Avril 1961

 

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1 Avril 1961 :

Le Lieutenant Degueldre a été muté, comme la plupart des officiers partisan de l'algérie française. Il déserte ce premier avril et prend l'avion à Orly pour rejoindre Alger. Au contrôle de police, le gendarme le laisse passer, Degueldre lui a expliqué que sous officier de liaison il a perdu tous ses papiers dans une bagarre à Pigalle, entre sous officiers, le gendarme est compatissant.

Dans le cadre de son opération "portons la guerre en métropole" le FLN attaque à la mitraillette et à la grenade trois postes de police "harkis" des 13èmes et 18èmes arrondissements de paris . Un policier tué, Aïssat Ahmed et 6 autres blessés. Trois FLN abattus. Deux passants ont été blessés.

 

2 Avril 1961 :

Nouvelle attaque du poste de harkis de la goutte d'or. Un FLN tué, deux arrêtés, mais nous avons perdu un tué Chalal Arab et 4 blessés. Un passant a été tué, un autre blessé, dans ce qui est cete fois une vraie action de guerre. Les harkis sont furieux, ils se livrent à une attaque en régle des magasins connus pour leur sympathie FLN (32) et passent à tabac un certain nombre de sympathisants. La presse (Libération) s'empare de ces incidents.

Trois blessés dans une fusillade à Hautmont..

Un tué à Charleville.

Un autre à Livry Gargan.

Attaques de cafés à Lille et à Paris, un tué, 6 blessés ;

 

3 Avril 1961 :

Grenade à Constantine, une jeune fille de 17 ans israélite tuée, 31 blessés.

Grenades à Alger et à Oran, 7 blessés.

 Plastic devant l'immeuble de Mitterand, sénateur de la Niévre, il ne s'agit pas cette fois d'un montage médiatique.

Plastics à Marseille contre le journal communiste "la marseillaise" et contre le consulat tunisien.

 Bourguiba demande dans une lettre ouverte à Messali Hadj de s'effacer de la scène politique.

 

4 Avril 1961 :

Bombe FLN à la bourse de Paris, très gros dégâts, 22 blessés dont cinq sérieusement.

Les USA marquent de l'intérêt vis à vis du FLN, l'ambassadeur des US en Tunisie reçoit des ministres du GPRA, Washington envoie un émissaire auprès de cet organisme.

Attaque d'un café rue Moufetard, 3 tués.

 Grenade dans la cour d'une maison musulmane à Mostaganem, un mort, une fillette de trois ans, six blessés, tous des enfants en bas âge. Le propriétaire de la maison est connu pour son action en faveur de la France.

Un policier musulman assassiné à Oran.

Plastic à Alger.

 

5 Avril 1961 :

Deux plastics à Alger, un à Oran, quatre à Mostaganem.

Les quatre plastics à Mostaganem visent des magasins et des véhicules automobiles appartenant à des musulmans connus pour leur sympathie vis à vis du FLN, réponse de l'O.A.S. à la grenade de la veille qui a tué la petite fille d'un musulman de ses sympathisants, et blessés six autres de sa famille.

 Un mouvement qui s'intitule Résistance pour la Démocratie et la Liberté (et qui semble d'extrême gauche) revendique à Paris les deux plastics de la bourse et du palais bourbon.

 

6 Avril 1961 :

 Grenade à Alger, 5 blessés.

Plastics à Bône (3) et à Alger (au consulat des états unis et au centre culturel américain).

 

7 Avril 1961 :

Rafle dans les milieux favorables à l'algérie française, à Paris, Toulon, Marseille, Draguignan, nombreuses arrestations.

Un policier et un chauffeur de taxi musulman assassinés par le F.L.N. à Paris.

Un groupe MNA s'attaque à un café du Xéme arrondissementtenu par un ex-MNA rallié au FLN, dix blessés.

A saint Quentin, mal renseignés, un groupe de choc F.L.N. extermine une famille française, ils visaient une famille musulmane pro française voisine.

Un commando FLN veut achever un blessé MNA à l'hôpital de Montfermeil, comme il est gardé, ça finit en fort Chabrol, avec un bilan de 2 tués (le policier et le MNA blessé) et 13 blessés.

 

8 Avril 1961 :

Un policier et un passant abattus à Boulogne.

Attaque de cafés et d'hôtel, 12 blessés à Paris et Roubaix.

Les enquêtes de police judiciaire qui concernent les victimes de meurtre dans les milieux nord-africains sont toujours difficiles, d'abord parce que généralement leur entourage refuse de parler, ensuite parce que les mobiles peuvent être multiples et que les preuves formelles font souvent défaut. Mais certaines enquêtes ne laissent guère de doute, d'abord quand l'entourage accepte de donner des informations. Le 8 avril 1961, on repêche dans le canal Saint-Denis à Aubervilliers le cadavre d'un homme de 37 ans, B., ficelé dans un sac, pieds et poings liés, et que les hélices des péniches ont affreusement abîmé. L'enquête judiciaire fait état d'un certain nombre de renseignements qui ne semblent pas tous avérés. Il semble qu'il était intempérant, qu'il avait la réputation de "trop parler" et qu'il avait été hospitalisé pour troubles mentaux légers. En tout cas sa femme, d'origine algérienne elle aussi, qui travaillait comme conditionneuse, déclara aux policiers: "Peu de temps après sa sortie de l'hôpital, mon mari m'avait dit qu'il avait été abordé [par] des émissaires du FLN [qui] lui avaient demandé de payer sa cotisation au Parti"; comme il n'avait pas de travail, il lui avait été absolument impossible de l'acquitter, bien qu'il eût été relancé à plusieurs reprises; "mon mari avait peur de ces hommes", ajouta-t-elle, mais "malgré la peur qu'il éprouvait, [il] sortait dans la rue, notamment pour aller chercher du travail".

Extrait de l'excellent livre "Police contre F.L.N." ISBN 2-08-067691-1 de Jean Paul Brunet, consacré au drame du 17 octobre 1961.

 Décision du Préfet de Saïda le 8 avril 1961

Sur la proposition de M, le Secrétaire général de la Préfecture de Saïda, Décide

Article 1er: Une indemnité, de trois cent dix nouveaux francs(310 F)* est allouée à MM, Conesa Jean-Michel et Conesa Joseph, domiciliés à Saïda (Oued (Oukrif) en réparation des dommages résultant de l'assassinat de leur mère le 24 janvier 1961.

Ces 310F de 1961 en vaudraient aujourd'hui environ 425 euros, en appliquant les taux d'inflation INSEE.

Si cet argent avait été réévalué comme l'a été l'indemnisation des pieds noirs nettoyés ethniquement, les frères Conesa auraient touché 400 francs, (60,98 euros). Les mères pieds noires sont données.

Bombe à la mairie de Guyotville, le maire " libéral " est visé.

Deux plastic à Alger, dont l'un devant la villa de Coup de Frejac, directeur de l'information de la Délégation Générale.

Plastics aussi à Blida, Castiglione. Le plastic de Blida, déposé devant la porte de l'inspecteur de police en charge des enquêtes contre les plastiqueurs cause la mort du poseur, un musulman.

 

Arrestation à Paris d'une personne accusée du meurtre du maire d'évian.

A Boulogne, deux européens dont un policier abattus par le F.L.N.

Une européenne blessée à Saint-Quentin.

Douze blessés dont 4 européens dans diverses attaques de cafés à Paris et Roubaix.

Bilan des affrontements FLN/MNA dans le seul département du nord : 400 morts, 1200 blessés, 2000 arrestations.

 

9 Avril 1961 :

Arnold Rothelin, disparaît à jamais, enlevé au combat.

 

10 Avril 1961 :

 Acte de naissance de l'O.A.S. Cette organisation, inconnue jusqu'à présent, revendique les plastics d'Alger, Oran, Bône, Mostaganem.

Justement à Mostaganem, un apprenti plastiqueur, Christian Escolano se fait sauter avec sa bombe.. Il avait tenté de la desamorcer en voyant une jeune mère de famille se diriger vers l'annexe de la mairie où il l'avait posée.

 22 arrestations de FLN à Arles et dans sa région.

 

 11 Avril 1961 :

Plastic au ministère de l'intérieur.

Plastic à Nice.

 Plastic à Alger et à Oran.

Grenade dans la foule à Bab El Oued, un mort, deux blessés.

 Conférence de presse de De gaulle, voici les commentaires de Soustelle dans " l'espérance trahie " éditions de l'alma, 1962 :

"Pendant toute l'année 1961, le général De gaulle multiplia les déclarations relatives à l'Algérie. En fait, il n'a jamais autant parlé que pendant cette année-là. Ce fut pour prendre chaque fois des positions plus outrées, tourner à chaque fois davantage le dos à la politique qu'il avait proclamée intangible le 16 septembre 1959, et pour offrir au F. L. N. des concessions chaque fois plus désastreuses.

"Dans sa conférence de presse du 1l avril, il passait rapidement sur le cessez-le-feu et sur l'autodétermination, qui n'étaient que des "préliminaires". Ce qui comptait, dit-il, c'était l'avenir de l'Algérie. "Je veux vous exposer, une fois de plus, quelle est la politique de mon pays."

"Une fois de plus? Non, car c'était encore un nouveau virage qui s'annonçait, et quel virage! Qu'on en juge : "Je voudrais que l'on comprenne bien que dans la perspective algérienne de la France, il y a cette idée principale qu'il faut savoir considérer en face. Dans le monde actuel, et à l'époque où nous sommes, la France n'a aucun intérêt à maintenir sous sa loi et sous sa dépendance une Algérie qui choisit un autre destin; et la France n'aurait pas intérêt à porter à bout de bras l'existence des populations dans une Algérie qui serait devenue maîtresse d'elle-même, et qui n'offrirait rien en échange de ce qu'elle aurait à demander.

"C'est qu'en effet, l'Algérie nous coûte c'est le moins qu'on puisse dire, plus cher qu'elle nous rapporte. Qu'il s'agisse de dépenses administratives, d'investissements économiques, d'assistance sociale, de développement culturel, ou bien d'obligations qui concernent le maintien de l'ordre, ce que nous lui fournissons en fait d'efforts, d'argent, de capacités humaines, n'a pas de contrepartie, à beaucoup près, équivalente. De même, il faut songer que les responsabilités que la France porte actuellement en Algérie constituent pour elle des hypothèques militaires et diplomatiques. Et c'est pourquoi, aujourd'hui, la France considérerait avec le plus grand sang-froid une solution telle que l'Algérie cessât d'appartenir à son domaine, solution qui, en d'autres temps, aurait pu paraître désastreuse pour nous et, qu'encore une fois, nous considérons actuellement avec un coeur parfaitement tranquille."

"...La France ne fait aucune objection et n'entend élever aucun obstacle contre le fait que les populations algériennes décideraient de s'ériger en un État qui prendrait leur pays en charge.Cet État sera ce que les Algériens voudront. Pour ma part, je suis persuadé qu'il sera souverain au-dedans et au-dehors. Et, encore une fois, la France n'y fait nul obstacle. "

 "On voit que je n'exagère pas quand je parle de "virage".

"L'autodétermination ? Les trois options? Les institutions de l'Algérie algérienne? Foin de tout cela! "La France" (c'est-à-dire l'orateur, décidant seul de tout et changeant tout trois mois et trois jours après le vote solennel qu'il avait lui-même demandé) veut maintenant que l'Algérie soit un État souverain!

Répondant à une objection qui vient naturellement à l'esprit :

"Si vous tenez ce langage, c'est que la rébellion vous y oblige", le Président de la République s'efforçait de démontrer par des statistiques peu convaincantes que la situation en Algérie allait s'améliorant. Mais surtout il s'attachait à faire apparaître cette nouvelle prise de position comme découlant de sa propre réflexion et de ses propres convictions depuis de longues années :

"Je ne disconviens pas que la rébellion ait confirmé, affermi dans mon esprit, ce qui a été déjà ma pensée bien avant qu'elle ait éclaté. En tout cas, ce n'est pas la situation actuelle sur le terrain qui me détermine à parler comme je le fais... Ce n'est donc pas cela qui me fait parler comme je parle, bien que je ne disconvienne pas que les événements qui se sont passés, qui se passent en Algérie m'aient confirmé dans ce que j'ai pensé et démontré depuis plus de vingt ans...

" Depuis Brazzaville,

(...il est necesaire d'alléger le texte, mais les curieux se reporteront au livre de Soustelle, ou me demandent par mèle les justifications du général et les démonstrations de Soustelle comme quoi c'est de la bouillie pour les chats et de l'orvietan pour les têtes folles, et on revient à) :

"7° Pour la première fois, à cette date fatidique du 11 avril, on voit apparaître l'argument, que je ne peux qualifier autrement que de sordide, qui allait révulser même des partisans notoires de l'indépendance comme Jules Roy: celui des "gros sous". "L'algérie coûte plus cher qu'elle ne rapporte. "Rien, d'abord, n'est plus discutable que cette affirmation péremptoire, si l'on tient compte du marché que l'Algérie représente pour la France (elle a été jusqu'à ces temps derniers le premier client de la métropole), du pétrole et du gaz sahariens. Et puis, si tel est le critère qui désormais doit régler l'appartenance à la République de tel ou tel de ses départements, j'en vois beaucoup qui seraient condamnés à l'indépendance: la Corse, une bonne partie du Sud - Ouest, et que dire des garrigues et des collines stériles de mon Languedoc? La France "utile" pourrait fort bien se réduire au territoire situé au nord de la Loire, avec un " doigt de gant ", tout de même, pour englober Lyon...

