armement du F.L.N.

 

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L'armement acquis par l'A.L.N. pendant les deux premières années de guerre (1955 1956) était provenu de différentes sources: armes cédées aux premiers maquis algériens par les forces précédemment insurgées dans les deux pays voisins - fellaghas tunisiens et armée de libération marocaine -; armes perdues en Algérie par les forces françaises encore mal adaptées, que ce fût en combat ou par désertion; enfin les armes expédiées de l'étranger par les soins de la délégation extérieure du F.L.N.

La source tunisienne et marocaine qui fournit à l'A.L.N. sa dotation initiale fut aussi la première à se tarir, avec l'accession des deux nations à la souveraineté. La source française permis à l'A.L.N. d'équilibrer ses propres pertes pendant les deux premières années, soit 644 armes prises par elle contre 688 perdues en 1955, 3 326 contre 3 349 en 1956. A partir de juin 1956 la balance s'établit définitivement en faveur de la France et en 1957, les troupes françaises étant aguerries, une disproportion considérable s'instaure entre les prises et les pertes au détriment de l'A.L.N.: pour la seule année 1957, celle-ci laisse entre les mains françaises 6792 armes de guerre tandis que les forces de l'ordre en perdent 1 687; soit un déficit (compte non tenu des apports de l'extérieur) de plus de 5 000 armes. C'est là un premier signe du renversement qui s'amorce. (Toutes ces statistiques portent de part et d'autre sur les seules armes de guerre, à l'exclusion des pistolets et fusils de chasse, lesquels ont constitué tout au long du conflit l'armement le plus nombreux sinon le plus efficace de la rébellion intérieure.)

La nécessité de compenser ce déséquilibre, le souci de pallier par la force des armes aux défaillances de l'encadrement politico-administratif du peuple, et bientôt la crainte d'être coupés des apports extérieurs par la construction de barrages aux frontières: tels sont les impératifs immédiats qui ont dicté aux responsables, tant de l'intérieur que de l'extérieur, l'intense effort d'importation d'armement qui a marqué la période 1957-1958 et qui s'était déjà largement amorcé en 1956.

Premier stade de ce trafic, l'acquisition d'armes à l'étranger a été organisée d'abord par Ben Bella au Caire en 1955-1956, puis par Ouamrane mandaté exprès par le C.C.E., à partir de janvier 1957 à Tunis. Les premiers pays fournisseurs ont été ceux du Moyen-Orient et particulièrement l'Egypte. Par milliers, et bientôt par dizaines de milliers, les réserves d'armes abandonnées par les belligérants de la dernière guerre mondiale - fusils allemands et italiens surtout, puis anglais furent mis à la disposition du F.L.N. par le gouvernement du Caire.

Cependant la qualité inégale de ces armes de récupération, le marchandage politique dont elles faisaient l'objet de la part des Egyptiens, incitèrent assez tôt les responsables de la logistique rebelle à élargir le réseau de leurs sources d'approvisionnement. Ils en trouvèrent de nouvelles en la personne des trafiquants d'armes professionnels en Europe occidentale ainsi qu'auprès des gouvernements communistes en Europe centrale. Il en résulta, soit dit en passant, un problème supplémentaire: celui du financement des achats; on trouvera ICI (finances) une analyse des finances du F.L.N.

Second stade du trafic, il fallait transporter le matériel acquis jusqu'en Afrique du Nord. La voie maritime était la plus tentante, qui théoriquement permettait de livrer en une fois des cargaisons correspondant à l'équipement de plusieurs milliers d'hommes. Cependant un débarquement clandestin directement sur le littoral algérien eut requis une organisation et une coordination fort complexes; compte tenu des difficultés naturelles et de la surveillance côtière exercée par la Marine Nationale, il était impraticable. En revanche le Maroc et la Tunisie, quoiqu'encore partiellement occupés par les troupes françaises, étaient indépendants l'un et l'autre depuis mars 1956. C'est à destination des ports marocains que l'opération fut d'abord entreprise.

