L'"organisation exterieure" du F.L.N.

 

 

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Les services "extérieurs" du G.P.R.A. sont organisés en hiérarchies, dont chacune relève d'un ministre, sauf l'A.L.N.

Par une aberration singulière dont ils auront à se repentir, les dirigeants politiques ont cru se garantir les uns des autres en subordonnant la force armée non à l'un mais à trois d'entre eux collégialement. Il s'agit, on s'en souvient, de Krim, Boussouf et Bentobal, théoriquement groupés en un "Comité Interministériel de Guerre" imaginé et créé par le C.N.R.A. à Tripoli.

C'était faire la part belle au militaire désigné par cette même assemblée pour diriger "l'Etat-major Général", également institué par le congrès de Tripoli: subordonné en principe au Comité Interministériel de Guerre, le "colonel" Boumediene était devenu en fait le chef unique de l'A.L.N. extérieure.

A 35 ans, le "colonel" Boumediene est sans doute la figure la plus originale de toute la rébellion. Il fut maquisard en Oranie et chef de la Wilaya 5; tout son passé de rebelle est militaire. Mais ce grand homme osseux, au teint clair, presque blond, au regard intérieur et brûlant, qui fut au printemps 1959, à la tête d'un tribunal improvisé par le G.P.R.A. en Tunisie, le justicier impitoyable du "complot des colonels", tranche sur ses compagnons par toute sa personne: par son physique; par sa formation universitaire arabe reçue à Tunis et au Caire; par l'ambivalence qui unit en lui la foi musulmane avec une froide passion pour la violence marxiste. Sa marque est l'ambition déterminée qu'il a de faire de l'Algérie paysanne, une fois indépendante, le champ d'une révolution intégrale. Doctrinaire d'une armée qu'il veut militante parce qu'il entend faire d'elle pour l'avenir un ferment politique dans la masse, il a transformé en quelques mois son quartier-général tunisien de Ghardimaou en un séminaire où l'on étudie Mao-Tse-Toung, et bientôt Fidel Castro et Che Guevara. Les journalistes qui le visiteront un peu plus tard se diront unaniment frappés par le "pilonnage psychologique" de style cubain et par "l'intensité du climat révolutionnaire" qui règnent autour de lui.

Complétée et réorganisée en six mois par le nouveau "chef d'état-major", l'A.L.N. extérieure en voie de modernisation aligne à la date du 1er juillet 1960 14 bataillons en Tunisie, 5 bataillons et 11 compagnies légères au Maroc, auxquels s'ajoutent dans les deux pays plusieurs milliers de recrues également armées. Néanmoins irrémédiablement inefficace sur le plan opérationnel, cette armée n'est entretenue à grands frais que parce qu'elle constitue, avec ses 20 000 hommes à la disposition immédiate du G.P.R.A., un atout virtuel sur le plan politique.

D'une part, en effet, dans la mesure où la France veut bien s'adresser au G.P.R.A. pour la recherche d'une solution, une telle force armée prend, selon le mot cru du ministre Yazid, la valeur d'une "puissance de marchandage".

D'autre part, dans la perspective plus incertaine d'un succès final, elle serait par son nombre, d'ailleurs susceptible d'être doublé grâce aux réserves d'armement accumulées en Tunisie, l'instrument privilégié de la prise du pouvoir. Au fur et à mesure que se dessinera cette échéance en effet, l'A.L.N. extérieure contribuera par sa seule existence à alimenter au sein des Wilayas un respect grandissant pour le G.P.R.A. et sa puissance.

 

Les structures extérieures autres que les forces armées dont néanmoins certaines ne sont pas "civiles" à proprement parler - sont à examiner respectivement dans le cadre du "ministère" dont chacune relève. A partir de l'été 1960 elles apparaissent mieux hiérarchisées. Leurs attributions plus nettement délimitées se caractérisent par une dominante technique pour les unes, et plus politique pour les autres.

Leur effectif (A.L.N. exclue donc) totalise à cette époque, en plus des petits exécutants de la base, près de mille cadres responsables et techniciens relativement qualifiés. Sur ce nombre environ 300 relèvent de Boussouf, 200 de Krim, 200 de Bentobal, le reste des autres ministres. L'implantation de ces organismes dans le monde est en voie d'extension. Leur existence est clandestine ou déclarée, suivant les conditions qui sont faites au F.L.N. dans les pays où ils se trouvent.

 

Ministère essentiellement technique et partiellement militarisé, celui de "l'Armement et des Liaisons Générales", - le M.A.L.G. - n'est pas appelé par nature à un rôle politique. C'est grâce à son personnel spécialisé, nombreux et ramifié, étroitement hiérarchisé et soumis à Boussouf, que celui-ci tient ses collègues du G.P.R.A. dans une certaine dépendance technique et partant politique: le fonctionnement d'ensemble de l'appareil extérieur du Front relève dans une large mesure de lui. Ce département, le M.A.L.G., est l'un des plus secrets.

Il est également le plus étoffé avec ses quelque 300 agents et techniciens. Aussi est-il démultiplié. D'une part il est dirigé à partir de trois sièges: l'un à Tripoli de Libye, l'autre à Rabat, le dernier à Tunis: autant de résidences pour le ministre lui-même. D'autre part le M.A.L.G. comprend trois branches bien distinctes: armement et ravitaillement, renseignement et contre-espionnage, transmissions.

La branche "Armement et Ravitaillement général" est responsable de l'approvisionnement en armes et en équipements militaires de toutes sortes, destinés à l'A.L.N. extérieure et à ses magasins de réserve. Cette branche comporte: une Direction logistique Ouest au Maroc, avec 5 dépôts logistiques, une petite usine de fabrication d'armement et une dizaine de bases près de la frontière algérienne; une Direction logistique Est à Tunis, avec 6 dépôts logistiques et plusieurs bases frontalières en Tunisie, 5 dépôts logistiques sur la côte libyenne, 2 en Egypte, et une antenne à Bagdad; et d'autre part des missions d'achat à l'étranger, dont l'une est permanente en Allemagne Fédérale.