"8° Mais tout cela est justifié par le grand mot de décolonisation. Je me suis déjà expliqué là-dessus et je n'y reviens pas.

"La thèse selon laquelle la liquidation du régime colonial doit nécessairement prendre la forme de la création d'États indépendants est d'une éclatante absurdité; elle ne sert que le communisme, prompt à prendre pied dans ces États mal assurés et à y occuper des positions pour mener sa guerre idéologique contre l'Occident.

Poursuivant, le Président de la République déclara le 11 avril :

"C'est un fait: la décolonisation est notre intérêt et par conséquent notre politique. Pourquoi resterions-nous accrochés à des dominations coûteuses, sanglantes et sans issue. Alors que tous les pays sous-développés, à commencer par ceux qui hier dépendaient de nous et qui sont aujourd'hui nos amis préférés, demandent notre aide et notre concours? Mais cette aide et ce concours, pourquoi les donnerions-nous si cela n'en vaut pas la peine. S'il n'y a pas coopération, si ce que nous apportons ne comporte aucune contrepartie? Oui, il s'agit d'échanges, à cause de ce qui nous est dû, mais aussi à cause de la dignité de ceux avec qui nous faisons affaire.

"Voilà la base de la politique de la France en ce qui concerne ses rapports futurs avec l'Algérie. Si les populations algériennes veulent, en définitive, se laisser mener à une rupture avec la France, telle que nous n'ayons plus aucune part à prendre à leur sort, nous n'y ferons aucune opposition. Naturellement, nous cesserons aussitôt d'engouffrer dans une entreprise désormais désespérée nos ressources, nos hommes, notre argent. Nous inviterons à quitter les territoires intéressés ceux de nos nationaux qui s'y trouveront et qui courront vraiment trop de risques. Inversement, nous renverrons chez eux ceux des Algériens vivant en France qui cesseraient d'être Français. Dans cette hypothèse, nous tirerons les conséquences de la volonté d'appartenir à la France qu'exprimeront très probablement certaines populations, dont, d'ailleurs, l'emplacement est d'avance à peu près connu. Celles-là, aussi, ont le droit de disposer d'elles-mêmes tout comme les autres et elles ne devraient rien au départ à une unité nationale algérienne dont elles ne feraient pas partie, à une souveraineté algérienne qui n'a jamais existé, à un Etat algérien qui serait encore à naître. Ces populations-là, nous aurions donc d'abord à les regrouper, en assurant leur protection. Et ensuite ? Ensuite, on verrait bien."

"Donc, conserver l'Algérie française, c'est "s'accrocher à une domination". Ou bien l'orateur n'a pas compris, ou bien il n'a pas voulu comprendre, ou bien il feint de ne pas comprendre. L'Algérie du 13 mai, ce n'était pas la domination de la métropole sur l'Algérie, ni celle des Européens sur les Musulmans; c'était l'égalité de la province algérienne avec les autres, l'égalité des Algériens entre eux et avec les autres Français.

"Ensuite, on verrait bien! " En d'autres termes: "Après nous, le déluge!" Le général de Gaulle esquissait une solution qui ne peut être considérée que comme une série de catastrophes: abandon d'une partie de l'Algérie, "regroupement" de certaines populations. Les territoires abandonnés "tomberaient aussitôt dans la misère, le chaos, en attendant le communisme?" Oui, sans doute :

"Mais alors nous n'aurions plus aucun devoir à leur égard." Ainsi nous n'aurions aucun devoir, par exemple, envers les anciens combattants des deux guerres mondiales et les harkis résidant, par exemple, dans le Constantinois, parce que nous aurions décidé de les livrer aux égorgeurs? Etrange raisonnement!

"L'Union soviétique ou l'Amérique viendraient alors essayer de prendre la place de la France?" Je leur souhaite d'avance bien du plaisir! "C'est ce que devait penser Louis XV en livrant le Canada aux Anglais. On frémit en entendant un Chef d'État employer de tels "arguments", si tant est qu'on puisse qualifier ainsi ces plaisanteries, peu à leur place dans la discussion d'un sujet aussi grave.

Enfin De gaulle indiquait les grandes lignes de ce qui demeurait sa solution préférée, "l'Algérie nouvelle associée à la France nouvelle ". La France apporterait volontiers "son aide économique, administrative, financière, culturelle, militaire, technique".

 

"Cette conférence de presse qui entend donner des gages au FLN, avec qui des discussions plus ou moins secrètes sont en cours, n'est pas pour rien dans la décision de Challe de prendre la tête du putsch qui aura lieu dix jours plus tard."

fin de la citation de Soustelle. Dans son livre "Notre Révolte" Challe confirme que c'est cette allocution qui l'a decidé à prendre la tête de la révolte de l'armée, que des hommes comme Sergent lui proposait depuis des mois.

En tout cas, nous autres pieds noirs on apprécie la forte menace de nous aider à nous installer en métropole. Aussi sans doute les âmes des 150.000 harkis exterminés. Et tous les français doivent apprécier le "nous renverrons chez eux ceux des Algériens vivant en France qui cesseraient d'être Français".

 

12 Avril 1961 :

Les conjurés se réunissent, comme souvent, dans l'appartement de Regard, haut fonctionnaire, boulevard Malesherbes à Paris. Il y a là outre Challe, Zeller et Jouhaud, Bidault, Faure, Vanuxem, Godard, Robin, Gardy, Degueldre. Regard, "Raphael" ou 12A connaît un certain 12B qui renseigne sur les conseils des ministres, beaucoup l'identifient à Giscard d'Estaing.

C'est ce jour que Challe accepte enfin le rôle que tout le monde veut lui faire jouer, Massu ayant refusé et Salan ne faisant pas l'unanimité de l'armée.

La date est fixée au 21 Avril. Vanuxem promet de faire mouvement sur Paris avec deux régiments, à condition que Godard soulève suffisamment de foule pour justifier ce mouvement. Quelques jours après la réunion, Challe demandera à Godard de venir avec lui à Alger et donnera comme instructions à Faure et Vanuxem de ne pas bouger en métropole sans ses ordres précis.

Un colonel de l'armée de l'air avait prévu avec deux camarades de staffer les bureaux de De gaulle à l'Elysée, puis de rejoindre Alger, Challe décommande l'opération.

Des FLN tirent, à distance, des coups de feu sur les postes des harkis rue de la Goutte d'Or. Deux civils sont blessés.

 

13 Avril 1961 :

Plastic à Mostaganem, au domicile d'un professeur marxiste.

Plastic à Alger devant la belle villa d'un conseiller municipal communiste.

Le docteur Perez futur responsable des commandos delta OAS arrêté.

20 " O.A.S. " arrêtés.

 

14 Avril 1961 :

Plastic à Alger, devant l'appartement du commissaire Gavoury, chargé de la lutte anti activiste. Ayant ignoré l'avertissement, il sera assassiné peu après.

Plastic à hydra.

Plastic à Constantine.

 A Paris, un commando FLN attaque une patrouille de police, un blessé, trois arrestations.

 

15 Avril 1961 :

 Pour lutter contre l'O.A.S. le gouvernement prend avec l'accord de tous les moralistes patentés (qui étaient contre quand il s'agissait de lutter contre le F.L.N.), une ordonnance augmentant les possibilités des forces de l'ordre.

Une premiére expedition des archives d'Algérie a lieu. Toute l'hisoire: ICI

 

 16 Avril 1961 :

Un commando FLN mitraille un car de police à Paris.

Un commando FLN attaque une patrouille au Mont Valérien, la patrouille riposte, un terroriste abattu.

Deux activistes arrêtés au havre, ils avaient incendiés le siège des gaullistes locaux.

 

17 Avril 1961 :

Rien.

 

18 Avril 1961 :

Un adjudant chef assassiné à Oran.

A Blida, le FLN vient finir le travail, ayant tué le père en 59, ils viennent assassiner la mère et le fils qui venait d'avoir 19 ans et voulait venger son père.

Plastics à Alger et à Oran.

 Troisième réunion du comité de Vincennes, animé par Soustelle, qui regroupe tous les partisans de l'Algérie Française. Le comité dénonce la politique d'abandon menée par les gaullistes (dont beaucoup de ses membres sont issus, le reste étant des socialistes). Ils concluent leur meeting en proclamant : "nous servons la loi, c'est le pouvoir qui l'enfreint".

En juin, desoeuvré, le général Gardy rédige ses souvenirs du putsch d'avril. C'est seulement 50 ans après que sa fille livre au public, par l'intermediaire de l'association des amis de Raoul Salan, ce texte.

Paris 17 heures. Réunion au bureau du colonel Lacheroy où doivent être mis au point les derniers détails - ou avant-derniers - et la décision confirmée. Sont présents, notamment: (Lacheroy étant parti pour Alger depuis plusieurs jours déjà pour préparer l'affaire sur place) le général Faure qui préside, le colonel Godard, le colonel Vaudrey, le colonel Bernard, le colonel de Blignières, le colonel Callet, le commandant Casati, le capitaine Sergent et quelques autres. Le général Faure confirme que l'insurrection doit être déclenchée à Alger dans la nuit du jeudi 20 au vendredi 21 avril. On compte, pour le premier temps, uniquement sur le commandant Robin avec trois ou quatre de ses compagnies, quelques commandos de l'Air et sur le 1er R.E.P. Mais pour ce dernier, aucune liaison n'a été prise, le chef de corps n'a pas été sondé; quelques officiers et éléments arrivés à Alger, qui sont décidés depuis longtemps, l'ont été par le lieutenant Degueldre. On compte pour entraîner le chef de corps (dont on ignore qu'il est en permission) et l'ensemble du régiment sur la personnalité des chefs du mouvement, d'une part, et sur les officiers mutés en métropole depuis un an, qui vont se rendre là-bas pour l'action.

En dehors de ces quelques unités, les seules sur lesquelles on puisse compter pour déclencher le mouvement à Alger, on pense avoir l'appui des unités suivantes dont les chefs ont pris des engagements et se disent sûrs de leurs troupes:

- 27ème Dragons, à Bouira, colonel Puga

- 1 er R.E.C. , à Kenchela, colonel de la Chapelle

- 18ème R.C.P. , Constantinois, colonel Masselot

- 14ème R.C.P. , Constantinois, colonel Lecomte

- 2éme R.E.C. , Djelfa, colonel de Coatgoureden

 

Le colonel Argoud est chargé de se rendre initialement dans le Constantinois pour informer directement et personnellement celles des unités qui s'y trouvent et leur donner des instructions. Par ailleurs, un officier envoyé par le colonel Brothier (commandant le 1er R.E.) est venu en liaison à Paris il y a un ou deux jours seulement apportant l'adhésion de son patron,les conditions déjà posées par celui-ci étant satisfaites (direction du mouvement par le général Challe). Garantie est donnée par les colonels Argoud et Broizat que, tout ceci étant, on peut raisonnablement compter que les régiments de Légion marcheront, une fois l'affaire déclenchée, sauf les 3ème R.E.I. (colonel Langlois), 13ème D.B.L.E. (colonel Vaillant) et 2ème R.E.P. (colonel Darmuzai), dont les chefs sont inconditionnels.

Le plus gros obstacle est constitué par l'ensemble du commandement tel qu'il s'est trouvé progressivement mis en place par le Régime, depuis le commandant en chef jusqu'aux chefs de secteurs, en passant par les commandants de Corps d'Armée et de divisions (zones). Sauf rares exceptions, il s'agit ou d'inconditionnels et absolument opposés par avance à toute réaction contre la politique algérienne du Régime, ou, et c'est la plupart, de lâches qui attendront de savoir où ira le succès mais, en attendant, serviront la "légalité".

Challe est sûr cependant du général Bigot (commandant la Ve Région aérienne), ce qui est très important. Zeller croit pouvoir compter sur le général Gouraud (commandant le corps d'armée de Constantine). On estime d'autre part que le général de Pouilly (commandant le corps d'armée d'Oran) ne marchera pas mais ne fera pas de résistance et que son adjoint, le général Lhermitte, prendra le commandement à sa place et entraînera le reste des troupes (or Lhermitte est déjà muté et remplacé).

En dehors de ces cas, on dit que le général Arfouilloux (commandant la zone Sud-Algérois et la 20ème D..I. à Médéa) marchera, d'après l'attitude qu'il a eue antérieurement, ainsi que le général de Maison Rouge (commandant la zone Ouest Sahara et Colomb-Béchar) et le colonel de Saint-Julien (commandant le 4ème Hussards dans le Constantinois).

Autres graves inquiétudes concernant l'attitude du contingent, en dehors des paras. On espère cependant qu'il obéira initialement aux officiers et qu'en prenant certaines mesures d'ordre psychologique (réduction du temps de service, remplacement par une mobilisation des Algériens) on arrivera à maintenir l'ensemble.

Les départs sont prévus ainsi: le colonel Godard, le lieutenant-colonel Gardes, le colonel Argoud, le colonel Broizat, le colonel Jacquin et moi-même devront partir clandestinement par avion régulier d'Air Algérie dans la journée du 20, les ex-officiers du R.E.P., qui sont cinq, en principe par un avion militaire au départ d'Istres, à défaut par un avion Air Algérie supplémentaire si possible. Les généraux Challe et Zeller ont, paraît-il, un avion militaire assuré au départ de la région parisienne le 20 après-midi. Tout cela est bien court comme délai. Par ailleurs, déficience grave, le général Gracieux n'a pas voulu adhérer à l'affaire. C'est très regrettable, sa participation aurait été déterminante pour certaines unités hésitantes. On n'a pas voulu faire appel au général de Crèvecoeur considéré comme brouillon: regrettable aussi, on ne sera pas trop nombreux pour remplacer certains chefs.