Encore fallait-il que le chargement fut effectué dans des conditions de secret suffisantes pour échapper à la détection des services de renseignement français, afin que le navire marchand eût une chance raisonnable de traverser sans encombre le réseau de patrouilles maritimes françaises, à l'approche de la côte méditerranéenne ou atlantique. Les saisies opérées par la Marine montrent l'ordre de grandeur du trafic organisé par le F.L.N.: à bord de "l'Athos II" arraisonné le 16 octobre 1956, 3 000 armes embarquées à Alexandrie; à bord du "Slovenija" arraisonné le 19 janvier 1958, 6 800 armes et 2 millions de coups, fournis par le gouvernement tchèque et embarqués dans un port yougoslave; le tout nommément adressé au F.L.N. Mais faute à la Marine de pouvoir contrôler tous les cargos à destination de l'Afrique du Nord, ce qui eut multiplié les complications internationales, de petits envois et même quelques chargements importants arrivèrent à bon port, dans une proportion approchant peut être la moitié du trafic maritime total du Front.

Le matériel une fois parvenu au Maroc, le F.L.N. n'en eût pas toujours pour autant l'entière disposition. Bien que sa complicité fût par principe acquise au Front algérien, l'Etat indépendant du Maroc - comme dans un autre style, la Tunisie - écoutait naturellement ses propres intérêts d'abord. Il lui convenait de faire sentir à ses protégés algériens qu'il était seul maître chez lui; la prudence lui dictait une coopération assez discrète et progressive pour éviter toute mesure de rétorsion de la part de la France; enfin il ne lui répugnait pas de tirer profit pour lui-même de l'assistance accordée.

Les autorités chérifiennes, qui encourageaient publiquement la révolte algérienne, admirent donc sans peine l'arrivage secret des cargaisons d'armes dans leurs ports; mais elles en prirent habituellement livraison elles-mêmes, quitte à les restituer ultérieurement au F.L.N., en tout ou (plus souvent) en partie seulement, et en une fois ou par tranches successives suivant l'opportunité. Ainsi du chargement du cargo yougoslave "Srbrija" - 7 tonnes d'armes et 70 tonnes de munitions - expédié de Yougoslavie, faussement manifesté à destination de l'Arabie Saoudite et débarqué à Casablanca le 7 août 1957 pour le compte du F.L.N.: saisi à l'arrivée par ordre du gouvernement marocain (après intervention de l'ambassade de France) cet armement fut livré en partie à l'A.L.N. quelques mois plus tard - non sans un marchandage probable - tandis qu'une autre partie bénéficiait à "l'Armée de Libération marocaine".

L'armement finalement réceptionné par l'A.L.N. au Maroc se concentrait dans les camps groupés autour de trois centres: Nador en zone ex-espagnole - hors de portée de toute inquisition de la part des Français -, Oujda, chef-lieu de la province Orientale et Bou-Arfa-Figuig dans le Sud-Est.

 

Du côté tunisien, il en alla autrement. Le gouvernement Bourguiba, par prudence et par souci de garder une façade de neutralité, s'est opposé constamment à la livraison de cargaisons d'armes - sinon d'équipements - par voie maritime dans les ports tunisiens. Au reste la voie terrestre, possible à l'Est, offrait au F.L.N. l'avantage d'échapper à une surveillance française. C'est pourquoi la quasi-totalité du trafic de ce côté s'est opéré, tout au long du conflit, suivant l'axe routier qui mène d'Egypte en Tunisie par la côte libyenne: Le Caire - Alexandrie - Benghazi - Tripoli - Gabès-Tunis; la complicité de l'Etat libyen n'était pas moins acquise au F.L.N. que celle des autres Etats arabes. Dans ces conditions, les débarquements d'armes provenant d'Europe et destinées à l'A.L.N. de l'Est-algérien se sont effectués à Alexandrie et Tripoli, et dans une mesure moindre à Benghazi. Le trafic terrestre n'eut ainsi à souffrir d'aucune interception française, et tout au plus d'interruptions momentanées lorsque l'un ou l'autre des trois gouvernements intéressés trouva un avantage politique à exercer une pression sur le F.L.N. en bloquant les stocks d'armes (cas de l'Egypte) ou en fermant sa frontière aux convois pendant quelques semaines, exceptionnellement deux ou trois mois ( cas de la Libye et de la Tunisie).

Parvenus en Tunisie, les camions d'armement montaient par la route côtière jusqu'à la capitale où leur contenu était soumis au contrôle des autorités tunisiennes avant d'être acheminé, sous la surveillance ou par les soins de la Garde Nationale tunisienne, jusqu'à la zone frontalière où l'A.L.N. en prenait la libre disposition et le répartissait dans ses bases, au voisinage de Ghardimaou, Sakiet-sidi-YouSiSef, Tadjerouine, Thala.

