Les tensions entre l'état-major de l'OAS Alger et le FN (Front Nationaliste), déjà vives depuis l'été 1961, se sont accrues au tournant de 1961-1962 à cause de contacts noués entre d'un côté Matignon et de l'autre Michel Leroy, son adjoint René Villard (responsable civil de France-Résurrection) et Jean Sarradet, étudiant des commandos Z. Il était question, dans le prolongement de propositions formulées notamment par Alain Peyrefitte, d'une éventuelle partition de l'Algérie. En fait, selon Jean Morin, "courant janvier 1962 [son] ami et collaborateur Petitbon a été "approché"" par les trois hommes. Ils lui ont fait "une proposition surprenante": création d'une "zone appelée à devenir une République contrôlée par les Européens". La contrepartie était, selon Morin, claire et nette: "Ils s'engageaient ni plus ni moins à nous livrer tout l'état-major de l'OAS au grand complet." Les réactions du pouvoir ont été négatives: si Petitbon a été "séduit", Morin se décrit comme "réservé", position partagée par Joxe. Quant au général De gaulle, "à qui ce scénario digne d'une fiction de série B avait naturellement été soumis", il "refusa d'un haussement d'épaules" (livre de Morin, De gaulle et l'algérie). Pour l'état-major de l'OAS et d'abord pour Salan, qui a toujours fait de l'unité de l'Algérie un dogme, une proposition de partition est tout simplement inconcevable. Une enquête est donc menée à l'intérieur de l'organisation sur les contacts noués entre les dirigeants du FN et les milieux gouvernementaux (Michel Leroy aurait rencontré Constantin Melnik, du cabinet de Debré, au Palais d'été) jugés par principe inacceptables et de toute façon hors des compétences de Michel Leroy. Son avenir à l'intérieur de l'organisation est donc ouvertement posé au début de 1962. Jean Ferrandi résume ainsi (3 janvier 1962) l'état d'esprit général de l'état-major: "L'affaire du "Front nationaliste" n'a cessé de revenir périodiquement sur le tapis" et " tend maintenant à prendre des proportions singulièrement inquiétantes", ce qui l'amène à conclure: "Il est temps, en vérité, de prendre une décision."
Un message du capitaine Le Pivain (commandant du secteur de Maison-Carrée) du 9 janvier 1962 adressé notamment à Jean Gardes, supérieur de Michel Leroy, a mis en avant l'existence de ces contacts. Gardes réagit vivement en adressant un courrier de mise au point à Salan pour s'exonérer de toute responsabilité et les désapprouver: "En ce qui me concerne, je n'ai pas eu depuis fin avril, ni du reste antérieurement, le moindre contact avec quelque personne que ce soit touchant les milieux politiques gouvernementaux, de près ou de loin." Il indique par conséquent à Salan qu'il serait "heureux de connaître s'il y a quelque chose d'exact dans les contacts pris avec des gens téléguidés par le cabinet Debré (ou toute autre autorité du régime) par des membres de l'état-major de l'OAS ". Et Gardes d'affirmer: "Il est possible que des personnages plus ou moins qualifiés et sérieux, se prévalant abusivement de cette étiquette, aient pris de tels contacts" (il "songe en particulier" au "CR de W. 270 [Le Pivain) du 9 janvier, relatif aux dirigeants du FN "). Le même jour (11 janvier), un nouveau message de Gardes met en cause le FN et propose des solutions. Gardes se plaint de n'avoir "reçu aucun compte rendu précis, réclamé explicitement à tous les responsables intéressés, depuis les décisions prises concernant l'intégration totale du FN à l'OAS, les commandos Z aux autres VOP et l'élimination des éléments FN qui auraient refusé de se soumettre à ces décisions". En réunion, Le Pivain aurait donné "l'assurance verbale que le problème était résolu ou en voie de résolution", ce qui n'est pas le cas. Selon le message, l'affaire des contacts, qualifiée d'"énorme", s'ajoute à un passif déjà jugé bien lourd. Gardes souligne que Le Pivain "s'est assez plaint lui-même de leurs grenouillages, de leurs collectes abusives, de leurs initiatives regrettables dans le domaine de la propagande (diffusion de publications origine Sidos, etc.)" et reprend surtout ses propres griefs: "Je rappelle pour mémoire qu'ils ne nous ont causé que des ennuis par leurs imprudences, parfois insensées sur le plan policier, et que la réputation fascisante dont nous sommes l'objet (...) est en grande partie due à leur activité. "Au nom de "l'UNITÉ", le FN, militants comme dirigeants, doit être soumis à un choix clair: "ralliement total, sans réserve et de bonne foi, ou élimination de l'OAS". L'autonomie du FN appartient au passé. Il reste cependant à statuer sur le cas du "nommé Lisette" [Michel
Leroy]. Gardes, qui demande à Salan "sa décision sur ce point précis", pense pour sa part que "son expulsion d'Algérie s'impose".
