De 1830 à 1953:

 

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28 juin 1830

Mais il est dans les villes d'Algérie une communauté qui ne se soucie guère de départ pour la France. Pour les Juifs, il suffit que la France soit venue à eux et qu'ils l'aient accueillie. La conquête de l'Algérie par les Français fut une chance inespérée qu'ils s'empressèrent de saisir et reconnurent volontiers. "La France est une deuxième Terre sainte pour le judaïsme régénéré", écrit avec quelque emphase le journal L'Israélite algérien après la publication du décret Crémieux, qui vint couronner une évolution de quarante années.

Le 29 juin 1830, Bacri et Duran, les deux plus grandes notabilités juives d'Alger, allaient au-devant du général de Bourmont, montés sur des mules richement harnachées, suivis d'une longue file de femmes, d'enfants, de chameaux, de mulets. Et l'on se mit joyeusement à battre et à piller les Turcs, aux cris de "Viva les Franchais", puis à se montrer insolents avec les Maures, dont beaucoup quittèrent la ville de ce fait.

Les Juifs algériens avaient sans aucun doute une revanche à prendre. Les Arabes n'avaient pas trop maltraité ceux qu'ils avaient trouvés sur place ou qui s'étaient enfuis d'Espagne, mais les Turcs s'étaient montrés cruels et injustes. Aux bastonnades et aux pendaisons, ordonnées pour des riens, s'ajoutaient mille vexations mesquines. Partout les Juifs étaient enfermés dans les mellah, les ghettos d'Afrique du Nord, hors desquels ils ne pouvaient s'établir. La nuit, ils n'avaient pas le droit de porter des lanternes et devaient se contenter de bougies tenues à la main. Comme, d'autre part, il était interdit de circuler sans lumière, ils avaient beau se brûler les doigts, ils se trouvaient bien vite en faute. Les quartiers de leurs babouches devaient être rabattus, ce qui leur donnait une démarche bien particulière. Plus de cent ans après, les enfants d'Alger qui marcheront sur le contrefort de leurs pantoufles se verront accusés de "marcher à la juive".

En revanche, d'autres Juifs occupaient le sommet de l'échelle sociale et même du pouvoir politique. Les Juifs dits francs, presque tous des Livournais, venus au XVII et au XVIIIe siècles commercer et trafiquer des produits de la course, étaient considérés comme étrangers et traditionnellement placés sous la protection du consul de France. Les Bacri, les Duran, les Busnach, banquiers des deys, tenaient toute l'économie et dirigeaient les affaires de la Régence. L'un d'eux, Naphtali Busnach, eut seulement le tort de laisser trop apparaître sa puissance: il y gagna le surnom de roi d'Alger et y perdit sa tête, entraînant dans le massacre quarante et un de ses coreligionnaires. Ces Juifs francs envoyaient leurs fils faire des études en Europe afin qu'ils y apprennent plusieurs langues et commencent à y établir des contacts qui se transformeraient par la suite en relations commerciales. Ils avaient peu de rapports avec la masse des juifs indigènes.

 

5 juillet 1830:

Le Dey signe la capitulation. Le roi de france prend sa place, y compris la propriété de tous ses biens (et ils sont inombrables). Le dey a la vie sauve avec une partie de ses femmes, de ses enfants et de son entourage, avec une partie de son trésor, il gagne la turquie.

Dans les conditions, on note "la religion et les coutumes des habitants seront respectées".

 

20 janvier 1848

En 1848, Friedrich Engels, qui sera bientôt le complice de Karl Marx, est correspondant à Paris pour le journal britannique Northern Star. Sous le titre "Défense de l'impérialisme progressif en Algérie" , voilà ce qu'il écrit dans l'édition du 20 janvier 1848:

"A notre avis, c'est très heureux que ce chef arabe [Abdelkader] ait été capturé. La lutte des Bédouins était sans espoir et bien que la manière brutale avec laquelle les soldats comme Bugeaud ont mené la guerre soit très blâmable, la conquête de l'Algérie est un fait important et heureux pour le progrès de la civilisation. Les piraterie des Etats barbaresques, jamais combattues par le gouvernement anglais tant que leurs bateaux n'étaient pas molestés, ne pouvaient être supprimées que par la conquête de l'un de ces Etats. Et la conquête de l'Algérie a déjà contraint les beys de Tunis et de Tripoli et même l'empereur du Maroc à prendre la route de la civilisation. Ils ont été obligés de trouver d'autres emplois pour leurs peuples que la piraterie, et d'autres méthodes pour remplir leurs coffres que le tribut payé par les petits Etats d'Europe.

"Si nous pouvons regretter que la liberté des Bédouins du désert ait été détruite, nous ne devons pas oublier que ces mêmes Bédouins étaient une nation de voleurs dont les moyens de vie principaux étaient de faire des razzias contre leurs voisins ou contre les villages paisibles, prenant ce qu'ils trouvaient, tuant ceux qui résistaient et vendant les prisonniers comme esclaves. Toutes ces nations de barbares libres paraissent très fières, nobles et glorieuses vues de loin, mais approchez seulement et vous trouverez que, comme les nations plus civilisées, elles sont motivées par le désir du gain et emploient seulement des moyens plus rudes et plus cruels. Et, après tout, le bourgeois moderne avec sa civilisation, son industrie, son ordre, ses "lumières" relatives, est préférable au seigneur féodal ou au voleur maraudeur, avec la société barbare à laquelle ils appartiennent."

 

  14 Juillet 1865 :

Napoleon III dans la cadre du royaume arabe dont il est empereur, decrete un "sénatus-consulte" qui précise : "L'indigène musulman est Sujet Français, il continuera a être régi par la loi coranique.

Il peut sur sa demande être admis à jouir des droits du Citoyen français; dans ce cas il sera régi par les lois civiles et politiques de la France."

On note que du temps des rois, le musulman était aussi sujet français, comme tous les français d'ailleurs.

 

18 avril 1870

Lecture est donnée d'une lettre en date du 7 avril courant par laquelle, conformément aux prescriptions de S. E le Gouverneur Général, M le Préfet prie le Consistoire de se réunir à l'effet de répondre par une délibération explicite sur la question suivante ; Savoir

" Les consistoires Israélites de l'Algérie, rattachés par le décret du 16 septembre 1867 au Consistoire Central de France, se considereraient-ils autorisés a provoquer par l'intermédiaire de ce Consistoire, un déclaration analogue à celle du Grand Sanhédrin de 1807 pour delier leurs coréligionnaires de l'observation de la loi mosaique en ce qu'elle a de contraire aux prescriptions du Code Napoléon et de l'ensemble de nos lois civiles et politiques ? "

Le Consistoire après délibération se prononce à l'unanimité pour l'affirmative.

 

16 Mars 1871:

Le 16 mars au matin, entouré des membres de sa famille, à la tête des goums dans la riche tenue des grandes fantasia, accompagné par les you-you des femmes, comme éclaterait un orage trop longtemps contenu, el Mokrani se lance à l'attaque du village en hurlant. La défense de Bordj est assurée par quatre cent personnes environ, assez peu entraînées au combat : trois cents mobiles des Bouches-du-Rhône, quatre vingt colons armés, et quelques gendarmes et spahis. Le fort comprend aussi quatre obusiers qui seront sans utilité~.faute de projectiles pour les alimenter. Cette révolte durera jusqu'en juillet.

Cette révolte est due à plusieurs facteurs

- la defaite de l'empire ( Sedan , 2 septembre 1870) qui avait bati sa puissance en algérie en se reposant sur les chefs traditionnels ("de grande tente") ralliés à titre individuel à des militaires (les bureaux arabes) pour la plupart demantelés e t envoyés au front.

- le constant grignotage par l'administration française des prérogatives de ces chefs, suscitant colére et agacement.

- le remplacement de l'empereur déchu non par un autre empereur mais par une organisation mal comprise (la république) dont les décisions brutales et inattendues concernant l'algérie (les decrets Cremieu d'octobre 1870) seront, circonstance agravante, signés par un juif.

- la sourde hostilité entre les bureaux arabes defenseurs des droits traditionnels et les colons qui ne comprennent pas que d'immenses domaines soient sous exploités par la traditionnelle khames (metayers n'ayant droit qu'au sinquième de la récolte). D'ailleurs en janvier Cremieu a clairement indiqué que la france entendait modifier ce partage.

- les agitations recentes, aux frontiéres tunisiennes, menées par un des fils d'Abd el Kader, (de décembre à mars) à M'sila, début fevrier,.

L'affaire se termine en juin, Mokrani a été tué en Avril, Thiers remplace Cremieu, le justice française enverra les chefs de la révolte en exil en Nouvelle Caledonie où la plupart feront souche.

D'aprés Bordj Bou Arreridj de Francine Dessaigne, ISBN 2-86442-016-3

 

22 Mai 1872 :

La gazette de Cologne, journal tenu par les amis de Bismark triomphe : "L'émigration des alsaciens lorrains fuyant le régime de l'empereur en Algérie a échoué. Beaucoup de ceux qui sont partis en France ont finalement choisi les propositions avantageuses des compagnies américaines, car tant de déceptions ont été éprouvés par ceux qui ont tenté de s'y établir. "

Pourtant le 21 Juin 1871, une loi attribuait aux réfugiés "100.000 hectares des meilleurs terres du gouvernement", que fort opportunément la révolte kabyle venait de permettre de confisquer.

 

29 juillet 1916:

Lettre prophetique du père Charles de Foucauld à René Bazin de l'académie Française, le 29 juillet 1916.

 

"Ma pensée est que si, petit à petit, doucement, les musulmans de notre empire colonial du nord de l'Afrique ne se convertissent pas, il se produira un mouvement nationaliste analogue à celui de la Turquie : une élite intellectuelle se formera dans les grandes villes, instruite à la française, sans avoir l'esprit ni le coeur français, élite qui aura perdu toute foi islamique, mais qui en gardera l'étiquette pour pouvoir par elle influencer les masses ; d'autre part, la masse des nomades et des campagnards restera ignorante, éloignée de nous, fermement mahométane, portée à la haine et au mépris des Français par sa religion, par ses marabouts, par les contacts qu'elle a avec les Français (représentants de l'autorité, colons, commerçants), contacts qui trop souvent ne sont pas propres à nous faire aimer d'elle. Le sentiment national ou barbaresque s'exaltera dans l'élite instruite : quand elle en trouvera l'occasion, par exemple lors de difficultés de la France au dedans ou au dehors, elle se servira de l'islam comme d'un levier pour soulever la masse ignorante, et cherchera à créer un empire africain musulman indépendant.

 

L'empire Nord-Ouest-Africain de la France, Algérie, Maroc, Tunisie, Afrique occidentale française, etc., a 30 millions d'habitants ; il en aura, grâce à la paix, le double dans cinquante ans. Il sera alors en plein progrès matériel, riche, sillonné de chemins de fer, peuplé d'habitants rompus au maniement de nos armes, dont l'élite aura reçu l'instruction dans nos écoles. Si nous n'avons pas su faire des Français de ces peuples, ils nous chasseront. Le seul moyen qu'ils deviennent Français est qu'ils deviennent chrétiens.

 

Il ne s'agit pas de les convertir en un jour ni par force mais tendrement, discrètement, par persuasion, bon exemple, bonne éducation, instruction, grâce à une prise de contact étroite et affectueuse, oeuvre surtout de laïcs français qui peuvent être bien plus nombreux que les prêtres et prendre un contact plus intime.

 Des musulmans peuvent-ils être vraiment français ? Exceptionnellement, oui.

D'une manière générale, non. Plusieurs dogmes fondamentaux musulmans s'y opposent ; avec certains il y a des accommodements ; avec l'un, celui du medhi, il n'y en a pas : tout musulman, (je ne parle pas des libres-penseurs qui ont perdu la foi), croit qu'à l'approche du jugement dernier le medhi surviendra, déclarera la guerre sainte, et établira l'islam par toute la terre, après avoir exterminé ou subjugué tous les non musulmans. Dans cette foi, le musulman regarde l'islam comme sa vraie patrie et les peuples non musulmans comme destinés à être tôt ou tard subjugués par lui musulman ou ses descendants ; s'il est soumis à une nation non musulmane, c'est une épreuve passagère ; sa foi l'assure qu'il en sortira et triomphera à son tour de ceux auxquels il est maintenant assujetti ; la sagesse l' engage à subir avec calme son épreuve ; "l'oiseau pris au piège qui se débat perd ses plumes et se casse les ailes ; s'il se tient tranquille, il se trouve intact le jour de la libération", disent-ils ; ils peuvent préférer telle nation à une autre, aimer mieux être soumis aux Français qu'aux Allemands, parce qu'ils savent les premiers plus doux ; ils peuvent être attachés à tel ou tel Français, comme on est attaché à un ami étranger ; ils peuvent se battre avec un grand courage pour la France, par sentiment d'honneur, caractère guerrier, esprit de corps, fidélité à la parole, comme les militaires de fortune des XVIe et XVIIe siècles mais, d'une façon générale, sauf exception, tant qu'ils seront musulmans, ils ne seront pas Français, ils attendront plus ou moins patiemment le jour du medhi, en lequel ils soumettront la France.

 

De là vient que nos Algériens musulmans sont si peu empressés à demander la nationalité française : comment demander à faire partie d'un peuple étranger qu'on sait devoir être infailliblement vaincu et subjugué par le peuple auquel on appartient soi-même ? Ce changement de nationalité implique vraiment une sorte d'apostasie, un renoncement à la foi du medhi..."

 

1920: Les maîtres d'école:

L'école franco-kabyle des Ouled Messali, ouverte en 1900, fut tenue jusqu'en 1910 par Monsieur Péguin, qui y résidait avec son épouse, et où il eut trois enfants, futurs instituteurs eux aussi. L'un d'eux, Gabriel Péguin, âgé de 92 ans, se souvient de sa "petite enfance dans ce pauvre village. J'ai le souvenir vivace, écrit-il, d'un hiver à Ouled Messali (j'avais 5 ans). La neige était tombée et masquait la moitié des fenêtres. Je revois mon père, chaussé de patins qu'il s'était fabriqués, aidé par les villageois, en train de creuser une tranchée dans la neige pour que les enfants puissent arriver jusqu'à la salle de classe bien chauffée, où les attendait un bol de soupe que leur avait préparé ma mère.

A cette époque, le gouvernement, poussé par des hommes au grand coeur, tel le recteur Jeanmaire, avait compris qu'il fallait instruire ces nombreux enfants. Il fit appel à quelques centaines d'instituteurs, anciens normaliens. Mon père posa sa candidature. Accepté, il fit un stage à l'Ecole normale de la Bouzaréa où il reçut une formation spécialisée: étude des langues du pays, agriculture, médecine.

A ses élèves nombreux et de tout âge, il enseigna le français, tout en se familiarisant avec la langue kabyle, indispensable pour ses rapports avec l'habitant. Il enseigna à ses élèves des notions d'agriculture moins routinières. Il fit profiter les familles de ses connaissances médicales. On venait souvent, dans la nuit, le chercher pour aider à une naissance difficile

 

L'un des successeurs de M. Péguin, Monsieur Ould Ali moniteur de l'enseignement indigène, prit sa retraite en 1929, et l'école fut fermée jusqu'à l'arrivée de Monsieur Robert Gebhart, qui âgé aujourd'hui de 81 ans, nous a fait l'honneur de rédiger une longue relation, calligraphiée comme savaient le faire les maîtres d'autrefois, de son séjour dans l'oued Berd de 1930 à 1933.

Dans les premiers jours d'octobre 1930, accompagné d'un guide et d'un mulet, que lui a procurés l'agha Hanachi de Tizi N'Bechar, il suit la piste qui monte à Ouled (Beni) Messali. Après de solides études à l'école Ferdinand Buisson de Philippeville, dont il conserve un étonnant souvenir, il vient d'être nommé instituteur à l'école franco-kabyle. Agé de 18 ans, fils d'un exilé alsacien de 1871, il n'a pas encore d'expérience pédagogique, mais il considère son métier comme une vocation, et se prépare au Brevet supérieur et au Certificat d'aptitude pédagogique.

En chemin, il rencontre M. Boulmerdj, qui dans un français très correct, lui vante les mérites de Monsieur Péguin. Dans sa narration, M. Gebhart revient sur "l'apostolat" exercé par M. Péguin, "dont l'oeuvre est inoubliable. Ses élèves ont retenu, son enseignement classique mais aussi ses méthodes d'agriculture. Son épouse, très attentionnée auprès des femmes kabyles, organisait des fêtes au cours desquelles elle offrait du café et des douceurs dont elle avait le secret. Elle eut la douleur de perdre un bébé. M. Péguin confectionna un cercueil qui fut arrimé sur un mulet et transporté à Kerrata."

A l'arrivée de M. Gebhart, l'entretien de l'école, qui comportait une grande salle de classe, deux pièces d'appartement et un bucher, laissait à désirer; il en était de même du terrain de jeu et du jardin, d'où jaillissait une source d'eau très pure. Prenant possession des lieux, il admire le magnifique paysage de montagne, et se rend compte que la solitude sera dure à supporter pour un instituteur isolé. La conscience du devoir à accomplir l'empêchera de se décourager.

 

"Le 8 octobre à 9 heures la cloche tinta, et peu à peu les élèves d'Ouled Messali, puis de Beni Mellah se présentèrent.

C'était la première chose à faire: rouvrir l'école, reprendre les cours. Je n'y manquai pas. Je me consacrai à ma classe, à mes élèves, à l'entretien des locaux, du jardin, à ma culture personnelle". Ses activités sont variées, car il organise une cantine scolaire de janvier à mars, procède à la distribution de vêtements et de galoches, et prend l'initiative de dispenser quelques soins, en particulier pour les maux d'yeux. Il arrive que des enfants de Beni Dracene viennent se faire soigner."

Les élèves sont tous des garçons. Leur effectif oscille entre 40 et 50. Ils portent un burnous par dessus leur gandoura, un turban roulé sur la tête, que M. Gebhart arrivera à leur faire enlever. Par temps froid, ils ajoutent à cet habillement une veste et des bas de laine qu'ils ont eux-mêmes tricotés.

 

Le maître applique strictement les programmes de "l'enseignement des indigènes, qui plaisaient aux enfants et qu'ils assimilaient facilement". Il se sert d'un livre de lecture pour chaque cours; "celui des grands décrivait la vie du fellah et racontait des histoires plaisantes, comme celle du jeune homme de soixante ans". Il ne tombe pas dans le travers inevitable quand la classe comporte des européens d'infliger à ses élèves l'histoire de "leurs ancêtres les Gaulois", mais il juxtapose l'histoire d'Algérie à celle de la France. Les parents tenaient à l'enseignement, car cela aiderait les enfants dans leurs rapports avec l'administration, ou quand ils se rendraient en ville ou en France. Certains avaient suivi l'enseignement de M. Péguin, "ils parlaient et écrivaient correctement le français. Ils m'ont accueilli, poursuit notre maître, avec des marques évidentes de satisfaction, de sympathie, de respect, malgré ma jeunesse. J'avais mon métier à coeur: les gens simples savent apprécier...Ils étaient chargés d'approvisionner l'école en bois de chauffage J'ai marqué ma déférence à l'égard du marabout et ma considération pour le chef de fraction. Autrement dit, je suis allé vers l'habitant.

Le marabout n 'était pas très grand, précise-t-il, une barbe noire encadrait un visage aux traits réguliers. Il était soigné de sa personne et vêtu d'une gandoura et d'un burnous, le tout d'une propreté impeccable. On n'entrait pas dans sa demeure. Il avait un grand fils qu'il ne semblait pas porter dans son coeur, et qui après quelques fredaines quitta la maison familiale pour s'installer chez les Atik d'où il appelait les fidèles à la prière. C'est son second fils, surnommé Mohamed Bidouche, qui était appelé à lui succéder.

