Septembre 1956

 

 

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Premier septembre 1.956:

Accrochage en Oranie entre rebelles et armée, 15 militaires, 56 rebelles tués.

Nombreux égorgements de musulmans dans toute l'algérie.

La S.F.I.O. (le parti socialiste) discute avec le F.L.N. à Rome, on se met d'accord sur un scénario qui serait cessez le feu, élections libres où le F.L.N. présenterait des candidats, constitution d'un gouvernement provisoire qui discuterait le futur statut avec le gouvernement français. Les négociations achoppent sur le fait que les élections ne pourront pas être (disent les socialistes) réalisées sous l'égide du gouvernement provisoire, mais bien sous celle du gouvernement français (en d'autre terme, le F.L.N. veut toujours être reconnu comme l'unique représentant du peuple algérien avant toute election).

 

2 Septembre 1.956:

Guy Mollet change d'interlocuteurs pour maintenir le contact avec le F.L.N., cette fois c'est à Rome entre Pierre Commin, Pierre Herbaut, Ernest Cazelles d'une part, Mohamed Khider, M'hammed Yazid, Abderrahmane Kiouane d'autre part. Le F.L.N. reste intransigeant.

 

3 09 1.956:

Bilan depuis le début des crimes du F.L.N.: 2720 français musulmans, dont 142 femmes et 124 enfants assassinés. 363 français de souche européenne, dont 17 femmes et 24 enfants. 896 fermes incendiées. Et 394 hangars. 31.642 têtes de bétail. 242 machines agricoles. 167.000 arbres fruitiers. 3.221.000 pieds de vigne. 209.000 quintaux de paille, fourrage, grains incendiés. 4490 hectares détruits avant la récolte (du blé surtout). 299 écoles brûlées.

 

4 Septembre 1.956:

Le lieutenant rappelé Guerrab, déserteur communiste, chef de maquis, arrêté en Oranie.

Un maréchal ferrant tué à Boufarik.

 

5 Septembre 1.956:

 Bigeard, alors lieutenant colonel grièvement blessé lors d'un attentat individuel à Bône.

 

6 Septembre 1.956:

Deux algérois assassinés.

Un agriculteur de Blida aussi.

Un camion civil tombe dans une embuscade près de Sakamody, trois morts.

 

7 Septembre 1.956:

Entretien à Alger entre le président du conseil Mollet et le délégué général Lacoste.

Un camion militaire saute sur une mine à Sakamody, un mort trois disparus parmi les quatre militaires qui étaient à bord.

 

8 Septembre 1.956:

Bilan des attentats individuels sur les deux derniers mois à Alger, cinquante morts ou grièvement blessés.

Le commissaire central d'Oran blessé lors d'une arrestation.

Deux adjoints au maire, un chrétien à Boufarik, un musulman à Novi assassinés.

Le rapport que l'ethnologue pied noir Jean Servier adresse le 8 septembre aux autorités d'Alger et au préfet Vignon qui vient de relever le général Olié à Tizi Ouzou, n'est pas connu des historiens. Il mérite donc d'être largement cité.

Note sur l'Organisation "K" (8 septembre 1956)

En 1946, une scission se produisit à l'intérieur du comité exécutif du P.P.A., dont certains membres kabyles se plaignaient d'être écartés des postes de direction parce qu'ils étaient kabyles. Jusqu'en 1948 il y eut diverses tentatives de créer un mouvement "berbériste": essai d'un P.P.K. (Parti populaire kabyle) sous ['inspiration de Mouloud Maameri, professeur au lycée de BennAknoun, essai pas très poussé du reste d'une section kabyle du parti communiste algérien. Ces diverses tentatives ne réussirent guère à grouper qu'un petit nombre de jeunes instituteurs kabyles.