Face aux messages de Gardes, Le Pivain fait dès le lendemain une mise au point car il a "l'impression de [s']être mal fait comprendre au sujet du FN". Il confirme d'abord "que l'intégration des éléments du FN au sein des commandos (...) s'est poursuivie (...) sans rencontrer, jusqu'ici, de difficulté majeure". Le problème selon Le Pivain "vient de ses chefs et notamment de Lisette" dont il ne partage ni les "prétentions" ni les "projets". En conséquence, il considère que "le problème doit être traité de façon radicale et définitive en ce qui concerne Lisette par l'échelon supérieur" (la liquidation physique de Michel Leroy est ouvertement suggérée) et lui demande donc de transmettre ce courrier à Salan. C'est chose faite par Gardes et dès le 13 Ferrandi se voit chargé par le "Mandarin" de préparer "des instructions fermes" (l'instruction n° 20 qui condamne les activités du FN). Le texte de Salan est sans appel puisqu'il considère que la démarche des dirigeants du FN (nommément cités) "relève de la plus haute trahison", "trahison à l'égard de nous-mêmes puisque nous avons toujours posé comme principe de base la défense de l'intégrité du territoire" et "à l'égard de la population d'Algérie (...) où il ne peut être question de partition", cette "idée" impliquant "celle de scission entre les communautés" et "de là à la ségrégation il n'y a qu'un pas".
Dans cette perspective, Salan propose "deux solutions: se soumettre, ou se démettre". Et le général d'ajouter: "Je prendrai les mesures spectaculaires qui s'imposent." Cinq jours plus tard, une réunion du "soviet des capitaines" (Le Pivain, Branca, Achard, Montagnon, Picot d'Assignies), en accord avec Degueldre, décide la liquidation de Michel Leroy et de René Villard. Salan en est directement informé par Susini. Le 19 janvier, c'est Philippe Le Pivain, en personne, qui élimine Michel Leroy. Le corps de René Villlard est retrouvé le 20 dans les dunes de Fort-de-l'Eau. Deux semaines plus tard, le 7 février, à 18 heures, l'ancien capitaine du 1er REP est abattu d'une balle de MAS 36 par les gendarmes mobiles alors qu'il tentait de fuir après avoir été intercepté lors d'un contrôle militaire à un barrage situé rue Jacques-Grégori. Tandis que le lieu où il est tombé est constamment fleuri par la population, ses funérailles trois jours plus tard sont suivies par des dizaines de milliers d'Algérois devant lesquels marche l'amiral Le Pivain, père du défunt.