Cette organisation est très active. A titre indicatif, elle a, en l'espace de six mois, mené des tractations dans plus de dix pays, pris livraison pour quelque 5 millions de NF d'émetteurs-récepteurs radio en provenance d'Allemagne Fédérale, négocié des marchés de mortiers en Yougoslavie, d'explosifs en Allemagne, d'armement ou autres fournitures en Tchécoslovaquie et en Finlande ainsi qu'au Maroc (pour 1 million NF), acheté au Maroc 1 000 fusils espagnols, obtenu gratuitement du gouvernement irakien 300 tonnes d'armes et d'équipements militaires, de l'Egypte 120 tonnes d'armes et de munitions, d'Arabie Saoudite des véhicules et des munitions, tandis que la Chine Populaire lui faisait parvenir des canons de 75 sans-recul, des produits pharmaceutiques, du matériel radio, des denrées alimentaires et de l'habillement.

L'importance du matériel accumulé ainsi, principalement en Tunisie et tout le long de la rocade libyenne en provenance du Moyen-Orient, dépasse de beaucoup les besoins de l'A.L.N. extérieure: elle est évidemment en rapport avec les perspectives d'indépendance.

La seconde branche du M.A.L.G., dite "Liaisons Générales et Renseignement", comporte, outre une hiérarchie de commandement propre au ministre et implantée de Rabat jusqu'au Caire, deux "services spéciaux" de création récente et qui ne sont guère développés encore qu'au Maroc et en Tunisie: l'un "Documentation et Recherches", est consacré à la recherche du renseignement, par des agents et par l'écoute radio; l'autre, "Vigilance et Contre-Renseignement", a pour mission d'assurer par le contre-espionnage la sécurité de l'appareil rebelle de l'extérieur.

La troisième branche du M.A.L.G. est celle des Transmissions, à laquelle Boussouf a consacré le plus clair de ses efforts depuis qu'il est ministre. Il s'agit pour l'essentiel de moyens radiophoniques, soit environ 400 émetteurs récepteurs à moyenne ou longue portée, la plupart du type "A.N.G.R.C..9", dont à peine 100 sont en service entre les mains d'un personnel trié et formé avec soin.

Il y a d'une part des réseaux-radio opérationnels, à la disposition de l'A.L.N. extérieure sur les bordures frontalières, assurant en outre une liaison, fort précaire, avec quelques uns seulement des 15 postes existant encore dans les Wilayas d'Algérie; ces derniers, trop facilement localisés par les forces de l'ordre aussitôt qu'ils émettent, constituent plus un danger qu'un atout entre les mains de leurs utilisateurs: aussi ne sont-ils pas utilisés la plupart du temps, et auront-ils à bref délai totalement disparu, sans avoir rendu de réels services sinon sur le plan de l'information et du moral. D'autre part il y a des réseaux à grande distance, centrés respectivement sur Oujda, Tunis, Tripoli et Le Caire: du Maroc jusqu'au Moyen-Orient, ceux-ci assurent l'essentiel des communications de l'organisation extérieure, que ce soit aux échelons subalternes traitant de questions financières, administratives ou logistiques ou sur le plan interministériel pour les affaires proprement "gouvernementales".

Cette branche Transmissions constitue ainsi, tant au Maghreb qu'en Orient, le système nerveux pour ainsi dire de toute l'organisation extérieure rebelle, dont elle permet pratiquement et psychologiquement la cohésion.

 

Autre département technique assurant les conditions matérielles d'existence de l'appareil extérieur, le "ministère des Finances et des Affaires Economiques" ne doit son nom qu'au désir du G.P.R.A. de paraître un gouvernement. Son rôle est purement financier. Encore se limite-t-il à peu près à gérer le budget et répartir les fonds. Car il n'est guère maître des recettes; quant aux dépenses, le ministre Ahmed Francis doit le plus souvent s'en remettre à ses collègues du soin de les définir et de les contrôler.

Le " ministère " proprement dit a son siège au Caire. Mais sa caisse centrale est à Damas; c'est elle qui recueille et dépose les fonds, soit au compte du ministre en personne à la Banque Arabe de Damas, soit sur des comptes ouverts dans différentes banques de Suisse (notamment à l'Union des Banques Suisses) tantôt par des prête-noms, tantôt par d'autres organismes bancaires. De là, les fonds sont transférés, en vue de leur utilisation, aux Caisses subordonnées du Maroc, de Tunis, de Tripoli et du Caire, qui ont des comptes ouverts dans les banques locales. C'est ainsi qu'à Tunis, cinq comptes sont ouverts à la Société Tunisienne de Banque.

Le budget, comprenant les dépenses d'équipement et de fonctionnement, s'est sensiblement accru du fait du gonflement pour 1960 des dépenses extérieures; mais il n'avait cessé d'augmenter auparavant, notamment depuis 1958 à cause de la nécessité, apparue à la suite du treize mai, de renflouer les Wilayas de l'intérieur. Antérieurement à cette date, celles-ci se suffisaient à elles-mêmes, avec un total de recettes de 70 à 80 millions NF par an; depuis lors les Wilayas d'Algérie sont en déficit chronique. Le seul secteur combattant du Front qui soit bénéficiaire est l'organisation de la Métropole dite "Fédération de France": celle-ci collecte plus de 30 millions NF par an, somme sur laquelle elle prélève ce qui est nécessaire à son financement propre et dont elle verse le surplus à la Caisse Centrale du ministère des Finances, à son compte suisse.

