 ans, qui avaient été enlevés par les rebelles en Juillet 59.

Explosion d'un vélo piégé à Sétif, un mort, neuf blessés.

Deux couples égorgés près de Biskra.

 

6 décembre 1.960 :

Guelmani Amar tué par un voisin, gardien de la paix comme lui qui l'a confondu avec un suspect FLN.

 

7 décembre 1.960 :

Le gouvernement français qui avait toléré la présence des terroristes du FLN non seulement dans les pays arabes, mais en Amérique, en Suisse, en Belgique, en Allemagne, intervient vigoureusement parce que Susini, Lagaillarde, Ortiz se sont réfugiés en Espagne.

Débats à l'assemblée nationale sur l'algérie. Laffont (instruit par sa rencontre avec De gaulle) et ses amis "modérés" essayent de faire voter un texte "code de defense des français d'algérie" en trois points: l'abandon de la nationalité française ne peut être que de par la volonté du français; tous les français ont droit à la protection de l'armée française; tous les français d'algérie ont le droit de vivre en algérie.

Personne ne soutient ce texte, l'assemblèe bruisse de rumeurs de coup d'état.

Le colonel Dufour muté en Allemagne, il abandonne le cœur lourd le premier R.E.P. (son remplaçant, opportunément en mission lors du putsch, laissera toute la responsabilité à Denoix de Saint Marc, son adjoint).

Un responsable des ponts et chaussée et son adjoint enlevés par les rebelles à Bougie.

A Batna, le maire musulman de ouled-el-ma assassiné.

 

8 décembre 1.960 :

De gaulle va venir en algérie, il faut que sa politique soit acclamée, les "ultras" sont assignés en résidence en métropole, trente deux sont expulsés d'Alger.

Un commentaire de Tripier: C'est deux ans après la première rencontre officielle entre Français et rebelles à Melun, en juin 1960, que la France remettra l'Algérie au pouvoir du F.L.N. le 3 juillet 1962.

Considérant le laps de temps qui sépare ces événements, si proches par leur signification, on est conduit à s'interroger: pourquoi deux années?

Un si long délai se comprendrait si l'une et l'autre parties avaient mené de laborieuses tractations pour conclure en fin de compte un réel compromis sur le fond de l'affaire, car en ce cas des concessions fondamentales et réciproques n'auraient pu voir le jour qu'en surmontant par étapes les méfiances de chacun. Mais il n'en fut rien. Dans l'accord final de 1962, aucune part ne fut retenue de la souveraineté française, aucune garantie collective ne fut donnée aux communautés ethniques ou religieuses. C'était d'ailleurs impensable de la part du F.L.N., dès l'origine. Pas un instant le G.P.R.A. n'a cédé sur un iota de ses objectifs premiers, et tout lui fut finalement concédé. Le contenu des "accords d'Evian" par conséquent n'expliquera pas la prolongation pendant deux années encore des tergiversations et de la guerre.

On a cru pouvoir alléguer, pour motiver un tel délai, la résistance au gouvernement des partisans de l'Algérie française. A cet égard, le seul péril pour l'autorité de l'Etat s'est situé au moment du putsch des généraux à Alger, dès avril 1961. En peu de jours le risque d'un coup d'Etat fut alors écarté; il le fut une fois pour toutes. Par la suite ce ne sont pas les actions de l'O.A.S. qui ont retardé l'issue, mais bien les péripéties de la négociation.

Le gouvernement de la France demeurant en pratique le maître du jeu de 1960 à 1962, puisque tout-puissant en Algérie, et seul à concéder, seule sa lenteur à le faire peut donc rendre compte du temps mis à conclure l'accord final. Et, puisqu'il s'agissait du domaine par excellence que s'était réservé le chef de l'Etat, deux hypothèses se présentent en guise d'explication:

- ou bien le général De gaulle n'a pas vu que, de par la nature du F.L.N., le fait de poursuivre le processus de négociation au-dehors et de favoriser le nationalisme en Algérie même l'amènerait tôt ou tard à céder tout au seul G.P.R.A., et il a trop longtemps cru pouvoir personnellement amener ce dernier à un accord de compromis;

- ou bien c'est pour mettre, faute de réaliser un compromis sur le fond, certaines formes au retrait de la France qu'il a finalement atermoyé pendant deux ans.

Le chef de l'Etat a-t-il présumé trop de son prestige, de son aptitude personnelle à obtenir des concessions de l'adversaire de la France? A-t-il sous-estimé la résolution inflexible de l'équipe révolutionnaire qui, face à la puissance française, s'était vouée au "tout-ou-rien"? A-t-il cru en conséquence à la possibilité d'un compromis véritable? Ou a-t-il voulu seulement ménager l'orgueil national en sauvant les apparences?

Peut-être ces deux intentions ont-elles prévalu l'une après l'autre. La première devait être déçue. La seconde allait recevoir la satisfaction d'un règlement recherché et obtenu dans un cadre qui fût de la compétence de la France, c'est-à-dire excluant toute intervention étrangère et toute immixtion. de l'O.N.U.

"Autopsie de la guerre d'algérie" de Philippe Tripier, éditions France-empire, 1972.

 Un commerçant de Saint Denis est assassiné par le FLN, il ressemblait à un policier de la brigade des agressions et violences.

Un fonctionnaire assassiné à Bordj bou Arreridj.

 

9 décembre 1.960 :

De gaulle préfère se poser à Tlemcen plutôt qu'à Alger.

A sa première étape, Aïn Temouchent, petit village de quelques milliers d'habitants, De gaulle est injurié par la foule. Son assassinat, monté avec soins, qui devait ête réalisé par un motard de son escorte, Hilaire géronimo, avait été décommandé par les militaires. En effet un soit disant ordre d'insurrection générale, porté par Sergent montre nettement que les comploteurs parisiens n'ont rien compris à la réalité algérienne, et les militaires se demandent qui représente vraiment quoi. Le FAF aussi a hésité devant une action aussi radicale. Il a demandé aux algérois une grève générale pour montrer leur hostilité aux initiatives politiques de De gaulle. La grève est parfaite, y compris chez les musulmans.

Des manifestations spontanées de francophiles ont lieu, les C.R.S. et les gendarmes chargent, 400 personnes sont arrêtées.