Le général Faure, le colonel Vaudrey, le colonel Bernard, le colonel de Blignières, le colonel Callet, le colonel Argoud doivent rester en métropole pour déclencher les mouvements, bien faibles et incertains, qui sont prévus. On compte aussi sur l'intervention du général Vanuxem avec des éléments importants dont l'action serait capitale. Le général Faure, en tout cas, ne me cache pas son anxiété pour la métropole. Il me charge de faire tout le possible pour décider le général Challe et les autres à envoyer au plus tôt des unités en métropole. Il m'engage également à mettre de l'huile dans les rouages entre les patrons qui vont sûrement se disputer; on sait déjà que le général Challe et Gérard Guarrigues ne sympathisent guère et que leurs vues, une fois l'affaire déclenchée, ne coïncideront probablement pas. Comme on le verra, je ne serai pas en mesure, faute d'être avec eux à Alger à partir du 22 d'influencer sur ces deux points.

Quoi qu'il en soit, il s'agit d'abord de régler les départs par avion Air Algérie, qui doivent se faire de Marseille sur Alger et Bône, seules lignes où nous ayons des intelligences sûres. Il faut pour cela que quelqu'un soit à Marseille demain matin 15 au plus tard. Personne n'est prêt à partir ce soir. Je m'offre donc. Je mets au point avec le commandant Casati, un code téléphonique où il est question, notamment, d'une certaine Arlette et de ses enfants, pour indiquer les heures, nombres de places, destinations, etc. Le commandant Casati doit se trouver demain matin au bureau de Gérard Garrigues où je téléphonerai après avoir reçu indications des possibilités par M. Lavest chef Air Algérie à Marseille que je dois aller voir dès mon arrivée à Marseille.

Je demande enfin au général Faure, qui continue à discuter avec les autres sur d'autres questions, mes consignes à mon arrivée à Alger, car j'ignore à peu près tout. Seule indication: aller directement à telle adresse, monter au cinquième étage deuxième porte à gauche, où je dois trouver le colonel Lacheroy et le lieutenant Degueldre qui me mettront au courant pour la suite. C'est tout (pas assez comme la suite le prouvera ... ).

Sur ce, brefs adieux et souhaits réciproques. Je téléphone à Gérard Garrigues de venir me chercher à un bistrot voisin avec sa femme. Je passe avec eux chez Mme ... oùj'ai ma planque, prend ma valise déjà prête à toutes fins utiles, et nous allons dîner près de la gare de Lyon. Je mets Gérard Garrigues au courant du code prévu pour la liaison de dimanche matin et lui indique où porter le message au cas où le colonel Argoud ne se serait pas présenté à son bureau, il faut tout prévoir. Je conviens aussi d'un message personnel codé que Nicole (Gardy-Bésineau) lui transmettra d'Alger par téléphone ou télégramme à mon arrivée: Tout va très bien ou Ça va mais il y a quelques difficultés ou L'affaire est ajournée.

Je prends le train et trouve difficilement une place; voyage peu plaisant, c'est un détail. Si l'inconfort, et non les nerfs, car je suis fort calme, m'empêche à peu près de dormir, le moral est bon, ayant bon espoir que l'action va enfin s'engager. Quels que soient les aléas et les insuffisances, j'ai une certaine confiance sinon dans une réussite totale, du moins dans un bouleversement suffisant pour amener la chute du régime; à partir de là, l'exploitation de l'affaire sera du domaine politique plus que militaire et insurrectionnelle. En tout cas, je n'imagine pas une seconde qu'une fois le mouvement déclenché, on puisse s'arrêter sans avoir lutté jusqu'au bout ...

 

19 Avril 1961 :

La prise d'Alger est au point, Lacheroy en est le maître d'œuvre, Challe doit arriver le lendemain.

Argoud raconte comment il y a participé:

20 janvier. Le capitaine Heissat, un ancien du 3e R. C. A., arrive d'Alger. Il me transmet un message du lieutenant-colonel de la Chapelle, qui se met à ma disposition.

22 janvier. Le colonel Brothier, qui commande le 1er R. E. I. à Sidi-Bel-Abbès, est venu en 6e région militaire pour régler des problèmes de recrutement. Il m'apporte des renseignements sur l'état d'esprit des régiments de la Légion. "Neuf sur dix des régiments sont prêts à s'engager sur le nom de Massu. Si Massu ne vient pas, ils s'engageront sur le nom de Broizat et sur le vôtre. Si vous voulez faire une tournée en Algérie, donnez-moi votre tour de tête. Je vous ferai traverser la Méditerranée habillé en légionnaire. Une fois là-bas, vous pourrez vous déplacer comme vous l'entendrez." Il est difficile d'être plus catégorique.

30 janvier. Le colonel Callet m'appelle de nouveau à Paris. A 16 heures, réunion à l'École de guerre. Y assistent Faure, Vaudrey, Lacheroy, Broizat, Chateau, Callet et de Blignières. Faure nous demande si nous sommes d'accord pour tenter l'opération à Alger avec lui dans les quarante-huit heures. Moyens: le I8e R.C.P. et le commando Robin. C'est précisément la solution dont nous ne voulons à aucun prix. Le délai imparti est une plaisanterie. Broizat et moi réagissons vivement. Dans l'après-midi, devant un comité restreint, je précise que je refuse d'accepter Faure comme patron.

4 février. Je vois le général de Bollardière chez son cousin à Strasbourg. Il m'accueille courtoisement. Il me demande mon avis sur la situation en Algérie et sur la politique de De gaulle. Il est très troublé. Il reconnaît que De gaulle a fait de nombreuses erreurs, qu'il a menti sans arrêt depuis trois ans, que le dernier référendum est une escroquerie. Il n'en soutient pas moins, et c'est là que nous nous séparons, que, les choses étant ce qu'elles sont, la politique suivie actuellement par De gaulle est la seule praticable. L'erreur du général de Bollardière est de croire que Ferhat Abbas et ses successeurs, Bourguiba, et Mohammed V, tiendront compte à la France de sa générosité, et que celle-ci retrouvera, sur les plans intellectuel et économique, ce qu'elle a perdu sur les plans militaire et politique.

14 février. Le commandant Guizien, qui commande le quartier d'Edgar-Quinet, vient en permission à Metz. En cas de coup dur, il s'engage à se battre à mes côtés avec son bataillon de harkis. Il tiendra sa promesse.

20 février. Je vois M. Lacoste chez le commandant Loustau. M. Lacoste est dans l'ensemble d'accord avec nous. Mais il ne paraît pas avoir compris la philosophie de la guerre subversive. Il affirme que, s'il se produit un coup de force à Alger, le Gouvernement sera contraint de céder. A 18 heures je me rends à la Maison de l'Amérique latine. J'y retrouve M. Soustelle, le général de Beaufort, Vaudrey, Broizat. M. Soustelle analyse rapidement la situation. Il nous décrit les projets de De gaulle sur le partage de l'Algérie. Le général de Beaufort intervient à plusieurs reprises pour l'appuyer. In fine, j'interviens pour replacer le problème dans son véritable cadre. "Seul un coup de force peut sauver l'Algérie. L'armée est mûre. Il ne peut plus y avoir de progrès. Le problème numéro un qui se pose est celui du chef. Il doit être résolu par priorité: Or il n'y a pas beaucoup de choix. L'heure du déclenchement est fonction de l'opportunité." Ils approuvent, mais personne ne propose de candidat.

7 mars. Je rencontre par hasard le général Vézinet dans le hall du cercle militaire. L'entretien est très sec. Je lui fais part de mes sentiments: "J'ai honte de ma tenue d'officier, de ma qualité de Français. - C'est fichu. Ma seule ambition est de sauver les meubles. Je ne vis plus que sur les nerfs", m'avoue-t-il. Il me fait pitié. Je revois Mirambeau et Beaufort à 17 heures. Ils sont tous deux pessimistes, Beaufort surtout; De gaulle veut l'indépendance de l'Algérie, assure-t-il.

9 mars. Je vois longuement le lieutenant-colonel de la Chapelle à Paris. Il me réaffirme sa décision de s'engager à mes côtés. "Avec ou sans Massu, quatre régiments sont prêts à marcher avec vous: ceux de Masselot, de Lecomte, de Lenoir et le mien." Il me donne un avis réconfortant sur les généraux Gouraud et Ducourneau. Je suis chez Massu à 15 heures 30 avec Broizat. La scène que nous allons vivre est l'une des plus affreuses que j'aie jamais connues. Tout le travail, que nous imaginions avoir effectué dans son esprit, est à terre. Il nous parle de la solution de De gaulle, de l'indépendance de l'Algérie, de la possibilité pour les pieds-noirs d'y demeurer, si nécessaire en coiffant le fez. Nous lui disons, Broizat et moi, ses quatre vérités: "Ce n'est pas pour notre plaisir que nous venons vous voir, et que nous avalons vos grossièretés, mais tout simplement parce qu'il n'y a pas pour l'heure d'autre chef possible.

- Vous ne m'avez pas convaincu. Votre solution ne débouche sur rien. C'est un baroud d'honneur, une folie.

- Nous tenons autant que vous à la vie, à notre famille. Nous nous engageons avec vous. C'est une garantie.

- J'envisage la possibilité de servir d'adjoint à Gambiez."

Nous lui rions au nez.

Je lui souligne les mensonges, les palinodies de tous nos chefs depuis quinze ans. Broizat me fait signe que nous perdons notre temps Nous le saluons et partons. Je ne l'ai jamais revu. Le lieutenant de la France Libre, le commandant de la division Leclerc, le général du 13 Mai, l'idole des Algérois, qui a crié cent fois "Vive l'Algérie française!", le chef sous les ordres duquel des dizaines d'officiers se sont fait tuer pour cette cause, évoque aujourd'hui, d'un coeur léger, l'indépendance. Si loin que je sois arrivé dans le mépris des hommes, je ne l'aurais pas cru, si je ne l'avais entendu de mes oreilles. Mme Massu a gagné. Durement travaillé au corps pendant un an, il a trahi tout ce à quoi il croyait hier. Non pas par intérêt ou par manque de courage physique, mais tout simplement parce que cette rude écorce, ce masque de conquistador cèlent l'indécision, la faiblesse de pensée. Le couple ira plus loin encore sur le chemin... de la contradiction. Nommé gouverneur de Metz après le putsch, en récompense de son abdication, oubliant qu'il a déserté lui-même en 1940, il invitera ses subordonnés à pourchasser ses anciens camarades clandestins, au nom de l'obéissance. Il refusera de venir témoigner en faveur de son ex-aide de camp, le lieutenant Godot. Mais, dans le même temps, il acceptera de recevoir au Palais du gouverneur un membre de l'OAS, venu lui demander de l'argent et des armes. Il refusa certes d'accéder à sa requête, mais il s'en excusera, excipient de l'impuissance à laquelle il est condamné. Quelques mois avant ma libération, Mme Massu rendra visite à ma famille pour lui assurer que "le général me considère toujours comme son propre fils".

La place est nette désormais. Trois officiers généraux restent volontaires: Salan, Jouhaud et Faure. Mais sur aucun des trois noms, pour des raisons différentes, l'armée ne s'engagera: Faure, à cause de son manque de sérieux, Jouhaud, parce qu'il n'est pas connu des officiers de l'armée de terre, Salan, parce qu'il n'inspire pas confiance. Tous les autres, à commencer par le maréchal Juin, se dérobent, avec des alibis dont la subtilité est à la mesure de leurs facultés intellectuelles. Juin porte en l'occurrence une responsabilité écrasante. Il est maréchal de France, donc le chef de l'armée. De surcroît, il est pied-noir. Il est né à Bône. Sa femme est née à Constantine. Ses convictions sont les nôtres. Il connaît bien De gaulle. Il sait que l'indépendance avec lui est inéluctable. S'il s'est montré un remarquable chef de guerre, il n'a jamais fait preuve d'un caractère à la hauteur de son intelligence. C'est ainsi qu'en 1950 il a refusé en Indochine le poste que de Lattre acceptera. Mais cette fois, l'enjeu est de taille. Il s'agit de l'intégrité du sol national et de sa patrie. Il se borne à des demi-gestes. Le 11 Novembre 1960, il s'abstient d'assister aux cérémonies officielles. Il entend par là, explique-t-il, "malgré l'amitié cinquantenaire qui l'a lié au général De gaulle, protester en sa qualité de plus haut dignitaire de l'armée et en tant qu'Algérien contre l'idée d'abandonner nos frères algériens".