A cela près, Métropole et Wilayas d'Algérie ont chacune une organisation financière autonome, échappant au contrôle d'Ahmed Francis et n'entrant pas dans les comptes du ministère.

Le ministère des Finances du G.P.R.A. gère en propre un budget de l'ordre de 200 millions NF, dont l'augmentation depuis deux ans a été assurée grâce au concours des Etats arabes et notamment des pays pétroliers. Arabie Saoudite, R.A.U. (il s'agit de la République Arabe Unie, Etat résultant de la fusion en 1958 de l'Egypte et de la Syrie. Ce mariage prendra fin en 1961.), Irak, Bahreïn, Koweït, Qatar, Jordanie, Soudan, fournissent ensemble 80 à 90% des ressources, en principe au prorata déterminé par la Ligue Arabe (qui est une société de nations). C'est ainsi que la Ligue Arabe a voté pour 1960 une contribution totale de 12 millions de Livres Sterling: soit 170 millions NF. L'appoint est trouvé soit auprès d'autres gouvernements ou organismes étrangers, soit grâce aux collectes publiques organisées dans les pays amis, soit encore auprès de bailleurs de fonds privés. Tout ce qui de par le monde peut avoir intérêt à spéculer sur l'avenir indépendant de l'Algérie est par là même susceptible de produire des ressources. Ce fut le cas d'une société mi-philanthropique et mi-secrète, la Jamiat-el-Islam, dont les animateurs sont des arabes de nationalité américaine. Et c'est le cas de certains hommes d'affaires algériens vivant à l'étranger, dont le plus marquant est Mohamed Khattab Ferrgani: âgé de 58 ans, Khattab Fergani a réalisé au Maroc une fortune considérable tout en entretenant des relations profitables avec le Sultan ainsi qu'avec plusieurs hommes d'Etat français; propriétaire d'un hôtel à Madrid et d'un domaine de 3 000 hectares au Maroc, possédant des parts dans cinq sociétés immobilières et commerciales du Maroc et dans plusieurs affaires de cinéma et d'hôtellerie en Algérie, il est depuis l'origine l'un des financiers du nationalisme algérien.

Ne sont pas du ressort du "ministère des Finances" bien entendu, les dons de matériels et denrées ni les prestations de services, accordés directement par plusieurs pays communistes et arabes, parmi lesquels le Maroc et la Tunisie.

 

Deux ministères concourent à imposer l'emprise du F.L.N. sur toutes les catégories d'Algériens qui vivent hors d'Algérie: ce sont le ministère de l'Intérieur et celui des Affaires Sociales et Culturelles. Mais c'est explicitement la vocation du premier.

La responsabilité du très secret Bentobal, titulaire du portefeuille de l'Intérieur, est d'assurer l'organisation politico administrative des Algériens, où qu'ils soient. Il dispose de quelque deux cents agents pour l'accomplissement de cette tâche. En principe, Algérie et Métropole relèvent de lui. En pratique, l'Algérie échappe totalement à son contrôle. Ce n'est qu'à partir de 1961 qu'il parviendra à mettre sur pied quelques filières d'agents de liaison entre Tunis où il réside et les Wilayas d'Algérie, transitant par la France métropolitaine et les pays voisins. (Le terme "de l'Intérieur" s'appliquant à ce ministère ne doit donc pas prêter à équivoque: par exception il ne désigne nullement ici le théâtre d'opérations.)

Le domaine privilégié de Bentobal est en fait le Maroc et la Tunisie: il y assure l'embrigadement des colonies algériennes et des Algériens en transit, grâce à des méthodes de terrorisme analogues à celles qui sont en usage dans les Wilayas; il y exerce les pouvoirs de police et de "justice". Il y forme des Commissaires politiques sur le modèle marxiste, pour l'endoctrinement immédiat de l'A.L.N. et des militants; plus tard ce sera aussi en vue de les introduire en Algérie, lorsque sonnera l'heure de l'indépendance.

Derrière ces fonctions avouées, la préoccupation première de Bentobal reste d'entretenir une police secrète au sein de toutes les structures du mouvement, que ce soit au Maghreb ou à l'étranger. Exerçant par là un certain empire sur ses collègues en forçant les secrets de leurs domaines respectifs, Bentobal commence pourtant à rencontrer sur le même terrain la concurrence de Boussouf avec son service de "Vigilance et Contre-Renseignement".

La "Fédération de France du F.L.N." - c'est le nom de l'organisation rebelle en Métropole - constitue un tout qui relève nominalement du ministre de l'Intérieur mais qui par la force des choses jouit d'une assez large autonomie de fait.

La "Fédération de France" est articulée dans la Métropole en six Wilayas, avec des organes subordonnés dans les Etats voisins: en Belgique, en Allemagne et en Suisse. Clandestine pour sa plus grande part, elle contrôle, par des méthodes aussi dures qu'en Algérie mais avec une rigueur plus complète parce que la protection de la police française s'y exerce avec une efficacité moindre, la population musulmane de la Métropole: soit 350 000 hommes. Ce total comporte une large majorité d'ouvriers, pour la plupart en séjour temporaire, et une minorité plus riche de commerçants, cafetiers, proxénètes et hôteliers. Les cotisations de ces diverses catégories sont levées de force, à proportion de leurs revenus. Elles produisent 30 millions NF par an, qui permettent à la Fédération de France d'assurer sa propre autonomie financière et de verser annuellement un excédent de quelque 25 millions NF au "ministère des Finances" du G.P.R.A.