Durant mes trois années de présence dans ce poste, j'ai été invité à toutes les fêtes religieuses ( Aïd Kebir, Aid Seghir...), familiales ou coutumières, mais toujours avec cette retenue qui me caractérise et qui évite des familiarités gênantes...j'étais le taleb, le chikh.

Je conserve un souvenir ému de Bouibaoun Saadi qui fut plus qu'un serviteur: un ami véritable...Père de famille, sérieux, parlant et écrivant le français, il était content des 150 francs par mois que je lui donnais et de ce que lui attribuait la Commune mixte pour s'occuper de la cantine scolaire ...Il avait été conquis par un livre que je lui avais prêté: Le tour de France par deux enfants. Quittant mon poste, il voulut me le rendre. Je le lui donnai pour sa plus grande joie...Au fond d'un coffre, dans une chaumière, doit encore se trouver ce livre en son édition première.

Chaque mardi, ,jour de congé, je partais vers Kerrata en compagnie de Bouibaoun Saadi et des gens du pays. Par le Jabar, la distance est de 12 km. En hiver, nous empruntions une piste moins enneigée: 15 km. Par mauvais temps, il nous fallait longer l'Oued Berd: 20 km.

A Kerrata, je me présentais à l'administrateur adjoint, au caïd Bousfout chargé du douar Oued Berd, aux Enseignants (six sont cité nommément). Je pris contact avec les commerçants P. et M., avec l'hôtelier, avec le médecin de colonisation R.. La personnalité du village était M. Dussaix, propriétaire terrien qui avait ses entrées au gouvernement général. Le retour à Ouled Messali se faisait en fin d'après-midi. L'âne que ,j'avais acheté portait un lourd chargement de provision. Depuis, ,j'ai admiré la vigueur et l'intelligence de cet animal qu'on affuble d'une sotte réputation qu'il ne merite pas."

 

Le jugement de M. Gehhart sur les ressources des habitants recoupe et complète celui de M. Bugeja:

" Peu de terres fertiles dans cette région de petite Kabylie, très montagneuse. La forêt recule, le déboisement a facilité l'érosion. Les cours d'eau en crue rongent les berges. Mais les fellah sont vaillants. Ils utilisent l'antique araire ou la pioche dans le moindre arpent, même difficile d'accès. Ils pratiquent la culture du blé, de l'orge, des fèveroles, des navet, de la vigne, des ,figuiers, des oliviers... Ils ramassent les glands doux qui sont comestibles. L'élevage est communément pratiqué: peu de moutons, beaucoup de chèvres, volailles.

Ajoutons à cela la culture du tabac. En octobre, le produit de la vente permettait d'acheter au marché des vêtements chauds pour l'hiver. Il s'agissait de friperie venant de métropole.

Je considère que la population était majoritairement pauvre... Certaines familles étaient plus à l'aise que d'autres. Ce sont surtout celles dont un membre trouvait une place au chantier du barrage électrique, pour la remise en état des pistes communales, ou bien se rendait en France (Lyon) durant quelques mois pour, en travaillant, se constituer un pécule...Le meunier était un favorisé. Il y avait aussi, pourquoi ne pas le dire, ceux qui pratiquaient l'usure, d'ailleurs peu nombreux.

Quelque temps avant mon arrivée, le dénommé Bouskine terrorisa les habitants. A son actif: crimes, vols, viols...Son épopée se termina quand il fut tué par un justicier. On exécuta même sa femme et son fils. De cette famille, je n'ai vu qu'un gourbi en ruines. Seul Bouibaoul me parla de cette affaire".

 

Il apparaît donc que dans les années vingt, les djemaas appliquaient encore les kanouns coutumiers sans faire appel à la justice française, et en ayant recours à des exécuteurs du pays.

En trois ans, l'administrateur principal est venu deux fois à Ouled Messali, son adjoint de Kerrata une fois. Le caïd Bousfout ne se déplace pas, il envoie le garde-champêtre.

L'auxiliaire du médecin de colonisation vient une fois par an procéder à la vaccination antivariolique.

Au départ de M. Gebhart, M. Barthe prit la suite, puis deux autres Mrs B. et L. "qui ont semblé avoir d'autres préoccupations que celle de remplir leur mission". L'un de leurs successeurs devint expert dans la guérison des coupures causées par les faucilles au moment des moissons.

Notre narrateur possède une mémoire étonnante des lieux et des personnes, des enseignants qui l'ont formé à Philippeville, puis des gens qu'il a rencontrés dans l'Oued Berd. Il se souvient des noms de certains de ses élèves, sans savoir que l'un d'eux, Chlouche Amar de Beni Mellah, s'est distingué le 9 mai 1945 à Kerrata en tuant le boulanger et le juge de paix avant d'être lui-même abattu.

repris dans "Un village de harkis" de Maurice Faivre, l'Harmattan, ISBN: 2-7384-2938-6

 

 

2 Juin 1930:

Lettre du colonel Cadi Si Cherif ben El Arbi, polytechnicien, promotion 1887.

Colonel Hadj Si Chérif Cadi Etat-Major particulier de l'Artillerie en retraite

Aux Caroubiers Bône

Bône, 2 Juin 1930

Mon Colonel et bien cher ami,

Je suis vraiment confus de mon retard à répondre à votre bonne lettre du commencement de l'année 1930. 1930... C'est l'anniversaire du grand événement: de la Conquête ? Non. Parce que les Barbaresques ne formaient pas une nation, mais vivaient en clans primitifs, ennemis les uns des autres, et se razziant sans cesse. C'est l'anniversaire de la Libération de mon peuple de l'oppression des Mongols. C'est la date bénie de notre rentrée dans la vie civilisée que nous avions abandonnée depuis des siècles d'anarchie et de misère, sous la domination des vieux Turcs.

Donc, mes frères mahométans vont suivre avec joie les fêtes du Centenaire, comme je le leur ai conseillé dans de nombreux articles de la Voix Indigène, journal écrit à Constantine par l'élite musulmane, dont je suis fier d'être le chef. Les Français, mes frères d'adoption, peuvent être fiers de l'oeuvre accomplie en un siècle: avant 1830, l'Algérie, autrefois le grenier de Rome, était devenue terre stérile, et ne nourrissait qu'un petit nombre d'hommes. Les vallons et les plaines étaient devenus le théâtre d'exploits de pillards; point de sécurité; point de routes; les relations entre les hommes ne pouvaient se faire que par caravanes, armées en guerre .

Après un siècle de travail et de sécurité, nous voyons un grand changement: un puissant réseau de communications assure partout les échanges entre les habitants dont le nombre a plus que doublé; d'abondantes récoltes assurent partout la vie. Le petit Bédouin, qui aurait été l'esclave des pachas, est devenu polytechnicien, ingénieur, et astronome, enfin officier supérieur de l'armée française. Voilà de quoi être fier, et, malgré les injustices de la Direction de l'Artillerie et la jalousie féroce de certains camarades et de certains chefs, j'éprouve un sentiment de bien vive reconnaissance pour mes frères de France .

Je forme le voeu que Dieu cesse de vous éprouver. Ma main, abîmée par la maladie contractée à la guerre, ne me permet pas d'écrire longtemps, et, en terminant, je vous prie, mon Colonel et ami, de recevoir mes sentiments d'inaltérable amitié, ainsi que mes souvenirs bien affectueux aux survivants de votre gentille famille. Ma seconde femme et ses trois enfants, que j'ai adoptés, et dont j'ai fait des colons, sont au courant de toutes vos bontés pour moi, et font la même prière pour votre bonheur.

Toujours vôtre

signé :Cadi Lettre reçue par le colonel Jacquillat (promo X 1875).

 

1930, celebration du centenaire:

 

Le celebration du centenaire de la conquête a donné lieu à une exposition, des tournées de conference et des déclaration innombrables et toutes positives.

Florilége:

Certes, l'Algérie a été conquise par les armes. Mais la France a su, comme un manuel de l'école primaire publié en 1931 s'attache à le montrer, "faire oublier aux populations conquises la violence de la conquête. Partout elle a assuré l'ordre, ouvert des écoles, des dispensaires, créé des ports, des routes, des chemins de fer".

À l'occasion du centenaire de la prise d'Alger, "les visiteurs de la planète viendront admirer ce monument de civilisation et de puissance coloniale qui n'a jamais été surpassé ni égalé". Ils s'enthousiasmeront devant l'œuvre de la France dont Jules Cuttoli, député de Constantine, ancien président des Délégations financières, dresse le bilan, devant l'Assemblée algérienne, le 9 juin 1927 : "3550000 hectares de terre exploités et cultivés; 4500 kilomètres de voies ferrées; 30 000 kilomètres de routes; de nombreux ports, pourvus d'un outillage moderne, servent de débouchés à 50 villes et à plus de 600 villages. Une production annuelle en moyenne de 20 millions de quintaux de céréales; de 10 millions d'hectolitres de vin; 264 000 tonnes de primeurs; 200000 quintaux de tabac; 1000000 de tonnes d'alfa; un cheptel ovin d'environ 10 millions de têtes, grande richesse de l'arrière-pays et des indigènes nomades; 450 000 hectares de forêts de chênes-lièges, sur le littoral, tout prêts à donner 300000 quintaux d'écorces; les palmiers-dattiers du Sud (7 millions de pieds) ; enfin, l'exportation des minerais de fer atteignant actuellement près de 2 millions de tonnes, et l'on sait la richesse que représente l'exploitation des gisements de phosphates."

Si, en 1930, l'Algérie apparaît comme un "vaste champ encore ouvert pour de longues années aux hardies initiatives", un "foyer de fécondante activité et de grandissante prospérité", elle le doit à "la force de travail et de persévérance", au "génie colonisateur de la France" qui a su réveiller cette terre "qui, depuis la colonisation romaine, paraissait figée dans une somnolence voisine de la mort".

Avec l'équipement du pays, deux autres aspects du bilan d'un siècle de présence française sont particulièrement valorisés.

Premièrement, la colonisation a été un facteur de progrès économiques considérables. Les écoliers français apprennent, en 1931, dans le manuel d'histoire qui leur est remis que, "en 1830, les Arabes égratignaient leurs champs avec une mauvaise charrue de bois que traînent un bourricot et une femme indigène. En 1930, les 300 000 colons européens établis en Algérie ont créé des établissements agricoles modèles, dotés d'un outillage perfectionné". Mais "cent années d'efforts inlassables ont transformé, rehaussé moralement et matériellement des millions d'hommes attardés, rappelé à la vie économique d'immenses régions incultes". Des terres ont été gagnées. La Mitidja qui "n'était qu'un marécage, dont désespéraient les premiers dirigeants d'alors et dont s'éloignaient les indigènes eux-mêmes. Et ce pays de la mort jaune est devenu, par la magnificence de l'effort de colonisation, les orangeries de Boufarik, les vignobles de Rouiba, les plantations variées de l'Arba, les culltures de géranium, de jasmin et de tabac de la partie occidentale". Les zones du littoral de Guyotville "que nos premiers administrateurs jugeaient si peu fertile qu'ils n'envisageaient d'implanter là que des villages de pêcheurs, [sont devenues] l'une des plus belles régions de primeurs du monde, une zone dans laquelle la valeur de l'hectare de terre atteint et parfois dépasse 1 million".

Et, contrairement à la fable de la dépossession des terres que les indigènes auraient subie du fait de la colonisation, sur ces plaines et ces coteaux du littoral qui étaient jusqu'à elle laissés "dans l'inculture, à l'état de pâturages" seulement habités par des populations semi-nomades, "les indigènes [ ... ] sont revenus plus nombreux qu'autrefois".

Des cultures nouvelles ont été introduites, les autres ont été développées. D'abord, la vigne, principale richesse agricole et premier poste des exportations algériennes. La constitution du vignoble algérien remonte à la crise du phylloxéra, qui se manifeste dans le Gard en 1863 et prend très vite l'allure d'une catastrophe nationale. De 23000 hectares à cette date, la vigne algérienne couvre 123 000 hectares en 1896. Entre 1923 et 1935, l'extension est considérable, passant de 180414 hectares à 399512 hectares tandis que la production triple, s'élevant, en moyenne annuelle, de 6 853 000 hectolitres dans les années 1916-1920 à 17 990000 hectolitres dans les années 1931-1935.

Pour l'essentiel, cette production alimente un fort courant d'échanges avec l'extérieur, la consommation locale n'absorbant guère plus du huitième de la production: en 1930, les vins comptent pour 36% de la valeur totale des exportations, 90% des 12 millions d'hectolitres produits étant exportés, essentiellement vers la métropole. Les producteurs du Midi supportent, d'ailleurs, de plus en plus mal cette concurrence et exigent que l'introduction des vins algériens soit contingentée.

Si les productions céréalières ainsi que l'élevage ovin ne connaissent pas de progrès spectaculaires pendant les années 1920, c'est alors que s'amorce l'essor des cultures spéculatives - tabac, agrumes, cultures maraîchères - qui s'accélère au cours de la décennie suivante. En revanche, le coton malgré des efforts renouvelés est source de déboires. Après les échecs répétés du début du siècle, on tente à nouveau d'en produire en Algérie, au lendemain de la Première Guerre mondiale. Depuis 1923, des surfaces appréciables lui sont consacrées dans l'espoir de voir, enfin, la dépendance métropolitaine à l'égard de l'Amérique et de l'Égypte sérieusement entamée. Las! En 1928, l'Algérie ne couvre que 0,38% des besoins métropolitains. À partir de 1936, la baisse des cours mondiaux conduit à l'abandon à peu près total de cette culture.

Deuxième objet de fierté, la croissance de la population algérienne, plus particulièrement de la population indigène. "La France [ ... ] est venue sur la terre algérienne en 1830, pour y trouver en premier lieu une population asservie par ses maîtres turcs, et qui vivait et périclitait dans un état social anarchique". Le même thème, mais avec des chiffres qui varient parfois considérablement d'un auteur à l'autre lorsqu'il s'agit d'évaluer l'importance de la population autochtone à la veille de la conquête de l'Algérie, est inlassablement décliné par tous ceux qui, en métropole comme dans la colonie, sont attachés à valoriser les bienfaits de la colonisation française. Dans l'ouvrage qu'il consacre à l'Algérie, A. Bernard "toutes réserves faites sur l'exactitude des recensements", note qu'à partir de 1876 "la progression des indigènes a été considérable et ininterrompue [ ... ] Il faut se féliciter, conclut le géographe, de cet accroissement, qui prouve que notre domination a été somme toute bienfaisante pour les indigènes, par la cessation de l'état de guerre, la disparition des famines et des épidémies". Robert David, ancien sous-secrétaire d'État à l'Intérieur, attribue à "la paix civile assurée par l'armée française", à "l'aisance apportée par les colons venus d'Europe", à "la santé publique protégée par les médecins français [ ... ] la prolifération" des indigènes qui, de 1,5 million en 1830, "sont aujourd'hui 6,3 millions". Pour Louis Morard, le président de la toute récente Région économique d'Algérie, les indigènes n'étaient que "un million lorsque nous avons débarqué à Sidi-Ferruch en 1830, ils sont 6 500000 aujourd'hui, pourquoi? [ ... ] Parce que nous leur avons apporté la paix française, en mettant fin à ces grandes dissensions, à ces luttes qui décimaient les populations; parce que la famine a cessé de régner en Algérie. [ ... ] De plus, nous avons lutté contre la maladie, nous avons fait d'une race qui souffrait une race saine qui se développe".

Dans ce concert, quelques voix discordantes tentent, prudemment, d'introduire une certaine modération. C'est le cas, d'E. F. Gautier, professeur à la faculté des lettres d'Alger, auteur de nombreux ouvrages sur l'Algérie, notamment du "Cahier du centenaire", L'Évolution de l'Algérie de 1830 à 1930. Dans cet opuscule, l'auteur relève notamment que "quand on établit la courbe des céréales (productions et superficies emblavées, entre les années 1900 et 1924), le résultat est décevant. La courbe n'a pas du tout l'allure triomphante des ascensions rapides : elle accuse une stagnation". Le même constat est dressé en ce qui concerne la production d'huile d'olive, de figues, d'abricots ainsi que pour l'élevage du mouton. "Toutes ces vieilles cultures indigènes, cultures alimentaires, n'ont pas pris de développement sérieux, parce qu'elles n'ont pas intéressé vivement l'Européen. Le colon a été attiré par les cultures d'exportation, cultures riches, et là il a été le créateur." Mais compte tenu de l'image que l'Algérie française veut donner d'elle-même à l'occasion de son centième anniversaire, les réserves de E. F. Gautier ne sont guère susceptibles de rencontrer un large écho. Bref, l'heure est à l'optimisme et à la confiance. "On peut lire dans les rapports des consuls étrangers que le développement économique de l'Afrique du Nord sera très probablement le grand fait nouveau du xx· siècle" En conclusion de son livre consacré à un siècle de colonisation française en Algérie, Félix Falk, sous-directeur de l'Office du gouvernement général de l'Algérie, se plaît à citer quelques témoignages d'hommes politiques étrangers à l'issue de leur séjour en Algérie: "Nous avons vu un pays prospère, du plus grand avenir", déclare M. Stodvla, sénateur de la Tchécoslovaquie. "J'ai vu les jardins de Sémiramis, j'ai vu dans toute l'Europe des champs et des vergers, j'ai vu accomplir laborieusement le travail de la terre, et j'affirme qu'à toutes ces merveilles de l'effort humain dans le domaine agricole et rural vous pouvez servir de modèle", renchérit M. Poka-Pivny, conseiller au ministère du Commerce de la Hongrie. Enfin, conclut le député belge Maenhaut, "rentrés chez nous, nous dirons à ceux qui nous écouteront que le plus magnifique exemple de la civilisation, c'est en Algérie qu'il faut venir le chercher".

Finalement, exception faite de la querelle avec la métropole sur les vins, un seul nuage assombrit le bleu du ciel algérien : la pénurie de main-d'œuvre que déplorent inlassablement les représentants de l'agriculture et des entreprises minières et industrielles et que l'administration et les élus algériens s'efforcent de combattre.

Daniel Lefeuvre Chère Algérie, ISBN2-08-210501-6

 

23 Février 1936 :

 Ferrât Abbas, futur président du Gouvernement Provisoire de la République Algérienne, écrit le 23 février 1936 dans l'"Entente" un magazine publié en Algérie : "Si j'avais découvert la nation algérienne, je serai nationaliste (…) je ne mourrai pas pour la patrie algérienne, parce que cette patrie n'existe pas. Je ne l'ai pas découverte. J'ai interrogé l'histoire, j'ai interrogé les vivants et les morts; j'ai visité les cimetières: personne ne m'en a parlé... Nous avons donc écarté une fois pour toutes les nuées et les chimères pour lier définitivement notre avenir à celui de l'œuvre française dans ce pays. ...... Mais sans l'EMANCIPATION DES INDIGENES, il n'y a pas d'Algérie française durable. "

 

1936/1938 Projet Blum Violette

Lors de l'accession au pouvoir du front populaire, le problème du statut de l'algérien musulman est (parmi bien d'autres) posé.