Il est difficile de préciser à la suite de quels contacts Monsieur Eydoux, conseiller technique au cabinet du Gouverneur général Soustelle eut l'idée de mettre sur pied un maquis kabyle dont les chefs étaient les promoteurs des tentatives mentionnées plus haut. Il est difficile de préciser également les données sur lesquelles s'est appuyé Monsieur Pontal, alors directeur de la Police à Alger, pour établir les listes des membres actifs de ce maquis. Pendant longtemps, le secret le plus absolu a entouré l'Organisation K. Le capitaine Benedetti, du S.R.O., a bien voulu m'en signaler l'existence dès mon arrivée à Alger en juin 1956. A mon arrivée en Kabylie, je pris connaissance des listes des membres actifs en même temps que j'entrais en relations avec le capitaine Hentic, que le colonel Parizot avait placé à la tête de l'organisation. Certains noms m'étaient familiers, d'autres me l'étaient moins. Après une brève enquête, je m'aperçus que nous étions en présence d'un regroupement armé et largement subventionné des éléments P.P.A. devenus MTLD, et de certains communistes dissidents de Kabylie. Certains membres de cette organisation, comme le dénommé Babou Lounès, secrétaire du Centre municipal de Tala Tgana, douar Tamgout, sont soupçonnés d'appartenir au F.L.N. L'individu sus-nommé serait commissaire politique du FLN. et aurait participé à l'assassinat des deux commerçants d'Azazga qui n'ont pas fait grève le 5 juillet.

De son côté, le capitaine Hentic (son adjoint est Camous) m'a dit que son rôle se bornait à percevoir mensuellement une somme de neuf millions au cabinet du Ministre résidant et à remettre un certain nombre de chèques à deux des responsables de l'Organisation K, Zaïdi et Tahar. Jusqu'à présent, l'organisation K a abouti à la seule mise à mort d'un suspect: un goumier de la commune mixte de Port Gueydon récemment passé au F.L.N. Ils revendiquent une seconde exécution, celle d'un officier du F.L.N. sans toutefois pouvoir en donner de preuve. A l'heure actuelle, dans la région des Beni-Zmenzer, comme au douar Izarazen, l'organisation échappe complètement à tout contrôle. Certains de ses membres, arrêtés comme suspects au cours de rafles ou de perquisitions dans les villages, produisent aux officiers ou aux gendarmes un papier attestant leur appartenance à l'organisation K et invitant l'autorité militaire à prendre contact avec le Lieutenant colonel Fauconnier, chef du 2ème Bureau de la 27ème DIA.

Au douar Ijlissen, la situation est sensiblement différente. Le capitaine X, commandant une compagnie du 15ème RCA est entré en contact avec les membres de l'organisation de son douar; dont le responsable est un certain Thoumi du village d'Izer-en-Salem. Cet officier a refusé jusqu'à ces derniers temps d'être secondé par un officier SAS. Ce faisant - peut-être par simple vanité - il appliquait strictement les directives du F.L.N. Ses supérieurs lui reprochent d'avoir appartenu au Parti communiste et d'entretenir encore à l'heure actuelle des rapports avec la section de Blida. Son départ demandé depuis fort longtemps interviendra peut-être en décembre.

Je suis entré en contact avec les responsables de l'Organisation que j'ai pu rencontrer : Zaïdi, Tahar et Thoumi. Les deux premiers sont connus à Alger - surtout Zaïdi- comme souteneurs. Ils expriment tous des ambitions politiques certaines. Dans l'immédiat, ils demandent que les terres de la Mitidja soient données aux membres de l'Organisation et souhaitent remplacer peu à peu le F.L.N. Babou Lounès avait réussi à persuader le capitaine Hentic d'installer un camp d'entraînement en même temps qu'un poste de combat non loin du village de Tala Tgana. Il est certain que bien que l'entraînement des terroristes se soit amélioré, leurs méthodes restent primitives. Eux-mêmes s'en rendent compte. De nombreux documents saisis l'attestent. Il y aurait donc un danger certain à enseigner les méthodes de combat de nos commandos à des éléments dont personne ne peut répondre. Le capitaine Hentic voulait tester son organisation en l'emmenant combattre sur un terrain d'opérations extérieur à la Kabylie, Les différentes vicissitudes dont on retrouve trace dans ses notes, dues surtout à la lenteur administrative de l'Armée, l'en ont empêché.