Outre son organisation politico-administrative territoriale avec ses propagandistes, ses percepteurs et ses tueurs - dont le savoir-faire est une version perfectionnée de la "loi du milieu" traditionnel dans la pègre - la Fédération de France entretient une "Organisation Secrète", en bref "O.S.". L'O.S. est une formation paramilitaire qui, au moyen d'armes et d'explosifs, est prête à tout moment à déclencher une offensive terroriste contre des objectifs proprement métropolitains: personnalités, installations ou biens. Ce fut le cas. en août-septembre 1958 contre les raffineries de pétrole notamment; ce fut le cas également des attentats contre les députés musulmans partisans déclarés de la France tels qu'Ahmed Djebbour et le brillant Abdesselam, contre Ali Chekhal, contre le sénateur Benhabylès et contre le ministres Soustelle.

Enfin à un niveau supérieur et cette fois moins clandestin, certains musulmans algériens qui se rattachent secrètement à l'organisation du F.L.N. en Métropole entretiennent de fructueux contacts avec des personnalités françaises, dans les milieux intellectuels, journalistiques ou politiques professant une certaine sympathie envers la cause rebelle.

Par ses contacts et sa propagande, par le retentissement de ses crimes notamment contre des personnalités algériennes de premier plan, par ses démêlés enfin avec la police et la justice, la Fédération de France contribue à entretenir l'angoisse du problème algérien dans l'opinion française, dans la presse parisienne et par là dans le monde.

 

Multiples et sans mystère sont les attributions du "ministère des Affaires Sociales et Culturelles". Ce département a la responsabilité au moins théorique d'une série d'associations à but spécifique - religieux, universitaire, ouvrier, médico-social, éducatif ou sportif -, à travers lesquelles il s'efforce d'assurer tout à la fois l'encadrement des Algériens de l'extérieur dans leur milieu de vie respectif et, auprès de l'étranger, une propagande et une prospection des complicités les plus diverses.

Les moindres de ses activités sont d'assumer la charge d'un service de santé et d'un service social embryonnaires au Maroc et en Tunisie, de chaperonner l'association des Scouts Musulmans, de maintenir une étroite liaison avec l'association islamique des Oulémas algériens, de parrainer "l'Union Générale des Commerçants et Artisans" algériens, de déléguer dans quelques capitales d'Europe et du Moyen-Orient des "attachés aux affaires sociales et culturelles", de régler les déplacements en pays communistes et arabes de l'équipe de football chargée de faire applaudir sur les stades les couleurs du F.L.N ...

Plus large et plus profitable est le rayonnement obtenu sous la tutelle de ce ministère socioculturel par le syndicat ouvrier U.G.T.A. et par l'union des étudiants U.G.E.M.A. Ces sigles désignent l' "Union Générale des Travailleurs Algériens" et l' "Union Générale des Etudiants Musulmans Algériens".

Créées par le F.L.N. au cours de la première année de la rébellion, l'U.G.T.A. et l'U.G.E.M.A. sont aux ordres du Front. Mais du fait de la guerre et à l'instar de plusieurs autres organismes du F.L.N., ces centrales syndicales se trouvent coupées en deux tronçons: Algérie et métropole d'une part, extérieur d'autre part. A l'intérieur (métropole comprise), se trouve la grosse masse de leurs adhérents, en groupements plus ou moins subordonnées à l'organisation politico-militaire des Wilayas. A l'extérieur se situent les états-majors et quelques ramifications de l'U.G.T.A. et de l'U.G.E.M.A.: éléments qui seuls sont effectivement sous le contrôle du ministère. C'est à ces superstructures extérieures qu'incombe la tâche de mobiliser sur le plan international la solidarité du monde ouvrier et la sympathie des milieux universitaires, pour le bénéfice de la rébellion. Dans le but de désarmer les préventions là où elles existent, ce qui est parfois le cas en Occident, l'une et l'autre centrales se présentent de préférence sous leur aspect spécifiquement syndical, et font état au besoin de leur indépendance - toute fictive - à l'égard du G.P.R.A., tout en professant pour leur propre compte une idéologie nationaliste. Mais dans tous les cas, elles prétendent à la qualité d'organisation de masse, faisant état d'effectifs qu'en fait elles ne sont nullement en mesure de contrôler. Ainsi les deux centrales recueillent parallèlement, en Occident et dans le monde communiste, une aide aussi bien matérielle que psychologique; en cette période où sévit encore la "guerre froide", elles pratiquent un double jeu assez habile pour s'affilier simultanément aux Fédérations syndicales internationales de l'Est et de l'Ouest.

Avec un Comité Exécutif établi à Lausanne et quelques centaines d'étudiants inscrits à l'étranger, (sans compter les 1200 de la métropole), l'D.G.E.M.A. mène sa propagande et recueille secours et bourses dans diverses universités d'Europe occidentale et orientale, notamment en Allemagne de l'Est, à Bucarest, à Sofia et, plus tardivement, à Moscou.

Quant à l'D.G.T.A., ayant déclaré, abusivement, 150 000 adhérents à la C.I.S.L. - d'obédience américaine - elle met à profit également ce parrainage occidental et ses connexions avec la Fédération Syndicale Mondiale - communiste - et avec la Fédération Syndicale Arabe pour organiser ici et là des "journées de solidarité", faire publier des motions ou des adresses à l'O.N.U. et recueillir partout un appui financier. L'U.G.T.A. est présente entre autres pays, en Allemagne orientale et Tchécoslovaquie; elle publie à Tunis un bulletin en langue française: "L'Ouvrier Algérien"; elle a suscité la création d'un "Comité international syndical de solidarité avec l'Algérie".

L'opération la mieux réussie sous l'égide du ministère socioculturel reste cependant la mise en scène organisée par le "Croissant Rouge Algérien" - créé par le F.L.N. à l'imitation des sociétés de Croix-Rouge occidentales - sous le prétexte de porter secours aux "réfugiés algériens" de Tunisie et du Maroc.