Le senatus consult de Napoléon 3 (1865 confirmé par la jeune république en 1870 à l'occasion des décrets Cremieu) est toujours en vigueur, de même d'ailleurs que le code de l'indigénat. Le senatus consult permet à tout français musulman d'accéderaà la pleine citoyenneté, s'il est majeur, montre un minimum de culture française, et accepte les lois françaises, en particulier celles concernant le droit des femmes. (monogamie, égalité des parts dans les successions, égalité des témoignages devant la loi...) Le code de l'indigénat est la reprise (adoucie, en particulier par l'interdiction de la peine de mort) des lois antérieures à la conquête, qu'elles soient turques ou berbères, qui avaient été conservées du temps du "Royaume arabe" . En particulier, pour sortir du territoire de la tribu, l'indigène doit obtenir une autorisation, et l'administrateur du territoire peut décider seul de peines de prison. L'indigène est soumis à des corvées. Le code de l'indigénat est petit à petit allégé, les peines de prison imposables sans décision de justice sont diminuées, il ne s'applique plus aux habitants des villes en 1920, à ceux des communes mixtes en 1930. Il est supprimé en 1944. On trouvera ICI (encyclopedie.pieds-noirs.info/ tous les détails sur ce code.

La politique de la république est l'assimilation, à titre individuel, par l'obtention de la pleine citoyenneté. Cette politique fût un échec, de 1865 à 1937, seuls 4300 personnes demandèrent à accéder à la pleine citoyenneté, en général des convertis à la religion chrétienne et /ou des hommes mariés à des européennes. En 1926, Ferrât Abbas explique: "La naturalisation individuelle ne se justifie pas [ ... ). Nous sommes des Algériens, nous faisons partie d'une famille, nous faisons partie d'une société [ ... ). Aurait-on par hasard la prétention de changer quoi que ce soit à cette société par la naturalisation individuelle? Non, ce qu'il faut, c'est la loi pour tous, si vraiment on veut guider l'Algérie musulmane vers une civilisation plus haute. L'individu, fût-il un génie, ne compte pas. Il ne compte que dans la mesure où, subissant la loi commune, il en prépare les réformes et l'évolution ".

En 1931 l'ancien gouverneur général de l'algérie, Violette présente un projet de loi qui envisageait "l'incorporation progressive de tous les indigènes d'Algérie dans le corps électoral français et à mesure que leur évolution les mènerait à penser français et sans qu'il y ait lieu de s'inquiéter du statut personnel". Pour la première fois, l'accession à la pleine citoyenneté n'était pas subordonnée à l'acceptation des lois françaises. Messali Hadj qui dit : "L'Etoile nord-africaine est contre le projet Violette parce qu'elle voit en lui un grand danger. Le peuple algérien est indivisible et ne doit pas se laisser diviser par fraction de 20 000." En 1935, nouveau projet Violette, il s'agissait d'incorporer 24 046 nouveaux électeurs algériens dans l'électorat français. Projet qui sera soutenu par Blum, mais par contre rejeté sans ménagement par le cheikh Tayeb El Okbi qui s'oppose à une telle évolution dans "le problème algérien vu par un indigène" paris 1938, page 94. Dignitaire religieux vénéré dans la société algérienne, proche du mouvement des Oulemas, il donne un sérieux avertissement à ceux qui seraient tentés de choisir la nationalité française et d'admettre un Islam plus évolué. "Celui qui change les lois canons de l'Islam contre les lois profanes commet, d'après les règles de l'Idjïmaa, un acte d'hérésie et d'apostasie. Il ne peut retourner dans la communauté musulmane qu'après avoir répudié totalement tout statut contraire aux lois divines." De leur coté, les députés et sénateurs français ne voient pas d'un œil favorable l'établissement au sein de la république de deux statuts personnels et deux juridictions fondées sur la religion. Le projet est repoussé.

Il est tout à fait mensonger d'attribuer aux représentants des pieds noirs la responsabilité de cet échec; ils étaient violemment contre, mais on a bien vu lors des décrets Cremieu qui décidait. Leur opposition non moins forte a tout simplement été balayée. Il est non moins faux de dire que si ce projet avait été accepté, la guerre d'algérie aurait été évitée, car les opposants à la présence française étaient, nous l'avons vu, contre. D'ailleurs en 1947, 150.000 français musulmans se verront attribuer la pleine citoyenneté, toujours contre l'opinion des pieds noirs et des musulmans, et cela n'a rien empêché.

 

 

6 Octobre 1940:

Le 6 octobre 1940, le tout nouveau délégué général du gouverneement en Afrique française, Maxime Weygand, pose le pied sur une Algérie qui se débat dans une situation difficile. Elle est éprouvée par la pénurie des produits manufacturés qui ne parviennent à franchir la Méditerranée qu'en quantités très insuffisantes, du fait de l'occupation du nord et de l'est de la métropole par les troupes allemandes et de la réduction drastique des relations maritimes entre la France et l'Afrique du Nord. Mais, au-delà des contraintes immédiates, l'avenir de l'Algérie française paraît également obéré par des menaces de moyen terme nées de la défaite française, et par des menaces de long terme liées à l'évolution même de la société algérienne. La nouvelle administration, incarnée par le général Weygand, s'est efforcée de conjurer ces périls en définissant une politique novatrice reposant sur l'industrialisation et la réforme agraire et en s'efforçant, malgré les obstacles du moment et les oppositions locales et métropolitaines, de l'appliquer.

Premier axe de cette politique, l'industrialisation qui procède d'une triple contrainte immédiate: pallier les pénuries de produits manufacturés qui résultent de la défaite, assurer la fidélité des populations indigènes à la France, maintenir l'Afrique du Nord sous la dépendance française.

La guerre et son issue immédiate ont gravement restreint les échanges extérieurs de l'Algérie. Le fret s'est effondré: le trafic marchandise du port d'Alger est passé de 16303311 tonneaux en 1938 à 2 739 717 tonneaux en 1941, soit un recul de 83%. Les tonnages annuels transportés par la société Ch. Schiaffmo et Cie, qui exploite un service maritime entre les ports de l'Afrique du Nord et ceux de la métropole, chutent dès 1940. Le commerce avec la Grande-Bretagne, qui absorbe la majeure partie du minerai de fer algérien, la presque totalité de l'alfa et qui fournit du charbon, des produits bitumeux, des machines et outils, est suspendu. La fermeture du détroit de Gibraltar d'une part, et les restrictions apportées à la navigation maritime d'autre part, réduisent pratiquement à néant les relations avec l'Europe du Nord. Quant aux liaisons avec la métropole, elles sont sérieusement perturbées. En particulier, la colonie est isolée des départements du nord et de l'est de la France, rattachés à l'administration allemande de Belgique ou directement intégrés au Reich, ainsi que de la zone occupée qui est séparée du reste du pays par la ligne de démarcation que le ministre de la Production industrielle, R. Belin, présente en août 1940 "comme une frontière hermétiquement fermée [ ... ] un mur infranchissable". De ce fait, les échanges entre l'Algérie et ses principaux fournisseurs de textiles, de produits métallurgiques, de produits chimiques, de sucres, sont interrompus, comme le constate, en 1941, la chambre de commerce d'Alger: "La rupture quasi totale des relations commerciales avec la zone occupée a [ ... ] porté un rude coup tant à l'approvisionnement des départements algériens en produits fabriqués qu'à l'exportation des produits agricoles, des vins en particulier."

Les témoignages sont à ce sujet unanimes: l'Algérie manque de tout, malgré les livraisons américaines assurées dans le cadre des accords Weygand-Murphy. "Tout manqua à la fois, rappelle en février 1947 le professeur Capot-Rey, depuis les piquets et les fils de fer pour la vigne jusqu'aux tracteurs et à l'appareillage électrique." C'est un tableau tout aussi sombre de l'Algérie pendant ces années difficiles que peint, en 1948, Bernard Lavergne, professeur à la faculté de droit d'Alger: "Ayant été coupée de la France et presque du monde, de 1940 à 1945, l'Algérie - je l'ai vu de mes yeux puisque j'y étais - en peu de mois a été réduite à un état économique lamentable: très rapidement, les stocks étant épuisés, on n'a pu trouver en tout ce pays ni du beurre, ni des graisses, fort peu de lait, fort peu de sucre, ni un tissu, ni des chaussures, ni un verre à boire, ni une serrure ou une clé, ni essence, ni métal, ni chaux, ni ciment, ni un outil métallique quel qu'il soit, ni même de la ficelle ou une épingle."Les données statistiques confirment largement ces descriptions.

Dans une telle situation, les industries de substitution se multiplient, comme ce fut d'ailleurs le cas à la fin du précédent conflit. La chambre de commerce d'Alger signale, dans son Rapport sur la situation économique du département [ ... ] en 1940, que l'essor pris par l'industrie de la savonnerie "est une conséquence directe des événements de juin 1940. Jusqu'à cette date, le marché algérien était approvisionné par les usines de Marseille. Le blocus maritime ne permettant plus le ravitaillement normal de l'industrie métropolitaine en huiles d'arachide, l'Algérie a dû s'équiper pour utiliser sur place les huiles végétales qu'elle produit. C'est ainsi que dans le seul département d'Alger une vingtaine de savonneries se sont installées." Dès 1941, en raison de l'impossibilité à peu près totale de recevoir des liants de la métropole, la Société nord africaine des ciments Lafarge augmente la production de ses usines algériennes qui passe de 125000 tonnes en 1940 à 150000 tonnes l'année suivante et engage la construction de deux nouveaux fours. M. Ducros entreprend dans ses ateliers d'Oran la fabrication d'articles de quincaillerie en acier moulé tels que pioches, haches, houes, et en fonte tels que fers à repasser, ... pour répondre aux besoins de toute l'Afrique du Nord. Seuls les manques de matières premières et de main-d'œuvre spécialisée entravent l'essor de la production. Une enquête 2 de novembre 1941 sur la production agricole recense plusieurs dizaines de créations ou extensions d'ateliers ou d'usines: ateliers de salaisons, conserveries, huileries, distilleries... Un haut fonctionnaire algérien, M. Gandhilon, signale d'ailleurs, à la Conférence mensuelle nord-africaine du 30 mai 1941, que la Délégation générale "a été saisie de nombreuses demandes d'installations nouvelles, de développement d'industries existantes ou de déplacements d'industries métropolitaines".

Ces initiatives privées, dont on pourrait multiplier les exemples, loin d'être abandonnées à elles-mêmes, sont encouragées par les autorités locales, car, comme le note la chambre de commerce d'Alger, "sous la pression des événements, l'industrialisation rationnelle, ordonnée et réglementée de l'Algérie prend de jour en jour une importance plus grande". Rompant résolument avec les timidités passées, le délégué général affirme son intention de stimuler l'équipement industriel de la colonie: "Jusqu'ici on n'a pas tenu compte de l'Afrique au point de vue industriel et nous souffrons maintenant cruellement de certaines déficiences. Il faut industrialiser l'Afrique dans une certaine mesure, sage, progressive, qu'il y a lieu de déterminer."

Face à cette amorce d'industrialisation, la chambre de commerce de Marseille réagit negativement très vivement.

-(...)

Dans une Note sur le développement industriel de l'Afrique du Nord adressée au chef de l'État, le 2 juillet 1941, Maxime Weygand indique que cette industrialisation répond également à "la nécessité d'employer rapidement une main-d'œuvre [algérienne] déjà industrielle et refoulée de France sur des territoires qu'elle avait quittés, et où elle ne peut trouver à s'employer actuellement, [à] l'utilisation et [au] recasement d'ouvriers et d'industriels réfugiés des régions interdites, [à] la hausse et la rareté des frets, les prix des manutentions dans les ports conduisent à une révision des prix des produits à l'exportation et à l'importation et modifient les zones de production et les conditions de circulation des produits, [à] la nécessité d'améliorer la qualité des produits et d'en diminuer la quantité (premier traitement de transformation) à cause de la hausse des frets, des manutentions, des assurances".

Au-delà de ces nécessités immédiates, d'autres enjeux majeurs sous-tendent la volonté d'industrialiser l'Afrique du Nord, interdisent de s'en remettre aux circonstances et en font une véritable affaire d'État, selon les termes mêmes employés par le général Weygand. Le problème du développement industriel de l'Afrique du Nord" n'est pas uniquement industriel, mais avant tout politique et social [ ... ] qui en fait essentiellement, à mes yeux, un problème de gouvernement". L'existence, sur place, d'industries, est jugée par les autorités françaises " seule capable dans les périodes difficiles de soutenir notre prestige et notre autorité par la garantie d'un minimum de bien-être". La disponibilité de deux produits en particulier est jugée primordiale: le sucre et l'huile. Selon un document interne à Saint-Gobain et datant également de juillet 1941, l'industrialisation de l'Afrique du Nord serait liée aux craintes "que les privations imposées aux populations indigènes, qui jusqu'à présent ont été très loyales, aient des répercussions dangereuses, car la propagande nationaliste, aidée par des agents étrangers, a repris sérieusement".

Enjeu de moyen terme ensuite, l'empire représente pour Vichy une des clés indispensables au relèvement du pays. "Pour le général Weygand une des principales conséquences de l'Armistice du 25 juin 1940 était de sauvegarder de toute présence ennemie l'Afrique du Nord pour y permettre le regroupement, le renforcement et la mise en état de forces militaires françaises, qui, dans son esprit, reprendraient inéluctablement le combat quand l'occasion opportune de le faire avec succès se présenterait aux côtés des Anglais et des Américains." Le développement de l'équipement économique et industriel de l'Afrique du Nord constitue un élément nécessaire à cette mobilisation. Darlan, au contraire, intègre l'industrialisation de l'Afrique du Nord dans la perspective d'une Europe allemande. L'industrialisation permettrait de renforcer les liens entre les colonies et la métropole, réduisant les risques qu'une partie de ces territoires soit détachée ou que leurs richesses tombent entre des mains étrangères. Elle offrirait, d'autre part, un terrain de collaboration entre les deux pays et renforcerait considérablement la position française, lors des futures négociations de paix, en transformant le vaincu d'hier en partenaire, comme le révèle une note anonyme établie quelques jours après l'accession de l'amiral au pouvoir et portant sur les conversations à mener avec l'Allemagne: "Il y a lieu d'établir un plan de développement économique de la France et de son empire colonial dans lequel on pourrait trouver la part qui reviendrait à une puissance étrangère, fournisseur de matières premières ou ouvragées contre la livraison d'autres marchandises provenant de l'empire français. Le travail dont il s'agit est donc une vaste projection dans l'ordre économique de la France, de son empire colonial, des besoins d'une puissance étrangère, appelée à collaborer avec nous " .

(…)

L'industrialisation permettrait aussi d'atténuer les effets néfastes d'une politique de "porte ouverte" qu'on soupçonne les Allemands de vouloir imposer car, le cas échéant, "il sera sans doute plus facile de défendre les industries en place et par suite notre propre influence politique que d'exporter des produits fabriqués de France". C'est également sur cet aspect que l'amiral Darlan insiste, à la fin du mois d'octobre 1941: "Le maintien de notre prestige à l'égard des populations indigènes impose la nécessité, pour la France, d'étudier et de créer cette industrie, avant toute immixtion étrangère susceptible de se manifester après la guerre." Cette conviction est d'ailleurs partagée par les industriels. Dans la note de Saint-Gobain, mentionnée plus haut, on peut lire que "tous espèrent fermement que notre souveraineté sera maintenue après guerre en Afrique du Nord, mais l'incertitude de la situation future ne fait qu'activer la tendance actuelle" à y créer des industries. La possible révision des rapports politiques entre la métropole et ses colonies conduit certains patrons à s'installer sur place, première manifestation d'une stratégie que nous retrouverons une quinzaine d'années plus tard.

L'équipement industriel de l'Afrique du Nord compenserait enfin les modifications territoriales que la France devait s'apprêter à subir dans le cadre du règlement de paix. Dans un rapport 4 de février 1941, H. Mausset, du ministère de la Production industrielle, admet pour vraisemblable l'hypothèse selon laquelle "la France perdra [ ... ] des territoires industriels parmi les plus riches ". L'amputation de la Moselle, soit 37,20% de la production de fonte et 32,91% de la production d'acier français en 1936, est explicitement envisagée. Le pays "devra donc se préoccuper du remplacement de cette production dans les limites de ses nouvelles frontières. [ ... ] L'Afrique du Nord doit à cette occasion être équipée sans plus tarder".

Or, ce qui frappe d'emblée tous les dignitaires de Vichy lorsqu'ils se rendent en Afrique du Nord, c'est la misère des populations indigènes. De retour d'un voyage effectué en Afrique du Nord du 13 au 21 juin 1941, l'amiral Darlan rapporte que" l'indigène, de l'Algérie surtout, est misérable. Cela éclate à l'œil nu quand on parcourt les rues d'Alger. Cela ressort plus nettement encore dans certains quartiers, dont l'un porte le nom de Bidonville. [ ... ] Cette misère me paraît à moi-même s'être accentuée depuis dix ans". Au-delà de cet état des lieux, le vice-président du Conseil juge sévèrement les responsabilités de l'administration locale et des colons: "La politique domine l'économique. C'est une vérité [qui] m'assaille dès que je parle aux plus hauts fonctionnaires de l'Algérie de la misère de l'indigénat et des sommes considérables gagnées cette année par les colons. Comment en arrivent-ils à cette manière de juger erronée, bien qu'ils soient sur place, sinon parce qu'ils sont circonvenus par les gens les plus influents de ce colonat qui a fait l'Algérie? Pour ces gens-là sans doute, l'Algérie est arrivée à un point où elle n'a plus qu'à profiter du splendide travail fait jusqu'à présent." Comme le souligne M. Weygand en novembre 1941, "le contraste de cette prospérité avec les difficultés de vie de la masse n'est pas sans poser un problème politique que chacun comprend". La situation exige de faire du neuf, le maintien du pacte colonial n'est plus de mise.

Daniel Lefeuvre Chère Algérie, ISBN2-08-210501-6

 

   13 Mai 1.943:

Un cessez le feu est déclaré, à dix heures du matin, au Djebel Zaghouan. Il marque la victoire des forces françaises contre les forces de l'axe qui essayaient de rejeter les américains débarqués en algérie à la mer, en fonçant à partir de Tunis. L'armée d'armistice, pas encore rééquipée par les alliés, a héroïquement bloqué l'offensive allemande, pourtant commandée par Rommell. Le 20 Mai, les troupes victorieuses défileront dans Tunis, les tabors marocains pieds nus, leurs souliers attachés au cou. Ils venaient de les toucher, ils n'aimaient pas s'en servir.

Pour certains, c'est le moment, bien sûr, de soutenir que ce sont les Indigènes qu'on a envoyé se faire tuer en première ligne, les Européens restant à l'arrière comme officiers ou pour assurer la logistique. La vérité est assez différente.

D'une part, la plupart de ces Indigènes étaient volontaires. Ils n'ont pas été expédiés de force. S'ils avaient été contraints de s'engager dans ces tueries, les occasions de déserter auraient été nombreuses. Ils ont répondu à l'appel. La plupart en étaient fiers. Aujourd'hui encore, dans les défilés de Harkis, les survivants arborent des croix de guerre gagnées en Italie, en Provence ou en Alsace. D'autre part, les taux de pertes en vies humaines n'ont été ni plus ni moins lourds dans les rangs des Français d'origine européenne que dans les rangs des Français musulmans d'Algérie, des Marocains et des Tunisiens. Pour des effectifs équivalents, il y a eu environ 20.000 tués européens, et 20.000 tués d'origine nord-africaine.