De son côté, le colonel Parizot, inquiet de la tournure que prenaient les événements, essaie de se débarrasser de l'Organisation K en en confiant la direction à la 27ème D.I.A. Le Lieutenant-colonel Fauconnier semble heureux de cette solution. Deux faits nouveaux viennent de se passer qui, à mon sens, compromettent grandement l'avenir: Les deux responsables Zaïdi et Tahar ont été victimes d'un inexplicable accident d'auto sur la route de Maison Carrée et souhaitent se faire hospitaliser en France. Le capitaine Hentic atteint d'une phlébite risque d'être contraint à l'immobilité pendant six mois. Je pense que privé de ces éléments, il sera impossible au Lieutenant colonel Fauconnier de prendre en mains l'Organisation K, même s'il avait une longue habitude de la Kabylie et des Kabyles, ce qui n'est pas le cas.

Au mois de juillet le général Olié a bien voulu me demander mon avis sur l'Organisation K. Je lui ai donné le 12 août les raisons que j'avais de mettre en doute les buts cachés et la valeur morale des responsables et des hommes de cette organisation.

Le 6 septembre, le général Olié m'a montré un rapport du lieutenant colonel Fauconnier qui demandait le maintien de l'organisation sous sa forme actuelle. Il a bien voulu à nouveau me demander mon avis. Je lui ai répondu ce qui suit: "Au fur et à mesure de l'implantation des troupes françaises, les membres de l'Organisation K doivent se présenter au commandant de secteur et au commandant d'unité, et sortant de la clandestinité, demander à combattre comme supplétifs aux côtés des troupes françaises, ou à participer à la défense des villages avec des cadres français, ou à rendre leurs armes et à reprendre leurs occupations. En aucun cas nous ne pouvons admettre la constitution d'un mouvement politique tout aussi nationaliste que le F.L.N., encore moins devons nous en assurer l'armement et le financement". Dans l'état actuel des choses, avec le retrait des éléments du 11ème Choc, pour le 31 octobre, du commando français chargé d'encadrer l'Organisation, j'estime imprudent de laisser survivre une organisation clandestine dont les membres sont aujourd'hui au nombre de 1.300 et ont à l'égard des troupes une attitude équivoque. Rien ne peut être entrepris en Kabylie tant que cette lourde hypothèque n'a pas été levée. Non seulement en supprimant à l'organisation sa subvention, ce qui est facile, mais encore en la désarmant et en supprimant la cellule terroriste qui s'y est glissée.

Fin de la note de jean Servier.

X

Le 1er octobre, la 2ème compagnie du 15ème BCA, stationnée dans les Iflissen, et dont le capitaine entretient des relations (suspectes, selon la lettre de Servier) avec quelques membres de l'organisation K, est attirée dans une embuscade (2 tués, 6 blessés dont le capitaine Maublanc). On constate alors que 200 maquisards au moins, que l'on croyait ralliés à la France, ont rejoint la rébellion. L'oiseau bleu s'est envolé, s'écrie Hentic (d'où le nom attribué à tort à l'affaire K). L'opération Djenad, montée par la 27ème DIA, sans la participation de la 7ème DMR, du 9 au 12 octobre dans la forêt d'Adrar, permet au 3ème RPC de Bigeard de mettre hors de combat 130 rebelles armés de fusils de chasse, les armes de guerre ayant été récupérées par la wilaya 3. Le dénouement de l'affaire K constitue un grave échec pour les services de renseignement et pour l'armée française, moins grave sur le plan militaire, que sur le plan psychologique. L'opération Jumelles en 1959 neutralisera les katibas de la wilaya 3, jusqu'à ce qu'elles renaissent en mai 1962.

Connaissance des Berbères

Dans cette affaire, Jean Servier fait la démonstration de sa connaissance des villages, famille par famille, de leur hiérarchie traditionnelle, de leur appartenance aux partis politiques, et de l'existence de sofs, le sof d'en bas opposé à la France, le sof d'en haut attentiste en raison de la peur du FLN, provoquée par les impôts forcés, les exécutions de prétendus traîtres, la prière sous contrainte, contraire à la laïcité des Kabyles. Avec sa volonté d'uniformiser et d'arabiser, la rébellion a porté un coup aux croyances et aux pratiques traditionnelles (G.Laffly). L'affaire K donne ainsi à Jean Servier l'occasion de mettre en pratique sa compétence d'ethnologue, car il sait que le passé inspire le présent, et que rien n'est oublié : "Mille mémoires tiennent un compte précis des crimes et des vengeances (la rebka)". Cette expérience est décrite dans Adieu Djebels.