La vérité est qu'il se trouve dans ces deux pays des Algériens de trois catégories, apparues successivement: d'abord une colonie traditionnelle d'ouvriers et employés émigrés bien avant la rébellion, intégrés à la société locale et vivant avec leur famille du travail qu'ils ont trouvé sur place: soit 140 000 personnes; ensuite, les Algériens qui ont fui les zones frontalières de l'Est-Constantinois ou de l'Ouest-Oranais et franchi la frontière entre 1954 et 1958, soit spontanément pour échapper aux dangers de la guerre, soit sous la contrainte du F.L.N. qui a effectivement organisé ces migrations forcées: ceux-là sont seuls à mériter le nom de réfugiés, et ils sont 50 000; enfin, les 40 000 personnes que comptent, avec leurs familles, les membres du F.L.N. et de l'A.L.N. implantés en Tunisie et au Maroc. Soit 230 000 Algériens en tout.

Or c'est la totalité de cette population que le Croissant Rouge qualifie du nom de "réfugiés algériens" et encore n'hésite-t-il pas à en doubler et tripler le chiffre, tout en faisant endosser à la barbarie française la responsabilité de leur migration. Au moyen de reportages adaptés, il réussit sans peine à émouvoir les sociétés philanthropiques éparses dans le monde, politisant sa propagande autant que de besoin, suivant le lieu et le public auquel il s'adresse. En contact avec la Croix-Rouge internationale en Suisse, avec les Croix Rouge nationales de l'Est et de l'Ouest et avec les Croissants Rouges arabes, avec le Haut-commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés, organisant par leur intermédiaire ou avec les syndicats sollicités par l'U.G.T.A. des campagnes et des collectes, le Croissant-Rouge Algérien parvient à drainer depuis les pays les plus divers, que ce soit l'Amérique Latine, les Etats-Unis ou la Chine Populaire, des dons totalisant annuellement plusieurs millions de nouveaux francs, plusieurs milliers de tonnes de vivres, ainsi qu'un tonnage comparable en vêtements, couvertures, matériel de campement et produits pharmaceutiques. De ces denrées collectées les réfugiés authentiques reçoivent parfois une faible part, mais non de l'aide financière, laquelle entre en recettes dans les comptes du G.P.R.A., tandis que le gros des dons en nature est attribué sans vergogne à l'A.L.N. extérieure et que le surplus est purement et simplement commercialisé pour alimenter encore les caisses du F.L.N. Qu'il s'agisse de boîtes de lait Nestlé ou de flacons de pénicilline en provenance de telle société de Croix-Rouge ou du Secours Catholique, il est courant de les retrouver, avec leur étiquette d'origine mentionnant "Don pour le Croissant Rouge Algérien", soit entre les mains de combattants de l'A.L.N. sur les frontières algériennes, soit en vente dans les souks, à Casablanca par exemple.

 

Naturellement en vedette, le ministère de l'Information et celui des Affaires Extérieures sont par excellence les instruments de combat de l'organisation extérieure.

 

Non que le département de l'Information soit une administration volumineuse: c'est, avec les Finances, la moins étoffée du G.P.R.A. Une petite équipe d'hommes intelligents et d'une certaine culture en constitue le noyau, animant à Tunis les services de rédaction. S'y ajoutent quelques "attachés de presse" dans diverses capitales étrangères. En l'absences du ministre Yazid, souvent en tournée ou à New York, l'avocat Ahmed Boumendjel demeure à Tunis comme la cheville ouvrière de ce ministère; âgé de 52 ans, nationaliste de longue date quoique marié à une Française, c'est un dialecticien habile, qui a été pendant 10 ans parlementaire au Conseil de l'Union française; il était à Melun dans le rôle de négociateur. Son principal rédacteur est Rhida Malek, 29 ans, ancien secrétaire de l'U.G.E.M.A. à Paris.

Si cette équipe est restreinte, c'est que sa tâche est de réflexion plus que d'action. Son unique mission est d'orienter les esprits dans un sens favorable à la lutte soutenue par le Front. Sa matière première est fournie d'abord par les prises de position du G.P.R.A., puis par les péripéties du combat sur le plan politique ou opérationnel, enfin par les seuls événements qui, dans le monde, sont susceptibles d'avoir une incidence sur l'affaire algérienne. A partir de là, son rôle est d'élaborer puis d'orchestrer les thèmes de propagande du Front, d'une part en direction de l'Algérie afin d'entraîner les populations, de rendre foi aux militants et de maintenir les Wilayas au combat, d'autre part à l'adresse de la métropole et de l'étranger en vue d'y faire connaître le F.L.N. sous un jour favorable et d'y combattre les thèses de la France.

La presse étrangère et surtout française de nuance progressiste, par les opinions qu'elle exprime, les orientations qu'elle suggère, les indications qu'elle fournit, est d'un grand secours au ministère de l'Information dans l'élaboration de sa propagande. C'est le cas du Monde, de l'Observateur, de l'Express. Inversement, cette presse est le véhicule privilégié des thèses soutenues par le Front, tant auprès des milieux intellectuels et politiques de l'extérieur qu'en Algérie lorsqu'elle y est introduite. Il y a là un phénomène d'échange entre F.L.N. et publications sympathisantes, qui s'exerce au bénéfice constant de la rébellion.

Pour le reste, la diffusion des idées élaborées à Tunis est assurée de façon multiple. A l'intérieur, outre l'endoctrinement opéré par les cadres rebelles en possession de la presse parisienne, la voix des ondes est la seule à apporter aux populations comme aux combattants un écho plus ou moins direct de la pensée du G.P.R.A. Il s'agit là des émissions spécialement destinées à l'Algérie à partir des capitales des Etats arabes et de l'Europe Orientale, mais surtout des émissions quotidiennes, en arabe ou en français, des radiodiffusions du Caire, de Tunis et de Rabat, ainsi que de l'unique émetteur de radiodiffusion que le F.L.N. possède en propre: celui-ci s'intitule "Radio Algérie Libre et Combattante"; il est implanté à Nador dans le Rif marocain, à proximité de la frontière. Ces émissions sont audibles en Algérie dans la mesure où les brouillages opérés par la France restent insuffisants: c'est souvent le cas.