Mais cela n'ira pas plus loin. Il refusera toujours de franchir le Rubicon. En 1962, le président Bidault lui adressera un ultime message, le pressant de prendre position à ses côtés. Fatigue des ans, répugnance à quitter une cage dorée? Il ne répondra pas. Le cas des officiers généraux étant entendu, reste le problème des hommes politiques. Je n'en connais guère. N'ayant jamais éprouvé de sympathie particulière pour le système, sa pompe et ses oeuvres. Mais aucun de ceux que j'approche n'envisage qu'il puisse prendre la tête du mouvement. C'est aux militaires qu'il appartient de réaliser le coup de force. Le temps des politiques viendra ensuite, s'il y a des marrons à tirer du feu. Parmi la lignée de supporters de l'Algérie française, deux hommes politiques seulement rejoindront nos rangs: le président Bidault et Jacques Soustelle. Eternelle lâcheté humaine. Tant que l'obstacle a été loin, les déclarations ont été catégoriques, les engagements solennels, dignes de l'antique. Maintenant que nous sommes au pied du mur, l'un trouve qu'il est trop tôt, l'autre qu'il est trop tard. Le troisième ne peut marcher que si le quatrième est présent, le cinquième nous sera beaucoup plus utile à Paris. De gaulle a fait la même constatation lorsqu'il était à Londres, pendant l'été 1940. Ceux auxquels nous posons la question ne nous pardonneront pas de les avoir contraints de se renier. Nos seuls amis restent ceux auxquels nous ne nous sommes pas ouverts, et qui, le front haut, pourront nous reprocher de ne pas avoir fait appel à eux. Tous, bien entendu, critiqueront après coup notre action, y décelant cent erreurs, qu'ils n'auraient jamais commises. Il faudrait en rire, si le sort de l'Algérie, la vie de centaines de milliers d'hommes n'en avaient pas dépendu.

10 mars. Nous n'avons plus le choix. Si nous voulons nous battre, il nous faudra nous contenter de colonels. Encore, les volontaires ne forment-ils pas une phalange serrée. On les compte sur les doigts d'une main... Je sais que c'est une folie. L'armée conclura que les officiers généraux se sont abstenus parce que nous n'avions aucune chance de réussir. Elle refusera de s'engager. Mais j'ai tellement souffert depuis deux ans de ces abandons, de ces volte-face, de cette impuissance, que je suis décidé à tout tenter.

12 mars. Le colonel de Blignières m'appelle à Paris. Je prends Godot en passant par Verdun. Blignières m'emmène chez des amis, 1, bd Maréchal-Maunoury, près de la porte de Passy. J'y retrouve six jeunes officiers du 1er R.E.P., parmi lesquels le capitaine Sergent, le capitaine de la Forest-Divonne, le lieutenant Degueldre. Nous sommes trois colonels, de Blignières, Vaudrey et moi. Le colonel de Blignières est un officier de cavalerie, un aristocrate fin et racé. Fait prisonnier en 1940 en Belgique, il a tenté à plusieurs reprises de s'évader. Libéré en 1945, il se porta presque aussitôt volontaire pour l'Indochine, où il effectua deux séjours. Arrêté après le putsch, il passera plus de quatre ans à la Santé. Degueldre prend la parole. Il s'adresse particulièrement à moi. "Nous en avons assez des reculades des officiers généraux et des colonels, qui promettent beaucoup et ne tiennent rien. Nous n'avons plus confiance dans les généraux. Si les colonels ne veulent rien faire, nous sommes décidés à mettre le feu.

- Je comprends votre état d'esprit, répliquai-je. C'est aussi le mien. Mais je ne puis marcher tout seul. Ce serait un suicide. J'accepte de prendre votre tête, si Broizat et Dufour se joignent à moi.

- Mon colonel, je vous accompagne", dit Vaudrey. Degueldre revient à la charge: " Nous mettons trois compagnies du 1er R. E. P. à votre disposition. Si le 25 vous ne vous êtes pas décidés, nous déclencherons le mouvement.

- Je ne veux pas m'engager sur une date précise. Si Broizat et Dufour acceptent, c'est moi qui fixerai l'heure et les conditions."

14 mars. Je rencontre Broizat à Châlons. Il estime que la présence de trois ou quatre colonels ne suffit pas. Je n'arrive pas à l'en faire démordre. "La situation politique n'est pas favorable. De gaulle peut difficilement accorder l'indépendance au G.P.R.A. Les négociations ne peuvent aboutir. Il faut attendre. - Je ne suis pas sûr que De gaulle n'aille pas jusqu'à l'indépendance. Car on ne peut plus lui accorder la moindre confiance. De plus, nous ne pouvons plus attendre. Au fur et à mesure que le temps s'écoule, les masses musulmanes, qui ne peuvent saisir les subtilités de ce processus, s'éloignent de nous. Il sera impossible de revenir en arrière."

20 mars. Vaudrey et Godot m'apportent des éléments nouveaux. Challe serait disponible. Le changement d'attitude de Challe me surprend. Mais, en quelques instants, je réfléchis à la situation nouvelle. Sa présence serait un atout sérieux. Elle risque d'entraîner nombre de ralliements parmi ses anciens subordonnés. Nos dissentiments passés ne doivent pas entrer en ligne de compte. "Si le général Challe marche, je le suivrai, affirmai-je. Quelle est la date envisagée?

- Le 26 mars. Tout dépendra de l'arrivée du 1er R.E.P. à Zéralda. - Si la question du chef est réglée, il serait absurde de se lier par une date aussi rapprochée. Je n'ai pas le temps, en six jours, de prévenir le 1er R.E.P. et d'avoir sa réponse. Mais je veux être sûr de l'authenticité de la nouvelle." Vaudrey me promet une réponse pour le jeudi suivant 23.

23 mars. Je reçois une lettre de Vaudrey. Elle contient plusieurs précisions. L'affaire est reportée aux 1er, 2 ou 3 avril. La présence de Salan, Jouhaud, Faure, Gardy est acquise. Celle de Zeller et de Challe est probable. Brothier s'est engagé. Les régiments qui m'ont promis d'être à mes côtés ont été touchés directement. Je téléphone aussitôt à Blignières pour lui souligner le caractère impératif de la présence de Challe.

25 mars. Je mets le général Lecoq au courant. Il partage mon opinion.

27 mars. Je pars pour Paris à 8 heures. Une réunion a lieu à l'Ecole de guerre. Y assistent les généraux Jouhaud, Faure, Gardy, les colonels de Blignières, Godard, Broizat, le commandant Robin, le capitaine Sergent et Degueldre. J'apprends que la participation de Challe n'est pas encore acquise et que le 1er R.E.P. a été maintenu sur place par Gambiez. Jouhaud s'inquiète auprès de chacun de nous, pour savoir quelles unités marcheront dans un premier temps. Sans un minimum, ajoute-t-il, Challe ne s'engagera pas. Broizat souligne encore que, faute de Massu, la présence de Challe est indispensable. Jouhaud approuve Broizat. Il reconnaît bien volontiers qu'il n'a pas fait le poids en décembre. Degueldre nous prévient à nouveau que, si la hiérarchie déclare forfait, quelques camarades et lui sont décidés à sauver l'honneur. Le commandant Robin exprime son pessimisme sur l'état d'esprit de ses harkis, et surtout sur celui des hommes du contingent. Si nous ne nous décidons pas vite, un nouveau discours de De Gaulle peut encore réduire nos possibilités. Jouhaud clôt la séance. "J'informerai le général Challe de ce qui s'est dit au cours de cette réunion."

29 mars. De Blignières m'apprend que l'affaire est reportée, une fois de plus. Broizat me prévient que Challe nous recevra le lendemain, dans son appartement parisien.

30 mars. Nous y pénétrons à 13 heures 30. J'explique au général pourquoi nous venons le voir. Massu se récusant, nous nous tournons vers lui. Car, seul, il peut décider les officiers généraux. Nous avons envisagé un instant de tenter l'opération entre colonels, mais la probabilité du succès eût été très mince. Je lui décris ensuite notre plan. Prise d'Alger par une action directe conjuguée avec une intervention en provenance du Constantinois. C'est dans un deuxième temps que son action sera décisive. Il réagit assez violemment. Lui aussi a son plan. Il consiste en une grève généralisée de toutes les mairies de la Mitidja. Grève à l'intérieur des bâtiments administratifs, pouvant aller jusqu'à un combat à mort. C'est aberrant. Je lui dis, tout de go, que je considère son plan comme irréalisable. Nous nous heurtons alors au sujet des Européens d'Algérie. Il n'a toujours pas avalé son avanie du 24 janvier 1960 et il leur garde une rancune tenace. "C'est bien, nous accorde-t-il comme à contrecœur. J'accepte votre plan. Mais c'est moi qui commanderai et qui fixerai l'heure H." Il envisage un délai de plusieurs mois. Je lui expose alors les motifs qui militent en faveur d'une action plus proche. Il finit par admettre un délai de trois à six semaines. Il enchaîne: "Il me faut plusieurs milliards pour tenir trois mois. J'ai besoin d'une organisation très poussée: cellules dans les zones, secteurs. - Mon général, cette organisation est, elle aussi, irréalisable, étant donné les conditions du moment. - L'affaire doit être. bien montée sur Alger, avec quatre ou cinq régiments au minimum. - Ce qui vous a été proposé, quelques compagnies, me paraît très mince. Par contre, quatre régiments, c'est beaucoup trop, car il s'agit d'une action par surprise, de nuit. Je pense que deux régiments doivent suffire." Il ne paraît pas convaincu. En prenant congé, je lui pose la question de confiance: "Etes-vous irrévocablement décidé? - Oui, me répond-il. - Puis-je dire à La Chapelle que vous ne nous laisserez pas tomber? - oui".

Encore une réunion à 18 heures à l'École militaire avec Jouhaud, Faure, Vaudrez, Broizat, Basset, Casati et Sergent. Faure expose les résultats de l'entrevue qu'il vient d'avoir avec Challe, Jouhaud, Zeller et Vanuxem chez M. Regard. Challe a laissé tomber ses exigences sur les mairies. Il accepte de prendre le commandement. C'est lui qui fixera l'heure. Faure demande alors quels sont ceux qui ne marchent qu'avec Challe, et ceux qui sont décidés à marcher en tout état de cause; Broizat et moi reprenons nos arguments. Jouhaud s'inquiète de savoir si La Chapelle s'engagera dans tous les cas. Je réponds qu'il ne s'engagera qu'avec moi. Il décide alors d'agir sur Challe, pour l'amener à s'engager dans des délais acceptables.

1er avril. Le G.P.R.A. refuse de venir à Evian le 7 avril.

9 avril. Le lieutenant de Labigne m'apporte un mot de de Blignières. Challe, Massu et Gracieux seraient d'accord. La nouvelle m'apparaît digne de foi.

11 avril. De gaulle donne une conférence de presse. Le ton est amer, équivoque, sordide. C'est le ton d'un marchand de tapis et non plus celui d'un constructeur d'empire. Il envisage, cette fois, de larguer l'Algérie, purement et simplement. "La France n'a aucun intérêt à porter à bout de bras l'existence des populations dans une Algérie qui n'offrirait rien en échange de ce qu'elle aurait a demander. C'est pourquoi la France considérerait avec le plus grand sang-froid et d'un coeur tranquille que l'Algérie cessât d'appartenir à son domaine."

Juste un mot, à la fin, pour ceux qui sont sur le terrain: "Nous inviterons à quitter les territoires intéressés ceux de nos nationaux qui courront vraiment trop de risques. Nous aurions à les regrouper en assurant leur protection. Quant à ceux qui auraient la tentation de prendre notre relève, je leur souhaite bien du plaisir."

12 avril. J'ai rendez-vous à Paris avec le général Blanc, ancien chef d'état-major de l'armée, conseiller d'Etat aux missions extraordinaires. Le général Blanc m'emmène chez M. Massenet, ancien igame de Lyon, alors président de la R.A.T.P. M. Massenet nous accueille dans son bureau, au bord de la Seine. Son analyse générale du problème recoupe la mienne. Il parle longuement et en particulier du problème administratif. Il se refuse à nous accompagner en Algérie dans un premier temps. Il nous sera plus utile à Paris. Un de plus qui est prêt à nous aider de ses conseils.

A 18 heures, dernière réunion à l'École de guerre. Le général Faure nous annonce que Challe a décidé la date du 19 ou du 20. Il ajoute que Challe veut arriver à la dernière minute avec Broizat, Godard et moi. "Nous devons tous arriver en même temps. Je dois pouvoir affirmer aux camarades que le général Challe est là, et que je l'ai vu", déclaré-je. Tous m'approuvent. Faure me prend alors à part pour me demander des explications sur les réticences dont j'ai fait preuve à son sujet. Je lui réponds qu'elles proviennent de ce qu'il ne fait pas le poids auprès des camarades. Nous évoquons le problème de la déclaration que Challe fera à Alger. Il a manifesté l'intention de la rédiger dans l'avion. J'aimerais qu'elle nous soit soumise auparavant. Broizat m'approuve.

13 avril. Je rends compte au général Lecoq et au général Constans.

17 avril. Une lettre de Broizat m'apprend que l'affaire est prévue pour la nuit du 20 au 21. Le colonel Lacheroy est parti en élément précurseur. Le général Challe et le général Zeller n'arriveront à Alger que dans la soirée du 20.

 

Quinze mois se sont écoulés depuis les barricades. Trente-cinq mois, depuis mai 1958, jalonnés par les déclarations du , chef de l'Etat. Chacune de ces déclarations a annulé la précédente, en tout ou en partie. Il a fallu trois ans à De gaulle pour passer de l'Algérie française à l'abandon vulgaire. Cette longue période de reniements n'a provoqué aucun remous sérieux en France. De gaulle a spéculé en artiste sur la veulerie de ses compatriotes.