Faivre Maurice, Conflits d'autorités durant la guerre d'algérie, ISBN 2-7575-7304-4

On peut considerer que cette opération fût montée par Krim Belkacem, qui se procura ainsi directement auprés du gouvernement français 1500 armes de guerre, et une assez vaste région, au nord de Tzi Ouzou, de Dellys à Port Gueydon où ils étaient les maîtres. C'est en Août 1956, à l'ocasion du congrés de la Soumam, que le FLN décide de jeter le masque.

 

9 Septembre 1.956:

Retour d'Alger, Guy Mollet déclare "ceux qui craignaient que la france abandonnerait l'algérie ont repris confiance".

 

10 Septembre 1.956:

 Une famille d'agriculteurs (père 70 ans, mère 63 ans, fils 40 ans) assassinés dans la région d'Oran, ainsi que trois autres dans diverses fermes.

Il s'agit en fait d'un attentat monté le samedi 8 septembre vers 20 heures, à la tombée de la nuit, par un groupe de fell, sur la route cotiére à hauteur du pont sur le cheliff. Les occupants de deux voitures et d'un camion roulant en direction de Mostaganem furent assassinés, au lieu dit les deux mamelles. La grand mère de la famille Blanc a réussi à sauver la vie de ses deux petits enfants, en les envoyant se cacher en bas du talus, sur la plage. Les enfants passérent ensuite le Chelif à gué et trouvérent refuge au camp militaire du Djebell Diss. Au total 6 personnes sont mortes. La région de Mostaganem, jusqu'alors épargné est tetanisée par cet evenement.

Quatre militaires tombent victime des rebelles à Colomb Bechar.

 

11 Septembre 1.956:

Le lieutenant français Guerrab, communiste déserteur, condamné à mort à Oran.

Arrêté, gracié en 58 au nom de l'algérie française, libéré en 62 au nom de l'algérie algérienne, il s'installe à Paris (bien sûr, pas fou) et y meurt de sa belle mort, toujours communiste, en 1.997.

 

12 Septembre 1.956:

Vaste opération dans les Aurès, nombreuses caches d'armes découvertes, sur information, les rebelles passent au travers du bouclage.

Trois assassinés à l'Arba.

Un autre dans sa ferme de Blida.

 

13 Septembre 1.956:

Rien.

 

14 Septembre 1.956:

Arrestation à Orléansville d'un réseau de soutien au F.L.N., trente arrestations de communistes, dont le médecin chef de l'hôpital.

Un gardien de H.L.M. grièvement blessé à Alger.

 

15 Septembre 1.956:

 Une bombe dans un cinéma à Alger. Ce type d'attentat devenant de plus en plus fréquent, des fouilles sont organisées à l'entrée des lieux publics, cafés, grands magasins, cinémas, trains.

Embuscade à Orleansville, trois militaires tués, trois blessés.

Cinq passagers d'un car enlevés dans le sud Oranais.

Deux assassinés à Colomb Bechar.

Un adjoint au maire de Perregaux égorgé.

Un cafetier assassiné à Alger.

 

  16 Septembre 1.956:

Engagement dans les monts du Dahra, 46 rebelles abattus.

Un agriculteur de 74 ans assassiné à Philippeville.

Un garde municipal à Alger, deux autres dans la banlieue.

 

17 Septembre 1.956:

Un poste militaire se révolte près de Tizi Ouzou, une dizaine de goumiers désertent en emportant leurs armes, après avoir égorgé six de leurs camarades fidèles à la france, le gendarme européen chef de poste et sa femme, et un entrepreneur de bâtiment qui était là par hasard.

Un mort et un blessé à Oran.

Bombe lancée dans un camion militaire à Oran, un mort huit blessés

Grenades dans plusieurs cafés de Colomb Bechar, 18 blessés. (Il s'agit d'empêcher les musulmans de boire de l'alcool- ou peut-être d'améliorer la rentrée de l'impôt révolutionnaire).

Bombe dans le train Oujda- Oran, un mort un blessé.

Embuscade près de Blida, un lieutenant français tué.

Accrochages près de Tablat, un capitaine, deux soldats tués.

 

18 Septembre 1.956:

Le chef Foudil arrêté en région parisienne, il avait sur lui six millions, fruit du prélèvement de l'impôt révolutionnaire.