A l'extérieur, la diffusion des thèses et arguments rebelles se fait non seulement par la grande presse et la radio mais par le canal de toutes les structures du F.L.N. ayant des ramifications à l'étranger: D.G.E.M.A., D.G.T.A., Croissant Rouge, hiérarchie des Affaires Extérieures ... Car toutes ont un rôle de propagande, toutes sont régies à cet égard par les consignes et circulaires émanant soit de leur ministère propre soit du département des Affaires Extérieures ou de l'Information. Par les mêmes voies sont acheminées en outre les publications produites par le ministère de l'Information. Il y en a trois: le "Bulletin Politique", hebdomadaire ronéotypé en langue française, paraissant à Tunis, qui s'attache à contre carrer les thèses françaises; le "Bulletin d'Informations de l'Algérie Combattante" édité à Rabat; enfin et surtout "El Moudjahid" qui se dit l'"organe central du F.L.N.". El Moudjahid paraît tous les quinze jours à Tunis et à Rabat, sur 4 ou 8 pages, de format 29 X 42, en deux éditions: l'une en langue française, l'autre en langue arabe. Ses articles politiques sont d'une certaine tenue, d'autres le sont moins: L'impression et la mise en page sont celles d'une honnête feuille de province.

En fait de propagande extérieure le moindre rôle enfin n'est pas celui du ministre de l'Information lui-même, Yazid, particulièrement lorsqu'il est à New York, et à l'O.N.U.

Ainsi spécialisé au sein du G.P.R.A. dans le choix des "idée-force" et la coordination de la propagande, le ministère de l'Information contribue pour sa bonne part à produire dans le monde, autour de l'action et de la pensée du Front, un effet de résonnance qui dans le contexte politique nouveau de l'été 1960 ne peut rester sans écho.

 

Il en est de même du ministère des Affaires Extérieures, chargé, lui, d'apporter le point de vue officiel du G.P.R.A. directement dans chaque pays étranger. Lorsque le C.N.R.A. réuni à Tripoli en janvier 1960 a tenté de définir une stratégie nouvelle pour le Front, le Conseil National a attribué à ce ministère un rôle essentiel dans la bataille politique issue du discours du 16 septembre; c'est pourquoi il lui a fait subir une refonte complète.

Jusqu'au congrès de Tripoli, les représentants du F.L.N. à l'étranger manquaient d'une tête car le ministre des Affaires Extérieures en titre, Lamine Debaghine, en désaccord avec ses collègues, était en pratique écarté des affaires. Abbas, Yazid, Ben Khedda et quelques autres donnaient tour à tour leurs directives à ces représentants, qui par suite agissaient en désordre. Les réformes entreprises à l'instigation du C.N.R.A. et poursuivies au cours du printemps 1960 ont eu pour effet de normaliser la hiérarchie des Affaires Extérieures sous l'autorité du nouveau ministre Krim Belkacem, secondé par deux "secrétaires généraux" de qualité: Saad Dahlab, 41 ans, qui fut membre du comité directeur du P.P.A..M.T.L.D. dès 1949, co-auteur avec Ben Khedda de la Plate forme de la Soummam en 1956, et membre du C.C.E. à son origine, animateur de la bataille d'Alger en 1957 et plus récemment collaborateur immédiat de Yazid à l'Information; et l'adjoint du précédent, Mabrouk Belhocine, avocat de 39 ans, sympathisant communiste de longue date et co-auteur des Statuts du F.L.N. Si bien qu'en juin 1960, Saad Dahlab est en mesure d'organiser au Caire, siège du ministère, une réunion générale des représentants du F.L.N. à l'extérieur.

A cette époque la structure des "Affaires Extérieures" a décidément pris forme. L'effectif de ce département est de quelque 200 agents. Son activité participe de la souplesse et de la diversité propres à toute "l'organisation extérieure" du Front: elle ne s'embarrasse pas de formalisme, elle s'accommode d'expédients, elle ne s'apparente que de très loin aux errements d'une diplomatie traditionnelle.

Autre singularité: aucun pays étranger n'a fait accréditer un représentant auprès du G.P.R.A., que ce soit à Tunis ou au Caire, bien que 18 Etats aient plus ou moins formellement reconnu l'existence du "gouvernement" algérien de l'extérieur.

Il n'existe pas de forme juridique pour la reconnaissance d'un gouvernement. Celle-ci résulte d'un état de fait, non de droit. Ces "reconnaissances" du G.P.R.A. revêtent donc un caractère précaire. Aux 15 pays musulmans ou communistes, ayant déclaré reconnaître le G.P.R.A. en 1958 après sa proclamation, se sont ajoutés trois Etats africains: Ghana, Guinée et Libéria.

En revanche le ministère entretient des missions permanentes dans 38 pays répartis sur les quatre continents: ce chiffre est en augmentation de plus de moitié par rapport à ce qui existait avant le 16 septembre 1959.

Les pays abritant une mission des Affaires Extérieures du G.P.R.A. sont, au moment de Melun, les suivants:

- 14 en Europe: Albanie, Allemagne Fédérale, Allemagne orientale, Autriche, Belgique, Bulgarie, Espagne, Finlande, Gde-Bretagne, Italie, Sarre, Suède, Suisse, Yougoslavie;

- 7 en Afrique: Egypte, Ghana, Guinée, Libye, Maroc, Soudan, Tunisie; viendront ensuite : Liberia et Mali;

- 13 en Asie: Arabie, Inde, Indonésie, Irak, Iran, Japon, Jordanie, Koweït, Liban, Pakistan, Syrie, Turquie, Nord-Vietnam; viendra ensuite la Chine Populaire;

- 4 en Amérique: Argentine, Brésil, Canada, Etats-Unis; viendra ensuite le Chili.