Antony Clayton, un historien anglais chargé de l'enseignement de l'histoire à l'école d'officiers de Standhurst, le Saint-Cyr britannique, a procédé à un examen minutieux des carnets de route de différentes unités françaises de l'armée d'Afrique. Voici comment par exemple il rend compte des pertes subies par deux régiments algériens de cavalerie:

3ème régiment de spahis algériens

......................;;;;Européens................................Indigènes

en Italie .................. 54 ........................................... 9

en France .............. 27 ................................................. 4

en Allemagne ..........9.....................................................0

Total ......................9 0 ................................................ 13

7ème régiment de chasseurs d'Afrique

...................... Européens ................................. Indigènes

en Italie ................ 52 ................................................. 9

en France ............ 28 ................................................. 3

en Allemagne .... 10 ................................................. 3

Total ................ 90.................................................15

 

Dans le cas des deux régiments examinés ici, les Européens ont supporté 87,5 % des pertes, alors qu'ils représentaient, tous grades confondus, 85,9 % des effectifs. En somme, les balles allemandes ignoraient le racisme. Il est infiniment désagréable d'avoir à tenir une comptabilité aussi macabre. Ou, pire encore, face au sacrifice suprême, de paraître vouloir confronter, ce qu'à Dieu ne plaise! les mérites et le courage des uns et des autres. Tous les morts méritent le même respect et la même reconnaissance. Seule l'intolérable mauvaise foi de certaines insinuations peut contraindre à surmonter cette répugnance.

Si le courage et parfois l'héroïsme des engagés Musulmans ne l'ont en rien cédé à ceux des Européens, en revanche, au niveau des communautés respectives, l'intensité du sacrifice n'a pas été comparable. Dans ses mémoires, le Maréchal Juin écrit: "L'effort de mobilisation a été dix fois plus intense chez les Européens que chez les Musulmans". La population musulmane de toute l'Afrique du Nord était de 18,5 millions de personnes et celle des Européens de l'ordre de 1,1 million. Le nombre de soldats engagés dans la guerre et le nombre de victimes ont été sensiblement les mêmes. Le coefficient dix avancé par Alphonse Juin est donc encore au-dessous de la vérité. Pour être en mesure de jeter dans la grande mêlée une armée française capable de tenir son rang à côté de celles de nos puissants alliés, il a fallu, dans la population européenne d'Afrique du Nord, recourir à une ponction à laquelle on ne connaît aucun précédent. Au niveau des simples soldats, on a appelé l'ensemble des Français valides de 18 à 45 ans. Les gradés, eux, ont été mobilisés par convocation individuelle, bien au-delà de la cinquantaine, à un âge variable suivant les besoins et suivant les armes.

Au total, l'armée française de 1943-1945 était composée de la manière suivante:

-173 000 Tunisiens, Algériens, Marocains et Noirs Africains (A.O.F. et A.E.F.),

-168 000 Français d'Afrique du Nord,

-20 000 Français de la France continentale, évadés, officiers d'active, fonctionnaires en mission,

-35 000 Français de Corse (à partir de janvier 1944).

La population d'Européens d'Afrique du Nord étant à cette époque de 1.076.000 personnes, l'effectif sous les drapeaux en représentait donc 15,6 %, soit une personne sur six ou sept, hommes, femmes, enfants et vieillards compris.

Pour prendre conscience de ce qu'a représenté un tel effort de mobilisation (ou d'engagement volontaire), on peut évaluer ce que donnerait ce même pourcentage, s'il était appliqué aujourd'hui à l'ensemble de la population française: 56, 6 millions d'habitants x 15,6/ 100 = 8, 82 millions de soldats. Jamais, à aucun moment de notre histoire, un tel chiffre n'a été approché. En 1944 et 1945, en Afrique du Nord, pratiquement tous les Européens en état de porter les armes ont été appelés. Rapidement instruits, équipés par les Etats-Unis, entraînés suivant des méthodes aussi proches que possible du combat réel ils sont débarqués ou parachutés sur l'autre rive de la Méditerranée afin d'aller libérer leur patrie. Aussi, quand le 8 mai 1945, le jour même de l'armistice, éclatent les émeutes de Sétif, il ne reste pratiquement plus dans la population européenne d'Algérie que des femmes, des enfants, des hommes ayant dépassé la cinquantaine, quelques invalides, des blessés en convalescence et des jeunes recrues en formation. La gendarmerie, comme toutes les autres armes, a été projetée au-delà du Rhin. On ne peut pas comprendre la panique qui s'est emparée des autorités gouvernementales et militaires françaises, ni la brutalité de la répression qu'elles ont improvisée, si on ne sait pas qu'il n'existait plus à ce moment-là sur le sol de l'Algérie aucune force de l'ordre organisée pouvant être opposée aux émeutiers.

En 1914-1918, les Français d'Algérie avaient perdu une première fois 22.000 morts (ou 25.000, les chiffres varient suivant les sources). Entre fin 1942 et mai 1945, ils en ont perdu une deuxième fois plus de 20.000. Leur population étant environ cinquante fois moindre que la population française totale, c'est comme si la France, après avoir perdu 1.357.000 morts au cours de la première guerre mondiale, en avait perdu à nouveau pratiquement autant durant la seconde.

 

Personne ne sait cela. Personne! A quoi tient cette ignorance ? A défaut de la justifier, différentes raisons permettent de la comprendre:

-1 / La coïncidence de date entre la prise de Rome et le débarquement en Normandie. La portée de la première a été éclipsée par le retentissement du second.

-2 / L'effet perspective. Dix résistants mitraillés place de l'Hôtel de Ville pèsent plus lourd dans l'imaginaire national que mille soldats français se faisant hacher menu pour enlever un sommet des monts Aruncins.

-3 / L 'hégémonie américaine sur les moyens modernes de communication (cinéma, télévision, etc.). Hollywood règne sur la distribution mondiale des films. Sa production véhicule une stratégie de communication qui prend les plus grandes libertés avec la vérité historique. A trois reprises, la télévision française a diffusé un film issu des studios californiens et traitant de la campagne d'Italie. On y peut voir des soldats américains encordés comme pour escalader l'aiguille du Dru, s'attaquer à l'ascension des murs du monastère du Monte Cassino. Inutile de préciser que parmi les Rambos alpinistes et cinégéniques, on n'aperçoit pas l'ombre d'un Français. En vérité, lors de la prise du Monte Cassino, le malheureux monastère n'existait plus. Quand Clark et Juin déclenchent leur offensive de printemps, il n'y avait pas l'ombre d'un soldat américain dans les environs du monastère en ruine. Au reste, s'il s'en était trouvé un, un solide mulet marocain lui aurait sans doute été plus utile qu'un harnachement de varappeur .

-4 / La stratégie de communication gaulliste. Le général de Gaulle a été l'un des premiers à comprendre l'importance de la communication et la portée que lui assuraient les nouveaux moyens d'information, la radio et plus tard la télévision. Dans l'intérêt même de la France dont de Gaulle se voulait le héraut, il fallait valoriser l'importance " des "Français libres" qui avaient courageusement rejoint Londres dès les premières heures de la défaite, et gommer tout le reste. Le reste, c'était la lamentable défaite de juin 40, la collaboration avec les Allemands, la marine préférant se faire couler (à Mers-eI-Kébir) ou se saborder (à Toulon) que de continuer le combat, l'amiral Darlan servant Laval et collaborant avec l'ennemi, Noguès faisant tirer sur les Américains. Tout cela devait être tu. Tout, sauf l'appel du 18 juin à Radio Londres et l'épopée de Leclerc, devenu le libérateur de Paris. Devait en revanche être minimisé le rôle de ces Résistants, trop souvent FTP, qu'il avait fallu empêcher non sans mal de faire basculer le pouvoir en France du côté de Moscou. Devait être totalement occultée, l'ambiguïté, pour ne pas dire plus, de certaines ambitions présentes dans les allées de Vichy, certains zèles préfectoraux et policiers pro-nazis, certaines participations, au titre du S. T .O., à l'effort de guerre allemand. Toutes vilenies que le Général ne pouvait ignorer, mais dont il ne se servit jamais pour discréditer ses adversaires politiques, afin de ne pas risquer, par ricochet, de porter atteinte à l'image de la Nation.

Dans cette logique, le rôle-clé qu'avaient joué les Français d'Afrique du Nord devait également être estompé. L'effet de ces stratégies convergentes fut un mur de silence sans faille. Si vous ouvrez le Larousse encyclopédique en un volume, vous trouverez une colonne entière sur les différentes "guerres d'Italie" et sur les "campagnes d'Italie". Vous saurez tout sur le traité de Cateau-Cambrésis. Vous trouverez des cartes décrivant l'itinéraire des armées de François 1er, une reproduction du tableau montrant Bonaparte brandissant un drapeau tricolore pour franchir le pont d'Arcole, des plans représentant les positions respectives des armées sur les champs de bataille de Rivoli, de Magenta ou de Solférino. Mais sur la revanche prise sur le nazisme par les armes françaises après leur défaite de juin 1940, vous devrez vous contenter de ce commentaire laconique: 1943-45 : Une dernière campagne oppose les alliés (sic) aux Allemands qui sont chassés d'Italie.

"Les alliés". Certes, on peut soutenir que ce terme embrasse aussi les Français. Mais ce qui va sans dire aurait été mieux encore en le disant. Un mot sur les sacrifices consentis par cette Armée française venue d ' Afrique, composée pour moitié d'Africains et pour moitié d'Européens, sur la victoire qu'elle permit de remporter et sur les conséquences de cette victoire, en particulier la place de la France comme quatrième puissance victorieuse n'aurait peut-être pas été malvenu. A défaut d'une reconnaissance plus explicite de la part de la Métropole, rapportons ici celle d'un étranger qui fut le témoin direct de l'aventure. Ridgeway Knight, qui fut par la suite ambassadeur des Etats-Unis à Paris, appartenait à l'époque à l'état-major de Clark. Parfaitement bilingue, il figura parmi les officiers chargés d'assurer la liaison avec les Français. Il a déclaré à France 3 , au cours d'une émission de la série "La planète chaude": "Ce que le Corps expéditionnaire français a fait en Italie n'a été surpassé par aucune autre force française dans son Histoire".

Du silence qui a couvert cette guerre est issu un lourd malentendu qui, de 1956 à 1962, va séparer les appelés du contingent et les Européens d'Algérie (et leurs alliés musulmans). Les premiers ignoraient tout des sacrifices des seconds et n'avaient pas le sentiment d'avoir une dette envers eux. En revanche, ceux-ci prirent le refus des premiers de venir se battre à leur tour comme autant de signes d'ingratitude. Sans même évoquer "les porteurs de valise" qui transportaient des bombes destinées à tuer femmes et enfants pieds-noirs et musulmansaux arrêts d'autobus.

Algérie, mémoire déracinée, René Mayer, l'harmattan, ISBN2-7384-8489-1

La campagne d'Italie

C'est en disposant, grâce à la population d'Afrique du nord, des moyens de porter les effectifs français à près de 400.000 hommes, lesquels vont tenir une place très honorable parmi les alliés lancés à la reconquête de l'Europe, que de Gaulle va être en mesure de revendiquer pour la France, à la table où sera signé l'armistice, ce siège pour lequel il se battra avec autant de hauteur que d'habileté. Ce siège vaut aujourd'hui à notre pays d'être l'un des cinq membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies. Il lui permet, en particulier, d'y disposer d'un droit de veto. Nous verrons plus loin à quel prix cet effectif respectable a été atteint.

C'est un Pied-noir, enfant de Mondovi, fils de gendarme mais major de Saint-Cyr, qui fut désigné par le général de Gaulle, avec l'accord du général Giraud, pour en prendre le commandement. C'était un grand chef. C'était aussi un fin diplomate. Cachant sous un sourire débonnaire une intelligence subtile, il sent qu'après le lamentable effondrement de notre armée en juin 1940, il nous faut nous garder de toute arrogance et que nous devons avant tout reconquérir patiemment l'estime de nos alliés. Plus gradé et plus ancien que le général Clark, commandant en chef de la Vème Armée américaine, il accepte néanmoins d'être placé sous ses ordres. Au vocable Armée d'Italie, qui pourrait porter ombrage à la Vème Armée US, il préfère celui, plus modeste, de Corps expéditionnaire français. L'essentiel, pense-t-il, n'est pas de donner des leçons aux alliés, mais d'abord de "faire son trou", puis de faire ses preuves et de regagner leur considération. Dans un premier temps, le corps expéditionnaire qui lui est confié ne compte que 120 000 hommes.

Le 9 septembre 1943, les alliés ont débarqué dans la botte italienne, près de Salerne, au sud de Naples. L'affaire n'a pas été facile. Les Américains ont subi de lourdes pertes. Les Allemands offrent une résistance déterminée. Ils sont dirigés par Kesselring, un aviateur devenu "biffin" qu'Hitler, pour défendre l'Italie du Sud, a préféré à Rommel dont la fidélité lui inspire, à juste titre, quelques doutes.

Sous l'énorme pression des alliés, les Allemands ne se replient que lentement, et en bon ordre. Ils abandonnent Naples, mais ils se retranchent ensuite solidement derrière une ligne de défense que l'organisation Todt a eu le temps de structurer en profondeur. Elle comporte ses bunkers qui peuvent croiser leurs feux, ses positions de résistance qui se couvrent mutuellement, ses nids de mitrailleuses dont le champ a été dégagé, ses réserves de munitions enterrées dans la montagne. Elle a été baptisée "Ligne Gustav". Longue de 135 km, elle est située à cent kilomètres environ au nord-ouest de Naples, derrière les rivières du Garigliano, du Liri et du Rapido. De là, à travers les monts de Maiella, elle rejoint l'Adriatique à Tossacesia, ville située quelques kilomètres au nord d'une autre rivière, le Sangro. Derrière cette ligne fortifiée, les Allemands alignent quatorze divisions. Pour leur livrer assaut, les Alliés en envoient le même nombre. A priori, l'avantage revient aux défenseurs. D'un côté, au nord-est, la VIIIème armée britannique, rentrée de Lybie et dirigée par un Anglais, Leese, et de l'autre, au sud-ouest, la Vème Armée US, dirigée par le général Clark. Le corps expéditionnaire français est intégré à cette dernière. Alphonse Juin, "d'abord reçu sans chaleur fin novembre 1943 à Naples" sait très vite susciter la sympathie de l'Américain Clark dont, au demeurant, les troupes ont été très secouées et auquel l'arrivée d'une relève partielle n'est pas faite pour déplaire. On concède un créneau aux Français, au centre même du dispositif. La Vème Armée US est située à leur gauche, du côté de la mer Thyrénéenne et la VIIIème Armée britannique à leur droite, le long de la mer Adriatique. En face d'eux, les Apennins forment une masse montagneuse opaque dont les défenses naturelles sont telles qu'il ne devrait pas se passer grand-chose dans ce secteur . C'est dans les plaines littorales, pense l'état-major allié, que devraient se dérouler les décisives batailles de chars. Les Allemands pensent de même. Or, pour le moment, les Français, s'ils disposent de quelques unités de chars, n'alignent encore aucune division blindée. Leur rôle ne devrait donc être qu'assez statique. Dans le créneau central qui leur est attribué, leurs deux divisions d'infanterie, la 2° division marocaine et la 3° division algérienne, s'alignent côte à côte, face aux Allemands. L'ensemble forme un corps d'armée bien étoffé en infanterie et en artillerie d'appui direct.

Ultérieurement, la 4ème division marocaine de montagne et la 1ère division française libre compléteront le Corps expéditionnaire français ou CEF. On est en décembre, dans la neige, le brouillard, la boue. La vallée du Liri, un affluent du Garigliano qui coule au pied du Monte Cassino et remonte en direction de Rome, offrirait, songe Clark, une voie de pénétration assez large pour rejoindre ensuite la capitale. Mais elle est dominée de part et d'autre par des massifs montagneux solidement tenus par les Allemands. Ceux-ci ne s'en laisseront pas déloger facilement. Qu'à cela ne tienne! En guise de témoignage de reconnaissance pour la place qu'il vient de leur accorder, Français et Marocains vont offrir au général américain le cadeau de Noël qu'il n'osait même pas espérer. Le 16 décembre, les Français du 5° régiment marocain attaquent et s'emparent du mont Pantano. Les 25 et 26 décembre, c'est au tour du 6ème régiment de tirailleurs marocains de s'emparer de la crête de la Mainarde et de Monna Casale. Les sommets étant ainsi tenus, les deux divisions françaises, au prix il est vrai de lourdes pertes, enfoncent un coin dans la ligne Gustav. La 3ème division d'infanterie algérienne, commandée par le fougueux général de Montsabert, franchit même le col d'Acquafondata. La 2ème division d'infanterie marocaine pousse alors jusqu'à la Costa San Pietro (12-13 janvier 1944), proche du sommet du Belvédère.

Les routes de crêtes et les chemins de montagne sont placés sous les feux de l'ennemi. Les unités françaises engagées jusque sur l'autre versant, ne peuvent plus rebrousser chemin. Elles ne peuvent pas davantage s'enterrer car le sol est rocheux, aride et couvert de neige. Elles vont passer sur place les trois mois d'hiver sans qu'on parvienne à les relever.

Mais le désir du général Clark a été exaucé: le flanc nord de la vallée du Liri est à présent dégagé. Comme les Allemands, les Alliés sont stupéfaits mais doivent bien se rendre à l'évidence. Dans le secteur tenu par la VIIIème armée britannique, le long de l'Adriatique, les attaques frontales, courageuses mais vainement coûteuses des Britanniques et des Polonais n'ont pas permis aux Alliés d'y progresser d'un pouce. Dans le secteur occupé par la Vème armée américaine, la ligne Gustav a tenu bon. Pire encore, un nouveau débarquement tenté par Clark derrière cette ligne, dans la baie d'Anzio, au nord de Naples, en vue de contourner la ligne de défense allemande et d'ouvrir ainsi aux Américains la route de Rome, a complètement échoué. Kesselring a rapidement contre-attaqué et les Américains, en s'enterrant sur place, n'ont réussi que de justesse à éviter d'être rejetés à la mer. Ils sont désormais enfermés dans une tête de pont qui allonge leurs lignes et ne leur sert à rien. Le seul résultat positif, la seule avancée que l'offensive d'hiver a procurée aux Alliés, c'est cette conquête, par deux divisions françaises fraîchement débarquées, d'un certain nombre de hauteurs stratégiques qui rompent la continuité du dispositif allemand.

Ce premier succès a laissé de profondes traces dans la conscience collective allemande. il comportait tous les ingrédients d'un drame romantique. La montagne couverte de neige et environnée de brouillard offrait son décor sauvage. La "furia francese" qui animait les attaquants, leur désir de prendre une revanche sur le lamentable effondrement de nos armées en juin 40, la violence de leur passion, fournissaient le ressort de l'action. Le mystère, l'inattendu, l'exotisme, étaient assurés par ces inquiétants guerriers vêtus de burnous sombres dont les silhouettes fondues dans la nuit et le brouillard, s'infiltraient en silence au sein des lignes allemandes pour, toutes à la fois brandissant grenades et mitraillettes, jaillir subitement des rochers tout proches. Le capitaine Robert Abdesselam (champion de tennis, futur deputé) fit des prisonniers. Quand il se présenta à eux et dit son nom, les Allemands le supplièrent de les remettre immédiatement entre des mains américaines. En entendant son patronyme kabyle, ils avaient été pris de panique, "pensant, racontait-il avec humour, que j'allais les égorger l'un après l'autre de ma propre main".