Attentats sans résultats contre des conseillers municipaux d'Alger.

Deux condamnations à mort au tribunal militaire d'Alger.

Deux personnes sont arrêtées dans le cadre de l'enquête sur le réseau communiste d'Orleansville, on apprend à cette occasion que ce réseau a été dénoncé par le lieutenant communiste Guerrab.

 

19 septembre 1.956 :

Rien

 

20 septembre 1.956:

 Dramatique embuscade à Palestro, 21 soldats français tués.

Un assassinat à la casbah.

 

21 septembre 1.956:

Un inspecteur principal des PTT, membre du parti communiste, arrêté pour soutien aux rebelles.

Le coureur cycliste Zaaf, gloire du cyclisme algérien, arrêté pour aide aux rebelles.

Un chef de chantier assassiné sur son chantier à l'arba..

 

22 septembre 1.956:

Opérations dans le Constantinois.

Embuscade près d'Aïn Sefra.

Le démantèlement du réseau communiste se poursuit, trois sont arrêtés à Sidi-bel-Abbés, des armes découvertes, un second inspecteur des P.T.T. est en fuite.

Fusillade entre F.L.N. et M.N.A. à paris, 2 morts, 7 blessés.

 

23 septembre 1.956:

Un groupe armé répand la terreur en Oranie, il tue 10 personnes, fermiers et ouvriers de 14 fermes qu'il incendie. Grenade sur une patrouille militaire à Mascara, 4 tués, 7 blessés.

Un agent de police tué à Blida.

Un garde champêtre aussi, à Kouba.

 

24 septembre 1.956:

9 attentats à Alger, 3 tués, 6 blessés, les terroristes manquent encore d'entraînement .

Grenade dans un cinéma à Saint Arnaud, 20 blessés.

Accrochage à sidi-mesriche, un chef rebelle abattu.

A Belgrade, Pierre Commin rencontre, toujours au nom des seuls socialistes, mais bénis par le gouvernement du même métal, Mohamed Khider et Lamine Debaghine, toujours sans résultat, le F.L.N. veut qu'on lui livre l'algérie.

 

25 septembre 1.956:

 Antoine Argoud fait un rapport:

J'adresse au commandement, par la voie hiérarchique, un rapport sur le problème militaire en Algérie (no 266/EMS du 25/09/56).

C'est de ce rapport que M. Jean-Jacques Servan Schreiber publia des extraits dans son journal Lieutenant en Algérie1, en tronquant soigneusement le texte. En voici les passages les plus significatifs:

"En trois mois, le régiment a parcouru huit mille kilomètres dans l'Algérois et le Constantinois, participé à des opérations dans quatorze communes, travaillé avec plus de vingt unités différentes.

"Partout, il a pu constater que les méthodes utilisées étaient anarchiques et, à de rares exceptions près, inefficaces, que, malgré l'optimisme des déclarations officielles et en dépit du renforcement considérable des effectifs, la situation ne s'améliorait pas, si elle ne se dégradait...

"Nombreuses certes sont les directives officielles lancées à tous les échelons, mais aucune ne traite le problème dans son ensemble. Le plus souvent, elles se cantonnent dans de vagues généralités. Elles ne sont d'ailleurs généralement pas appliquées.

"Un observateur, même peu averti, peut constater aisément l'anarchie des procédés utilisés d'un secteur à l'autre, ou dans un même secteur avec le temps. Cette anarchie se solde fatalement par des erreurs graves. Celles-ci ont deux sources communes:

- l'affaiblissement de la notion d'autorité;

- le manque d'adaptation des esprits et des méthodes au problème à résoudre.

 

"1° L'affaiblissement de l'autorité aboutit:

" - à un laisser-aller général de la tenue des troupes. 90 pour 100 des unités de toutes armes offrent le spectacle navrant de troupes sales, débraillées, vêtues au hasard de leur bon plaisir, indisciplinées, que ce soit dans leurs cantonnements, sur la route ou en opérations. Chacune pourtant devrait être convaincue du grave préjudice porté ainsi à l'armée, beaucoup mieux de l'impossibilité de résoudre dans ces conditions le problème algérien, quels que soient les efforts déployés par ailleurs.