Encore n'y a-t-il pas de ces missions "officielles" dans plusieurs pays d'Europe Orientale - à Prague, Bucarest, Moscou - où le F.L.N. est néanmoins représenté par le truchement de l'U.G.T.A. ou de l'U.G.E.M.A.: couverture plus discrète, préférée pour cette raison même par les Soviets, et sans doute plus prometteuse à leurs yeux. En outre le G.P.R.A. entretient des contacts officiels, également fort discrets, avec l'ambassade soviétique au Caire; ce n'est que plus tard que le F.L.N. sera admis à faire représenter ses intérêts à Moscou par l'entremise toute officieuse de l'ambassade de Tunisie.

Ces missions permanentes sont d'un volume très différent suivant le lieu: ainsi elles se limitent à un seul Algérien en Bulgarie, en Indonésie, au Canada, mais elles atteignent un effectif de 10 personnes en Syrie, 14 en Suisse, 27 en Allemagne Occidentale. Selon le cas, elles ne comprennent que des agents des Affaires Extérieures ou englobent des représentants permanents de tel ou tel autre ministère: attaché de presse, culturel, militaire, émissaire logistique, agent du ministère de l'Intérieur, responsable de l'U.G.E.M.A., de l'U.G.T.A. ou du Croissant Rouge, etc., dont les activités se trouvent ainsi localement coordonnées par le chef de mission et mises en harmonie avec la situation faite au F.L.N. dans l'Etat considéré.

Le statut de ces missions extérieures varie grandement, en effet, d'un pays à l'autre, bien que dans tous les cas, leur rôle soit d'informer, de convaincre, de solliciter et d'alimenter la propagande, en vue d'obtenir en fin de compte un soutien politique ou une aide matérielle. Ces représentations jouent les ambassades auprès des seuls Etats qui, ayant reconnu le G.P.R.A., entretiennent avec elles des relations officielles. Dans les autres pays, faute d'avoir accès auprès du gouvernement, elles s'efforcent d'assurer un contact avec les personnalités et les partis sympathisants du Front. Ce sont souvent alors de simples officines, plus ou moins clandestines et parfois camouflées, en Occident, au sein de l'ambassade marocaine ou tunisienne. En République Fédérale Allemande, en Belgique et en Suisse, ces délégations sont aussi importantes que secrètes parce qu'entre autres fonctions elles servent de relais aux Wilayas métropolitaines de la "Fédération de France".

Enfin la mission implantée à New York est comme la pièce maîtresse du réseau des Affaires Extérieures, non tant par son rayonnement en milieu américain ou ses liaisons avec Washington que par son rôle de représentation tolérée au siège même de l'Organisation des Nations Unies. Représentation officieuse, bien sûr, les Algériens qui la composent étant introduits aux Etats-Unis sous la nationalité de complaisance d'un quelconque Etat arabe et accrédités auprès de l'O.N.U. avec le statut fictif d'un diplomate libyen ou syrien par exemple. Le délégué permanent du G.P.R.A. est Chanderli, 45ans, ancien élève de l'Ecole des Sciences Politiques, journaliste de classe internationale, rallié au F.L.N. en 1956 et depuis cette époque à New York. Chanderli cultive là, à longueur d'année, toutes les possibilités de contact avec les représentants permanents de quelque cent nations, dans un contexte par principe favorable à l'émancipation des peuples.

En période de session de l'Assemblée Générale des Nations Unies, Yazid vient ajouter à la délégation du F.L.N. le renfort de sa personne, - et du même coup d'un membre du G.P.R.A. Les salons de l'O.N.U. sont le domaine où s'exerce leur entregent. Le groupe afro-asiatique qui tient là ses assises traite comme étant des siens les envoyés du F.L.N. Les motions relatives à l'Algérie s'y élaborent en commun.

Il faut avoir vu parader sur la moquette gris perle de l'immense salle des pas-perdus le délégué du Koweït ou celui du Yémen, investis de la même importance que le représentant américain ou soviétique par la grâce de l'O.N.U. qui en assemblée générale confère à leurs voix le même poids; il faut avoir assisté là aux conciliabules improvisés autour d'un ministre pakistanais ou égyptien; il faut avoir glané l'écho des marchandages de coulisse, pour apprécier le climat irréel dans lequel s'échafaudent les sentences, sans effet, de l'Organisation des Nations Unies.

Mais en outre la possibilité s'offre en permanence à la mission du F.L.N. introduite à l'O.N.U. de solliciter auprès des représentants officiels du tiers-monde une coordination de l'action de leurs gouvernements sur le plan diplomatique, au profit de la cause rebelle. A cet égard Manhattan est, avec Tunis et Le Caire, une autre capitale du F.L.N. puisqu'y voilà pallié à peu de frais l'inconvénient de n'avoir pas à Tunis de missions diplomatiques accréditées auprès du G.P.R.A. par les gouvernements amis.

 

On aura une vue complète de l'appareil extérieur du F.L.N. lorsqu'on aura ajouté aux structures ainsi passées en revue la Présidence du G.P.R.A. ou "Présidence du Conseil". C'est un organisme fort réduit. Le président Abbas ne dispose d'aucune administration en propre. Son cabinet se borne à une demi-douzaine de collaborateurs, dont le plus brillant est Ben Yahia: c'est un jeune avocat de 28 ans qui a déjà parcouru le monde au service du Front, de Bandoeng à l'O.N.U.; il vient de prendre part, avec Boumendjel, à l'entrevue de Melun.