Début 1944, pour contourner l'avancée française, les Allemands construisent en hâte une nouvelle ligne de défense cohérente. Ils la baptisent "ligne Hitler", rien de moins ! En face, Alphonse Juin n'a dorénavant nullement besoin de faire état des cinq étoiles qui ornent ses épaulettes. Le respect l'entoure spontanément. Quand il faut préparer l'offensive de printemps, son avis est largement pris en compte. Connaissant bien ses troupes, aimé par elles, il va inspirer un plan d'ensemble dans lequel elles vont jouer un rôle clef et être employées au mieux de leurs capacités et de leur enthousiasme. En bon stratège, il veut utiliser pleinement le seul élément de supériorité dont il dispose face aux forces ennemies. S'il est un domaine où les régiments d'Afrique du Nord ont toutes chances d'être plus performants que les Allemands, c'est celui de la guerre en montagne. Cet atout, il va le faire abattre à l'endroit le plus stratégique par ceux qui en ont la meilleure maîtrise. Il va ainsi confier à la 4ème division marocaine de montagne et aux vingt deux mille tabors du colonel Guillaume un rôle d'infiltration par les crêtes qui leur convient parfaitement. S'ils atteignent leurs objectifs, le contrôle des hauteurs permettra d'opérer ensuite un large mouvement de débordement par le sud et l'ouest, menaçant directement les lignes logistiques allemandes et ouvrant grande la route de Rome.

Les tabors sont des guerriers de la montagne qui délaissent les uniformes trop sophistiqués et trop fragiles fournis par l'intendance américaine pour se vêtir à leur façon traditionnelle. Bien protégés du froid dans d'épaisses djellabas rayées, tissées dans des laines non teintées, aux couleurs naturelles de leurs moutons, le marron et le noir, ils fondent leurs silhouettes brunes dans le paysage rocheux. Ces vêtements munis d'un capuchon leur servent à la fois de manteau, de sac de couchage et de tenue camouflée. Ils sont armés de mitraillettes, de grenades, de fusils mitrailleurs et de mortiers, mais ils ne se séparent jamais de leur couteau, plus discret.

Quand le terrain est nettoyé, suivent les "brêls", des mulets habitués eux aussi à l'escalade. Sur les rochers, leurs sabots sont aussi précis et sûrs que ceux d'un bouquetin. Ce sont eux qui portent les pièces lourdes: les musettes de grenades, les caisses d'obus, les affûts de mortier. Cette fois encore, l'attaque démarre là où les Allemands ne l'attendent pas, dans la partie du front qui semble la mieux protégée par la nature. Le II mai à II heures du soir, le ciel soudain s'embrase. Pour ménager l'effet de surprise, Juin n'a pas voulu de longue préparation d'artillerie. Dès que le tir de barrage s'allonge, dans la fumée qui rampe au niveau du sol, les premières vagues d'infanterie embarquent dans des canots pneumatiques et franchissent la rivière. Le 83ème Génie a lancé trois ponts Bailey baptisés des noms de code de "Tigre", "Lion" et "Jaguar" et ouvre la piste d'accès "du Mouflon". Sur l'autre rive, les vagues d'assaut progressent par bonds. Elles tentent de coller au feu roulant qui avance devant elles et que crachent à l'unisson 2.400 pièces d'artillerie, soit deux fois plus de bouches à feu que n'en avait réuni le Kronprinz sur le front de Verdun pour lancer l'attaque majeure de l'armée allemande, le 21 février 1916 !

Mais les chars qui devraient appuyer l'assaut de l'infanterie pataugent dans la boue. Dans la nuit, ils craignent d'écraser leurs propres fantassins. Comme les vagues de la mer, les vagues d'assaut françaises se succèdent sans réussir à gagner du terrain. En face, la riposte est très dure. Les lance-flammes allemands font des ravages dans les rangs des assaillants. Le 12 mai au soir, à l'exception du sommet du Faito, qui a été pris par le 5ème régiment de tirailleurs marocains, les objectifs ne sont pas atteints. Cette avancée "en doigt de gant" est trop localisée pour pouvoir être exploitée. Des colonnes entières de mulets ramènent les blessés vers l'arrière. Chaque bête porte sur chacun de ses flancs une sorte de grande corbeille en rotin dans laquelle gît un homme recroquevillé. Toujours présent aux premières lignes, Alphonse Juin assiste au retour des blessés. Il mesure la lourdeur des pertes. Durant les heures de la nuit, il hésite à poursuivre la manoeuvre dont il a été l'inspirateur et dont les troupes françaises doivent être les principales exécutantes.

Puis il donne l'ordre de reprendre l'attaque: "Il faut que çà passe!" Le 13 mai à l'aube, l'offensive reprend, toujours aussi meurtrière. Cette fois-ci, puisqu'on ne recherche plus l'effet de surprise, l'artillerie prépare longuement le terrain. Elle insiste, laboure le sol, fait sauter en éclats les murs de béton derrière lesquels l'adversaire, toujours aussi résolu, se protège et riposte. Quand cessent les éclatements d'obus dont les flammes font voler la pierre, surgit de la fumée qui traîne de rocher en rocher, une nuée de diables des montagnes, de véritables djenouns, les démons du Rif. Ils courent, sautent, dansent; grenades à la main, jusqu'au sein des positions allemandes. Juin connaît l'importance des facteurs psychologiques dans l'issue d'une bataille. Sur ses ordres, les unités chargées de l'attaque ont emporté de larges drapeaux destinés, le moment venu, à démoraliser l'ennemi. Longtemps, le combat reste indécis.

Mais soudain, dans l'après-midi, le destin frappe à la porte. Visible sur l'ensemble du front par tous les observateurs de la vallée, là-haut, au sommet du Mont Majo qui domine tout le paysage, un immense étendard tricolore se déploie. C'est le signal. Les montagnards du 5ème Marocain ont atteint leur objectif! Les Français tiennent les hauteurs d'où ils assurent à présent la couverture de la vallée !

Une division entière, tabors sur les pitons, blindés dans les vallons, déferle à présent et, sur la gauche du dispositif, s'empare des monts Aurunci. La Vème armée américaine peut se joindre à l'offensive. La vaste manœuvre de débordement par le Sud et l'Ouest, conçue par Juin, va pouvoir se dérouler. Menacés de voir leurs lignes logistiques coupées, les Allemands sont dans l'obligation de décrocher. Kesselring se résout à donner l'ordre d'abandonner la ligne Hitler. Pour les Allemands, l'heure de la retraite générale a sonné. Les blindés alliés, dont les assauts avaient jusque là toujours échoué sur les infranchissables défenses allemandes, peuvent à présent s'élancer à la poursuite de l'ennemi, sur la route de Rome.

Algérie, mémoire déracinée, René Mayer, l'harmattan, ISBN2-7384-8489-1

Georges Bidault en marge de la conférence de Casablanca

 

Janvier 1943

Dans son livre Les Damnés de la terre, Alexis Arette (qui tenait l'information de Georges Bidault, l'ancien président du Conseil national de la Résistance) rapporte l'anecdote suivante: "Lors de la conférence de Casablanca qui se tint du 14 au 24 janvier 1943 afin de préparer la stratégie des Alliés après la guerre à l'égard de l'Europe, Churchill parvint à réunir non sans mal Giraud et De gaulle en face de Roosevelt. Giraud était indispensable dans l'élaboration de cette stratégie. Général de grande valeur, à la tête de l'armée d'Afrique, il ne devait aucune de ses étoiles aux "arrangements politiques du temps" et jouissait d'un grand prestige aux yeux des Américains depuis son évasion, l'opération Torch et la prise d'Alger. Ces derniers le considérant, sans la moindre équivoque, comme le chef militaire de la France combattante envisageaient très sérieusement une coopération unifiée où tout naturellement sur le plan strictement militaire, De gaulle était placé hiérarchiquement sous ses ordres ... ce que le "général micro" n'appréciait guère. Les deux hommes se détestaient ... Tout les opposait. [ ... ] Mais les Américains comprenant que le ralliement de l'Afrique dans sa globalité était nécessaire et que dans ce contexte Giraud qui restait loyal à Pétain - mais qu'ils considéraient comme infiniment plus fiable et d'une envergure supérieure à De gaulle - était absolument incontournable. Churchill allait donc œuvrer pour mettre les deux hommes en face de Roosevelt et obtenir la fameuse poignée de main de circonstance dont la photo fera le tour du monde ... Cependant Roosevelt, toujours frileux pour entrer en guerre en Europe, posa clairement la question aux deux officiers français: "Les États-Unis seraient susceptibles de débarquer en France à la condition que la France accepte d'ouvrir son empire au commerce américain et prenne l'engagement de décoloniser dans les trente ans." Giraud eut un haut-le-cœur et claqua la porte ... De gaulle resta. On connaît la suite ... Peu de choses ont été dites officiellement sur le marchandage de cette entrevue et le refus de Giraud d'accepter les conditions honteuses du démantèlement de l'Empire colonial français, conditions auxquelles de Gaulle souscrit sans le moindre scrupule ..."

 

 

1944:

En 1944 on dressa alors un plan, énorme pour les faibles ressources de l'Algérie: en vingt ans 20000 nouvelles classes de 50 enfants chacune, 1 million d'écoliers de plus en 1964. Le démarrage initial, un peu inférieur aux prévisions, obligea à utiliser des locaux à mi-temps (une classe le matin, une autre l'après-midi), mais le rythme s'accéléra et, en 1952,400000 enfants étaient casés. L'Assemblée Algérienne consacrait le sixième du budget à l'enseignement; pour la rentrée 57 -58, la situation était jugée satisfaisante.

Cependant, la surpopulation ne cessant de submerger le programme, un nouveau plan de huit ans éleva le nombre des classes nouvelles à 1 200 en 1960, à 1 500 en 62, prévoyant de les porter ensuite, chaque année, à 2 000. On a peine à imaginer ce développement, faisant appel à des constructions préfabriquées, au travers des bouleversements d'une guerre de sept ans, alors qu'en 1956 on comptait plus de 300 écoles endommagées ou détruites par les rebelles, 404 fermées par mesures de sécurité, 154 occupées par l'armée! A la rentrée de 1960, 129 699 enfants non-musulmans, 878763 musulmans sur deux millions étaient scolarisés, soit 39,2 %. De 1880 à 1960, la vitesse de scolarisation avait été 18 fois plus rapide que la croissance démographique. Mais il fallait continuer à créer l'équivalent de 6 classes par jour !

La répartition dans le pays était forcément très inégale: dans les grandes villes, la quasi-totalité des enfants était scolarisée; ailleurs, la proportion tombait à 40 %, 30 %, 15 % dans quelques secteurs écartés. Au Sahara, où de belles écoles avaient été construites, il n'y avait plus une seule oasis qui en fût dépourvue, le Hoggar lui-même doté de 8 classes, dont 5 sédentaires à Tamanrasset, 3 nomades sous tente; finalement 15 755 écoliers y étaient instruits dont 2 690 filles, les Missions d'Afrique n'y contribuant que pour 769 garçons, mais 1764 filles.

Explosion plus frappante encore que pour les garçons, après leur long retard, les filles affluaient vers les écoles de moins en moins différentes, car les familles comme les écolières réclamaient maintenant les connaissances générales: si l'enseignement ménager, les notions d'hygiène, santé, puériculture conservaient leur attrait, l'artisanat traditionnel perdait de son intérêt, surtout en milieu urbain, et devait se muer en enseignement professionnel moderne, parfois quelque peu industrialisé, assorti de C.A.P. Certaines parmi les plus douées souhaitaient même échapper aux contraintes ancestrales, aux maternités précoces et réitérées, pour s'engager dans des vies intellectuelles et indépendantes.

L'initiation des fillettes au français et aux connaissances de base posait un problème aigu. Pour le résoudre, une "section féminine d'adaptation de l'enseignement en Algérie" fut organisée en 1949 à Alger, rue Zaatcha, à côté du Centre de formation artisanale destiné aux futures directrices de C.C.P., où ces élèves-maîtresses pouvaient aussi recevoir une préparation dans ce domaine. Recrutées sur dossier au niveau du baccalauréat, presque toutes européennes, elles contribuèrent à rendre possible l'irruption massive dans les écoles dont certaines, dans le Grand Alger par exemple, passaient en quelques années d'1 à 12 classes, de 50 à 60 fillettes!

En 59-61 le taux de la scolarisation féminine, s'il restait à 15 ou 20 dans le département de Batna, montait à 39 % en Kabylie, à près des trois-quarts à Alger et à Oran. Malgré l'immensité de l'effort, il apparaissait qu'en 1966 1400 000 enfants seulement pourraient être scolarisés, sur 2 450 000. Force était de recourir à un double enseignement indigène, l'un du type métropolitain dans les régions les plus évoluées, sur le littoral, en Kabylie, l'autre abrégé, en escomptant les réunifier par la suite. Des unités pédagogiques de cet ordre n'étaient pas sans précédents: des "centres ruraux éducatifs" à scolarité réduite avaient fonctionné de 1940 à 1942, auxquels avait mis fin la reprise de la guerre. Le gouverneur Soustelle en reprit le principe en 1955 sous le nom de "centres sociaux éducatifs", assurant en zone rurale et dans les bidonvilles un enseignement de base obligatoire - alphabétisation et apprentissage, deux heures par jour pendant deux ans - complété par une assistance médico-sociale, grâce à une équipe de 3 instructeurs, 3 moniteurs et une auxiliaire médicale, que dirigeait un instituteur: 35 centres avaient été réalisés en 57 et l'on tablait sur 705 pour 66, dont "la capacité potentielle d'accueil s'élèverait à environ 1,2 million d'élèves" à raison de 35 classes de 50 élèves par centre (H. Saurier) .

Pour ceux qui avaient dépassé l'âge de la scolarisation, des moyens de rattrapage étaient fournis par le Service de Formation des Jeunes en Algérie (S.F,J.A.) qui faisait appel aux cadres de l'armée: 500 Centres de formation ou Foyers où des jeunes de seize ans et plus commençaient à recevoir une préformation professionnelle de six à douze mois.

Parallèlement était innovée une formation professionnelle accélérée (un à deux ans) au sein d'établissements ou entreprises publics et même privés, plus rapide et plus spécialisée que par l'enseignement technique. Quant à celui-ci, il fut aidé par la création en Métropole de sections de formation civiles ou militaires et, en Algérie, par des accords avec des services militaires ou avec des entreprises publiques acceptant de former leur propre personnel.

Ainsi apparaissait la possibilité, à l'horizon 1966, d'instruire 97% de la population enfantine, chaque contingent annuel de 310000 enfants étant réparti entre l'école primaire (180 000), les centres sociaux (100 000) et les autres écoles (20000)

L'Objectif immédiat ne se limitait pas aux jeunes, loin de là. En 1958-59, 1 500 cours d'adultes pour 37500 hommes, et 392, très diversifiés, pour 8600 femmes étaient assurés par 2000 membres de l'enseignement.

Ces chiffres ne tiennent pas compte des efforts consentis par l'armée.

 

7 mars 1944:

Cette ordonance prise par le gouvernement provisoire du général De gaulle sous la direction du général Catroux réalise en l'élargissant le projet Blum-Violette. (voir les détails ici: http://guy.perville.free.fr/spip/article.php3?id_article=120 ) On intégre pour la premiére fois dans les droits et devoirs de la citoyenneté française (c'est à dire y compris le droit de vote pour les femmes, tout frais) un certains nombre de musulmans (officiers, diplômés, fonctionnaires, caïds, agahs, membre de la légion d'honneur...) sans les obliger à renoncer aux régles de la charriah. Il faudra attendre le 7 mai 1946 pour que la loi mette en oeuvre cette ordonnance.

 

1 mai 1945:

Le defilé du premier mai est l'occasion d'émeutes musulmanes, à Alger et Oran, aux cris de "Liberez Messali" 3 manifestants tués, 19 blessés, 22 agents de police blessés. En réaction, Messali Hadj, en residence surveillée à Reibell-Chellala est transferé à Brazzaville.

 

  8 Mai 1945 :

A l'initiative du grand muphti de Jérusalem, ami déçu d'Hitler, qui lance le djihad, la guerre sainte pour tous les musulmans, un certain nombre de personnes se soulèvent dans l'arrondissement de Sétif ( 40.000 kilomètres carrés, la ville fait 50.000 personnes dont 42.000 de statut personnel, la région fait moins d'un million d'habitant). D'après les sources actuellemnt connues, il s'agissait bien d'une tentative d'insurrection que, une fois de plus, la masse de la population n'a pas suivie.

L'armée française, la gendarmerie, tout ce qui peut porter une arme (la population européenne de 17 à 45 ans a été mobilisée) est occupée de l'autre coté du Rhin .

Les émeutiers tuent 108 personnes, en général des isolés (dans des fermes ou des maisons forestières) dont un curé qui veillait un agonisant, et pillent tout ce qu'ils peuvent.

La répression est féroce : 2000 victimes, mais qui n'ont en aucun cas été tuées au hasard, contrairement à la propagande, mais étaient soit mêlées à une foule en furie meurtrière, souvent assiégeant des fermes ou des villages isolés, soit des membres de tribus particulièrement criminelles qui s'enfuyaient devant les troupes françaises, chargées d'arrêter les coupables.

Il y eu 4500 arrestations, 2000 condamnations dont 151 à mort, dont 28 furent exécutées.

La propagande pro terroriste qui est fort bien faite magnifia cette révolte au point d'en faire un génocide chiffré à 45.000 personnes par la radio du Caire, et qui servira ensuite d'alibi à toutes les exactions à venir. photo de l'aman.

A Paris, Maurice Thorez, vice-président du gouvernement provisoire présidé par le général de Gaulle où siègent quatre ministres communistes, fait diffuser le commentaire draconien par le bureau politique du PC: "Les instruments criminels, ce sont les chefs de PPA, tels Messali Hadj et les mouchards camouflés dans les organisations qui se prétendent Nationalistes, qui, lorsque la France était sous domination fasciste, n'ont rien dit ni rien fait, et qui maintenant réclament l'indépendance.'. (...) Il faut tout de suite châtier rapidement et impitoyablement les organisateurs des troubles, passer par les armes les instigateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l'émeute."

Le gouverneur général d'Algérie Chataigneau va plus loin dans un communiqué repris par tous les journaux: "A Sétif, des éléments troubles d'inspiration et de méthode hitlérienne se sont livrés à des agressions à main armée sur la population."

Dans son éditorial du 10 mai, le journal communiste Alger Républicain dans lequel avait écrit Camus prend une position radicale sur le complot fasciste du Constantinois: "Nous ferons barrage à la vague de panique et de haine raciale qu'on veut soulever en Algérie. Nous réclamons le strict retour à la légalité républicaine." Dans une autre édition du même jour, le journal communiste demande "une répression inéluctable et nécessaire des actes commis par des agitateurs inconscients et provocateurs".

 

12 juin 1945:

La police specialisée dans les personnes originaires du Maghreb (la SSPINA) et sa brigade (la BNA) composée en grande partie de musulmans est dissoute. On lui reproche sa grande efficacité aux ordres de Vichy et des allemands pendant l'occupation, et sa non constitutionalité, la loi interdisant toute discrimination a priori des français.

 

27 octobre 1946:

La constitution en son article 82 expose que le statut coranique est compatible avec la citoyenneté. La constitution confirme l'algérie comme un ensemble de départements (d'outre mer).

 

1946:

Le slogan "la valise ou le cercueil" a été diffusé à Constantine dans un tract en 1946, émanant du courant populiste des nationalistes plus radicaux, dont l'un des représentants, Ben Tobal exigeait le rejet des Européens, à l'exception des Juifs!

Il se faisait l'écho du leader Lamine Debaguine qui avait déclaré en novembre 1942: "Il faut créer un fossé irréversible entre Européens et nous".