( " Ce n'est pas avec ce bataillon de femmes qu'ils nous mâteront ", murmuraient les dockers d'Alger en assistant au débarquement d'une unité particulièrement mal tenue);

" - à des excès inadmissibles dans l'attitude vis-à-vis de la population.

" Cette attitude oscille entre la faiblesse la plus insigne et la violence la plus coupable. Combien d'unités, qui laissent sans réplique pendant de longues semaines les exactions des rebelles, qui leur permettent d'abattre impunément les lignes téléphoniques, couper les routes à quelques centaines de mètres de leurs postes, incendier fermes et écoles; combien de ces unités, poussées tout à coup par une colère aveugle, se laissent aller aux pires excès: pillage, assassinats, tortures collectives, qui ne le cèdent en rien à ceux commis par l'adversaire, et justifient toutes les propagandes ;

" - à des lacunes graves dans l'instruction enfin. Ces lacunes, dans les actes tactiques élémentaires ont de graves répercussions. Elles sont d'abord directement responsables d'un pourcentage important de pertes au combat... Mais surtout, sous l'influence de ces pertes, se développe peu à peu un complexe d'infériorité, qui pousse le commandement à augmenter progressivement les effectifs minima autorisés pour les patrouilles, et les unités elles-mêmes à s'enfermer, tels des assiégés dans des postes d'où elles n'osent plus sortir...

 

" 2° Le manque d'adaptation des esprits et des méthodes. Le problème militaire est traité dans la plupart de ses aspects comme s'il s'agissait d'une guerre classique.

"Le commandement à tous les échelons s'adapte mal aux conditions singulières. Ce manque d'adaptation se traduit par une incompréhension foncière des principes, qui doivent guider l'action de l'armée.

"En effet, pour la plupart des unités, l'objectif ennemi reste les fellagha. Les opérations semblent constituer une fin en soi. Elles présentent d'autant plus d'attirance qu'elles comportent moins de risques: l'ennemi étant incapable de pénaliser les erreurs de conception. Elles ne se préoccupent guère de la population, où tout se passe du moins comme si elles ne s'en préoccupaient guère. Il n'en faut pour preuves que la nomadisation incessante des unités d'une région à l'autre de l'Algérie et de l'importance donnée aux réserves.

"Alors que la permanence est la condition préalable, indispensable, d'une action militaire efficace, les unités sont entraînées dans un mouvement tourbillonnaire, que rien ne peut justifier.

"C'est ainsi, exemple entre mille, que de décembre 1955 à juin 1956, six unités se sont succédé à M'sila. A chaque relève toute l'oeuvre est à recommencer, plus difficile chaque fois."

Je concluais ainsi ce rapport:

"Au terme de cette rapide enquête, on peut aisément mesurer la distance qui sépare ce qui est de ce qui devrait être-

"L'armée, dans son ensemble, n'a pas compris le problème algérien. Du moins, tout autorise à le penser.

"Elle fait la guerre. Les arbres lui cachent la forêt.

"Au lieu de s'occuper de la population, qui constitue le noeud de la question, elle poursuit fiévreusement des rebelles, qui n'en constituent qu'un aspect secondaire.

"Cette guerre, elle la fait mal d'ailleurs. Il pourrait difficilement en être autrement, puisque le désordre et l'indiscipline ne peuvent avoir que des fruits amers-

"Faut-il en déduire que l'affaire est perdue, et s'abandonner au désespoir? Que non pas... Tout peut être encore sauvé pour peu que l'armée recouvre la force de corriger ses vices et sache s'adapter aux conditions du moment. Mais les heures sont comptées. Car l'heure approche où les augures affirmeront sans rire dans une dernière trahison, que, l'ordre étant rétabli, la parole est à la négociation."

Copié dans Antoine Argoud, La décadence, l'imposture et la tragédie, Fayard 1974, ISBN 2-213-00148-0

 

  26 septembre 1.956:

Un maçon assassiné sur son chantier à Blida.

 

27 septembre 1.956:

Un groupe de policier attaqué en plein jour dans un quartier d'Alger, un mort, quatre blessés.