La présidence prend rang aux côtés des différents ministères bien plutôt qu'à leur tête. Lorsque Ferhat Abbas s'adresse officiellement à un gouvernement étranger ou qu'il fait une déclaration publique, la position qu'il exprime a été d'abord débattue et collégialement adoptée par les membres du G.P.R.A., dont il n'est en somme que le porte-parole le plus éminent.

 

Si les structures du G.P.R.A. dans leur ensemble atteignent ainsi une certaine consistance lorsqu'arrive l'été 1960, il faut bien constater que le domaine où s'exerce leur activité reste étranger au théâtre d'opérations et que par suite, leur influence sur l'orientation générale du conflit demeure nécessairement réduite.

Le G.P.R.A., en tant qu'il anime toute l'organisation extérieure, a beau garder au cœur de ses préoccupations et de son ambition l'Algérie et les populations algériennes, celles-ci n'en demeurent pas moins hors d'atteinte de ses possibilités d'action directe. Entre les deux hiérarchies, intérieure et extérieure, s'interpose un cloisonnement radical, aggravé comme on l'a vu par de profondes divergences. A la veille de Melun l'emprise de l'exécutif sur les Wilayas était bien problématique: l'affaire Si Salah l'a montré. Après l'entrevue de Melun comme avant, aucune directive écrite et en sens inverse aucun compte rendu ne sont assurés de passer entre Tunis et l'Algérie; lorsqu'il en passe malgré tout, c'est après un délai qui se décompte en semaines ou en mois; l'acheminement de subsides n'est pas moins aléatoire; celui de matériel ou d'armes est nul.

Si le G.P.R.A. agit néanmoins sur l'état d'esprit de l'intérieur et sur le combat des Wilayas, c'est en définitive par la radiodiffusion occasionnelle de consignes pour l'action, élémentaires parce que nécessairement générales, et par le moyen indirect de l'information. Moyen indirect, car la propagande élaborée par le "ministère de l'Information" serait incapable par elle-même d'émouvoir les Algériens, blasés qu'ils sont par six ans de guerre psychologique. Mais ces mêmes Algériens, entraînés à se faire une opinion d'après les faits, ne peuvent rester insensibles aux nouvelles qui leur parviennent de la notoriété rendue au G.P.R.A. par l'évolution de la politique française.

 

Or c'est une mutation politique profonde qui progressivement s'amorce, sous l'impulsion de plus en plus nette donnée par le chef de l'Etat français. Le dialogue larvé entre Paris et Tunis, à travers les déclarations publiques qui se sont succédées de part et d'autre depuis le 16 septembre 1959, vient de s'illustrer avec éclat par l'entrevue de Melun, en juin 1960. Sans se faire encore bien entendre, le général De gaulle avait commencé, en mars déjà, à parler d' "Algérie algérienne". A partir de l'été, il va dévoiler de mois en mois sa volonté d'émanciper l'Algérie. Les mots et les faits s'éclairant réciproquement, chacun comprendra peu à peu que les membres du G.P.R.A. se trouvent regardés comme des gouvernants en puissance.

Attentive pour sa part à faire figure de pivot entre le monde extérieur et "l'intérieur", l'équipe de Tunis bénéficiera par là même d'une convergence qui va la rétablir dans son rôle directeur, naguère si menacé.

Ainsi ce n'est pas l'appareil des structures extérieures, mais l'exécutif seul qui, dans la mesure où on le voit appelé à jouer les premiers rôles, se trouve mis à même de soutenir à bout de bras la rébellion intérieure. Et l'empire exercé par celle-ci sur les populations algériennes s'affermira à son tour en fonction des succès remportés par le G.P.R.A. dans son dialogue avec la France.

L'appareil extérieur, quant à lui, ne sert et ne peut servir que l'action du G.P.R.A. en dehors de l'Algérie: sur les franges externes du théâtre d'opérations, en métropole et dans le monde, il plaide pour l'exécutif en même temps qu'il suscite et draine à son profit une aide multiforme.

 

Naguère l'organisation extérieure dépendait, pour son existence même, du bon vouloir de l'étranger qui l'abritait. Certains pays seulement la soutenaient, par sympathie pour la cause nationale et révolutionnaire qu'elle avait mission de représenter. Ailleurs on lui marchandait une attention à laquelle on préférait l'amitié de la France. Ici elle s'étiolait dans l'indifférence, là dans l'insécurité. Par endroits, seuls lui valaient quelque audience les accès d'émotion éveillés par les exploits du terrorisme et les sacrifices du maquis... La précarité de telles situations est maintenant dépassée.

Même le surcroît d'efficacité qu'il acquiert à partir de l'été 1960, l'appareil extérieur le doit moins à son perfectionnement propre qu'à la promotion donnée au G.P.R.A. à cette époque et qui naturellement rejaillit sur lui. L'appareil mondial du F.L.N. va maintenant commencer à s'épanouir dans un climat de sympathie. Au fur et à mesure que Paris s'orientera vers le dialogue et l'émancipation, cet appareil extérieur va devenir pôle d'attraction, objet de faveur de la part des Etats qui trouveront intérêt à spéculer sur le succès du G.P.R.A. et sur l'indépendance de l'Algérie.

Fort de ces comportements nouveaux, le G.P.R.A. utilisera dès lors son organisation extérieure pour mieux faire enregistrer de par le monde, à chaque étape du dialogue, toute acceptation par la France de l'un des points de son programme.

Parallèlement, le G.P.R.A. préparera, dans les hiérarchies militaires et civiles de l'extérieur, les moyens organiques de la prise du pouvoir en vue du jour où l'indépendance lui ouvrirait enfin les portes de l'Algérie.

 

"Autopsie de la guerre d'algérie" de Philippe Tripier, éditions France-empire, 1972.