A Oran, et dans toute l'algérie, la grève est également totale, la police charge, les locaux du mouvement "soutien au général De gaulle" sont mis à sac.

 

10 décembre 1.960 :

 Toute l'algérie est en grève pour la troisième journée consécutive, les manifestations sont violentes, les pieds noirs attaquent les gendarmes et les CRS à coup de pierres et de bouteilles, et touchent non seulement Alger et Oran, mais Cherchell, Sidi-bel-Abbés, Mostaganem, Orleansville. Les forces de l'ordre sont débordées. On notera que pas une seule ratonnade n'a eu lieu dans ces jours agités.Crépin qui suivait De gaulle regagne Alger en catastrophe pour diriger les opérations de maintien de l'ordre.

Le soir Tricot, l'homme de main de De gaulle en Algérie (il marque et double le délégué général), craignant d'être tenu responsable de cet accueil de Grenoble, va voir Coulet et ensemble ils décident de faire descendre les musulmans comme contre manifestants et comme soutien de De gaulle (conformément à la vulgate de l'époque, "les musulmans ne votent pas pour la France, ils votent pour De gaulle").

Le FLN saute sur l'occasion, les musulmans munis de pancartes "vive De gaulle" "vive l'algérie algérienne" passent les barrages et jetant les anciennes pancartes sortent les drapeaux FLN, les pancartes algérie arabe et vive Abbas.

Une piednoirade magnifique offrit à De gaulle la vengeance des injures qui lui avaient été adressées, 65 morts surtout musulmans pro français, dont Saïd Madani, ancien membre du comité de salut public, des centaines de blessés, il fallut faire revenir sur Alger deux régiments de paras pour arrêter, le onze, l'émeute ainsi organisée par les gaullistes.

 

11 décembre 1.960 :

Sur consignes des politiques parisiens toujours à la recherche de la mythique troisième force, des officiers des section administratives spécialisées (SAS) lancent les musulmans dans la ville européenne d'Alger.

Ils ont été munis de pancartes "algérie algérienne" et "vive De gaulle". L'armée a la consigne de les laisser entrer dans les quartiers en majorité chrétiens et juifs. Dès leur arrivée en ville ils sortent les drapeaux F.L.N. et les pancartes vive Abbas, et se livrent à des pillages et à des assassinats. Des heurts violents interviennent entre les deux communautés (les premières depuis Sétif en 45 et Philippeville en 55). La synagogue de la casbah est mise à sac et brûlée, l'armée doit intervenir, elle tire sur la foule., Morin a en effet signé l'ordre de tirer que lui a présenté Crépin., il fait entrer à Alger le 18 ème R.C.P. Mais le régiment est arreté dans sa progression par les CRS, au carrefour des rues de Lyon et de Polignac. La foule musulmane entoure les camions, injurie les paras en agitant les drapeaux FLN, certains paras (appellés) en descendent et jettent des grenades offensives sur la foule qui se disperse; ils récupérent les drapeaux FLN et retournent dans les camions. Crépin donne un contre ordre, les paras retournent au cantonnment.

Le bilan sur Alger, y compris les morts de la veille est de 15 juifs, 13 chrétiens, 96 musulmans tués. Ce jour marque la fin de la magnifique mais folle idée d'une algérie multi ethnique et fraternelle

Voici comment Soustelle raconte dans son livre "l'espérance trahie" ce tournant de la guerre en algérie, où pour la première fois le gouvernement français se mettait du coté des rebelles contre son propre peuple.

"Quant à la situation en Algérie même, elle montrait une dégradation effrayante. Le 8 décembre commença un nouveau voyage de De gaulle en Algérie. Accueilli d'abord à Aïn Temouchent par les cris d'"Algérie française!" et de "De gaulle au poteau" poussés par des Européens et de nombreux Musulmans, il répondit avec colère: "Les cris et les clameurs ne signifient rien."

Pendant ce temps, de véritables combats de rues se déclenchaient à Alger et à Oran. La population européenne se battit pendant de longues heures contre des forces de police supérieurement équipées; l'armée demeura inerte. Mais, devant l'état d'insurrection des villes, le président de la République dut renoncer à s'y rendre, et son voyage, dont l'itinéraire avait été plusieurs fois modifié, prit fin abruptement.

C'était un spectacle poignant que celui de ce vieux Chef d'état, naguère encore accueilli dans cette province par l'enthousiasme délirant des foules, et qui ne pouvait plus désormais y paraître sans faire surgir sous ses pas l'anarchie et le sang.

C'est alors que les stratèges de la Délégation générale inspirés par François Coulet, directeur des Affaires politiques, qui, relié directement à l'Elysée et notamment à Brouillet, faisait la loi au Gouvernement Général par-dessus la tête de Delouvrier et de Crépin, conçurent le plan génial de lancer contre les manifestants européens la population musulmane.

Des mots d'ordre furent donnés, quelquefois par des officiers de S. A.U. étiquetés "libéraux" qui se prêtèrent à cette triste besogne. On distribua des pancartes: "Vive De gaulle!" Les Musulmans de la Casbah et de Belcourt furent invités à former des cortèges en acclamant le Chef de l'état et à descendre vers le centre de la ville en criant: "Vive l'Algérie algérienne!". Comme il était facile de le prévoir, les agents du F. L. N. ( qui, depuis janvier 1960, avaient les coudées franches, puisque la police ne s'intéressait plus qu'à réprimer les activités des "ultras") eurent beau jeu d'orienter et de détourner à leur profit ces manifestations. Les apprentis- sorciers de la Délégation générale virent bientôt les prétendus "gaullistes" de la Casbah déployer les drapeaux vert et blanc du F. L. N. et s'égosiller à crier "Vive Abbas!". Même alors, ils persistèrent dans leur aberration; les gardes mobiles et les C. R. S. reçurent l'ordre de ne rien faire. On peut ainsi contempler aujourd'hui des photographies qui montrent des voyous F. L.N. agitant le drapeau du terrorisme sous le nez de C. R. S. souriants.