Les Français, l'intelligentsia, le monde politique, les syndicats à leur tête, lui ont, à une large majorité, donné un quitus de sa gestion et un blanc-seing pour l'avenir. Ils partageront donc collectivement la responsabilité du crime commis. En face, le nombre des partisans de l'Algérie française s'est réduit comme la peau de chagrin. Lorsqu'il est apparu assuré que seul un coup de force pouvait sauver l'Algérie des milliers d'opposants par le verbe, il n'est plus resté que quelques douzaines d'hommes prêts à risquer leur vie.

II a fallu près de six mois d'efforts pour trouver un chef à l'entreprise, qui réunît les conditions minimales exigibles. Un seul s'est présenté. Il n'y a pas eu de choix. C'était lui ou rien. La politique de De gaulle a enfanté les violences des barricades, celles du putsch.

La décadence française a réalisé les conditions de leur échec.

Antoine Argoud, "La décadence, l'imposture et la tragédie" Fayard 1974.

 

20 Avril 1.961 :

 Pour la troisième fois, le délégué social aux affaires algériennes est assassiné par le FLN, à Paris. Il s'agit d'un fonctionnaire, qui s'occupe des oeuvres sociales des algériens en France.

Plastic à la préfecture de Chartres.

 Plastics à Alger, Bône, Mostaganem.

Un agriculteur assassiné à Tiaret.

 Arrivent à Alger par un Nord Atlas , avion militaire les généraux Challe et Zeller et le colonel Broizat. C'est le général Bigot, patron de l'armée de l'air en algérie qui, à la demande de Jouhaud, a envoyé cet avion à Creil. L'avion a attéri à Maison Blanche, puis redecollé pour la base de Blida, premier pataqués.

Ils sont accueillis par les colonels Robin (le seul avec encore un commandement en algérie, l'armée a été considérablement épurée) et Lacheroy, lui arrivé il y a quelques jours à Alger par un avion régulier. Challe apprend aec étonnement que l'affaire est remise au lendemain et que le commandant Saint Marc, qui remplace à la tête du premier REP le colonel opportunement en permission, n'est au courant de rien.

 Pendant toute la journée du 21, Challe reçoit dans le PC de Robin les responsables militaires de la région, en particulier le commandant de Saint Marc, ancien de Buchenwall et d'Indochine, commandant par interim du premier régiment étranger de parachutiste, remplaçant le colonel Guiraud, opportunément en permission. Tous les lieutenants de ce régiment (dont le lieutenant Degueldre, muté en France, déserteur, revenu clandestinement) sont au courant de la tentative désespérée qui va avoir lieu, Degueldre se fait fort de manœuvrer le premier R.E.P. si Saint Marc refuse, Saint Marc accepte, le R.E.P. ira au coup de force en unité constituée.

Voici comment dans le livre Blanc de l'armée française en algérie, Hélie de Saint Marc raconte son engagement: "J'étais alors commandant, adjoint au colonel commandant le 1er régiment étranger de parachutistes. Revenant à notre base arrière, après quelques opérations, mon colonel, dont la famille réside en métropole, prend quelques jours de permission. Au moment de monter dans l'avion, à Maison-Blanche, il me prend par les épaules en me disant: "Saint Marc, je vous confie le régiment. Nous vivons une époque tragique où il n'est pas facile, pour un honnête soldat, de savoir où est le droit chemin."

Il ne pensait pas si bien dire. Quelques jours plus tard, un civil algérois - européen - vient me voir et me dit: "Mon commandant, le général Challe est revenu clandestinement à Alger. Il veut vous voir de toute urgence."

Le général ChaIle avait commandé toutes les troupes françaises en Algérie, et les avait menées à la victoire. Ensuite, en désaccord avec le général De gaulle, il avait donné sa démission, et on lui avait interdit de revenir sur le territoire algérien. Je le connaissais pour avoir été son officier opérations dans le cadre de la l0e DP, et j'avais pour lui de l'admiration, du respect et de l'amitié. J'ai donc tout de suite compris qu'il allait me proposer quelque chose de grave, et j'ai senti au plus profond de moi-même cette douleur physique que l'on éprouve, au début des combats, lorsqu'on entend siffler les premières balles, crépiter les premières rafales. Je me suis donc rendu à la convocation du général Challe, qui m'a reçu dans une villa des hauts d'Alger. On m'a fait entrer dans une pièce où il était seul derrière une table, en civil, avec son blouson d'aviateur, sans aucun insigne de grade. Il avait le regard fatigué, les traits tirés, et j'ai deviné le poids terrible qui pesait sur ses épaules. Il m'a dit: "Saint Marc, je vais vous demander quelque chose de terrible." Il l'a dit à deux reprises.

" Vous commandez actuellement le 1er REP et moi, cette nuit, je m'apprête à entreprendre une action illégale contre le gouvernement de mon pays, parce que j'estime que ce gouvernement trahit l'armée - cela n'est encore pas trop grave, elle en a l'habitude - mais aussi les populations auxquelles nous avons promis notre protection. Dans quelques jours, quelques semaines, ce gouvernement va signer avec les représentants de la rébellion qui sont à Tunis un accord au terme duquel nous devrons quitter l'Algérie et livrer ces populations au massacre ou à l'exil collectif. Je vais donc entreprendre cette action pour m'y opposer. J'ai besoin de vous. J'ai peu de temps à vous accorder: je voudrais savoir si vous êtes avec moi ou contre moi."

Je lui ai posé quelques questions, auxquelles il a répondu.

Puis il y a eu entre lui et moi un long silence au cours duquel, comme dans un éclair, j'ai revu des mains qui se crispaient sur les ridelles d'un camion: les mains de mes partisans que j'avais abandonnés, et les crosses abattues sur ces mains pour leur faire lâcher prise.

- Je lui ai dit: "Mon général, je me mets à vos ordres, et je pense que le 1er REP me suivra." En quelques secondes, j'étais passé du statut d'un officier discipliné et légaliste à celui d'un rebelle passible de douze balles dans la peau dans les fossés du fort de Vincennes. Sur la lame du rasoir, j'avais fait basculer mon destin.

 

 Voici la version donnée par Jean Brune dans son livre " interdit aux chiens et aux français ", éditions Atlantis: C'était le jeudi 20 avril 1961, à une heure du matin. Un avion avait atterri tous feux éteints sur la base aérienne de Blida, à cinquante kilomètres d'Alger. Après avoir paru hésiter, il était allé se ranger en bordure des fossés qui séparent la route des champs d'atterrissage; des ombres en étaient descendues. El1es confabulaient avec d'autres ombres qui attendaient les étranges voyageurs dans la nuit parfumée de senteur d'orangers. Le ciel était pur, givré de milliards d'étoiles, et l'énorme masse de l'Atlas se profilait sur ce scintillement de vivier, comme une muraille coupée par la brèche de la Chiffa.

L'un des hommes qui revenait ainsi clandestinement en Afrique y avait commandé en chef. Il s'appelait Challe. Il était accoutumé, quand il descendait des avions militaires, à recevoir l'hommage des fanfares éclatant dans un brusque déchirement de cuivres, et à passer en revue les piquets de parade. Ce soir, sa silhouette lourde se découpait sur les étoiles à côté de celle du colonel Broizat et de l'ombre plus frêle du général Zeller qui venaient de débarquer avec lui.

Chal1e avait demandé :

- Où en sommes-nous ?

On lui avait expliqué que le projet de coup de force prévu contre Alger, pour ce soir-là, avait été remis à la nuit suivante et Chal1e s'était emporté.

- Comment, rien n'est déclenché ?

Rien n'était déclenché. Les officiers qui avaient accepté la tâche de s'emparer d'Alger, refusaient d'engager l'action avant d'être assurés que Challe était réellement revenu en Afrique et qu'il était prêt à prendre le commandement de l'aventureuse entreprise. Mais l'ancien chef des forces armées d'Afrique se réveillait en Challe. Il dit :

- Vous allez apprendre à obéir .

Le colonel Broizat avait alors enlevé ses lunettes dans un geste qui lui est familier lorsque ce qu'il a à dire revêt une gravité particulière.

- Il faut les comprendre, répondit-il à Challe. Ils ont déjà beaucoup été déçus par les généraux.

 La remarque était si juste que quelques semaines avant, à Paris, Roger Degueldre avait exigé qu'un officier supérieur vînt en Algérie en attendant le déclenchement du coup de force, comme un otage. On avait cédé. Et ce soir Challe arrivait à son tour sur les terres en délire dans la paix d'une nuit de printemps. Le voyage n'avait pas été simple. Les mouvements aériens étaient trop surveillés pour que l'on osât faire débarquer l'ancien commandant en chef pendant le jour, sur l'une des bases où sa silhouette était familière. Il avait été convenu qu'une manœuvre nocturne aurait lieu au-dessus de la base de Blida. Les avions procéderaient à un lâcher de parachutistes et tourneraient un moment dans le ciel. Ainsi, au moment de l'atterrissage, serait-il possible d'intercaler l'appareil arrivant de France, avec le général Challe à son bord, entre ceux qui rejoindraient leur base, la manœuvre finie.

A l'heure prévue, les lourdes machines volantes prirent l'air, l'une après l'autre, emportant les groupes de parachutistes pour une fois figurants inconscients d'une action. La nuit était belle; énorme masse fourmillante d'étoiles qui palpitaient au rythme d'une vie secrète. L ' Atlas barrait d'une falaise plus dense l'horizon du sud. Les initiés guettaient le ciel où passaient les grandes ombres des avions arrachés à la terre par des vacarmes d'enfer. La radio qui devait annoncer l'arrivée de l'avion portant le général Challe se taisait et ce silence insolite paraissait creuser un trou énorme dans le malstrom sonore qui broyait la nuit.

 Peu d'entreprises de ce genre ne butent pas sur le détail inattendu qui complique tout. Cette nuit là, le détail c'était le retard du général Challe. Les avions larguèrent les commandos de parachutistes sur les zones prévues et revinrent tourner autour de la base, pour prendre leur tour d'atterrissage. Il tombait du ciel des averses de vacarme et parfois l'on apercevait une ombre d'avion fauchant les champs d'étoiles. Les pilotes appelaient. Ils s'étonnaient de ce que ne leur eût pas encore été donnée la permission d'atterrir. On éluda les appels trop pressants, mais les secondes parurent couler plus lentement dans l'orage sonore qui ravageait le ciel. Des pilotes las de tourner dans la nuit s'impatientaient. Les postes récepteurs crachaient des injures à l'adresse des services toujours accusés d'incapacité par les combattants. Il fallait attendre cet avion qui se taisait; ce bruissement d'élytres qu'il s'agissait d'effacer dans une avalanche de bruits. Les appareils tournaient toujours, coulant dans le ciel un toit métallique d'où tombaient les appels des pilotes comme des voix de charpentiers excédés. Tous les plans minutieusement établis depuis des semaines, les rendez-vous de traqués, les secrètes retrouvailles, les conciliabules tenus dans des gares, dans des villas de banlieue, à Paris, ou les bureaux de l'Ecole militaire ou des Invalides, risquaient de s'effondrer, ramenés à néant par l'absence de cet avion que semblaient avoir broyé les meules invisibles qui tournaient dans le ciel.

 Enfin, la petite voix tant attendue tomba des étoiles et l'appareil atterrit au coeur de la grande fête du bruit, la magie des balises et les phares des avions traînant derrière leur attelage de lumière de grosses bêtes grondantes de colère. Une ultime anicroche avait failli tourner au désastre. L'avion portant le général Challe avait atterri normalement ; mais au lieu de rouler vers le point de la piste où était fixé le rendez-vous, le pilote, trompé par les lumières qui dansaient partout, s'était dirigé vers l'unité de protection de la base: la gueule du loup. Alerté à temps, il avait remis ses moteurs en route pour aller se ranger au bord des fossés.

Maintenant, Challe jetait à ceux qui l'accueillaient qu'il allait leur falloir apprendre à obéir!

Jouhaud raconte que c'est une erreur matérielle qui a fait decaler d'un jour, pieux mensonge.

Suite des souvenirs du général Gardy: Je me pointe au bureau de M. Lavest à Air Algérie vers 9 heures et y trouve le lieutenant colonel Gardes qui vient d'arriver, très gonflé et assez optimiste. Le colonel Argoud est arrivé avec lui, mais est sorti pour une course. Ils vont donc partir tous les deux pour Bône tout à l'heure. La troisième place ne sera pas occupée. Cela vaut d'ailleurs mieux, il est assez délicat d'embarquer deux clandestins. Trois auraient été un maximum, pas très prudent.

Je trouve par ailleurs le commandant de Coategoureden, ex 1er R.E.P., qui m'apprend que lui et ses camarades, le capitaine Sergent, le lieutenant de La Bigne, le lieutenant Labriffe, le capitaine Ponsolle, ont pu être prévus pour partir sur un avion militaire dans la journée. Je respire car je considère leur présence indispensable.

Je vois enfin le colonel Godard qui doit partir avec moi cet après-midi. Nous ne serons que nous deux. En effet, le colonel Broizat s'embarque avec les généraux Challe et Zeller. Quant au colonel Jacquin, il a été impossible de le prévenir. C'est très regrettable.

Lavest, de retour de Marignane, m'apprend que les deux passagers de ce matin sont partis sans encombre sinon sans émotions. Puis, je m'en vais flâner et déjeuner vaguement en tendant 14h30, heure à laquelle je retrouve le colonel Godard et le colonel Argoud qui nous amène dans sa voiture à l'aérodrome.