 

En définitive l'organisation rebelle parvient en 1957 à mettre en place aux deux frontières de l'Algérie, sans difficultés insurmontables, l'armement et l'équipement nécessaires à l'A.L.N., avec cette différence qu'au Maroc c'est à un rythme à peine suffisant tandis qu'en Tunisie c'est en quantité surabondante. Le problème majeur dès lors est d'introduire cet armement à l'intérieur de l'Algérie afin de l'amener à pied d'œuvre: c'est-à-dire de traverser l'une ou l'autre des franges frontalières malgré les obstacles qui du côté français s'y multiplient, puis d'atteindre les unités de l'A.L.N. éparses dans les Wilayas tout en échappant à une interception des forces de l'ordre.

 

Le F.L.N. en Tunisie et au Maroc

Courant 1957, le commandement fut pour la première fois doté d'un système de transmissions-radio. Les services de la délégation extérieure du F.L.N., subordonnés au C.E.E., s'étaient préoccupés de faire instruire un certain nombre de manipulateurs-chiffreurs; les services logistiques avaient d'autre part acquis en Allemagne occidentale un équipement moderne, composé principalement d'émetteurs-récepteurs A.N.G.R.C. 9 à longue portée. Mis en place progressivement, ces moyens permirent une unification du commandement, tout au moins théorique. C'est ainsi que furent créés à l'extérieur deux "Etats-Majors" de coordination: l'E.M.-Est à Ghardimaou en Tunisie, en communication radio avec les Wilayas 1, 2, 3 ainsi qu'avec les bases frontalières de l'A.L.N. en Tunisie; l'E.M.-Ouest à Oujda au Maroc, en communication avec les Wilayas 4, 5, 6 et les bases de l'A.L.N. au Maroc. Une quinzaine de postes en tout ayant pu être introduits en Algérie, il n'y eut guère que la Wilaya 5 à être équipée en émetteurs récepteurs jusqu'à l'échelon Mintaqa - immédiatement subordonné -, les autres l'étant à l'échelon du chef de Wilaya.

Ces réseaux radio militaires étaient conçus pour remplir essentiellement un rôle opérationnel. En fait ils ne devaient rendre aucun service sur ce plan. A l'extérieur, l'usage que fit d'eux l'A.L.N. entre ses "états-majors" et ses bases tunisiennes et marocaines fut d'ordre logistique et administratif. Entre extérieur et intérieur les moyens radio assurèrent pour un temps un échange d'informations et de points de vue, effectivement utiles à la compréhension réciproque du C.C.E. et des chefs de Wilayas. En revanche l'écoute des émissions suivie de leur décryptage, contribua aussitôt à renseigner l'autorité française sur l'état d'esprit des chefs rebelles et sur les difficultés de l'A.L.N., ainsi que sur les directives du C.C.E. En outre la localisation par radiogoniométrie des émetteurs situés en Algérie devait conduire les forces de l'ordre à la capture par surprise de plusieurs P.C. rebelles, et bientôt à l'élimination définitive de tout réseau radio à l'intérieur.

Poursuivant à l'extérieur le plan de modernisation de l'A.L.N., le commandement rebelle sélectionna, fin 1957 et début 1958, une centaine de cadres qu'il fit admettre en stage dans les écoles militaires du Moyen-Orient arabe - la plupart en Egypte et en Syrie - pour y recevoir une instruction spécialisée respectivement dans les différentes armes: infanterie, transmissions, artillerie, arme blindée, aviation (pilotage, mécanique et navigation). Mais à aucun moment l'A.L.N. ne devait tenter d'utiliser des avions ni des chars jusqu'à la fin du conflit; les canons eux-mêmes ne devaient faire leur apparition aux frontières qu'à la veille du dénouement final.

La plus importante des mesures prises en exécution du projet de redressement, et la seule en définitive à avoir entraîné des conséquences sérieuses, fut celle qui affecta les hommes. En vue de procurer à la troupe et aux cadres une instruction rationnelle hors du champ de bataille et de ses aléas, quelque vingt mille jeunes recrues - des adolescents pour une bonne part - furent levées de gré ou de force dans toutes les Wilayas, formées en convois sous escorte armée et dirigées ainsi vers l'extérieur. Ceux qui parvinrent à destination, après des semaines d'une difficile progression à travers forêts et djebels, furent répartis dans des camps établis par l'A.L.N. en Tunisie et au Maroc, à proximité des frontières. Ils y furent soumis non seulement à un entraînement militaire mais à une formation civique révolutionnaire dispensée par des commissaires politiques. Les auteurs à mettre en place en premier dans la documentation des responsables de cette formation étaient, dans les camps du Maroc tout au moins, Marx, Engels et Staline.