Ce slogan était repandu aussi à Oran. On trouve dans le livre "Notre Afrique du Nord" de Paul Reboux, édité en 1946 qu'il pouvait y voir dans certaines villes d'oranie "la valise ou le cercueil, lisible sur les murs, tracée au goudron, charbonnée ou peinte à l'huile ou imprimée sur de petits papillons dont usent les propagandistes".

 

 18 Août 1947 :

De Gaulle termine sa tournée de propagande RPF pour les élections municipales par Alger "car il se souvient de ce que la mère patrie doit à l'algérie" (explique Catroux, son chef du service de presse). Il y dénonce avec vigueur le projet de statut de l'algérie. "On risquerait de fausser, au detriment de la population d'origine européenne, et l'évntuel profit d'une dangereuse démagogie, tout l'équilibre du systéme. (...) nous ne devons laiser mettrr en question, sous aucune forme, (...) le fait que l'algérie est de notre domaine"

Discours er messages de charles De gaulle, plon 1970, page 107.

Ce discours est oublié le 11 Avril 61, car il affirme avoir approuvé ce statut. " En 1947 j'avais approuvé le statut de l'algérie (loi Fonlupt--Eperaber ) qui, s'il avait été appliqué, aurait vraisemblablement conduit à l'institution progressive d'un état algérien associé à la france"

Discours er messages de charles De gaulle, plon 1970, page 289.

Si les résultats n'étaient pas si tragiques, on rirait.

 

20 septembre 1947 :

Le gouvernement fait voter le "statut de 1947" qui définit l'algérie comme un ensemble de département avec un statut particulier, la personnalité civile, l'autonomie financière, définit un organisme nouveau l'assemblée algérienne 120 députés 60 européens, 60 musulmans; Les femmes doivent voter (nouveauté métropolitaine), mais pour les femmes musulmanes (c'est à dire pour le deuxième collège) , le législateur s'en remet à la sagesse de la nouvelle assemblée. L'assemblée algérienne a de très grands pouvoirs, mais ces décisions doivent être pris à la majorité des deux tiers, et le gouvernement doit les approuver. C'est ce statut qui sera celui de l'algérie lors des débuts de la rébellion. Les deux colléges sont liés au statut personnel (et non à la race ou à la religion comme beaucoup le croient). Sont du premier collége les personnes qui acceptent les lois de la république (en particulier concernant l'égalité de l'homme et de la femme) plus quelques personnes de statut coranique, mais qui ont rendu des services à la france, fonctionnaires, anciens combattants, environ 150.000. Le deuxième collége regroupe les personnes de statut coranique (possibilité d'être polygame, de repudier sous simple déclaration...). On passe de l'un à l'autre par simple déclaration au greffe (et vérification de l'état civil). Les municipalités sont élues moitié moitié par chacun des colléges. Il n'y a pas de representants spécifique du deuxiéme collége à l'assemblée nationale à Paris, ni au senat. Le texte intégral ici http://alger-roi.fr/Alger/documents_algeriens/politique/pages/19_statut_organique.html

 

29 Mai 1948 :

Le Président de la République, Vincent Auriol remet dans une cérémonie solennelle à la ville d'Alger "Capitale de la France en guerre pendant 22 mois" la croix de guerre.

Les discours de l'époque rappellent que le gouvernement provisoire y a siégé jusqu'en 1944, ainsi que le centre de commandement des troupes inter alliées.

Que la ville a été bombardée 22 fois, ce qui a causé 378 morts, 658 blessés et des centaines d'immeubles détruits.

 

1937 à 1954, le problème de la démographie:

L'espoir est d'abord placé dans une politique de contrôle des naissances des familles musulmanes .. Cette volonté apparaît, en filigrane, dès 1937, à propos de l'application des lois sociales françaises aux indigènes d'Algérie. Le débat porte alors sur deux questions: premièrement dans quelle mesure les Algériens traavaillant en métropole doivent-ils en bénéficier, deuxièmement la législation sociale métropolitaine doit-elle être étendue à l'Algérie?

La loi du 11 mars 1932 rend obligatoire la création de caisse de compensation dans chaque branche professionnelle, de manière à faire bénéficier les salariés d'allocations familiales. Les décrets-lois de novembre 1938 élargissent le nombre des bénéficiaires à de nouvelles catégories de travailleurs et fixent un montant minimal aux prestations dont les taux sont désormais progressifs. L'objectif poursuivi étant clairement nataliste, l'application de cette législation aux Algériens était-elle opportune? Dans une correspondance adressée le 13 janvier 1937 au ministre du Travail, son collègue de la Santé publique, "s'il ne conteste pas la nationalité française de l'indigène algérien, propose de faire une discrimination entre les diverses lois sociales. Il lui paraît que les lois de 1918 et de 1923 relatives aux primes de natalité et aux allocations d'encouragement aux familles nombreuses ne sauraient être applicables aux indigènes étant donné le statut de la famille musulmane. D'autre part, il lui semble que le législateur a voulu favoriser uniquement la famille française autochtone chez laquelle on constate depuis plusieurs années une diminution progressive de la natalité, phénomène qui ne se retrouve pas, du moins actuellement, parmi nos populations indigènes d'Algérie". Le ministre de la Santé publique estime que, à l'exception de ces deux lois, les lois sociales doivent être appliquées aux indigènes algériens résidant en France dans les mêmes conditions qu'aux métropolitains. Dans sa réponse, le ministre du Travail, tout en se déclarant d'accord avec son collègue sur cette dernière proposition, pense toutefois qu'il y aurait intérêt à ce que la loi du 11 mars 1932 sur les allocations familiales "ne fût appliquée qu'aux seuls indigènes dont les enfants, ou certains d'entre eux, résident en France", c'est-à-dire à quelques centaines d'enfants tout au plus, issus pour la plupart de mariages mixtes entre un Algérien et une Française, l'émigration familiale étant alors inconnue.

C'est cette version, la plus restrictive, qui est finalement retenue. Le 15 février 1938, une circulaire du ministre de l'Intérieur stipule que "toutes les lois d'assistances [ sont] applicables aux Algériens, même si elles ne sont pas applicables en Algérie", sauf celles relatives aux primes de natalité (article 48 de la loi du 28 juin 1918) et celle visant à l'encouragement aux familles nombreuses (loi du 22 juillet 1922). Enfin, conformément aux dispositions de la loi du 11 mars 1932 sur l'obligation de résidence, les prestations ne sont versées qu'aux enfants demeurant en métropole.

Cette restriction fut levée progressivement. D'abord à l'initiative des Allemands. À la fin de l'année 1941, l'Allemagne demande de la main-d'œuvre, notamment pour la construction du mur de l'Atlantique. Selon un haut fonctionnaire du ministère du Travail, 20 000 travailleurs algériens lui sont envoyés, munis de contrats de travail. Or, non seulement les salaires distribués sont élevés, jusqu'à 400 F de l'heure mais, de plus, l'organisation Todt ne fait pas de différence, parmi les ouvriers algériens qu'elle emploie, entre ceux dont les enfants vivent en métropole et ceux dont les enfants sont restés en Algérie. Tous bénéficient des mêmes prestations. L'effet politique de cette générosité sur la population algérienne est tel que Vichy doit réagir. La loi du 20 septembre 1942 étend le régime des allocations familiales à tous les enfants d'Algériens, sans distinction de résidence. Cette sollicitude ne témoigne cependant pas d'un changement de philosophie. Le secrétaire général du Gouvernement général de l'Algérie est catégorique sur ce point lors de la Conférence mensuelle de la Délégation générale du gouvernement en Afrique du Nord, les 28-30 mai 1941 : "Notre théorie est de plafonner à trois enfants les familles indigènes." Ultérieurement, un décret du 31 décembre 1954 élargit aux salariés agricoles travaillant en France, et dont les enfants habitent en Algérie, le bénéfice des allocations familiales. L'objectif était de rendre plus attractif l'emploi agricole dont se détournaient les immigrés algériens. On espérait notamment, par cette mesure, occuper environ 50 000 Algériens à l'arrachage des betteraves à la place des ouvriers étrangers introduits chaque année pour cette campagne.

Cependant, les allocations versées aux travailleurs algériens, employés en métropole et dont les enfants vivent en Algérie, le sont au taux algérien, singulièrement plus bas que le taux métropolitain, alors que les cotisations versées le sont au taux métropolitain. "C'est ainsi qu'à qualification égale, à charge de famille égale, à salaire égal, il [existe] les différences suivantes relatives aux allocations familiales perçues mensuellement, y compris l'allocation de salaire unique" entre un Algérien musulman travaillant en France et un métropolitain:

Prestations mensuelles en F au titre des allocations familiales versées en 1955 à un métropolitain et à un Algérien travaillant en métropole

(R. Delavignette, Rapport, p. 39)

 

Métropolitain Algérien Différence

2 enfants 11629 4800 - 6829

3 enfants 20484 7200 -13 284

4 enfants 27744 7600 - 20144

 

En outre, la famille du travailleur algérien, restée sur place, est privée du bénéfice des primes à la naissance, de l'allocation logement et des divers avantages pouvant résulter des organismes d'actions sanitaires et sociales des caisses d'allocations familiales. Par ailleurs, tous les Algériens qui pouvaient prétendre à ces allocations ne les touchaient pas. C'est ce qui ressort des chiffres présentés par Paul Catrice, député à l'Assemblée de l'Union française, lors du débat du 15 juin 1949. Sur un total d'environ 300 000 Algériens présents en France en 1948, "36784 travailleurs [ ... ] ayant en tout 84 352 enfants" perçoivent effectivement des allocations pour un montant, cette année-là, légèrement inférieur à 1 202 millions de francs. Ce que confirment également les statistiques des caisses d'allocations familiales. Entre 1952 et 1960, alors que toutes les estimations officielles évaluent à plus de 150000 les Algériens occupant un emploi salarié en métropole, le nombre moyen de prestataires (secteur privé) a oscillé entre 64943 et 58624 et le nombre moyen d'enfants bénéficiaires entre 143 382 et 1499583o La CGPA évalue la différence entre les versements par les employeurs métropolitains aux caisses et les sommes distribuées aux bénéficiaires par ces mêmes caisses à 6 ou 8 milliards de francs.

Deuxième aspect du débat, l'élargissement à l'Algérie du système français de protection sociale. Là encore, il faut attendre le printemps 1941 pour que deux arrêtés gubernatoriaux étendent enfin à l'Algérie les dispositions de la loi du 1l mars 1932 instituant un régime obligatoire d'allocations familiales. Comme en métropole, cependant, cette obligation était limitée aux employeurs des professions industrielles, commerciales ou libérales. Compte tenu de ce qu'était alors la structure économique du pays, cette limitation réduisait considérablement le nombre des bénéficiaires éventuels qui, pour l'essentiel, se recrutaient parmi la fraction européenne de la population. En outre, les arrêtés stipulent deux restrictions par rapport au régime métropolitain, qui en tempéraient encore considérablement la portée: ils distinguent, parmi les enfants âgés de moins de 14 ans, ceux de moins de 12 ans à qui l'allocation était due au taux normal et ceux de 12 ans et plus à qui elle n'est accordée qu'à la moitié de ce taux s'ils ne fréquentent pas l'école. Enfin, le montant des allocations familiales, au lieu d'être, comme en France, progressif suivant le rang des enfants à charge et calculé sur la base d'un salaire mensuel unique, ce qui favorise les familles nombreuses et les bas salaires, correspond, en Algérie, à un pourcentage du salaire effectivement perçu par le salarié et versé pour chaque enfant à charge jusqu'au quatrième inclus et à concurrence d'un maximum. Cette réglementation est confirmée aux lendemains de la guerre, notamment par l'ordonnance du 4 octobre 1945. Les arrêtés ultérieurs n'allèrent guère au-delà, seules quelques mesures d'extension, notamment en faveur des artisans, gérants de SARL ou personnels de maison, complétèrent le dispositif. Mais les travailleurs agricoles furent maintenus en dehors, y compris après 1954.

Cette exclusion lésait davantage la population musulmane qui, dans son immense majorité, était occupée dans l'agriculture: une étude du secrétariat social d'Alger avance que, "sur un total de 1 560 000 familles musulmanes recensées en 1954, 167 000 pouvaient prétendre au bénéfice du régime non agricole et quelque 7 000 seulement aux indemnités en usage dans les services administratifs des différentes collectivités publiques. Les bénéficiaires possibles représentaient donc 11% du total des familles ", les bénéficiaires réels 9 %. En 1952, 428472 enfants jouissent du régime algérien d'allocations familiales, ils sont 676 391 en 1960. Cette progression, très forte en chiffres absolus, résulte d'un ensemble de facteurs étrangers à toute amélioration de la politique sociale: croissance démographique, augmentation de l'activité salariée dans le commerce et l'industrie, élévation du nombre des enfants scolarisés. Au demeurant, cette croissance du nombre des bénéficiaires ne modifie pas en profondeur le rapport existant entre ceux-ci et la masse des laissés-pour-compte: en 1952, le rapport entre salariés et prestataires du secteur privé était de 0,42; en 1960, il est tombé à 0,38. Enfin, trois prestations étaient toujours inconnues en Algérie: l'allocation de salaire unique et les allocations prénatales et de maternité. Dans les faits, la portée de la législation sociale appliquée en Algérie était donc singulièrement plus limitée qu'en métropole. Une comparaison, établie en juin 1949, par le député socialiste à l'Assemblée de l'Union française, Begarra, portant sur deux familles de 4 enfants, disposant d'un même revenu salarial, l'une vivant en métropole, l'autre en Algérie, fait ressortir que la première perçoit un supplément familial mensuel de 18 250F, la seconde de seulement 7500F. Or, contrairement à ce qu'on pourrait supposer a priori, le coût de la vie n'est pas nécessairement inférieur à Alger qu'à Paris.

Quand Robert Lacoste évoque la nécessité d'améliorer le régime de prestations sociales en faveur des travailleurs algériens, il se heurte aux conclusions d'un mémoire confidentiel, commandé par le président du Conseil à l'Association syndicale des administrateurs civils d'Algérie, qui met en garde le gouvernement contre une générosité déplacée car "le musulman voit dans les allocations familiales non la possibilité d'élever le niveau de vie des siens, mais une source de revenus qui l'incite à multiplier les naissances tout en laissant stagner sa famille dans la même indigence. L'institution manque donc ici son but et entraîne une aggravation sensible de la natalité. Il est indispensable de limiter l'octroi des allocations familiales au quatrième enfant".

Le système algérien de prestations sociales n'était donc pas destiné à encourager la natalité. Il visait à entretenir la fiction de la départementalisation, et, en privilégiant les salariés du commerce et de l'industrie, d'origine essentiellement française, à maintenir sur place la main-d'œuvre qualifiée nécessaire au développement économique de la colonie, à répondre aux revendications de la population européenne. Mais, par toute une série de dispositions, il tendait, en revanche, à pénaliser les familles nombreuses et à bas revenus, pour la plupart d'origine musulmane.

Plus crûment, en 1950, un professeur de la faculté de droit d'Alger s'efforçait, dans un article publié par la revue Population, de démontrer "le caractère licite de la restriction volontaire des naissances selon la pure tradition musulmane" et appuyait sa démonstration par une citation du Livre du Mariage de Ghazali qui autorise le coïtus interruptus s'"il y a crainte de tomber dans une gêne extrême, à cause du grand nombre d'enfants". Selon le professeur de droit, "il est évident que la diffusion des pratiques anticonceptionnelles constituerait pour ces masses misérables un bienfait économique" largement supérieur à toutes les entreprises de charité."

En février 1956, le mémoire adressé au président du Conseil, Guy Mollet, par l'Association syndicale des administrateurs civils d'Algérie, est particulièrement explicite sur ce point: "Il faut endiguer à tout prix la progression démographique, sinon nos efforts, quelles qu'en soient l'ampleur et la durée, demeureront vains, et la tâche excédera rapidement les possibilités de l'économie française: c'est le problème de base [ ... ]. Rien dans la loi coranique ne fait obstacle à la restriction volontaire de la natalité, et le colonel Nasser lui-même vient de créer dix-sept centres d'avortement. L'éducation sexuelle de la femme musulmane est à réaliser d'urgence par la création d'équipes spéciales itinérantes d'infirmières visiteuses musulmanes. Un service spécialisé, dont la direction et tous les cadres seraient musulmans, devrait être chargé de cette tâche délicate et capitale pour laquelle tous les moyens de persuasion sont à mettre en œuvre. "

Aucune mesure de cet ordre n'a été adoptée. Au demeurant, pour Louis Chevalier, chef de section à l'INED et responsable en 1946 d'une mission d'étude en Afrique du Nord, "une politique destinée à diminuer la natalité algérienne ne peut être envisagée sans scepticisme". D'une part elle soulèverait un ensemble de complications difficilement surmontables, et en tout premier lieu au niveau des critiques que susciterait une telle volonté, d'autre part ses effets seraient à trop long terme pour constituer une solution à un problème immédiat. Cependant, la régulation des naissances est constamment présente, en arrière-plan généralement, dans le débat sur l'avenir de l'Algérie. En témoigne une altercation assez vive qui opposa l'élu communiste René Justrabo à Salah Mesbah, rapporteur général de la Commission des finances de l'Assemblée algérienne, le 24 mars 1954.

En mai 1958, au cours d'une séance de la Commission du Commissariat général au plan chargée d'étudier la validité des Perspectives décennales de développement économique de l'Algérie, élaborées par un groupe de hauts fonctionnaires algériens, M. Dellas, représentant du Trésor, trouvait que "l'effort demandé dans le projet coûtera cher à la métropole tant du fait de l'hypothèse démographique, que de l'hypothèse institutionnelle, que de l'hypothèse financière" et le haut fonctionnaire demandait "pourquoi ne pas avoir comme objectif une stabilité démographique?".

Malgré l'opprobre qui entoure l'adoption de mesures de contrôle des naissances, et le peu d'efficacité à court terme de telles dispositions, les responsables politiques en charge de l'Algérie n'ont jamais totalement renoncé à peser sur la croissance démographique, sinon par des mesures directes, du moins par le biais de la politique sociale et des mesures dites de promotion féminine. Un des espoirs placés dans la scolarisation des filles était qu'elle conduirait directement à retarder l'âge au mariage, "c'est sans doute sur ce facteur qu'il est le plus facile d'agir pour atténuer le poids de la démographie [ ... ]. Le mariage plus tardif des jeunes filles mieux préparées à leurs responsabilités familiales ne manquera pas de retentir sur le nombre moyen d'enfants par famille". Le Rapport général du plan de Constantine souligne "la nécessité d'accélérer la scolarisation des jeunes filles" pour permettre, à terme, un allégement de la charge démographique de l'Algérie "hors de proportion avec ses ressources naturelles". En septembre 1960, Paul Delouvrier, délégué général du gouvernement en Algérie, recevant une délégation du Conseil national du patronat français (CNPF), voyait au problème de la démographie "un seul remède, l'évolution de la femme. Les expériences réalisées dans certains villages où un effort particulier a été fait en vue de l'évolution de la femme prouvent que la natalité diminue rapidement".