On nous parque dans une petite pièce en attendant l'heure de l'embarquement. Un fonctionnaire de la Compagnie vient nous y chercher au moment où les passagers sont appelés dans l'avion et nous prenons place dans une camionnette qui doit nous y amener sans être passés par les contrôles. Grave ennui, un gendarme, chose tout à fait inhabituelle est posté sur l'itinéraire menant à l'avion, sans doute pour arrêter les voitures qui voudraient passer par là. Lavest a vu le danger et va faire un brin de causette au pandore tandis que la camionnette attend. Il arrive à lui faire tourner le dos et à s'intéresser vivement à des évolutions d'avions opportunément surgis dans le ciel. Le chauffeur embraye et nous passons, moteur extrême ralenti, sans que le cogne y fasse attention. Nous descendons et nous mêlons, mine de rien, aux passagers. Les deux hôtesses, l'une d'entre elles est Melle Fossey-François, nous installent près de la sortie; elles ont planqué les valises de façon à ce que nous les prenions nous mêmes à l'arrivée.

Bref voyage sans histoire (Caravelle). Je survole cette terre d'Algérie et sa capitale que je craignais de ne plus revoir, avec émotion, nous demandant si nous réussirons à l'arracher au sombre destin qui l'attend au cas où nous échouerions, heureux en tout cas d'être là, avec la perspective d'agir et de combattre, dans quelques heures, pour notre cause .

Atterrissage à Maison Blanche. Les hôtesses nous font sortir les premiers avec nos valises et nous montons immédiatement dans une voiture qui nous attend avec un fonctionnaire de aéroport sans trop attirer l'attention tandis que les passagers se dirigent vers la sortie normaie et les contrôles. La voiture sort des limites de l'aérodrome sans incident et nous voici sur la route. Ne restent que les contrôles routiers, s'il y en a. Un peu plus loin, les deux hôtesses nous rejoignent avec leur voiture où a pris place M. Lavest qui est venu à Alger, sous prétexte de service, dans le même avion.

Nous arrivons à l'adresse que m'a indiquée le général Faure. Le colonel Godard, pour une raison dont je ne me souviens pas, s'attarde en bas pendant que je grimpe les cinq étages, avec 1a valise, assez lourde. Je frappe à la 2ème porte à gauche d'un palier assez sordide. Pas de réponse; je frappe à nouveau deux fois, trois fois, quatre fois, pas de réponse ... J'appelle. Une bobonne peu avenante ouvre la porte voisine et demande ce que je veux. Assez embarrassé, je lui réponds que je viens voir monsieur Untel. Elle ne connaît pas, bien entendu, et, à mes questions, dit qu'en effet il y avait là "des gens", il y a deux ou trois jours, mais qu'il n'y a plus personne ... Bien embêté, je descend, l'air pas très fin, croise Godard dans l'escalier et le met au courant. Nous n'avons aucune adresse de secours, ce qui aurait dû être prévu. Je ne vois qu'une solution, essayer de téléphoner à Nicole qui doit savoir où se trouve le lieutenant Degueldre. Heureusement, les deux hôtesses sont encore là avec leur vieux cabriolet deux places; l'autre voiture est partie. Elles nous proposent de nous emmener chez Mme X, chef-hôtesse d'Air Algérie, d'où nous verrons pour téléphoner à Nicole, ce qui est fait.

Arrivés là, M. X m'emmène dans un bistrot où j'arrive difficilement à avoir la communication avec Nicole à qui je demande de venir d'urgence me retrouver chez les X. Elle ne reconnaît pas ma voix. Après quelques phrases permettant de m'identifier, elle comprend et répond qu'elle arrive, le temps de faire la route. Tout ceci, par téléphone et avec les centraux intermédiaires, n'est pas sain. Mais quoi faire?

Retour chez les X. nouvelle catastrophe. Godard s'est aperçu qu'il a oublié dans le couloir de l'immeuble de tout à l'heure, dans la confusion de notre embarquement dans la voiture des hôtesses, son imperméable et surtout sa serviette, ou ses papiers d'identité, à son nom! Angoisse, dans un moment, toutes les autorités d'Alger peuvent apprendre qu'il est ici et en tirer les conclusions, en conséquence donner l'alerte partout! On renvoie les hôtesses là-bas essayer de retrouver la serviette, sans trop d'espoir. Elles reviennent une demi-heure plus tard, brandissant le fatal objet. Arrivées juste à temps: un certain nombre de personnes contemplaient imperméable et serviette abandonnés, se demandant s'il ne s'agissait pas de bombe ou de plastic ... L'une d'elles se disposait à prévenir le commissariat ... Soupir de soulagement.

Nicole arrive enfin au carrefour où je lui ai donné rendez-vous, avec le capitaine Bésineau et Anne Le Biar, dans la voiture de celle-ci. Nous revenons ensemble chez Mme X. Dès mes premiers mots, stupéfaction de Bésineau et des deux femmes. Il ne sait rien, personne ne sait rien, parmi ses camarades, d'un mouvement imminent. Ni matériellement, ni surtout psychologiquement, rien n'est prêt pour y participer, surtout comme premier élément. Il est absolument impossible de l'exécuter cette nuit. Or il est déjà 20 heures à peu près. Par ailleurs, le colonel Guiraud est tranquillement en permission en France. C'est le commandant de Saint Marc qui commande. Des dispositions étant prises a priori, il est douteux qu'il marche dans ces conditions. Il y a des mois qu'on ne parle plus de ces perspectives dans le milieu; personne n'y croit plus. Demain matin, le général Saint-Hillier doit venir au camp en vue d'une prochaine prise d'armes où doivent assister Pierre Messmer, ministre des Armées et le général Morel, inspecteur de la Légion étrangère (pour le 30 avril).

Sommes déconcertés et inquiets. La préparation, quelles que soient les nécessités du secret, a été bien incomplète. Qu'a pu donc faire le colonel Lacheroy, précurseur à Alger depuis près d'une semaine? La seule chose à faire est de le retrouver par l'intermédiaire de Roger Degueldre que Nicole croit avoir des chances de pêcher en ville.

Départ de Nicole; nouvelle attente, dans une grande inquiétude. Enfin, vers 21h ou 22h, retour de Nicole et de ses compagnons flanqués de Roger Degueldre. Soupir de soulagement. L'affaire est ajournée de 24 heures, décision prise par Lacheroy en accord avec le général Challe, la raison majeure étant qu'elle ne pouvait être mise au point sans la présence de celui ci au moins une journée d'avance, ce qui est d'ailleurs exact.

Soulagement. Degueldre est plus optimiste que Bésineau en ce qui concerne l'esprit de cette formation et dit qu'en une journée on décidera tout le monde.

Lacheroy n'a pas estimé nécessaire de nous voir ce soir pour nous mettre au courant, ce qui est curieux et pas très correct. Par ailleurs Degueldre avait informé Paris que la carrée où je devais aller était "grillée" et indiqué un autre rendez-vous. Pour une raison non éclaircie, la commission n'a pas été faite. Nous aurions pu être harponnés par la poulaille dès notre arrivée ...

Godard et moi partons avec Degueldre pour passer la nuit chez M. Moraud. Pas de nouvelles de l'avion des généraux Challe et Zeller et du colonel Broizat, non plus que de celui du capitaine Sergent et de ses camarades.

Sur ce, passons une nuit sans nouveaux incidents.

 

 

21 Avril 1961 :

Le 22, à zéro heure, Alger est occupé, en particulier la radio, le gouvernement général, et surtout la caserne des Tagarins où résident les gardes mobiles du colonel Debrosse, l'homme des barricades.

Le général Gambiez, patron militaire, averti, s'est porté seul au devant du R.E.P., il est arrêté par le lieutenant Durand Ruel, qui lui prend son arme et le met aux arrêts. De mon temps, jeune homme, lui dit Gambiez, les lieutenants n'arrêtaient pas les généraux. De votre temps, répond Durand Ruel du tac au tac, les généraux ne bradaient pas l'empire.

Un grand nombre d'unités se rallient, en particulier le commando harki d'Edgar Quinet, qui ensuite, sera abandonné, assassinés dans les pires tortures avec femmes et enfants, et, cerise sur le gâteau, quand le F.L.N. fera semblant de découvrir le charnier de plus de mille corps à Kerala, où ils reposent, la grosse presse socialo-communiste les mettra sur le dos de l'armée française. Egalement le Groupement de Commandos Parachutistes du commandant Robin, pied noir, qui sera le fer de lance de l'opération.

Au corps d'armée d'Alger, le général Vezinet est un gaulliste inconditionnel, il essaye de sortir son revolver, les mutins le ceinturent, au cours de la bousculade le grand portrait du général De gaulle qui est au dessus de son bureau lui tombe sur la tête et l'encadre à son tour, les mutins en rient encore.

bref.

Jean brune (interdit aux chiens et aux français, éditions Atlantis) raconte : Cependant quelque chose avait filtré du projet en cours. Il n'est pas de secret que puissent garder tant d'hommes en marche vers leur mystérieux rendez-vous et les palabres menées par Argoud et Broizat pour bâtir l'affaire, avaient éveillé quelques échos. De confuses alertes chuchotées de bouche à oreille avaient couru d'un bout à l'autre de l'Algérie, comme ces rumeurs sourdes roulées sur des horizons déjà brouillés et qui annoncent les orages d'été. Affolés par l'imminence d'un événement qu'ils pressentaient et dont ils savaient qu'il les acculerait à un choix difficile entre les commandements contradictoires de l'intérêt et de la conscience, les fonctionnaires en uniforme s'étaient rués dans l'une de ces échappatoires qui révèlent à la fois les failles secrètes du caractère des hommes et la maladie cachée dont souffre un ordre mourant.

Ils s'étaient fait mettre en permission pour éluder le choix. Partout, dans les "djebels" ou sur les plateaux, les ébullitions minérales des Aurès, de l'ouarsenis ou des monts kabyles, sur les plaines pierreuses du Hodna ou du Chergui, ou les corniches tourmentées du Dahra et les forêts de l'Akfadou ou de l'Edough, des chefs étaient partis pour n'être pas en Afrique quand se lèveraient les aurores difficiles. Les historiens qui, plus tard, voudront écrire l'histoire du 22 Avril 1961 devront d'abord établir une liste des colonels et des généraux permissionnaires. Ils découvriront alors que le "putsch" d'avril 1961, c'est l'épreuve de force entre une élite qui s'engage, qui jette tout dans l'aventure jusqu'aux soldes, jusqu'au prestige hérité du passé, jusqu'à la vie; et un troupeau qui élude l'engagement et l'abandonne aux sergents, parce qu'il a depuis longtemps choisi entre l'auge et le sacrifice à une idée.

A Alger, le haut commandement avait multiplié partout les patrouilles de gendarmes et renforcé nuit après nuit les systèmes de barrages. Qui commandera ? Sergent avait répondu: "Les colonels, naturellement!" Alors, Argoud avait bondi: "Pas question! Challe sera le patron. Nous avons obtenu son accord à cette condition. Si elle n'est pas remplie, Broizat et moi, nous n'en sommes pas!" On avait voulu faire un coup de force respectant scrupuleusement l'échelle des hiérarchies. Il est certain que, quelque part, à un moment donné, quelqu'un avait dû dire: "Dans l'ordre!" L'ordre est l'obsession des corps sclérosés. Et cependant, une entreprise qui commençait par l'arrestation d'un général par un lieutenant était nécessairement un défi à l'ordre

Si les lieutenants et une grande partie des commandants et des colonels se rallient d'enthousiasme il n'en est pas de même des généraux, même de ceux qui avaient donné leur accord tels Gouraud à Constantine, Ailleret à Bône, Brothier à Bel Abbés. voir ICI une carte des unités ralliées. Brothier et le premier étranger font un tour dans Oran, mais ils retournent le soir même à Sidi Bel Abbés. Les activistes pieds noirs et les autres se mettent aux ordres mais Challe n'en veut pas et les renvoie à leurs affaires courantes. Ce même jour, alors que Challe rappelle par téléphone leur promesse aux uns et aux autres, les partisans en métropole sont tous arrêtés d'un coup d'un seul, le gouvernement était parfaitement renseigné. On lira avec interet, dans "Notre Révolte" le livre de Challe, les atermoiements des uns et des autres. "nous avons cogné un édredon" écrit-il.

Les espagnols (ceux qui s'étaient réfugiés en Espagne) tenus à l'écart de la préparation du coup, débarquent le 23, Salan et Susini en tête. Challe les intègre à son équipe, du moins officiellement. Jouhaud raconte que le coup a été très bien accueilli en première réaction ("au palais d'été les gendarmes ont rendu les honneurs aux paras après avoir sablé le champagne avec eux , un escadron de gardes mobiles envoyés en renfort se met spontanément aux ordres de Saint Marc")

Gambiez qui témoigne au procès de Challe et Zeller raconte que sorti dans la rue, ayant organisé un barrage de C.R.S., ces derniers avaient enlevés leurs chargeurs, et ont refusé d'ouvrir le feu à ses ordres.

Suite es souvenirs de gardy: Réveil, etc ... Arrivée du colonel Lacheroy vers 8 heures qui nous confirme ce que nous savions déjà par Degueldre depuis la veille. Je me demande ce que Lacheroy a bien pu faire depuis six jours car rien ne paraît préparé pour l'exécution de la première phase, c'est-à-dire la main mise sur Alger: désignation des objectifs à occuper, des unités qui en seront chargées, étude de ces objectifs et de leurs défenses, etc ..