C'est dire que les promoteurs de ce plan d'instruction voulaient faire plus que donner au Front un outil militaire capable d'affronter par les armes l'adversaire français. Leur dessein était de passer une part choisie de la jeune génération au creuset d'une idéologie éprouvée, afin d'éliminer en elle tout particularisme local et tout esprit de parti, puis de faire d'elle une armée nationale militante, qui serait l'instrument privilégié de la Révolution au sein du peuple algérien. Cette troupe endoctrinée, une fois réintroduite en Algérie et mise au contact de la population, était destinée dans l'immédiat à y revigorer les esprits afin de redresser une situation intérieure présentement menacée.

En fait, ce n'est qu'après l'indépendance que l'A.L.N. devait jouer son rôle proprement politique.

Sur le plan militaire d'autre part, ce transfert humain de l'Algérie vers l'extérieur et retour se proposait de procurer non seulement des combattants instruits mais des armes aux Wilayas de l'intérieur. En effet aucune réforme de structure ou de mentalité, aucun perfectionnement technique ne pouvaient avoir un sens que si l'A.L.N. était d'abord dotée d'un armement suffisant pour faire d'elle un instrument de force. Un problème primait donc tous les autres: celui d'introduire en Algérie les armes et les munitions qui maintenant s'accumulaient aux frontières, principalement à la frontière tunisienne. C'est à cet égard surtout que l'année 1957-1958 fut celle du plus grand effort.

Il apparut au C.E.E. que pour faire franchir les frontières à ce matériel dont les Wilayas avaient le plus urgent besoin, les méthodes artisanales ne suffisaient plus. Longtemps on s'était reposé de ce soin sur de petits groupes de volontaires résolus qui se surchargeaient d'armes et de munitions pour rejoindre vaille que vaille leurs unités d'origine; ou bien on avait recouru à de petits convois muletiers. Mais désormais, les forces de l'ordre multipliaient les obstacles; gymnastiquées, elles guettaient leur proie comme des chiens de garde au passage de la frontière; les barrages, dont l'édification avançait rapidement, leur facilitaient le repérage des franchissements et leur procuraient le délai nécessaire aux interceptions.

Dans ces conditions, les volontaires se faisaient rares, les mulets devenaient vulnérables, trop de passages se terminaient par un échec. Devant le péril montant d'un lock-out effectif, il fallait faire vite et massivement. On procéderait donc par larges quantités, en tenant compte également d'un pourcentage de pertes accru, inévitable à la traversée de la zone dangereuse. En revanche, on rechercherait la légèreté, la rapidité, l'astuce afin de passer au mieux entre les mailles du réseau en déjouant les pièges de l'adversaire.

Il fut donc admis que le matériel serait pris en charge par les recrues instruites à raison de 2 ou 3 fusils ou 3 ou 4 pistolets-mitrailleurs, ou encore une arme collective ou encore le poids correspondant de munitions, pour un homme. Les jeunes soldats devenus porteurs risquant, en dépit de leur endoctrinement, de renâcler devant le danger, seraient formés en convois de plusieurs dizaines d'hommes, de quelques centaines occasionnellement, et ces convois seraient étroitement encadrés par une unité de combattants aguerris ayant la double mission de pousser la troupe à travers les obstacles et en territoire algérien jusqu'à sa destination, et de la protéger en cas d'interception par les forces de l'ordre. Quant aux passeurs confirmés, ils seraient conservés précieusement à l'extérieur dans le rôle de guides des convois jusqu'à l'obstacle principal.

Ce plan fut mis en œuvre progressivement au cours de l'année 1957-1958, en même temps que s'édifiaient ou s'achevaient du côté français les "barrages" frontaliers faits de réseaux barbelés, électrifiés et minés. La construction du barrage Est face à la Tunisie était entreprise au mois de juin 1957; longeant la route Bône-Morris-Souk-Ahras-Tebessa, à une distance de 20 à 30 km de la frontière, son réseau barrait à l'automne le gros des chaînes montagneuses servant de passage aux convois, face aux principales bases tunisiennes de l'A.L.N.; par la suite, perfectionné et renforcé, prolongé vers le Sud jusqu'à Bir-el-Ater et Négrine, il couvrait au printemps 1958 300 kms sans interruption de la mer au désert; à ce moment il joua son rôle à plein. Quant au barrage Ouest, son tronçon Nord barrant l'Atlas tellien face à Oujda fut perfectionné lui aussi tandis qu'un tronçon sud était construit face à Figuig pour barrer l'Atlas saharien à travers la chaîne des Ksour. (L'intervalle dénudé des Hauts Plateaux, impropre aux passages, restait encore ouvert au printemps 1958 ainsi que la couverture de Colomb-Béchar: l'un et l'autre devaient être garnis un peu plus tard.)