 

28 septembre 1.956:

Fermes incendiées, routes coupées, poteaux télégraphiques aussi, un peu partout. La tactique du F.L.N. consiste à réunir les hommes d'un douar ou d'une metcha et à les encadrer, armes au poing pour leur faire réaliser ces sabotages, espérant enclencher le cycle attentat, répression…

Ben Boulaïd Omar, chef historique, abattu dans les Aurès au cours d'un accrochage qui a mis au tapis 100 rebelles.

Le ministre Seydoux refuse le feu vert à une opération proposée destinée à écraser les camps F.L.N. de Tunisie, le premier d'une longue série de refus.

 

29 septembre 1.956:

Rien.

 

30 septembre 1.956:

 Sanglants attentats à Alger, une bombe explose dans les toilettes dames du Milk Bar, une autre au même endroit à la Cafetaria, deux cafés proche des facultés où se réunissent habituellement les étudiants. Trois morts, 59 blessés dont douze devront être amputés.

L'enquête accusera quatre femmes, Djemila Bouarra, Zoubida Fadila, Djemila Bouired et Danièle Mine. Quelques victimes.

Témoignage de Nicole Guiraud, victime de l’attentat a la bombe Le dimanche 30 septembre 1956 était le dernier jour des vacances scolaires, á une époque où l’école débutait le 1er octobre. Je venais d’avoir 10 ans, et fréquentais depuis 2 ans l‘école Laperlier, celle de mon quartier à Alger. C‘était une très belle journée de fin d‘été et, après avoir préparé mon cartable pour la rentrée du lendemain, je demandais a mes parents de sortir avec moi faire un tour. Ma mère avait des choses à finir pour la maison et ma sœur, plongée dans sa lecture, ne voulait pas bouger. Je sortis donc seule, avec mon père, en début d‘après-midi.

Comme toujours, nous avions été sur le boulevard Front de Mer pour admirer les bateaux ancrés dans la rade d’Alger. Les rues du centre ville grouillaient de monde, des promeneurs, des familles revenant de la plage et qui s‘installaient aux terrasses de café pour une dernière pause avant de regagner leur domicile. Nous nous trouvions dans la rue d’Isly et nous dirigions vers la place du Gouvernement quand mon père me demanda si j’avais envie de manger une glace. J’attendais, bien sûr, sa question et j’acquiesçai avec enthousiasme. Les meilleures glaces d’Alger, c’était au Milk Bar qu’on les trouvait, un glacier réputé de la ville. Là aussi, il y avait beaucoup de monde. Des jeunes gens, mais surtout des familles avec leurs enfants. Impossible de trouver une table libre, mon père avait donc commandé pour moi un cornet, afin de le déguster sur le chemin du retour …

Je me souviens encore que nous nous trouvions près de l’entrée, à la caisse. J’avais la glace à la main et nous nous apprêtions à sortir, lorsque l’explosion eut lieu… Il était 18h35. Ce fut un bruit assourdissant, un brouillard de fumée et de poussière jaunâtre si épais qu’il m‘aveuglait, des objets fracassés qui volaient de tous les cotés, et surtout un souffle si puissant qu’il me souleva et me projeta hors du local. Partout, autour de moi, le chaos, une panique indescriptible …

Je me retrouvais à l’extérieur, allongée sur le trottoir devant le petit square qui existait alors sur la place Bugeaud, au milieu d’une foule hurlante et affolée qui s’enfuyait. Les gens me piétinaient sans me voir, et j’essayais de me relever en appelant “papa, papa… !”, car je ne savais plus où était mon père, et le nuage de fumée opaque m’empêchait de discerner ce qui se passait autour de moi. Les cris et les hurlements couvraient ma voix, et je remarquais soudain que ma robe en tissu écossais était imbibée de sang .... Je me vidais de mon sang. La détonation m’avait rendue presque sourde mais je continuais à appeler mon père qui arriva enfin, lui aussi me cherchant partout, parmi les blessés gisant au milieu des gravats. Il me souleva et me prit dans ses bras tout en cherchant du secours. Des gens commençaient à arriver et quelqu‘un ( je sus plus tard que c‘était un appelé du contingent, M. Lilian Silva, dont j’ai retrouvé la trace 50 ans plus tard ! ) m’enleva des bras de mon père qui, atteint lui-même a la jambe, ne pouvait plus se tenir debout, et me fit un garrot avec sa cravate. A ce moment-là, je commençais à perdre conscience car j’avais perdu déjà beaucoup de sang. Le militaire fit stopper une voiture civile, et me laissa aux soins d’un autre para qui se trouvait là (il s’agit de M. James Pipeau, lui aussi blessé, mais plus légèrement) qui nous accompagna mon père et moi au service des urgences de l‘hôpital Mustapha.