Mais cette farce de mauvais goût tourna vite au drame: les tueurs entraient en scène. Une de leurs premières victimes fut le courageux Madani, syndicaliste musulman, ancien membre du Comité de Salut Public, égorgé à Belcourt. II fallut l'intervention de l'armée, écoeurée à la vue des drapeaux ennemis, pour faire rentrer les terroristes dans leurs tanières. Il y eut de nombreux morts.

Je me trouvais alors aux Nations Unies, à New York, où je suivais pour le compte de L'Aurore le débat algérien. Tandis que dans la salle réservée à ce débat les délégués africains et arabes couvraient la France d'insultes, (J'entendis moi-même le délégué du Mali expliquer que le passe-temps favori des soldats français en Algérie consistait à couper les oreilles d'infortunés Arabes afin de les conserver dans des bocaux et de les rapporter en France comme souvenirs.) le "ministre de l'Information" F.L.N Yazid, un large sourire sur son visage lunaire, parcourait les couloirs de la Maison de Verre. Je me trouvais assis à dix mètres de lui tandis qu'il expliquait à un groupe de journalistes: "Ces imbéciles de Français ont cru malin de lancer la population musulmane dans la rue pour crier "Vive De gaulle!" Mais nos hommes étaient là, Ils avaient pour instructions d'acclamer De gaulle jusqu'au moment où les manifestants avaient franchi les barrages; après quoi, on déployait les drapeaux et on criait "Vive Abbas ! Vive l'Algérie indépendante!".

Pour la deuxième fois en un an, le pavé d'Alger ruisselait de sang, uniquement par la faute d'une politique fondamentalement erronée poursuivie avec obstination au mépris des réalités."

Jacques Soustelle

 

12 décembre 1.960 :

Les émeutes de la veille à Oran ont fait six morts européens et 18 musulmans.

Arnould, président des anciens combattants d'algérie, aveugle de guerre, les députés d'algérie Vinciguera et Paldacci empêchés à Orly de prendre l'avion pour rejoindre leur domicile. Les régiments de para de Lecomte et Masselot sont ramenés sur Alger pour aider à remettre de l'ordre, Jouhaud en profite pour voir les deux patrons, Masselot répond de son régiment, Lecomte seulement de la moitié, Jouhaud trouve tout ça insuffisant.

Les forces de l'ordre pénètrent dans la casbah pour mettre fin aux assassinats de musulmans pro français, on y déplore 17 morts.

De gaulle à Biskra, empêché de visiter les grandes cités d'algérie, décide de mettre fin à sa tournée. On raconte que cela lui sauva la vie car des membres d'une harka de Philippeville avaient monté un attentat qui avait de bonnes chances d'aboutir. Il aurait été prévenu via les israéliens, eux-mêmes avertis par un ancien de l'irgoun qui faisait partie du commando. En embarquant dans l'avion à Bougie on raconte qu'il aurait déclaré "je les briserai". En tout cas il ne remettra plus les pieds en algérie.

Les bagarres continuent à Oran, 25 blessés.

A Bône, la légion tire sur la foule, deux jeunes européens de 15 ans (Gilbert Gamba) et 18 ans (André Kandel) qui sortaient du lycée et chantiant la Marseillaise en brandissant des drapeaux tricolores sont tués, ainsi que six musulmans. Il y eut 6 autres morts à Bone, et 35 blessés.

Les cinq jours de présence de De gaulle en algérie se traduisent par 157 morts, 124 à Alger, 24 à Oran, 9 à Bône, il y a plus de 500 blessés. Sur les 92 morts musulmans, les autopsies ordonnées par le procureur général révèlent 51 morts par balle, dont 16 par des calibres en possession des forces de l'ordre, 33 égorgés, 2 brûlés, 1 par éclat de grenade, 5 par coups de matraques. C'est à dire que la quasi totalité sont des victimes du FLN. Le FLN proclame que le procureur est fachiste et les médecins légistes des colonialistes tortionnaires.

 

13 décembre 1.960 :

Mesmer donne l'ordre au général Salan, en voyage à Madrid depuis quelques semaines, de regagner Paris, ce qu'il ne fera pas.

Soustelle, à New York, décide de prolonger son séjour aux USA.

Khidder déclarera plus tard : "notre plus grande humiliation a été ressentie le 10 décembre ; ce jour là, à l'appel de l'ennemi français ont manifesté des foules que nous n'avions jamais pu amener à le faire."

De gaulle en était tout content raconte Tripier: Le général De gaulle s'en montra satisfait. Non qu'il s'aventurât à provoquer l'opinion par une déclaration publique en ce sens, mais il fit part sans ambages de son contentement à son entourage, à ses ministres. "Eh bien! c'est un fait, et nous l'acceptons " déclara-t-il au terme de son périple. A un invité, André Passeron, qui lui demandait au cours d'une réception à l'Elysée, s'il voyait des conséquences sérieuses aux troubles d'Alger, il répondit: "Oui, mais dans le bon sens". (raconte Passeron) En conseil des ministres, le chef de l'Etat tira les conclusions de l'événement en ces termes: "Mon voyage a provoqué une cristallisation (...). Tous les musulmans sont nationalistes et regardent avec sympathie du côté du F.L.N. (...). Nous assistons à la gestation d'une Algérie nouvelle; elle se fait, elle va naître, elle est en pleine évolution psychologique et politique (...). Cahin-caha, on va vers la solution." (livre de Terrenoire) De même, le ministre de l'Information Terrenoire, reflet du chef de l'Etat qu'il avait accompagné dans sa tournée algérienne, "constatait" ce qu'il jugeait être "une prise de conscience des foules musulmanes".

Si le général De gaulle, en privé, porte un intérêt manifeste à cette évolution des mentalités, c'est que précisément il s'est fixé comme but de l'étape en cours la conversion publique et définitive des musulmans à l'idée d'une certaine indépendance - quelles que puissent être les réticences dont il entoure encore le sujet dans ses déclarations officielles.

Tout résolu qu'il soit à mettre un terme à la souveraineté française, le président de la République prétend en effet ne s'incliner que devant la volonté populaire, non devant le F.L.N.: le devoir de la France, selon lui, étant de se conformer à la seule "nature des choses". Qu'une foule algérienne, donc, se livre enfin à une manifestation nationaliste, cela est tenu pour spontané, conforme à l'ordre des choses et significatif d'une opinion profonde. Nonobstant le contexte politique préparé depuis plus d'un an et plus récemment, l'encouragement de l'administration à une descente dans la rue et le noyautage opéré par le F.L.N., la voix qui s'est élevée à Alger et à Oran est entendue comme celle du peuple algérien à laquelle le bon sens, la justice, l'autodétermination accordée commandent de se soumettre.