Dans ces conditions, la lutte fut très dure. C'est en moyenne plus de mille armes par mois que l'A.L.N. passa aux frontières et tenta d'introduire à travers les barrages pendant l'année considérée. La méthode retenue conduisit l'Armée de Libération à des hécatombes, mais son souci n'était pas d'économiser la vie des jeunes moudjahidine, ni même de lésiner sur l'armement assez abondant désormais à l'extérieur, tout au moins du côté tunisien.

C'est ainsi que se joua sur le barrage Est ce qu'on a justement appelé la "bataille des frontières". Prolongée pendant près d'un an, avec des moments de rémission et des rebondissements, affectée par les innovations techniques qui déroutaient pour un temps les candidats au franchissement et par les intempéries qui, en hiver, neutralisaient les circuits électriques et ravinaient les champs de mines, assortie par l'A.L.N. de multiples attaques de diversion en coups d'épingle à travers la frontière, la bataille du barrage connut son paroxysme en février, mars, avril 1958. Au cours de ces trois mois l'A.L.N. perdit entre les mains des forces de l'ordre, sur l'ensemble du territoire algérien, 3 877 armes de guerre; plus de 50% de celles-ci furent interceptées sur le barrage Est et dans son voisinage immédiat dans des combats suites meurtriers. Les furieux combats des 27, 28 et 29 avril, dans le secteur de Souk-Ahras, emportèrent la décision: trop éprouvée, l'A.L.N. renonça à poursuivre son offensive de franchissement. Dans les mois suivants une situation analogue devait s'établir à la frontière marocaine. Dès lors la rébellion se trouva coupée de l'extérieur et comme encagée en Algérie.

Du même coup apparaissait à l'extérieur un phénomène nouveau: plusieurs milliers de recrues primitivement destinées à retourner dans leurs Wilayas d'origine se trouvaient bloquées en Tunisie et au Maroc, retenues par les barrages, mais à l'abri des frontières que la France respectait. Elles allaient par force se constituer sur place en unités nouvelles. Une A.L.N. extérieure était née, forte virtuellement de 8 à la 000 hommes.

Un tel effort n'avait pas été sans profit pour les Wilayas d'Algérie. En un an, malgré les pertes subies, le potentiel intérieur de l'A.L.N. s'était accru de quelque 6 000 armes de guerre (accroissement net).

 

Au 1er mai 1958, le potentiel d'ensemble de la rébellion armée s'établit approximativement comme suit, compte non tenu de l'O.P.A. et distinction étant faite entre trois catégories d'effectifs: les "moudjahidine" c'est-à-dire soldats, les uns en petit nombre "détachés" dans des fonctions civiles, la majorité combattants en unités régulières de l'A.L.N.; les "moussebiline" c'est-à-dire auxiliaires ou supplétifs; enfin les recrues (futurs moudjahidine) dans les camps de l'extérieur:

- à l'intérieur, 20 000 moudjahidine disposant de 20 000 armes de guerre dont 850 collectives (fusils-mitrailleurs, mitrailleuses, mortiers, lance-roquettes); de 20 à 30 000 moussebiline munis d'armes de complément (fusils de chasse et pistolets);

- en Tunisie, 1 500 moudjahidine et de 5 à 6 000 recrues à l'instruction, les uns et les autres dotés d'armes de guerre;

- au Maroc, 500 moudjahidine et de 500 à 1 000 recrues à l'instruction, disposant en tout d'un armement de guerre encore inférieur à ces effectifs.

Encore faut-il pour préciser cette physionomie d'ensemble, noter le déséquilibre dans la répartition géographique de l'A.L.N. à l'intérieur de l'Algérie, où les deux tiers des effectifs se situent à l'Est du méridien d'Alger. Les Wilayas 1, 2, 3, - les premières venues à la rébellion -, comptent à elles seules 12500 combattants réguliers. L'Oranie, affectée la dernière, reste la moins solidement garnie et la plus réfractaire au F.L.N.; elle le sera jusqu'au bout.

 

 

"Autopsie de la guerre d'algérie" de Philippe Tripier, éditions France-empire, 1972.