J'ai l'impression qu'il s'est contenté de laisser faire. Et encore avec qui?

Pour l'instant, nous sommes suspendus à l'arrivée de Challe et de ses compagnons, condition absolue du déclenchement. Commençons à croire qu'ils ne viendront pas ou qu'ils ont été empêchés. Lacheroy se répand en récriminations violentes et en récriminations diverses, ce qui n'arrange rien.

Enfin, vers 9 ou 10 heures, apprenons que nos personnages ont tous atterri hier soir à Blida et sont arrivés tout à l'heure à la villa du quartier des Tagarins (tout proche de la caserne des gardes mobiles !) où est établi pour la journée le P.C. provisoire. Nous nous y rendons aussitôt.

Challe et Zeller sont là, en effet, ainsi que le général Jouhaud. Les seuls exécutants prévus pour l'instant sont le commandant Robin et le lieutenant Degueldre que viennent rejoindre un peu plus tard le capitaine Sergent et ses camarades, bien arrivés eux aussi . J'oubliais le colonel Broizat venu avec ses patrons. Tout le monde est bien décidé et assez optimiste. Challe me met sommairement au courant de sa conception de l'affaire, qu'il va développer dans la journée et sur laquelle je reviendrai. Pour l'instant, la réussite du premier temps dépend essentiellement de l'acceptation de Saint-Marc d'y participer avec toutes ses unités, puis d'une préparation hâtive mais sérieuse et détaillée de l'exécution. On a donc fait convoquer discrètement Saint-Marc qui viendra (s'il accepte d'abord cette démarche) dès que le général Saint-Hillier aura terminé la visite qu'il est en train d'effectuer dans son camp.

Vers midi environ donc, arrivée de Saint-Marc accompagné de Bésineau. Je ne l'ai pas vu depuis l'été 1959. D'emblée, je le mets succinctement au courant du projet et de la mission essentielle qu'on compte lui confier. Soucieux, on le serait à moins, il me fait sommairement quelques objections ou réflexions, accepte d'être conduit auprès de Challe et, tout en réservant sa réponse définitive, s'engage spontanément à ne rien dire ou faire pour entraver l'opération s'il n'y participait pas. Je l'introduis donc dans la pièce où est Challe, seul, et me retire, assez anxieux du résultat.

Il en sort environ vingt minutes après, convaincu et décidé. Il se montrera tel qu'il est, un grand Monsieur.

Reste à établir, de bout en bout et dans le détail, le plan des opérations pour la nuit prochaine. C'est essentiellement Godard et Sergent qui vont mener ce travail remarquablement et très vite et orienter, verbalement ou par écrit, tous les exécutants. En fin de journée, tous les ordres sont donnés, les itinéraires fixés, l'abordage des objectifs indiqué de façon détaillée selon la disposition des lieux et des effectifs qui les gardent. Tous les points capitaux d'Alger aux points de vue militaire, administratif, transmissions, police, sont ainsi visés, en particulier la Délégation Générale, les P.C. de l'Etat-Major Interarmées (commandant-en-chef), du Corps d'armée d'Alger, de la Zone Nord-Algérois et des deux secteurs, la Radio, les centres de transmission, le Palais d'Eté, les domiciles des principaux hauts fonctionnaires et chefs militaires, les aérodromes, le commissariat central, etc ...

Le départ des unités de leur cantonnement est fixé de manière à ce que les objectifs soient atteints aussi simultanément que possible le 22 à 2 heures du matin.

Tout cela a été fait de justesse: arrivée des principaux conjurés vingt-quatre heures avant, préparation menée en une seule journée. L'avantage est que le secret a été remarquablement conservé. Les indices qu'auront les autorités d'un mouvement quelconque seront faibles, confus et surtout très tardifs. En fait, le premier temps de l'affaire sera une réussite totale. L'échec ultérieur, et si rapide hélas, aura d'autres raisons.

A diverses reprises au cours de cette journée, Challe et, dans une moindre mesure, Zeller me mettent au courant de leurs conceptions et intentions générales.

En fait, il ne s'agit pas d'un coup d'état fasciste. A plusieurs reprises, Challe affirnmera avec force: "Je suis un démocrate", ce que, d'ailleurs, chacun sait. Mais il s'agit bien d'un coup d'état et la chute du régime est bien escomptée. C'est d'ailleurs indispensable si on veut sauver l'Algérie. Il est indispensable et Challe aurait été un imbécile s'il avait pensé, après les expériences antérieures, croire, comme il a été dit par la suite, qu'il comptait mener à bien l'achèvement de la pacification, le retour à la fraternité franco-musulmane, pour offrir à M. De gaulle, sur un plateau d'argent, l'Algérie Française réalisée. Il sait bien que M. De gaulle n'en voudrait pas, même sur un plat d'or.

En fait, je crois, sans qu'il ne l'ai dit expressément, qu'il compte en effet, se faisant une sorte de proconsul en Algérie, reprendre et achever jusqu'au succès complet la lutte contre le F.L.N., en ajoutant, ce qui n'a jamais pu être fait, l'action politique sur les masses musulmanes à l'action militaire, en affirmant nettement et définitivement l'Algérie Française dans la fraternité et la promotion musulmane. Les complices de l'ennemi seront frappés et traqués, mais seront éliminés aussi les Européens trop étroitement attachés à leurs seules autorités. Je pense donc que, parallèlement à cette action politico-militaire en Algérie, sera menée en métropole une action politico-subversive pour amener la chute d'un régime déconsidéré par cette réussite en Algérie et par ses échecs sur tous les plans, mal camouflés sous les laïus grandiloquents du Chef de l'Etat et de sa maffia. Certes, les possibilités des "activistes" métropolitains sont faibles dans l'immédiat mais il y a le fameux "Directoire" dont Challe nous avait parlé il y a quelques semaines alors qu'il ne voulait pas envisager une action immédiate.

C'est, en gros, je pense, sa conception. Il admet la possibilité d'une coupure temporaire avec la métropole. Pourra-t-on tenir quelques semaines, voire plus longtemps? Guère de données précises sur les stocks pour les civils et pour les militaires (vivres, essence, munitions, rechanges, articles de consommation courante, etc ... ) ni sur les fonds disponibles. Zeller est particulièrement chargé de cette partie de l'affaire. Il aura, dit -on, de grosses désillusions sur ce qu'il escomptait.

Reste la question des appuis extérieurs, politiques et économiques. Rien de précis je crois, mais peut-être certaines personnalités ont-elles plus ou moins promis des concours. Le tout réside dans un succès net et ample qui annoncera aux puissances en question la chute prochaine du régime et son remplacement par les amis. Ceci non plus n'est pas dit nettement mais ressort de l'entretien.

Si les intentions générales sont un peu brumeuses, les méthodes et la tactique sont nettes: tout faire pour éviter une effusion de sang. Ne pas faire appel à l'insurrection armée des civils, réduire au minimum les manifestations, rallier les hésitants par la persuasion ou l'intimidation.

Là, il y a eu chez le général Challe une énorme part d'illusion. Il ne s'est pas rendu compte à quel point le Commandement était contaminé par le gaullisme et, surtout, lâche devant les risques; à quel point aussi le contingent était pourri par la propagande, les journaux, la radio, par une grande partie de ses jeunes officiers ou aspirants de réserve adhérents de l'U.N.E.F. A quel point aussi la réaction certaine de Mr De g et ses premiers laïus à attendre à la TV produiraient, comme en janvier 1960, des effets désastreux.

Par ailleurs, la persuasion et l'intimidation sur les généraux et les hauts fonctionnaires ne pourront avoir d'effet quand on verra l'indulgence avec laquelle vont être traités ceux d'Alger, selon les ordres formels de Challe.

Dans ce qui précède sont les causes essentielles de l'échec rapide du mouvement, après un splendide succès initial.

Ceci étant dit, il va sans dire que Challe et Zeller se montrent des plus réticents lorsque, conformément à la promesse faite au général Faure à mon départ, je leur parle de la nécessité absolue d'envoyer dès que possible des unités para en métropole pour appuyer l'action de nos amis. "On verra, mais il est impossible de le prévoir pour le moment ... ce serait très grave ... enfin on en reparlera dans quelques jours ... "C'est à peu près tout ce que je recueillis comme réponse. Je compte y revenir et insister auprès du général Salan quand celui-ci sera arrivé.

Là-dessus Challe fait enregistrer sa proclamation au magnétophone, qui doit être émise sur les ondes dès l'aube. Un autre document, annonçant et motivant l'état de siège, doit être enregistré. On cherche un speaker qui n'a pas été prévu. Je me propose et, après essai, l'enregistrement est effectué.

Autre difficulté. Dans sa proclamation, Challe ne fait aucunement allusion à Salan. Je lui suggère que cela va faire un drame lorsque celui-ci arrivera et que ce sera fâcheusement débuter leur collaboration nécessaire. Après hésitation, il consent à ajouter, après les trois autres noms, les mots: ... en liaison avec le général Salan. De même, il admet que le nom de celui -ci figure à la suite du texte sur l'état de siège, avec les trois autres.

A ce propos, Salan doit quitter sa résidence actuelle par un avion tenu prêt, lorsqu'il recevra le message "La chambre de bonne a été cambriolée". Il l'a attendu en vain toute la nuit du 20 au 21 et n'a pas été prévenu, je le saurai plus tard, du décalage de vingt-quatre heures .. Croyant à un ajournement à une date ultérieure, il n'écoutera pas la radio dans la nuit du 21 au 22 et ne sera prévenu, comme tout le monde, que par les informations du 22 dans la matinée. D'où retard et risque, les autorités étant alertées, de ne pouvoir partir. Il n'y arrivera que dans des conditions acrobatiques ....

La journée tire à sa fin. Je n'en aurais pas dépeint l'atmosphère dans cette villa-PC des Tagarins, si je ne disais pas que tout le travail et les conciliabules se sont déroulés dans le plus grand calme. Nous sommes tous anxieux certes, impatients, plus ou moins optimistes selon les tempéraments, mais tranquilles. Les dés sont jetés, il n'y a plus qu'à attendre.

Vers 22 ou 23 heures, un renseignement arrive concernant le C.A. d'Alger. En fin de journée, Vézinet a réuni ses principaux officiers d'E.M., annonçant qu'il a appris de source sérieuse que "plusieurs activistes" venus de Métropole se disposent à tenter un coup, sans autre précision. Il est prescrit de doubler les postes de garde et de recommander une vigilance accrue. Un officier ayant posé la question: "Et pour le R.E.P.?" , Vézinet se borne à répondre: "Comme prévu". Nous n'en savons pas plus et nous creusons la tête pour deviner quelle mesure, déjà prévue, peut être prise pour surveiller le R.E.P. ou s'opposer à ses mouvements sur Alger.

 

22 avril 61 :

Outre Gambiez, général commandant en chef, Morin, délégué général du gouvernement, Bergier, préfet d'Alger, les putschistes ont envoyés dans le sud algérien Buron, ministres des travaux publics, qui se trouvait par hasard à Alger. Buron s'en vengera en bradant avec allégresse l'algérie lors des "déclarations d'intention" d'évian.

Jean Brune (interdit aux chines et aux français, éditions atlantis) raconte : Maintenant, Challe, assis dans son ancien fauteuil, téléphonait. Mais, comme le notera un témoin lucide, les mêmes réseaux téléphoniques qui tissaient le pouvoir de Challe, le défaisaient. Et jusqu'au bout, les "rebelles" et les "loyalistes" se servirent des mêmes lignes.

Le général Gouraud qui commandait à Constantine, avait depuis longtemps promis son accord. Il hésitait. On lui dépêcha le général Zeller et Gouraud se rallia. L'événement a un sens. Quand on réfléchit à ce qui s'est passé à Alger dans la nuit du 21 au 22 avril, on s'aperçoit que l'audace de quatre ou cinq officiers a suffi à venir à bout de l'énorme appareil de "l'ordre". Sergent donne l'ordre aux camions de pousser les Jeeps des gendarmes et pénètre seul au coeur du corps d'armée, une enveloppe bourrée de papiers blancs à la main. Mosconi, la jambe plâtrée, s'en va frapper du bout de sa canne à la porte du Fort-l'Empereur. Et au Fort-l'Empereur comme à la caserne Pélissier, les grands chefs s'enferment derrière les grilles. On n'en trouve aucun en tête des escadrons de gardes, face aux convois de parachutistes, là où leur présence eût sans doute modifié l'événement.

Il faut qu'il y ait une raison à cette dérobade, à cette véritable démission du haut commandement qui ne sait même pas organiser la défense du corps d'armée en avant des grilles du corps de garde. On entend cette raison, quand un sous-lieutenant pousse le général Vésinet dans une 403 pour le convoyer jusqu'à l'avion qui l'éloignera momentanément d'Alger.

- Croyez-vous, demande le général, que je serai autorisé à garder mon appartement de fonction ?

Partout où les chefs et les troupes ont été à l'abri de la canne symbolique du capitaine Mosconi, ils ont hésité, tergiversé pour attendre que le sort décide, et finalement rallié le vainqueur. A Alger, les secrétaires du corps d'armée se taisent. A Sétif, citadelle des fonctionnaires, ils vont jusqu'à huer - depuis le premier étage - des légionnaires venus faire le plein d'essence d'un véhicule. Sur les murs, ils avaient écrit: "La quille... Mort aux vaches... Vive de Gaulle!"