Si la volonté du général De gaulle d'émanciper l'Algérie est maintenant manifeste, son intention tactique cependant échappe à l'analyse. Tantôt il donne l'impression de préparer les esprits à un abandon complet déjà secrètement résolu, et d'attendre seulement que l'opinion soit mûre pour remettre l'Algérie aux mains du G.P.R.A.; tantôt il donne à croire - à ses ministres eux-mêmes - qu'il compte bien rallier le F.L.N. à une solution moyenne, grâce à l'action militaire maintenue et sous la pression massive d'une opinion algérienne guidée par ses soins.

Equivoque voulue? Ou impuissance à guider l'événement? A Pierre Laffont, directeur de l'Echo d'Oran, qu'il recevait en audience privée le 25 novembre 1960 et qui le pressait d'expliquer aux Algériens "les circonstances implacables" qui lui imposaient une solution dramatique, le président de la République répondit: "Apprenez qu'un homme d'Etat ne dit jamais que des solutions lui ont été imposées. On ne doit jamais dire qu'on est battu, car on l'est si on le dit. Les solutions on les choisit, on les décide, on ne vous les impose pas" (Laffont).

"Autopsie de la guerre d'algérie" de Philippe Tripier, éditions France-empire, 1972.

 

 14 décembre 1.960 :

Le gouvernement dissous le Front pour l'algérie française, mouvement de masse ayant prés d'un million d'adherents présidé par le vice président de l'assemblée nationale, Boualem. Il ne laisse ainsi aucune structure légale aux partisans de l'algérie française.

Il dissout aussi l'association des élèves des lycées et collèges.

Les dirigeants de ses associations font l'objet de mandats d'amener, certains entrent en clandestinité.

 Jouhaud est reçu par Frey, ministre de l'intérieur en présence de Foccard, dans le bureau du ministre. Frey annonce qu'il a le plein appui de Debré. Il propose à Jouhaud de prendre la tête d'un mouvement européens pour une algérie indépendante. Il promet l'aide de son ministère. Il affirme que même si De gaulle sera très mécontent, et si lui Frey sera engueulé, De gaulle acceptera une solution qui le débarrasse du fardeau de l'algérie. Jouhaud atermoie, demande des preuves, gagne du temps (source : mémoires de Jouhaud).

Provocation? une revolte des pieds noirs contre la france delierait tous les engagements de celle-ci et liquiderait de façon finale le problème (la présence de Foccard fait pencher dans ce sens)

Tentative de dégager une troisième force? ce sera relancé en algérie avec Leroy.

De toute façon une telle solution était parfaitement irréaliste, tant que l'armée des frontiéres du FLN restait intacte.

 

15 décembre 1.960 :

 Poursuite de la répression en algérie, plus d'un millier d'arrestation de pieds noirs, qui vont emplir les camps vidés des éléments FLN graciés, 40 hauts fonctionnaire, surtout de police, sanctionnés, dissolution de tous les mouvements pro algérie française, n'eussent-ils que trois membres.

Un groupe de sénateurs musulmans s'indigne : "comment l'armée a-t-elle pu tirer sur des manifestants incités par le gouvernement à manifester ? ". Bonne question.

 

16 décembre 1.960 :

La réunion du "Comité National de la Révolution Algérienne" (ex crua) s'ouvre à Tripoli en grand secret, et durera jusqu'à la mi janvier.

Les services de renseignements français arrivent à avoir une copie des résolutions, qui modifient profondément celles du congrès de la Soumam : Le F.L.N. condamne les élections libres et tout processus d'autodétermination. Il crée des tribunaux populaires. Il nationalisera les terres. Il promouvra la loi islamique et les non musulmans devront s'y soumettre. Un éventuel cessez le feu nécessitera l'accord de 80 % des membres. Tout ceci consacre la prise en main du front par les durs (Belkacem, Boussouf, Bentobal) et la mise à l'écart des "modérés" en particulier Ferhat Abbas. Mais aussi la perte d'influence des Kabyles en faveur des islamistes.

Les français qui peuvent modifier les textes publiés dans el moudjahid, (les morasses sont fabriquées à Tunis et envoyées au Maroc pour y être imprimées, avec escale à Alger où il est possible de faire des changements), publient ces documents, qui devaient en principe rester secret. Fort heureusement pour le F.L.N., personne n'y croit parmi les soutiens , qu'il s'agisse des Etats Unis et autres décolonisateurs ou du Monde et de l'Express et autres consciences morales. Ces journaux d'ailleurs n'ont pas de mots assez forts pour stigmatiser les français d'algérie, ultras, fachistes, racistes, on sent à les lire que le journaliste brûle d'aller poser une bombe démocratique dans un café d'Alger.

Par ailleurs le calme est revenu à Alger et dans toute l'algérie, bien qu'on trouve encore de temps en temps des corps proprement égorgés lors des émeutes "pro gaullistes" du 10 décembre déposés ça et là.

De gaulle, sans doute en quête d'un rien d'onction démocratique, encore secoué par son passage en Algérie, annonce un futur référendum.

 

17 décembre 1.960 :

Embuscade près de Kolea, 4 soldats tués, 9 rebelles abattus.

Embuscade à Zammia mansourah, un soldat tué, 4 blessés.

Kroutchev envoie au FLN en congrès à Tripoli un long télégramme où il marque sa totale solidarité.

 

18 décembre 1.960 :

Fergoug Hamida, harki de Paris, abattu par le FLN rue Vercingetorix (14 ème).

Un informateur blesé rue de Neuilly à Clichy.

 

19 décembre 1.960 :

RAS

 

20 décembre 1.960 :

 De gaulle à la radio fait sa pub pour son référendum: "nous sommes prêts à tout moment à recevoir les délégués de ceux qui combattent."aussi: "l'algérie de demain sera algérienne". et le plus beau : "quoi qu'il arrive, la france protégera ses enfants et les musulmans qui voudraient rester français."

on rappelle les étapes:

Juin 1958 : "Français à part entière... terre française aujourd'hui et pour toujours... Vive l'Algérie française!" Octobre 1958 : la "paix des braves".