Ces politiques n'exercèrent aucun effet mesurable sur le comportement démographique des masses algériennes. Certes, estime le démographe Léon Tabah, "une réduction de la natalité de l'ordre de 25 à 30 pour 1 000 faciliterait le développement économique et l'amélioration du niveau de vie. Mais une telle réduction suppose une profonde transformation des mœurs. Les illusions répandues, dans quelques milieux français sur la possibilité de l'obtenir par de simples lois ou décrets de "birth control" ne font qu'obscurcir encore une question, déjà très délicate." De toute façon, conclut le démographe, qui rejoint l'opinion déjà émise par L. Chevalier, même en postulant "une baisse immédiate et rapide de la fécondité", la croissance de la population musulmane d'Algérie ne serait affectée qu'à partir de 1970. C'est également la conclusion qui ressort du débat instauré, au printemps et à l'automne 1958, au sein du Commissariat général au plan sur la validité des hypothèses proposées par les Perspectives décennales: "Même avec une fécondité décroissant immédiatement, la population atteindrait en 1980, compte tenu de l'abaissement inévitable de la mortalité, 18 millions [ ... ] au lieu de 19 millions. C'est dire qu'en 1966, la différence serait négligeable. "

L'urgence des problèmes à résoudre ne pouvait se satisfaire d'un tel délai. Même en adoptant le scénario le plus favorable - mais aussi le plus improbable -, la force d'inertie du facteur démographique conduisit donc à rejeter les politiques de régulation des naissances, des solutions à court terme du problème algérien. Pour des raisons éthiques et politiques, des mesures volontaristes et avouées de limitation des naissances furent également écartées dans la recherche de solutions à long terme. Mais, comme le rappelaient en mars 1958 des économistes algériens du monde rural, "tous ceux qui nient ce problème ou qui le taisent par une pudeur injustifiée et placée sous l'égide de doctrines populationnistes [...] ont-ils objectivement essayé de répondre à la question suivante: le mécanisme démographique ayant été dissocié des possibilités de l'économie par l'action médicale sur l'un de ses éléments, pense-t-on sérieusement que l'équilibre pourra se rétablir de lui-même en laissant la natalité uniquement soumise au développement de l'économie? Pense-t-on sérieusement qu'il soit possible de développer l'économie algérienne à un point tel que l'augmentation des niveaux de vie finisse par décider les individus à limiter leur descendance?"

Daniel Lefeuvre Chère Algérie, ISBN2-08-210501-6

 

1945 à 1954, le problème de l'immigration:

Contrairement à une légende tenace, l'afflux d'Algériens en métropole, dans les années 1950, ne répond pas aux besoins en main-d'œuvre de l'économie française au cours des années de la reconstruction ou des Trente Glorieuses mais bien à la situation misérable de nombreuses familles algériennes. Ce chapitre, peu " historiquement correct" a pu choquer - ne frise-t-il pas le racisme? - tant il heurte une évidence couramment admise. Loin de nous déjuger pourtant, des recherches menées depuis ont conforté notre démonstration et témoignent de la contradiction dans laquelle se débat l'administration algérienne: d'un côté, elle souhaite alléger la pression sociale en Algérie, par l'émigration en France; d'un autre côté elle est sommée de tenir compte des résistances qui se manifestent en métropole - du côté patronal, de certains ministères comme celui de l'Économie, du Commissariat général au plan ... - à la venue massive d'Algériens qui, pour beaucoup, ne trouvent pas à s'employer. Ainsi deux circulaires du directeur du Travail au Gouvernement général, datées du 8 août 1947 et du 3 juin 1948, exhortent-elles le préfet de Constantine à "prescrire aux chefs de commune du département de s'efforcer de faire connaître par tous les moyens, les risques de chômage et de misère auxquels s'exposent les travailleurs partant sans contrat de travail". Le même signale, en mai 1949, la situation "de nombreux travailleurs originaires du département de Constantine [qui] arrivés dans la commune de Faux Montagne (Creuse) avec l'intention de s'embaucher sur les chantiers de construction d'un barrage qui y sont ouverts, se trouveraient actuellement sans travail".

Pour décourager ces départs, une véritable campagne d'information est engagée. La Dépêche de Constantine, du 26-27 juin 1949, publie une "mise en garde du Gouvernement général" libellée en ces termes: "Travailleurs algériens, ne partez pas en France sans un contrat de travail." Des tournées d'information sont organisées. Le 6 septembre 1949, Louis Rouani, président de l'Amicale des Nord-Africains à Paris, délégué à la Surveillance de l'enfance délinquante, muni de lettres de recommandation du sous-secrétaire d'État à l'Économie nationale et du Gouverneur général, se rend "à Sidi Aïch et Akbou, accompagné par M. Rieule-Paisant", fonctionnaire du ministère des Finances et des Affaires économiques, pour "tenter de freiner l'exode des Nord-Africains vers la Métropole". Il réunit "les notables de ces deux localités pour leur exposer les graves difficultés que rencontrent les Musulmans qui se rendent en France sans contrat de travail".

Mais tous ces efforts sont sans effet, rares sont ceux qui possèdent ces fameux contrats, comme le relève une étude officielle: 1 874 en sont pourvus parmi les 34 929 Algériens qui se sont rendus en France en 1946, 773 pour 66234 en 1947 et environ 105 pour 80 714 en 1948. Arrivés à destination, c'est la désillusion pour beaucoup: en 1950, sur 110 000 Algériens recensés dans la région parisienne, "50 000 au moins n'ont pas de moyens d'existence réguliers". Ces chiffres détruisent l'imagerie de rabatteurs, parcourant le bled, pour fournir, à un patronat avide, la main-d'œuvre abondante et bon marché dont il serait friand.

Il ne restait alors qu'une seule issue: favoriser l'accès des Algériens au marché du travail métropolitain en mettant en œuvre, au nom de la préférence nationale, des dispositifs de "discrimination positive" permettant d'écarter, dans la mesure du possible, la concurrence de la main-d'œuvre étrangère. Ce que les gouvernements successifs de la IVe République n'ont pas hésité à faire.

Daniel Lefeuvre Chère Algérie, ISBN2-08-210501-6

 

1945 à 1954, les nationalistes algériens

Ce n'est pas fortuitement que les trois mouvements séparatistes, issus des œuvres de Messali Hadj, des Oulémas et de Ferhat Abbas, sont appelés à s'opposer au cours des années préparatoires - de 1943 à 1954. C'est avant tout parce que le nationalisme des chefs de file n'est pas pur. S'il l'avait été, le front commun aurait pu naître sans affrontement.

Certes l'indépendance algérienne est pour tous l'objectif déclaré, et en ce sens les trois courants constitutifs du F.L.N. participent bien d'un nationalisme en quelque sorte classique. En fait cependant, les dirigeants n'ont pas tous en vue le même combat, ni surtout la même fin dernière. Les uns nourrissent un idéal encore confus, dont la réalisation devrait se subordonner au respect de certaines limites. Les autres servent un absolu, négateur de toute valeur qui ferait obstacle à l'action. Pour certains l'indépendance est un aboutissement; pour d'autres elle n'est qu'une étape nécessaire vers une subversion radicale de la société algérienne, escomptée dès le départ. Et chacun, peu ou prou, cultive en secret une brutale ambition personnelle. Autant de points de vue qui ne parviendront à s'ajuster l'un à l'autre qu'à travers la dialectique et le sang.

Des trois mouvements, le moins classiquement nationaliste est le messalisme. Né sous l'égide du parti communiste, en milieu ouvrier émigré à Paris, il n'est pas d'une origine populaire, mais doctrinale; son germe est moins dans la vie que dans l'intellect - et à ses débuts, dans des esprits de formation primaire. Il se fonde idéologiquement sur le schéma du matérialisme historique, plus ou moins sommairement appréhendé par l'un ou l'autre de ses dirigeants. Son objet est de lutter "contre" afin de détruire ce qui est, sans souci ni de règle morale, ni de légitimité des moyens, ni de vérité autres que celles de l'action. Le messalisme envisage l'indépendance algérienne non comme une éventualité désirable et suffisante, mais comme un événement certain et nécessaire appelé à s'insérer dans un déroulement historique et sur une aire géographique plus vastes, et déterminants: pour les animateurs du mouvement l'Algérie est un pion qui doit tomber sur l'échiquier mondial, et ce n'est là qu'une étape préalable à la fusion de leur pays dans le moule d'une théorie préconçue. Ils abordent leur combat pour l'indépendance comme le moyen privilégié d'une révolution intégrale, d'une transfiguration de l'Algérie dans ses structures et dans son humanité.

Si l'on observe qu'avec une telle rigueur initiale le messalisme est aussi le plus dynamique et le mieux hiérarchisé des mouvements séparatistes algériens, on comprend pourquoi c'est lui qui, de 1943 à 1954, va dominer le jeu des trois frères ennemis. Face à des partenaires moins organisés et moins résolus, il se révèlera bientôt le pot de fer contre des pots de terre, et c'est du noyau messaliste que sortira le F.L.N.

On s'explique par conséquent comment l'ensemble du phénomène national algérien à partir de la seconde guerre mondiale et jusqu'à l'indépendance du pays va se trouver marqué de façon prédominante par le caractère révolutionnaire qui, faisant l'originalité du messalisme, fera celle aussi du F.L.N. Cette observation est capitale. Si l'on n'en tenait pas compte on se priverait d'une clé indispensable à la compréhension de toute la tragédie algérienne.

D'autre part, si l'on considère un instant le protagoniste qu'est la France, on constate que telles des caractéristiques qui viennent d'être énoncées - en un mot la tonalité marxiste affectant cette ambition de "libérer le peuple algérien" établissent une affinité idéologique immédiate entre la révolution algérienne et une certaine gauche française. Et ce ne sera pas l'aspect le moins douloureux du drame qui se prépare que de voir à quel point la guerre d'Algérie (plus encore que celle d'Indochine parce que la France s'y engagera davantage) sera, par procuration en quelque sorte et par transposition au-delà de la Méditerranée, une guerre civile entre deux écoles de pensée françaises. Pour sa part la rébellion ne pourra qu'y trouver avantage, dès lors qu'elle aura su s'imposer à l'opinion publique comme une donnée de fait.

Enfin le courant révolutionnaire qui va l'emporter sur ses rivaux se distingue par sa prédilection pour la violence: trait bien naturel, de la part d'un groupe assez absolu quant à ses buts pour ne se reconnaître d'autre loi que celle de son propre succès. Une fois déclenchée la rébellion, le F.L.N. usera d'atrocités pour réduire ses adversaires et même pour mobiliser les indifférents, tandis que ses responsables pratiqueront entre eux l'assassinat politique. Mais plus typiquement encore, dès la période préparatoire, les conspirateurs vont recourir à la violence comme à un moyen privilégié pour surmonter leurs difficultés politiques et résoudre les crises internes. A l'intérieur du parti messaliste, puis du F.L.N., chaque fois qu'un différend surgira quant à la conduite de la lutte, menaçant du même coup la cohésion du mouvement et la vigueur de l'action, c'est constamment la fraction la plus brutalement révolutionnaire qui l'emportera sur les autres et refera l'unité suivant ses vues. Car la solution la plus violente aussitôt mise en œuvre créera nécessairement une situation nouvelle sur laquelle les tenants d'une conduite plus modérée n'auront plus qu'à s'aligner. Ainsi, à chaque crise, l'unité ne se refera et la relance ne s'opérera qu'au prix d'une violence accrue. La violence est à ce point dans la nature du mouvement révolutionnaire algérien que, de bout en bout, celui-ci ne préservera son identité qu'à travers elle.

"Autopsie de la guerre d'algérie" de Philippe Tripier, éditions France-empire, 1972.

 

Mars 1950:

Le démantèlement de l'Organisation spéciale (OS)

Après Zeddine, l'OS qui recrute largement, crée plusieurs services: artificiers, transmissions, renseignements". Pour assurer leur formation et leur entretien, les maintenir dans une semi-clandestinité et en totale disponibilité, il fallait de gros moyens. Considérant le parti (PPA) comme une simple vache à lait, Aït Ahmed recrutait en son sein ses meilleurs cadres, utilisait ses locaux, son infrastructure et les voitures de ses députéso Mais cela ne suffisait pas. Au printemps 1949, la machine est bloquée, d'où le recours à des expédients. Le 5 avril 1949, le "coup de la poste d'Oran" rapporte 3, 17 millions de francso Mais l'argent transporté dans la voiture parlementaire du député Khider ne sera pas versé à l'OS mais à Hocine Lahouel, qui jugeait le développement de l'OS contradictoire avec celui du parti.

La "crise berbériste" fournit l'occasion à Lahouel de se débarrasser de ses rivaux. Convoqué devant un Bureau politique accusateur, Aït Ahmed est remplacé par Ben Bella à la direction de l'OS qui passe sous le contrôle étroit de Lahouel. Dans ce climat, un commando venu corriger un membre de l'OS, Khiari Abdelkader, mécontent de l'exclusion du de Debaghine, est intercepté par la police, suite à la plainte déposée par la victime. Les premières arrestations révèlent, par les armes et les documents saisis, l'existence d'une véritable armée souterraine. Du 19 mars au 27 mai 1950, la plupart des réseaux de l'O.S. du Constantinois, de l'Algérois et de l'Oranie sont démantelés: plus de 500 arrestations, la moitié des effectifs dont cinq sur sept membres de l'état-major. Plusieurs cadres parviennent à s'échapper mais l'OS n'existe plus.

("l'immigration algérienne en France des origines à l'indépendance" jacques Simon, ISBN 2-84272-082-2, en fait une histoire du PPA/MNA)

Mais en mars de l'année suivante, un commando venu de Bône à Tébessa tente d'assassiner un musulman: celui-ci, sur ses gardes, se défend et les deux hommes sont arrêtés. Rapidement, ils parlent et ce qu'ils racontent stupéfie les autorités. Un groupe de mille huit cents hommes, organisés, comme dans la Résistance française, en unités de trois, dispose d'armes, de munitions, d' explosifs. Tout le territoire est ainsi couvert: on lance des mandats d'amener et tout se révèle parfaitement exact. Parmi les inculpés se trouve Ben Bella, qui est identifié comme ayant participé au hold-up d'Oran. Bien que son rôle à la tête de l'organisation subversive permette de l'inculper de complot contre la sûreté de l'Etat, il n'est poursuivi que pour vol et condamné à sept ans de prison. Aucune mesure spéciale de surveillance n'étant prise, il trouve en quelques jours les complicités qui lui permettent de s'échapper et d'aller au Caire rejoindre Khider qui a pu, ayant été renseigné à l'avance, gagner cette ville sans dommage.

Par une réaction très habile, les organisateurs du mouvement crient au complot organisé par la police; et les anticolonialistes, qui commencent à se multiplier en France, stigmatisent ses inadmissibles méthodes.

( Pierre Laffont "l'Algérie des français" ISBN 2-912511-12-7)

 

5 Avril 1950 :

 Un hold up aux allures militaires est perpétué à la grande poste d'Oran en avril 1949. Lors de la capture de l'OS (des militants de l'Organisation Spéciale, la branche armée et secrète du MTLD) Ben Bella. est arreté

Sa déposition complète (il est prolixe) est enregistrée le 12 Mai 1950.

L'an mil neuf cent cinquante et le douze du mois de mai, Devant nous, Havard Jean, commissaire de la police des renseignements généraux, officier de police judiciaire, auxiliaire de M. le procureur de la République. Agissant en exécution de la commission rogatoire n°34 du 7 avril 1950 de M. Catherineau, juge d'instruction près le tribunal de première instance de l'arrondissement de Tizi Ouzou, étant subdélégué.

Assisté de l'inspecteur officier de police judiciaire Tavera René de notre service. Pour faire suite aux renseignements contenus dans la déclaration de Belhadj Djillali Abdelkader Ben Mohamed, entendons le nommé Ben Bella Mohamed qui nous déclare :Je me nomme Ben Bella Mohamed Ben Embarek, né le 25 décembre 1916 à Marnia (département d'Oran, arrondissement de Tlemcen), fils de Embarek Ben Mahdjoub et de SNP Fatma Bent El Hadj, célibataire. J'ai exercé la profession de cultivateur à Marnia. Actuellement, je suis permanent rétribué du parti politique MTLD. J'habite Alger, chez Mme Ledru, 35, rue Auber. J'ai fait mon service militaire en qualité d'appelé au 141 RIA à Marseille. J'ai fait la campagne de France 1939-1940, puis la campagne d'Italie. J'ai été démobilisé avec le grade d'adjudant en juillet 1945.Je suis titulaire de la médaille militaire avec 4 citations. Je n'ai jamais été condamné, je suis lettré en français et quelque peu en arabe. J'ai fait mes études primaires au collège de Tlemcen (EPS) jusqu'au brevet. Mes études terminées, je suis retourné chez moi, dans ma famille à Marnia, où j'ai aidé mon père qui possédait un café fondouk et du terrain de culture. J'ai été appelé sous les drapeaux en 1937 et, comme je vous l'ai dit plus haut, j'ai fait la campagne de France et d'Italie pour être démobilisé en juillet 1945.

Pendant toute cette période, je n'ai pas eu d'activité politique. J'ai commencé à faire de la politique juste après ma démobilisation. Je me suis inscrit aux AML (Amis du manifeste et de la liberté) mais je n'avais aucune fonction particulière ni aucune responsabilité. Aux élections municipales de fin 1945 ou début 1946, je me suis présenté sur une liste d'union indépendante. J'ai été élu et c'est quelques mois après cela que j'ai été sollicité par le PPA pour entrer dans le parti et organiser une section politique à Marnia. J'ai organisé la section de Marnia, puis ai été chargé de prospecter la région en vue de créer partout des noyaux politiques. C'est ainsi que j'ai eu l'occasion de me déplacer à Sebdou, Turenne, Hennaya et Nemours. Je n'ai pas obtenu les résultats escomptés.

Je suis resté à Marnia jusqu'au début de l'année 1948. Un mois environ avant les élections à l'assemblée algérienne (avril 1948) le chef de la région politique qui m'avait contacté m'a fait connaître que je devais aller à Alger me mettre à la disposition d'un certain Madjid. L'endroit de la rencontre, un café actuellement fermé, qui se trouve aux environs de Monoprix à Belcourt, le jour et l'heure m'ont été fixés. Je devais me présenter à ce café maure avec un journal. Je ne me souviens plus exactement de quel journal il s'agissait, mais je me souviens qu'il y avait un mot de passe. C'est ainsi qu'à l'heure indiquée, j'ai rencontré Madjid. Je le voyais pour la première fois. Il m'a dit dans les grandes lignes ce que le parti attendait de moi. Une organisation paramilitaire, superclandestine venait d'être créée et le parti me mettait à la disposition de cette formation. Je vous précise qu'à ce moment-là, le MTLD existait et que j'en faisais partie. C'est donc ce parti politique qui m'a mis à la disposition de cette organisation paramilitaire qui prenait le titre de l'OS (Organisation spéciale) .Madjid m'expliqua en outre qu'il fallait obtenir la libération de l'Algérie par la force et que seule la violence était susceptible de nous faire atteindre l'objectif. J'étais désigné pour prendre la direction de l'OS en Oranie. Partout, dans les villes, je devais créer des groupes comptant un chef et trois éléments. C'est ce que nous avons appelé l'organisation "quatre-quatre".C'est au cours de contacts successifs que Madjid m'a expliqué le détail de ma mission. Durant mon séjour à Alger, j'ai fait la connaissance de Belhadj Djillali Abdelkader, Reguimi et Maroc.