L'affaire Leroy-Villard secoue les milieux de l'ultra droite, en Algérie et en métropole, et n'a d'ailleurs depuis cessé de donner prise à une polémique. Les amis de Jeune Nation de Michel Leroy ont vivement dénoncé cette exécution et mis en cause Jean-Jacques Susini, nationaliste estampillé de l'état-major. Dès l'époque, cependant, des milieux droitiers autres que Jeune Nation ont durement dénoncé l'exécution de Leroy et de Villard y voyant, à l'instar de Gilles Mermoz, une "purge d'une rigueur toute stalinienne" ayant affecté de "purs idéalistes" réputés avoir au surplus proposé aux "militants de l'OAS " un "objectif réaliste, douloureux, mais accordé à leurs possibilités". Des années plus tard, la polémique n'est pas retombée. Dominique Venner, très lié à Leroy qu'il connaissait depuis 1954 (demi-brigade de chasseurs, 4e BCP, militantisme à Jeune Nation), est revenu sur ce qu'il appelle une "purge fratricide" pour souligner que "si l'OAS avait à sa tête des hommes capables, par aveuglement, jalousie ou divergences politiques, de faire abattre leurs meilleurs camarades de combat, l'organisation était condarnnée". Pierre Sidos est encore plus précis dans ses accusations et met en cause Jean-Jacques Susini, qualifié de "faux combattant", auquel il impute "la dérive de l'OAS et son échec" ainsi que "l'assassinat de [s]on ami Michel Leroy". Sur un autre plan, Jacques Villard n'a cessé de défendre la mémoire de son père en animant, après son grand-père, Arsène, une association, la Société des amis de René Villard, lancée dès 1962 et qui a eu comme premiers présidents de son comité d'honneur le marquis de Brousse de Montpeyroux, fondateur de France Résurrection puis le comte de Charbonnières. La Société des Amis de René Villard exprime par le biais de son bulletin une interprétation catégorique des raisons de sa mort: "Il a été trahi et abattu sur ordre de Jean Jacques Susini, personnage dévoré entièrement par l'ambition et des intérêts particuliers sans bornes." Quant à une éventuelle responsabilité de Salan, elle serait à balayer puisque le général a écrit par la suite à Jacques Villard le 3 mai 1973 une courte lettre (reproduite au milieu d'autres témoignages élogieux sur René Villard) dans laquelle il tient à "confirmer que René Villard a servi avec courage et fidélité la cause de l'Algérie française". Et le "Mandarin" d'ajouter: "Je ne l'ai jamais considéré comme un traître. Personnellement, je m'étais opposé à son exécution. Elle a été faite contrairement à mes ordres. J'estime que c'est une erreur tragique."
Cette interprétation est aux antipodes de celle défendue par les responsables de l'état-major de l'organisation pendant et après les événements. Le général Gardy, ayant sous les yeux un tract émanant de "OAS Métropole EM Action", qu'il attribue à "des groupes dissidents extrémistes de Paris, peut-être des frères Sidos", dont il juge "le comportement des plus suspects", réclame à Salan une "mise au point" sous la forme d'un tract que rédigerait Susini. Pour Gardy, elle doit "faire ressortir que Leroy et Villard s'étaient rendus coupables d'une véritable trahison par leur collusion prouvée avec les agents de Matignon, qu'ils travaillaient contre la cause de l'Algérie française en vue d'une solution raciste du partage du pays, d'ailleurs illusoire. Qu'ils étaient directement responsables d'incidents provoqués pour creuser un fossé entre Européens et musulmans. Qu'ils se sont montrés constamment rebelles à tous avertissements pour les détourner de leurs erreurs, devenues finalement criminelles". De son côté, commentant l'exécution de Leroy et de Villard, Ferrandi écrit dans son Journal à la date du 21 janvier: "Le combat clandestin a ses lois, et qui sont plus brutales que celles de la guerre que nous avions appris à faire." Quant à Pérez, revenant trois décennies plus tard sur l'affaire, tout en considérant que ces hommes étaient "des hommes propres" et non des "traîtres ", il refuse le terme de "purge": "Il n'y eut que deux morts." Il souligne ce qui est à ses yeux le triple "tort" des deux militants: "Désobéir à un moment très difficile pour l'organisation; d'avoir été assez naïfs pour se laisser séduire par des hommes politiques qui n'étaient là que pour les manipuler; de vouloir imposer leur point de vue par la force c'est-à-dire en nous tuant." Et Pérez de mentionner un propos de Leroy: "J'ai beaucoup d'estime pour toi, mais si tu ne nous suis pas, tu trinqueras comme les autres." "Il avait oublié à qui il parlait", conclut Pérez.
Au coeur de l'OAS, Olivier Dard; ISBN 978-2-262-03499-3
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