Septembre 1959 : l'autodétermination à trois branches, la sécession condamnée.

Janvier 1960 : "la solution la plus française".

Mars 1960 : la "francisation" est écartée, l'Algérie sera "algérienne".

Juillet 1960 : l'Algérie aura son gouvernement.

Novembre 1960 : elle sera un État.

Avril 1961 : cet État sera indépendant.

Décembre 1961: en tout état de cause, on "dégage" et on s'en va!

4 Septembre 1963, pour féliciter Ben Bella de son "élection" à la présidence de la république algérienne : "je vous adresse mes félicitations et forme des vœux pour votre bonheur personnel, le succès de votre mission ainsi que pour l'heureux avenir du peuple algérien car cette indépendance nous l'avons voulue et aidée."

 

 L'assemblée générale de l'Onu rejette l'idée promue par le F.L.N. d'un contrôle par elle-même d'un référendum et d'une commission internationale de médiation. De gaulle est content, il n'en voulait pas, la france se doit, dit-il, de régler seule et à sa manière ses propres problèmes.

 Arraisonnement du cargo yougoslave "martin Kzpan" qui avait une cargaison de 50 tonnes d'armes et de munitions à destination du F.L.N.

Au comité de défense de ce jour, choqué par les manifestations pro F.L.N. qui ont suivi la visite de De gaulle, le général Crepin signe sa proche révocation en indiquant qu'il "ne répond plus de l'armée, dont le moral est très bas."

 

21 décembre 1.960 :

Nombreuses arrestations de responsables FLN en région parisienne.

Un DC 4 libanais avec 4 tonnes d'armes destinées au F.L.N. est arraisonné en vol et forcé à se poser à Oran.

Le comité des affaires algériennes du jour décide la le transfert au Rocher Noir, cité administrative d'urgence, destinée à mettre à l'abri des pieds noirs les fonctionnaires d'autorité.

 

22 décembre 1.960 :

RAS

 

23 décembre 1.960 :

Chaque jour qui passe voit le fossé se creuser entre les communautés.

La méfiance de l'autre tourne à la peur et une véritable psychose touche la population musulmane et la population européenne. En cette fin d'année 1960, une rumeur se propage dans les quartiers musulmans. D'abord diffuse, elle prend toute son importance à Oran, dans le quartier de la Ville-Nouvelle, à l'occasion d'arrestations opérées par les forces de l'ordre dans la nuit du 23 au 24 décembre 1960. Elle s'étend rapidement dans tous les quartiers musulmans de la ville dès le lendemain, et, en début janvier 1961, elle a gagné Alger et ses environs. Selon cette rumeur, "des commandos d'européens, de juifs, de gitans, d'espagnols, d'étrangers, de légionnaires parcourent de nuit les quartiers musulmans, frappent aux portes et tuent ceux qui ouvrent". Le 11 janvier à Maison Carrée, le thème des commandos d'Européens déguisés en militaires prend une telle ampleur que se développe une politique d'autodéfense dans tous les quartiers musulmans. Sans fondement, la rumeur enfle et le 19 janvier, la Mitidja, l'ouest de la Grande Kabylie, le Sahel d'Alger et la vallée du Cheliff sont touchés par cette psychose. Les forces de l'ordre mènent alors enquêtes sur enquêtes. Des renseignements contradictoires sont recueillis sur l'origine des éléments déclenchant cette agitation nouvelle et s'étendant rapidement:

- "il s'agirait d'individus appartenant à "la Main Rouge" (partisans de Pierre Lagaillarde), des gitans (ajoute un renseignement de la gendarmerie nationale) qui seraient payés à l'égorgement".

- "Le MNA [est aussi suspecté] comme le PCA qui ont fait, l'un et l'autre, venir des cadres de métropole composés de FSNA et de FSE". Dans l'ensemble, tous les musulmans interrogés par les forces de l'ordre évoquent des "provocateurs, des étrangers arrivés en automobile, ... des Français d'origine européenne, ... des Espagnols ... qui frappent aux portes, grimpent sur les toits de nuit. .. "

En revanche, d'après des informateurs que l'armée a dans la population musulmane, il est clairement dit que "des sympathisants nationalistes et des cadres locaux du FLN contribuent volontairement à l'agitation en propageant les bruits ... et en frappant eux-mêmes aux portes".

Le résultat des premières enquêtes permet de donner une réalité aux rumeurs. A Ben Aknoun, la population musulmane lynche un étudiant musulman qui frappait aux portes la nuit. Il appartenait au PCA comme un autre étudiant blessé quant à lui à Châteauneuf (El Biar). A Baraki, l'enquête de gendarmerie démontrera qu'un FSE et son épouse, tous deux militants communistes, sont non seulement à l'origine de la rumeur mais qu'ils l'alimentaient dès la nuit tombée (du 14 au 15 janvier). A Bougie, le 25 janvier, en revanche, la présence de membres du FLN est attestée dans les troubles de la nuit comme à Beni Ourtilane (Sétif) le 30 janvier.

La première conséquence de cette peur reste le réflexe de défense. "La population musulmane se regroupe et n'hésite pas à mener des attaques contre tous ceux qu'elle juge étrangers au village ou au quartier. Indistinctement, Européens et Musulmans sont pris à partie mais dans l'ensemble remis aux forces de l'ordre comme au Cap Matifou, Fort de l'Eau, Rouiba, Mirabeau, Affreville..." La seconde réaction est de type xénophobe: Européens, Juifs et supplétifs sont attaqués et tués comme à Saoula, l'Arba, Rivet. Les forces de l'ordre, accusées de laisser faire, sont reçues par des jets de pierre, des injures voire des coups de feu (Bougie, Beni Messous, Hussein Dey, Blida, Boufarik. .. ). Dans ce cadre, "les manifestations sont organisées par le FLN" expliquent les rapports consultés. Enfin, une troisième réaction consiste à s'en prendre uniquement aux forces de l'ordre. Malgré la difficulté d'appréciation des différents rapports consultés à ce sujet, deux points apparaissent nettement. La piste des activistes européens comme celle du FLN sont à écarter. L'organisation indépendantiste est singulièrement absente des manifestations qui ont agité le Grand Alger et la Mitidja, et n'a pas ordonné ce type d'actions. En revanche, le MNA qui souhaite reconquérir un peu d'audience (surtout en Kabylie) et le PCA semblent être les principaux instigateurs de cette rumeur.