Avec Madjid, nous constituions une sorte d'état-major qui devait élaborer le plan d'instruction et de formation militaires. Belhadj Djillali était chargé de la rédaction des cours d'instruction militaire que nous supervisions, approuvions ou modifions en séance de comité. Quelques mois à peine, après les élections à l'assemblée algérienne, pour mettre en pratique ce que nous avions élaboré en théorie, avec le chef national Madjid et le comité d'état-major, nous avons décidé d'effectuer un peloton d'instruction à la ferme de Belhadj, au douar Zeddine, près de Rouina. Nous sommes restés là sept jours au cours desquels nous avons fait des exercices de tir au "colt" et de l'instruction individuelle technique du combattant. Nous disposions de deux "colts" dont l'un appartenait à Madjid, l'autre à Belhadj. J'ai commencé à organiser à Oran où j'ai désigné comme chef un certain Belhadj, employé à la mairie, au service du ravitaillement. Puis j'ai nommé à Tiaret comme responsable de notre organisation un certain Saïd, tailleur. Par la suite, j'ai organisé Relizane, Mostaganem et Tlemcen. J'ai placé à la tête de ces trois derniers centres respectivement Benatia, conseiller municipal, Fellouh, gargotier, et un troisième à Tlemcen dont je ne me souviens plus du nom. Je suis resté à la tête du département d'Oran jusqu'en avril 1949. J'ai été rappelé par le parti à la politique.

Durant mes fonctions de chef de département, je venais assez régulièrement à Alger où j'effectuais des liaisons avec Madjid. Nous nous réunissions environ une fois par mois pour faire le point sur la situation de l'organisation paramilitaire. Je retrouvais là mes camarades de l'état-major. Ces petites réunions mensuelles duraient deux ou trois jours et à chacune d'elle nous avions le soin de fixer le lieu, la date et l'heure de la prochaine.

Au sujet des armes d'instruction de mon département, elles n'ont pas été livrées par Alger, mais achetées sur place. Oran disposait de quelques revolvers 7,65, de deux colts et d'une mitraillette allemande qui, je crois, est celle qui a servi à l'attaque de la poste d'Oran. Je vous parlerai plus tard en détail de cette affaire. Pour les autres régions, je ne me souviens plus de la nomenclature des armes, il n'y en avait pas beaucoup. J'ai été remplacé par Boutlelis Hamou à la tête du département d'Oran. A Alger, le parti m'a placé à la tête du CO (comité d'organisation). Ma mission consistait en la réception des rapports des différentes wilayas d'Algérie, que je transmettais au parti. En retour, j'adressais à ces dernières les instructions données par la direction politique.

Les réunions de wilaya avaient lieu mensuellement et chacun des chefs apportait personnellement son rapport. J'ai assumé ces fonctions jusqu'en septembre 1949. A ce moment-là, le chef national de l'OS, Madjid, est passé au berbérisme et le parti, en la personne de Khider, m'a chargé de m'occuper de l'OS. Durant trois mois, c'est-à-dire octobre, novembre et décembre, j'ai donc cumulé les fonctions de chef du comité d'organisation et de chef national de l'OS. A partir de décembre, j'ai abandonné mes fonctions spécifiquement politiques pour me consacrer à l'organisation paramilitaire.

J'ai été remplacé au comité d'organisation par Saïd Hamrani. Depuis la fin 1948, le coup d'Etat berbériste était en préparation, et peu à peu les rangs de l'OS se vidaient. Cette crise a atteint son paroxysme au moment où Madjid a été mis dehors par le parti. C'est, je crois, en juillet-août 1949. Quand j'ai repris l'OS, la situation n'était pas brillante. Alger se subdivisait en trois régions, Oran et Constantine en deux. J'ai dû supprimer cette fragmentation et les trois départements ne formèrent plus qu'un seul bloc. A la tête du département d'Alger, j'ai placé Reguimi Marc, avec comme adjoint, Larbi, celle du Constantinois, Belhadj. Djillali, conservait sous mon autorité la direction des trois départements en ce qui concerne l'organisation paramilitaire. A la tête du service général, en remplacement de Ould Hamouda, arrêté, je plaçais Yousfi Mohamed. A la suite de la démission du docteur Lamine Debaghine, l'OS a subi une nouvelle crise. Belhadj Djillali était mis en veilleuse et remplacé par Reguimi. Il était accusé de s'occuper beaucoup plus de son commerce que de l'organisation.

Alger, Oran et Constantine étaient respectivement dirigés par Boudiaf, Abderrahmane et Larbi. Maroc était rappelé à la politique. Yousfi conservait toujours la direction du service général qui s'enrichissait d'un groupe sanitaire. Je sais que le réseau complicité passait sous la direction de Ben Mahdjoub, Arab Mohamed conservant le service des artificiers. J'ignore quels étaient les responsables d'autres sections. A ce moment-là, l'OS avait la structure suivante :Un chef national placé sous l'autorité du parti. J'avais sous mes ordres un chef pour les trois départements et un chef de service général. Chaque département était placé sous l'autorité d'un responsable duquel dépendaient plusieurs chefs de zones. Pour Alger, il y en avait six ou huit : pour Oran, il y en avait un, enfin pour Constantine, quatre ou cinq. Tous les membres de l'OS, du chef national jusqu'au chef de zones, y compris le chef du réseau de complicité et le chef des artificiers, étaient des permanents du parti politique M.T.L.D, mis à la disposition de l'organisation paramilitaire. Ils touchaient un traitement mensuel. Les chefs de chaque département, le chef des trois départements, le chef du service général et moi-même percevions une mensualité de quinze mille francs, alors que les chefs de zones, le chef du réseau complicité et celui des artificiers percevaient douze mille francs par mois. Je vous ai dit qu'en ma qualité de chef national de l'OS, je dépendais directement du parti. J'étais placé sous l'autorité directe du député Khider. C'est à lui et à lui seul que je rendais compte de l'activité de la formation paramilitaire. C'est de lui et de lui seul que je recevais les directives et les consignes. Aucune décision grave, aucune réforme importante n'était prise sans en référer au député Khider. C'est d'ailleurs lui, qui, chaque mois, me remettait les fonds nécessaires à la rétribution des permanents de l'OS. Nous avions l'habitude de nous rencontrer une fois par mois, soit place de Chartres soit au 13 de la rue Marengo, soit dans un autre endroit quelconque. Il est évident que je le voyais d'autres fois à la permanence politique, mais pour l'OS, les contacts étaient mensuels. Aux différents cas que je lui soumettais et suivant leur importance, Khider les tranchait immédiatement ou me demandait un temps de réflexion. Je suppose donc qu'il sollicitait quelquefois l'avis du parti.

Je veux maintenant vous expliquer les conditions dans lesquelles l'OS a été créée. Dans le M.T.L.D, comme dans tous les partis politiques, il y a ce qu'on appelle les détracteurs. Il y a les réfléchis, les pondérés, les exaltés, les violents qui trouvent qu'on n'en fait jamais assez et qui nous disaient que la libération du territoire national n'allait pas assez vite. C'est dans cette atmosphère et pour faire face au discrédit que le parti a décidé, pour montrer sa force et sa volonté d'action, de créer une organisation paramilitaire. Cette formation, qui avait pour but la libération de l'Algérie, ne devait intervenir qu'en cas de conflit extérieur avec la France ou de conflit intérieur grave. Et c'est toujours sous la pression des perturbateurs et pour céder à leurs exigences que certains actes de violence ont été commis. Parmi eux, je citerai le cas de l'attaque de la poste d'Oran. Je vous le dis immédiatement, il s'agit d'un coup de force exécuté par l'OS. Après le départ de certains éléments troubles tels que Madjid, par exemple, et à la lueur de l'expérience acquise, il était avéré que l'OS n'était pas viable. Le parti avait décidé de la supprimer. C'est ainsi que peu à peu, les éléments et les permanents qui étaient rappelés à la politique n'étaient pas remplacés. L'ordre formel avait d'ailleurs été donné à tous les élus M.T.L.D qui avaient été mis à la disposition de l'OS d'avoir à réintégrer le parti.

A plusieurs reprises, je vous ai parlé de l'attaque à main armée perpétrée contre la poste d'Oran. Je viens de vous dire qu'il s'agissait d'une manifestation de l'OS, que ce coup de force avait été tenté pour satisfaire aux exigences des trublions politiques du M.T.L.D. Je vais donc par le détail vous dire tout ce que je sais sur cet attentat. Au début de l'année 1949, le M.T.L.D. subissait une crise financière assez aiguë et cela s'ajoutait aux tiraillements politiques. Je ne peux pas vous dire absolument si c'est Madjid qui était à ce moment-là le chef national de l'OS ou bien le député Khider, qui a imaginé ou conçu ce coup de force. En tout cas, ce que je puis vous affirmer, c'est qu'ils étaient au courant des faits, et que cette affaire n'a pas pu se réaliser, à condition que ce soit Madjid qui l'ait conçue, sans en conférer à Khider. D'ailleurs, par la suite, lorsque j'étais chef national de l'OS, les conversations que j'ai eues avec Khider m'ont démontré qu'il était parfaitement au courant des faits. C'est au cours d'une réunion de l'état-major de l'OS, à Alger, que Madjid nous a fait connaître l'intention du parti d'attaquer la poste d'Oran, pour se procurer de l'argent. Il m'a chargé de trouver sur place, à Oran, un local où nous pourrions en toute quiétude mettre sur pied le plan de réalisation d'une telle opération. Dès le début, nous avons désigné pour l'exécution Bouchaïb, de Temouchent, qui devait diriger l'expédition, Fellouh, de Mostaganem, Kheder, le chauffeur d'Alger, tous trois membres de l'OS. Cette équipe devait être complétée par trois ou quatre éléments supplémentaires choisis parmi les membres de l'OS ou des maquisards. Ces grandes lignes arrêtées, il était convenu que l'affaire se ferait au début du mois de mars et que Madjid viendrait à Oran, une quinzaine de jours avant, pour le montage définitif. Je suis rentré à Oran et j'ai immédiatement songé à utiliser le local dont le parti disposait, 1, rue Agent Lepain, à Gambetta, et j'en ai avisé Madjid.

Il est arrivé vers le 20 février à Oran et a logé au local. J'ai omis de vous dire qu'il était accompagné de Khider. Ils ont été rejoints par les permanents Bouchaïb, de Temouchent et Fellouh de Mostaganem. Trois maquisards sont arrivés d'Alger quelques jours après. Je suppose qu'ils ont été désignés par Ould Hamouda, qui, à l'époque, devait être chef du réseau de complicité, par sa qualité de chef du service général. Ils ont certainement été reçus à la gare d'Oran par Bouchaïb qui les a conduits au local de la rue Agent Lepain. Comme cela est de coutume chez nous, ils devaient très probablement avoir un mot de passe et un journal, signe de reconnaissance. Je dois vous dire que c'est Madjid qui détenait les fonds nécessaires à la nourriture et qu'ils faisaient eux-mêmes leur popote. A cette époque, le parti m'avait rappelé à la politique. J'avais déjà pris mes consignes à Alger et j'étais en train de passer celle de l'OS, du département d'Oran à Boutlelis Hamou. Je ne pense pas que ce dernier à ce moment fût au courant de cette première affaire. Pour ma part, il avait été décidé que, deux ou trois jours avant le coup, je devais me créer un alibi en allant me reposer dans ma famille à Marnia, puis le lendemain de l'attentat me rendre à Alger pour y rencontrer Madjid. Environ six jours avant l'attaque de la poste, avec Madjid et l'équipe, nous avons tenu une réunion pour exhorter les exécutants à faire ce que commandait le parti. Pour cette réunion, Madjid et moi avons revêtu des cagoules noires du groupe de l'OS, d'Oran. Elles nous arrivaient jusqu'à mi-corps, nous étions assis dans la grande pièce centrale, face à la porte dissimulant nos pantalons par une couverture. C'est Bouchaïb qui nous a fait rentrer dans ce local et c'est lui qui a introduit les éléments, alors que nous avions la face voilée .C'est Madjid qui a pris le premier la parole. Il s'est adressé à l'auditoire enlangue arabe et a dit en substance : "Le parti a besoin d'argent, vous avez juré de lui obéir et il compte sur vous pour exécuter fidèlement la mission qui vous a été confiée."Il a expliqué succinctement qu'il s'agissait d'attaquer la poste d'Oran pour se procurer l'argent de la caisse de la recette. Il a ajouté que les détails complémentaires seraient fournis en temps utile par Bouchaïb. J'ai ensuite pris la parole en langue arabe pour confirmer ce qu'avait dit Madjid. Ici, je vous dois une explication. Dans les conversations préliminaires avec Madjid, il avait été décidé d'utiliser un taxi volé à son propriétaire. Madjid avait minutieusement étudié les détails de tout cela. Comme il avait été convenu, je me suis rendu à Marnia.

L'opération, autant qu'il m'en souvienne, avait été fixée pour le 3 ou le 4 mars. Dès cette date écoulée, j'ai pris le train à destination d'Alger où j'avais rendez-vous avec Madjid. Je l'ai effectivement rencontré et il m'a expliqué comment l'affaire n'avait pas réussi du fait d'un mauvais fonctionnement de la voiture restée en panne à proximité de la poste. Quelques jours après, l'état-major de l'OS s'est réuni et nous avons décidé que cette affaire serait reportée au 4 ou au 5 avril 1949. Je suis retourné à Oran, où je devais terminer de passer mes consignes à Boutlelis. Madjid m'a rejoint vers les 23 ou 24 mars, et comme précédemment, il a logé au local de la rue Agent Lepain. Là, il a retrouvé les éléments, c'est-à-dire Bouchaïb, Khider, Messaoud Soudani, qui était permanent rétribué du parti, chef de zones d'Oran centre, un certain X de Palikao, qui avait remplacé Fellouh et deux des trois maquisards de la première opération, le troisième ayant, je crois, rejoint Alger. Cette fois, je n'ai pas paru au local. Je prenais contact avec Madjid à l'extérieur. Il avait été décidé que le coup se ferait le 5 avril au matin et comme la première fois, on devait utiliser un taxi volé. Pour ma part, je devais rejoindre Alger deux ou trois jours avant la date et revenir à Oran par le train de jour qui arrive à quinze heures.

Madjid, lui, devait rentrer à Alger la veille, en prenant le train qui part d'Oran à vingt-deux heures environ. Ces consignes ont été scrupuleusement respectées et le 5 avril vers 13h je suis arrivé à Oran. A la sortie de la gare, j'ai rencontré Soudani qui m'a mis au courant du déroulement de l'affaire, me signalant qu'il avait été impossible d'utiliser un taxi, les chauffeurs étant très méfiants et qu'ils avaient dû user d'un subterfuge en se servant d'un docteur et de sa traction avant. Il m'a dit que l'argent se trouvait dans le local. C'est par le journal du soir Oran-Soir que j'ai connu le montant du vol et appris certains autres détails. Je devais reprendre le train du soir pour rendre compte de ma mission à Madjid. J'ai pris contact avec Boutlelis que j'ai mis au courant des faits, le chargeant en sa qualité de chef de département de veiller à la sécurité des éléments qui avaient perpétré le coup, et au moment du vol. Vers 17h30, ce même jour, j'ai vu Soudani et je lui ai dit de prendre contact avec Boutlelis, duquel il recevrait des instructions ultérieures susceptibles de parer à toute éventualité. Dès le matin, j'étais rentré à Alger par le train de la veille, au soir, j'ai pris contact avec Madjid auquel j'ai rendu compte de ma mission. Là, se terminait mon rôle. Par la suite, j'ai appris par Madjid lui-même que l'argent avait été transporté chez Boutlelis où le député Khider devait en prendre livraison. Ce fait m'a été confirmé par lui-même au cours de discussions et de conversations que nous avons eues alors que j'étais responsable du CO, puis chef national de l'OS. Le produit du vol a été entièrement versé au M.T.L.D. par Khider, la somme d'argent découverte chez Kheder le chauffeur représentait un prêt consenti par l'OS pour lui permettre de monter un garage personnel. Je ne vois rien d'autre à vous dire sur l'affaire de la poste d'Oran. Si par la suite il me revenait certains détails, je ne manquerai pas de vous en faire part ou de les dire au juge d'instruction. A l'instant, il me souvient que c'est Madjid, avant de prendre le train à destination d'Alger, qui a téléphoné ou qui est allé voir la femme du docteur. Les armes utilisées pour perpétrer l'attentat contre la poste d'Oran appartiennent toutes à l'OS de cette ville.

S.I. (Sur Interrogation)- La somme d'argent que vous avez trouvée dans ma chambre, soit deux cent vingt-trois mille francs, se décompose comme suit : trente-huit mille francs m'appartiennent en propre, dont quinze mille francs de ma permanence du mois en cours. Le reste représente la Caisse de l'OS, constituée en partie par des cotisations et les dons et en partie remises par le député Khider.

S.I. - Le revolver P 38 de marque allemande que vous avez découvert dans la poche de ma canadienne dans ma chambre est une prise de guerre de la compagne d'Italie.

S.I. - La fausse carte d'identité, l'extrait de naissance au nom de Mebtouche Abdelkader, né le 9 mars 1919 que vous avez trouvés dans ma chambre m'ont été remis par le député Khider et ce, dans les conditions suivantes : quelque temps après l'attentat perpétré contre la poste d'Oran, la police est allée me chercher à Marnia, à mon domicile. Mes parents m'ont averti. C'est alors que j'ai demandé à Khider de me procurer de faux papiers. A sa demande, je lui ai remis deux photographies et quelques jours après, il m'a donné les papiers que vous avez découverts.

S.I. - Je ne peux vous donner aucune indication sur les maquisards, je sais seulement qu'il y en avait deux, hébergés dans la région de l'Alma, un dans la région de Cherchell, un en Oranie, dans la région de Saint-Cloud et deux dans Oran-ville ou aux environs immédiats. Pour ces trois derniers, je pense qu'Abderrahmane, actuellement chef de l'OS du département d'Oran, pourra vous dire exactement où ils se trouvent.

Quant à Bouchaïb et Soudani, depuis l'affaire d'Oran, je ne les ai plus revus. Je ne me souviens du signalement que d'un maquisard. Je l'ai aperçu alors que j'étais en cagoule. Il semblait être âgé d'une trentaine d'années, très brun, le nez épaté, petit et trapu.

Lu, persiste, signe, signons.

Et de même suite, disons que Ben Bella nous déclare :Aux mois de mars et d'avril, non : en avril seulement, pour l'attentat de la poste d'Oran, je me suis créé un alibi en passant la nuit qui a précédé cet attentat à l'hôtel du Muguet, à Alger.

Lu, persiste, signe, signons.

Copie certifiée conforme Le greffier Signé : illisible*

Il s'agit en fait d'Ahmed Ben Bella. Texte reproduit intégralement conforme à l'original.

 

4 avril 1953:

Le M.T.L.D. de Messali Hadj tient son congrés à Alger. La tendance dure (les centralistes) l'emporte sur la tendance démocratique (Messali, de toute façon en résidence surveillée à Niort.) Son rôle en tant que président est réduit à peu, la reconstitution de l'Organisation Spéciale (l'O.S.) après les opérations de police de Mars 1950, est votée. Ben Khedda, élu secretaire général est le vrai chef, avec comme adjoints Lahouel (finances, politique, O.S.) et Kiouane (presse, information, organismes de masse). Cette organisation est typique des partis communistes..

 

4 mai 1953:

Le M.T.L.D. ayant montré sa representativité à Alger, le nouveau maire Jacques Chevallier invite ses representants à siéger au conseil municipal, Kiouane accepte, il rejoint ainsi les representants de l'UDMA de Ferrat Abbas.

 

14 juillet 1953:

A l'occasion des grandes grèves révolutionnaires organisées par la C.G.T. et le parti communiste, des heurts très violents ont lieu entre les grévistes et les forces de l'ordre, à Paris, on relève une dizaine de morts, tous musulmans d'algérie, en général militants du MTLD de Messali (futur MNA), chair à canon, qui defilent pour réclamer la libération de Messali. L'immigration algérienne en france montre son opposition à la politique de participation du MTLD en algérie.

C'est un bon pretexte pour recréer une force de police spécialisée dans les nords africains, la Brigade des Aggresions et des Violences.

 

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