Je n’ai qu’un souvenir confus de ce trajet, car je n’étais qu’a demi consciente et ne revenais á moi que pendant de cours moments, lorsque l’un de nos accompagnateurs devait desserrer le garrot. Il me semble avoir été dans ces courts instants d’une incroyable lucidité. Je voyais bien que mon bras gauche, complètement sectionné, ne “répondait plus “, ne m‘appartenait déjà plus…. Je jouais avec les doigts de ma main inerte comme avec ceux d’une poupée. Je ne ressentais pas la douleur. Encore sous le choc, j’étais trop “sonnée” pour ça. Mais je sentais que j’allais mourir bientôt … Je comprenais que je venais de vivre une de ces explosions à la bombe, dont j’avais entendu les adultes parler lors de précédents attentats .

Lorsque la voiture arriva dans la cour d’un bâtiment de l’hôpital Mustapha, où affluaient des ambulances improvisées ; les brancardiers me déposèrent sur une civière ainsi que mon père dont la jambe ruisselait de sang et qui s’affaiblissait a vue d‘oeil. Je me souviens très bien de cette autre scène terrifiante qui nous attendait à l’intérieur du local… J’ai eu le temps de voir, comme dans un cauchemar, les couloirs remplis de corps ensanglantés, blessés ou morts allongés sur des civières ou a même le sol, les murs et le carrelage maculés de sang … Il y avait du sang partout … ! Les blessés criaient, gémissaient, appelaient à l’aide… Je me sentais faiblir de plus en plus. On nous a d’abord installés sur des rangées de chaises et de bancs, tout au long des murs d’une salle bondée de blessés. Car il y avait eu au même moment - cela, je l’ai su plus tard - deux autres attentats à la bombe, très meurtriers, dans d‘autres points de la ville, et les blessés affluaient de partout… Les infirmières et les médecins présents étaient débordés…. Un infirmier passa parmi nous pour nous faire, les uns après les autres, une “piqûre pour soutenir le coeur”. Blottie contre mon père, je m’évanouissais, reprenais conscience, m’évanouissais a nouveau … L’attente était insoutenable, l’angoisse terrible.. Surtout pour mon père qui avait gardé toute sa lucidité.

Enfin, mon tour arriva de passer en salle d’opération, dans les mains de l’équipe du Professeur Goinard - à qui on ne rendra jamais assez hommage pour l’engagement exemplaire de ces jours-là …

Je dus rester plusieurs semaines a l’hôpital - au coté de mon père, atteint de surdité définitive en raison de la déflagration, et dont la blessure á la jambe présentait des complications : un début de gangrène - Je dus, moi-même, subir plusieurs autres interventions consécutives à mon jeune age ( problèmes de la croissance, ainsi qu’une mauvaise blessure a la taille, due a un éclat de bombe qui m’aurait coupée en deux si mon bras n’avait servi d‘ “amortisseur”!), et qui représentèrent pour moi une épreuve terrible, autant sur le plan physique que sur le plan psychique …

Ensuite, ce fut la longue phase de “rééducation” - sans aucun autre soutien psychologique que celui de mes proches car cela n‘était pas encore envisagé a l‘époque - et le lent et douloureux apprentissage de ma vie d’infirme, où je dus me familiariser avec mon nouveau corps et surtout apprendre a “gérer”, à 10 ans à peine, une expérience qui m’avait confrontée brutalement, en quelques fractions de secondes, a la noirceur absolue du monde des adultes…

Nicole Guiraud Frankfurt / Montpellier 2008

 

Une cafetière assassinée à Tizi Ouzou.

Un passant à Philippeville.

Un autre à fort de l'eau.

Un autre à Miliana.

Une bombe dans un café de Tlemcen, 8 blessés dont quatre militaires.

Un camion militaire tombe dans une embuscade près Orleansville, 5 morts, 3 blessés.

Une patrouille militaire tombe dans une embuscade, près de Palestro, 4 morts.