Jordi "Un silence d'état" ISBN 978-2-9163-8556-3

 

24 décembre 1.960 :

RAS

 

25 Décembre 1.960:

Une automobile mitraillée dans la mitidja, un tué, un blessé.

 

26 Décembre 1.960:

Campagne pour le référendum d'auto détermination. Tout le monde est pour, sauf les communistes, et les partisans de l'intégration qui sont interdit de campagne en France (sous prétexte qu'ils n'ont pas de parti formel), et dont les leaders sont en tôle en Algérie. Soustelle, interdit de séjour en Algérie, envoie un discours enregistré, le discours est saisi. Cet excellent exemple de démocratie à la française resservira beaucoup.

 A Oran piednoirades, un boulanger, un infirme et sa femme lynchés à mort, huit blessés. Le Monde n'en a jamais entendu parler.

Le cimetière juif d'Oran est profané, dans l'indifférence générale.

 

27 Décembre 1.960:

Rien.

 

28 Décembre 1.960:

Le général Challe, depuis sa cage dorée à l'OTAN "considerant que même dans cette position mon maintien en service ne desaprouve pas la politique en Algérie" demande sa mise en disponibilité. ("Notre Révolte").

 

29 Décembre 1.960:

Un policier assassiné rue Saint jacques à Paris.

 

30 Décembre 1.960:

A Oran les musulmans essayent de recommencer leur piednoirade de l'année passée, mais cette fois l'armée est là, deux morts parmi les lyncheurs potentiels.

Accrochage à Miliana, un groupe de rebelles hors de combat.

PALISSE Gérard. Au 31e B.G. connaît une situation de capture bien particulière. Il avait pour mission d'accompagner, avec un caporal chef musulman, trois fellaghas prisonniers qui portaient des sacs d'ordures pour les déverser dans une décharge située de l'autre côté du barrage. Le groupe arrivait sur place, lorsque brutalement, le caporal-chef désarme PALISSE et le menace de sa MAT 49. PALISSE se trouve prisonnier des quatre hommes. Il est conduit au Maroc, fait prisonnier par le F.L.N. le 30-12-1960, détenu au Camp d'Oujda (Maroc) puis libéré le 16-05-1962 à Rabat (503 jours de détention).

Antoine Sampieri, sergent chef disparaît à jamais.

 

31 Décembre 1.960:

 Voeux de De gaulle, "une réponse au référendum négative ou indécise entraînerait des conséquences désastreuses et m'empêcherait de poursuivre ma tâche." Toujours le chantage au départ. Son discours est interrompu à Alger, suite au sabotage d'un câble de transmission des images.

 2072 tués, 5334 blessés chez nous, 19726 tués, 8408 rebelles prisonniers, bilan de 1960.

 Le bilan de 59/60 est de 46.065 tués et 19.516 rebelles prisonniers, nos pertes s'élèvent à 4729.

Signe du découragement des fells, il y a eu en 1960 trois fois plus de rebelles ralliant l'armée française avec leur arme que de désertions de soldats français musulmans. Cependant la visite de De gaulle en décembre a relancé l'action terroriste, 1258 attentats contre 710 en novembre (malgré l'anniversaire du premier novembre) le chiffre le plus faible depuis 1955.

D'après les comptes du FLN, le réseau Curiel (ex jeanson) leur a permis de rapatrier en 1960 de france en suisse 3,5 milliards de francs (dont 10 % de peines et soins donnés aux passeurs).

 Le bilan 1960 des harkis de la région parisienne se monte à 300 arrestations, dont 70 tueurs, 3 chefs de zone, 2 Fusils mitrailleurs, 17 pistolets mitrailleurs, nombreux pistolets, fusils de guerre, bombes, grenades, explosifs saisis.

 Où en est l'armée en cette fin 60 ? D'après Kayanakis, " Algérie 1960, une victoire trahie " Editions Atlantis, ISBN 3-932711-16-5

 Les effectifs globaux de l'Armée d'Algérie: Les effectifs globaux de l'Armée française sont déjà des effectifs importants avant même que n'interviennent en 1956 les décisions de prolongation du service militaire et de rappel de disponibles: au 1er janvier 1956, l'Armée de Terre compte 623.000 hommes dont 324.000 en A.F .N. sur lesquels 180.000 servent en Algérie. L'Armée compte alors 36.000 Musulmans, ainsi que 16.000 légionnaires. Au 1er juillet 1956, l'effectif global a été porté à 736.000 hommes dont 320.000 en Algérie, effectif que l'on retrouvera en janvier 1957: 317.000 hommes, après une crue à 370.000 de septembre à décembre 1956 grâce à la présence des rappelés.

Ils seront portés par la suite à des chiffres de l'ordre de 400.000 pour l'Armée de Terre. Ils resteront longuement à ce niveau: en décembre 1960, pour une dotation théorique de 393.000 hommes, un effectif réalisé de 422.000 dont 401.000 instruits. C'est en 1961 seulement, alors que devient implicite la décision de quitter l'Algérie, que les effectifs commenceront d'être réduits, à 385.000 hommes au 1er janvier 1961,340.000 au 1er septembre 1961, mais pour compter encore 327.000 hommes le 1er janvier 1962, six mois avant la sécession.

Le débat est constant sur le niveau des effectifs entre pouvoir militaire et pouvoir civil. Ce dernier souhaite un allégement des effectifs pour des raisons budgétaires et pour donner satisfaction aux familles. L'argumentation du pouvoir politique s'appuie sur les succès de l'Armée. Mais Salan rétorque fin 1957 que le succès définitif de la pacification repose en premier lieu sur la présence française. On perçoit déjà chez Salan ce que sera la stratégie Challe: la pacification, au delà de la phase de combats, reste l'affaire des militaires; et l'affaiblissement numérique de la rébellion exigerait plutôt un renforcement des effectifs; à contre-pente du pouvoir politique, Salan conclura, à la nécessité d'instituer "officiellement" le service de 27 mois, durée alors effectuée mais par la procédure donc révocable d'un simple maintien au delà de la durée légale.

 L'importance de ces effectifs peut surprendre si l'on oublie qu'il s'agit d'une armée de pacification aux missions multiples.

Le 1er Bureau d'Alger évalue régulièrement l'emploi des effectifs; ainsi en janvier 1959, pour un existant de 385.000 hommes, peut-on compter 232.000 hommes affectés à des missions spécialisées considérées incompressibles et 153.000 seulement aux tâches de pacification liées à un territoire. Les missions spécialisées s'articulent en quelques grandes masses :

 . 90.000 hommes ont des missions de combat: 45.000 hommes des unités de réserve générale, non implantés et comprenant les deux divisions parachutistes (qui ne comptent que quelque 10.000 hommes dans les escadrons et compagnies de combat -ce qui est une indication parmi d'autres du volume de la guerre d'Algérie);

 . 45.000 hommes pour la garde aux frontières: 28.000 à l'Est, 17.000 à l'Ouest.

 .61.000 hommes sont affectés à la sécurité: 26.000 au Sahara, principalement pour les installations pétrolières, 15.000 à la garde de l'évacuation du pétrole; 20.000 à la sécurité des grandes agglomérations et des axes principaux de communication.

 .17.000 hommes ont des missions non militaires: personnel militaire des S.A.S, des écoles, etc.

 Mais sont également considérés incompressibles les services communs où le plus efficace voisine avec ce qui l'est moins :

.d'une part des centres d'instruction, les écoles, etc. avec 14.000 hommes, ou le Centre de Coordination Interarmées qui, avec quelque 1.000 hommes, contrôle de très près la rébellion;

.d'autre part 36.000 hommes dans les services et 13.000 dans les Etats-Majors.

 Seules les structures implantées territorialement, avec 153.000 hommes sont considérées comme pouvant être éventuellement allégées mais non sans risques; ainsi un projet de limitation du service militaire à 24 mois conduirait-il à un effectif global de 330.000; la réduction de 50.000 hommes ne pouvant être imputée qu'aux troupes de pacification implantées, celles-ci en serait ramenées à 98.000 hommes et réduites d'un tiers, ce qui est certes inconcevable.

 La recherche d'un complément d'effectifs: Le débat entre civils et militaires conduit l'Armée à chercher des effectifs donnant satisfaction aux civils. Il ne sera pas trouvé de solution donnant une satisfaction budgétaire mais le contingent algérien va permettre une mobilisation complémentaire qui indispose peu les familles de métropole.

Initialement l'Armée avait plutôt tendance à éloigner d'Algérie les Musulmans par souci de leur sécurité et pour ne pas risquer des désertions. Les F.M.A. sont en 1956 incorporés dans les centres d'instruction de Métropole ou en Allemagne. Une évolution se dessine en 1957: transférer en Algérie l'amalgame heureux réalisé en métropole et incorporer les Algériens musulmans dans les unités combattantes dans la proportion du tiers, en privilégiant une affectation hors de leur région d'origine. C'est ainsi qu'en 1958, l'Armée de Terre compte 37.000 F.S.N.A. dont 15.000 engagés et 22.000 appelés. Parmi eux 27.000 servent dans des unités de combat.

L'amalgame avec les Européens se fait au sein des unités européennes de base; ou, avec une plus forte proportion de F.S.N.A. (50%) dans les régiments de tirailleurs dont quelques-uns sont parmi les meilleurs de l'armée, ainsi le 7e R. T. (Il sera des toutes premières unités ralliant le putsch d'avril 1961. Dissout en métropole peu après la guerre d'Algérie, il sera reconstitué en 1964 à Epinal sous le nom de 170e d'Infanterie pour redevenir en 1994, mécanisé, le 1er Régiment de Tirailleurs, gardien des traditions de l'ensemble des régiments de tirailleurs.) Le potentiel d'une classe d'âge étant de l'ordre de 80.000, la progression va se poursuivre: 48.000 hommes en juin 1959. On envisage alors de porter cet effectif nord-africain à 59.000 hommes en avril 1960, 66.000 fin 1960, 70.000 en juillet 1961. Mais le changement de cap politique va freiner ce mouvement: au 1er mars 1961, les effectifs musulmans théoriques sont de 57.000, les effectifs réalisés, 61.000; ils seront ramenés à 50.000 fin 1961. L'augmentation des effectifs musulmans dans l'Armée s'est accompagnée en outre d'un accroissement en proportion supérieure du nombre des officiers. Une tradition ancienne avait déjà conduit à utiliser l'Armée comme premier moyen de promotion de cadres indigènes: en 1954, on comptait 51 officiers d'active; on comptera, en 1962, 256 officiers de souche nord-africaine dont 39 appelés et 217 d'active. Ces chiffres concernent la seule armée régulière et ne comptent donc pas les officiers recrutés.

 Les combattants musulmans des forces françaises : Les effectifs des combattants musulmans des forces françaises ne prêtent pas à discussion. 225.000 hommes rapprochés de la population globale: 9 millions d'âmes, comprenant 50% de mâles (4.500.000) dont la moitié d'adultes, soit 2.250.000 d'hommes majeurs. En 1961, 10 % des Algériens musulmans adultes font partie des troupes françaises tel est le résultat acquis par la politique de pacification, ce qui justifie pleinement l'affirmation du Général Challe dans un de ses interviews "nous avons gagné une guerre politique". Et plus des trois quarts d'entre eux sont des volontaires: tous les supplétifs (165.000 hommes) auxquels s'ajoutent quelque 20.000 hommes sous contrat des troupes régulières.

On pourrait se borner à constater l'étendue exceptionnelle de l'engagement des Algériens. Mais la "mémoire" de la guerre d'Algérie charrie tant de non- réalités, empruntées après-coup aux "souvenirs" imaginaires mais conjugués des artisans de la défaite politique finale et des "pacifistes" qui l'avaient souhaitée qu'il n'est sans doute pas inutile d'apprécier la représentativité des combattants français en rapprochant leur nombre de celui des rebelles. L ' A.L.N ., Armée de Libération Nationale, compte en février 1961 46.000 hommes (20 % des effectifs algériens des troupes françaises) si l'on retient les effectifs de toutes catégories: dont 22.000 auxiliaires et personnels à l'instruction. Les "combattants" sont au nombre de 24.000, mais 18.000 situés en Tunisie (13.000) et au Maroc (5.000), donc hors de la zone des combats qu'ils ont cessé de tenter de regagner, combats auxquels, sauf quelques cadres, ils n'ont pour la plupart jamais participé.

Les seuls combattants effectifs sont, en Algérie, évalués à 6.000 hommes, mais éclatés en plus de 200 petits groupes qui, sauf exception, n'atteignent pas 30 hommes. Des 35 katibas qui existaient encore un an plus tôt n'en subsistent que quatre qui atteignent une centaine d'hommes chacune; deux dans le Constantinois, l'une dans les Aurès, l'autre au Sud de Sétif; deux dans les willayas qui avaient en 1960 envisagé leur ralliement, l'une en Willaya III (Kabylie), l'autre dans l'Orléanvillois (Willaya IV).

On ne serait pas exhaustif si l'on ne situait pas les engagements respectifs dans cette guerre d'Algérie dont les pertes sont sans commune mesure avec d'autres guerres que l'on peut avoir à l'esprit. Deux chiffres indiquent l'ampleur de la guerre, ceux des pertes amies et ennemies. L'Etat-major français a enregistré de 1954 à 1962, 15.009 amis tués, et 143.609 tués chez l'ennemi. Ces chiffres diffèrent tant de ceux qui ont habituellement cours à la bourse des opinions qu'ils méritent quelques observations.

Pour les pertes amies, il s'agit de tués au combat. On peut y ajouter les tués par accident (accidents de la route et accidents de tir) qui furent quelque 9.000, soit un total de morts de l'ordre de 24.000. L'Algérie a coûté à la France, en nombre de morts, de 1954 à 1962, pendant huit ans, l'équivalent de ce que lui coûtent actuellement, en deux ans et demi, les accidents de la route (9 à 10.000 par an).

Pour les pertes rebelles, il s'agit de pertes du fait des forces de l'ordre. Ces chiffres sont incontestables: les militaires auraient plus tendance à grossir leurs bilans qu'à les diminuer, décorations et promotions étant attribuées en bonne partie en fonction des bilans. Les pertes totales pour l'Algérie ont sans aucun doute été supérieures et sont généralement évaluées entre 250 et 300.000 hommes, mais parce qu'il faut alors ajouter aux rebelles tués, les Algériens assassinés par les rebelles pendant la guerre, et ceux, les "Harkis", liquidés au départ de la France.

Mais la prétention du F.L.N. à une guerre ayant provoqué un million ou, pourquoi pas! un million et demi de morts est parfaitement grotesque. L'Algérie comptait à peine plus de deux millions de mâles adultes. Il ne serait resté en 1962 que des vieillards.

 En partant de l'hypothèse de quelque deux millions de métropolitains ayant servi en Algérie, quelque macabre que soit le calcul, moins d'un soldat en moyenne sur dix a eu l'occasion de tuer un rebelle, et si l'on tient compte du fait que le plus gros des engagements a été le fait des unités de réserve et des unités de garde aux barrages, il est vraisemblable que pas un soldat sur quarante ou cinquante n'a eu l'occasion de tirer à tuer. Voici qui situe l'ampleur de la guerre d'Algérie, indique la vanité des multiples "témoignages" télédiffusés et explique le silence dans lequel s'enfermeraient les témoins d'une "guerre" sur laquelle il n'ont rien à dire tout simplement parce que pour la plupart ils ne l'ont pas faite.

 Sur la base des chiffres analysés, on doit pouvoir affirmer à la fois que la rébellion a d'abord eu sur les Algériens un impact suffisant pour lever successivement en huit ans quelque 200.000 hommes: ceux qui seront tués, faits prisonniers, et les derniers survivants de la rébellion. Mais qu'une force musulmane française s'est par la suite dressée contre la rébellion qui a réuni simultanément plus de 200.000 hommes dans les années 1960-1962, lesquels n'ont pas peu contribué à achever de mettre la rébellion en déroute et constituaient, sur le terrain, à la fin du conflit, la seule force armée algérienne. Ce constat de l'adhésion finale à la France de la quasi- totalité des Algériens engagés, n'empêche pas de penser qu'entre les deux partis de souche nord-africaine qui ont participé à cette guerre civile, la masse de la population a pu flotter entre des opinions qui, plus que les engagements, s'accommodent de versatilité, mais dont aussi la mesure est plus soumise à contestation, d'autant plus que pèsent sur ces fluctuations les effets du terrorisme. On ne doit pas être très éloigné de la vérité en pensant que la masse algérienne a successivement rallié le camp qui lui paraissait avoir la victoire en perspective: elle est dès lors passée grosso modo d'une très large fidélité française initiale à une adhésion plus ou moins volontaire ou contrainte à la rébellion en 1955-1957; puis cette masse s'est manifestement retournée vers la France de 1957 à 1960; enfin, en décembre 1960, a commencé de s'exprimer une opinion quelque peu extraordinaire, se traduisant, en ville du moins, par des manifestations brandissant le drapeau F .L.N et acclamant le Chef de l'Etat français, manifestations réprimées par les troupes françaises relevant en principe du même Chef de l'Etat, Chef des Armées. Le décor de la tragédie était planté, d'autant mieux que la répression des manifestations était à l'occasion confiée à des troupes Algériennes, telles le Commando Georges.

l'Armée avait gagné la guerre psychologique en Algérie, mais à l'unité de vues nécessaire s'était substitué un divorce inavoué entre l'Armée exécutant la politique antérieure non dénoncée et le pouvoir en menant une autre qui ne se démasquait que progressivement; pour les Algériens engagés dans la victoire française, l'issue était tracée: l'exil pour une faible minorité tandis que les autres, rejetés par la France, allaient être massacrés, dernier et unique palmarès de guerre offert par De gaulle à l'A.L.N. des frontières.