- Nous fûmes d'abord attentistes, puis rebelles, puis "loyalistes"... Mais chaque fois avec un temps de retard, dit J .-P. Angelleli, bon observateur de son régiment perdu dans les "djebel" du Constantinois. C'est si vrai que le 117ème régiment d'infanterie, commandé par le colonel Froment, refusant de se rallier à Challe, le colonel Godard s'en plaignit au commandant Vailly.

- Une seule solution, dit Vailly; il n'y a qu'à faire prisonnier le 117 d'infanterie.

- Le commandant Vailly se rendit aux cantonnements du régiment. Il délégua un sous-lieutenant en parlementaire. Celui-ci se fit ouvrir les grilles, laissa sa Jeep en travers de la porte pour en interdire la fermeture et fit purement et simplement prisonnier le poste de garde. Et le régiment qui menaçait si fort de se battre se rendit au commandant.

- Je vous souhaite de réussir, dit le colonel Froment à Vailly.

J'entends le commandant quelque part à Lisbonne.

- Au procès qui s'ouvrit plus tard, on a dit que cette action risquait d'entraîner la mort de plus de cent soldats.

Vailly éclate de rire :

- Mais ils ne sont pas morts !

Un autre témoin m'a dit :

- Nous avons donné un coup de poing dans un oreiller...

Et ceci explique beaucoup de choses.

L'appartement de fonction du général Vésinet était aussi un symbole. Aux préoccupations qui émergent pendant les heures graves, on mesure l'état de décomposition d'un ordre. Le général Vésinet devait retrouver son appartement de fonction et être élevé, moins d'un an après, à l'apparente dignité de général d'armée. Apparente, parce qu'il n'y avait plus d'armée. Elle s'était défaite en quatre jours, effondrée en poussière comme ces bâtisses aux façades orgueilleuses, mais partout rongées dans leurs oeuvres vives et qui s'écroulent au premier souffle d'orage. "

fin de la citation de Brune ;

Ce samedi soir, les généraux considèrent que l'armée de terre est ralliée en totalité, l'aviation en partie, la marine pas du tout. Les régiments de paras ont été conduits dans Alger par les groupes d'étudiants de Susini, l'armée leur délivre généreusement armement et munitions (y compris un ou deux fusils mitrailleurs) ce sera la base des commandos Z de Leroy.

Suite des notes du général Gardy Minuit. C'est l'heure où les unités participant à l'affaire se préparent à faire mouvement. Ih, Ih 30, elles doivent être en route, s'approcher d'Alger, commencer à entrer en ville. Par les fenêtres, nous essayons d'écouter des bruits possibles. Silence complet, tout dort ou paraît dormir. Les généraux et les officiers demeurés jusqu'alors en civil endossent les tenues qu'ils ont apportées. J'ai laissé chez M. Moraud à Alger les quelques effets militaires emportés de France, ne sachant pas que je n'aurai pas le temps d'y retourner dans la journée et ne pourrai les prendre qu'au matin.

2 heures - Quelques bruits de moteur qui s'accentuent peu à peu, venant de directions diverses. L'affaire est en cours. Certains croient entendre de courtes rafales d'armes automatiques; anxiété. On apprend bientôt qu'il s'agit de bruits de vaisselle au sous-sol. ..

Les premiers renseignements commencent à arriver, se confirment, se complètent peu à peu: tel objectif occupé sans coup férir, aucune résistance des éléments de garde qui se sont rendus sans résistance. De tous les points arrive le même compte rendu. Qu'il s'agisse de CRS, policiers, gendarmes ou éléments militaires, tous se rendent sans réaction, se laissent désarmer et relever par les unités chargées de s'emparer des objectifs. (On n'apprendra que par la suite qu'un s/officier a été tué dans des conditions que j'ignore encore, lors de l'occupation de la radio). Même succès, sans effusion de sang, pour s'emparer de la personne des diverses autorités. Seul Vézinet, demeuré à son bureau du C.A. d'Alger, aura une réaction éphémère sans conséquence. Certains réussissent cependant à s'échapper (Querville, notamment, et quelques hauts fonctionnaires), prévenus au dernier moment par Morin. On a lu le récit de ces faits, plus ou moins exactement rapportés, dans les journaux et dans les comptes-rendus du procès Challe-Zeller. Gambiez, en particulier, s'est donné le beau rôle; en fait il s'est couvert de ridicule. Il a omis de dire par exemple, qu'ayant interpellé un officier du 1er R.E.P.: "De mon temps, les lieutenants n'arrêtaient pas les généraux". Il s'est attiré cette réponse: "De votre temps, les généraux ne vendaient pas l'Algérie ... "

Intermède: vers trois heures, arrivée inopinée de Saint-Hillier, fort en colère, escorté notamment par le capitaine Bésineau et quelques légionnaires qui ne parviennent pas à l'empêcher de s'introduire dans l'espèce de living-room où nous nous trouvons pour la plupart. On ne sait par quelle erreur ce groupe se trouve là, les personnalités arrêtées devant être conduites directement à Fort-Lempereur. Quoiqu'il en soit, Saint-Hillier fait une entrée remarquée, disant: "Je ne sais pas pourquoi on m'a arrêté, tout le monde sait que je suis "Algérie française" ". Ce qui provoque des sourires sceptiques. Il se plaint amèrement d'avoir été appréhendé par des légionnaires appartenant à sa propre Division, proteste contre la manière dont Gambiez serait actuellement traité devant la Délégation Générale, etc. Il se calme d'ailleurs et a ce mot: "Pour l'exécution technique de l'affaire, .. chapeau." Puis il demande à retourner prendre le commandement de la 10ème D.P. , actuellement dans le Constantinois. Challe, qu'il demande instamment à voir, le reçoit quelques minutes, après quoi, Saint-Hillier se laisse emmener sans plus protester pour rejoindre ses collègues.

Vers 3h 30, nous savons que le succès est total. Alger est entre nos mains. La ville ne sait rien encore, mais les premières nouvelles de l'affaire commencent à courir sur les fils téléphoniques, vers l'extérieur et la Métropole ...

Dans cette deuxième partie de la nuit arrivent quelques tuyaux de Sidi-Bel-Abbès, où l'on a dû apprendre aussi le succès initial du mouvement. Le correspondant (j'ignore qui, sans doute le capitaine Bertany, chef d'E.M. du 1er R.E.) informe que le colonel de Baulny (Cdt en second du 1er R.E.) sera à Oran vers 6 heures du matin avec quatre compagnies et essaiera de convaincre Pouilly d'adhérer à l'insurrection; il doute fort du résultat et ajoute selon ses propres termes: "Seul général valable en Oranie: général de Maison Rouge! (commandant la zone Ouest Sahara/Colomb Béchar)." Enfin, il fait connaître que le 1er R.E. pourra envoyer au maximum sur Oran, au total, six compagnies.

Challe m'appelle; ces renseignements l'inquiètent, d'autant plus qu'il vient d'apprendre que le général Lhermitte sur lequel il pensait pouvoir compter n'est plus à Oran depuis plusieurs semaines et que son remplaçant, le général Hublot, n'est pas sympathisant. Il annonce qu'il va me déléguer en Oranie avec consignes de faire pression sur Pouilly et, s'il ne marche pas, d'imposer à Oran la nouvelle autorité en attendant un nouveau Cdt de C.A. qu'il va rechercher. Un avion de liaison est demandé à la Sème Région aérienne pour moi, au départ de Boufarik, pour le lever du jour à destination de Bel-Abbès. Je fais envoyer un message au 1er R.E. demandant une garde au terrain pour couvrir mon arrivée, l' A.L.A.T. de Bel-Abbès étant, on le sait, hostile.

Je ne suis pas enchanté. J'aurais préféré, pour ces premières journées, demeurer à Alger pour veiller au grain dans la mesure de mes possibilités. Mais je n'ai qu'à exécuter.

Je me fais donc conduire chez M. Moraud par celui-ci, pour me mettre en tenue militaire (assez sommaire, un pantalon et une chemise kaki, une paire de pattes d'épaule, plus un béret vert prêté par Bésineau). Avant de partir, j'ai demandé à Degueldre de me faire désigner un s/officier du 1er R.E.P. que j'emmènerai comme garde du corps personnel (on ne sait jamais) et de me procurer une tenue de combat et un pistolet. Degueldre fera bien le nécessaire, mais, pour une raison que j'ignore, ni le s/officier ni ces objets ne seront là au moment de mon départ pour Bel-Abbès.

Je traverse Alger à peu près désert; la population ne sait encore rien. En passant devant le GG, un poste du R.E.P. arrête ma voiture. Le s/officier me reconnaît, bien que je sois en civil et me salue avec un large sourire ... Au GG, la garde est assurée par les légionnaires. Tout est calme. Aux abords des bâtiments, les CRS désarmés déambulent en bavardant tranquillement ... Habillé rapidement, sans prendre le temps de faire nulle toilette, je reviens aussitôt au PC pour prendre les dernières nouvelles et consignes avant de m'en aller.

Challe me prend à part et me tend un papier de trois lignes: "Le général Gardy prendra le 22 avril, dès son arrivée à Oran; le Cdt par intérim du C.A. et de la zone territoriale."

Je suis plutôt ennuyé; je préfèrerai de beaucoup qu'un général plus élevé en grade et d'active prenne ces fonctions et me consacrer à rallier la Légion. Je le dis à Challe qui me répond: "Vous aurez certes à faire à des divisionnaires mais vous avez votre ancienneté et vos services. Par ailleurs, vous n'aurez à faire usage de cette désignation que s'il vous est absolument impossible de convaincre Pouilly d'adhérer à notre mouvement,. gardez-la secrète jusque là. Son adhésion serait de beaucoup la solution la plus souhaitable, comme pour Gouraud, Cdt le C.A. de Constantine, dont on vient de m'annoncer le ralliement."

Puis Challe s'anime tout à coup, se lève et d'une voix forte, devant les camarades, me dit: "Et si les gens ne marchent pas, s'ils nous font obstacle, balayez-moi toute l'Oranie avec la Légion, sans hésiter. Gardy, si nous échouons, nous sommes foutus, mais surtout l'Algérie est foutue, la France est foutue. C'est la dernière chance. Allez, j'ai confiance en vous. A bientôt ". Je salue et je m'en vais.

A ce moment, je suis certes un peu anxieux de la responsabilité qui va m'incomber, mais confiant dans la suite. Comme me l'a dit Challe, si mes efforts auprès de Pouilly n'aboutissent pas, je compte que l'action du 1er R.E. et, si besoin est, de fractions disponibles du 2ème et du Sème suffiront à imposer en Oranie la nouvelle Autorité. Je n'imagine pas une seconde que le colonel Brothier, après les engagements pris et les confirmations données refuserait d'appuyer le mouvement, surtout entouré et secondé par des officiers décidés et convaincus. Je me rends comme convenu à l'E.M. de la Sème Région Aérienne où m'attend un capitaine qui doit m'emmener à Boufarik en voiture et me piloter de là à Bel-Abbès. Trajet, décollage et voyage sans aucun incident sur un avion léger. En arrivant au-dessus du terrain de Bel Abbès, première déconvenue. Aucune troupe visible sur le terrain et aux abords, pas même un piquet d'honneur. Je dis au pilote de survoler la ville et le Quartier qui paraît sans aucune animation. J'imagine naïvement que le départ de quatre compagnies pour Oran ne laisse pas grand monde au Quartier. Quoi qu'il en soit, je décide de me poser. Lorsque l'avion arrive aux hangars, je trouve Brothier seul, en discussion avec un officier de l'A.L.AT .. "Comment ça va ici? - Mais très bien. - Je m'attendais à trouver au terrain la garde que j'avais demandée et hésitais à me poser. - Ce n'était pas la peine, mon général, il n 'y avait aucun risque." Je demande à l'officier de l'A.L.A.T. comment sa formation réagit. "Il n'y a pas de problème, mon général." Ce qui ne veut rien dire. Je me contente pour le moment de cette réponse, ayant autre chose à faire.

Sidi-Bel-Abbès paraît très peu animé. J'ai l'impression que les gens ne savent encore rien. J'imaginais, à vrai dire, une toute autre atmosphère ... Arrivée au Quartier. Le poste de police semble un peu étonné de me voir. Allons aussitôt au bureau du chef de corps, mon ancien bureau. Là et dans les pièces voisines, pas mal d'officiers de connaissance, paraissant tous heureux des nouvelles et désireux de marcher à fond. Des quelques mots échangés avec eux, il apparaît d'emblée qu'ils n'ont pas le moindre doute sur la participation active du 1er R.E. à l'affaire. Il y a là le colonel de Baulny, le capitaine Bertany, le capitaine Glasser et plusieurs autres que Des Rieux et Pompidou rejoindront dans quelques heures à leur retour d'Alger.

Je m'étonne de voir là de Baulny que je croyais à Oran. Je demande à Brothier qui donc commande les compagnies envoyées là-bas depuis le matin, selon le renseignement reçu à Alger. "Mais, me répond Brothier, il n'y a pas de compagnies à Oran. De Baulny y a été seul pour essayer d'influencer le général de Pouilly en faveur du mouvement mais il n'est pas question d'y envoyer d'unités."

Je n'apprendrai que plus tard qu'en dehors des liaisons prises à Paris et des engagements donnés alors, exposés à Challe, Brothier a envoyé la veille du 21 à Zéralda, deux officiers, les capitaines Des Rieux et Pompidou, pour suivre le déclenchement de l'affaire. Ils repartent en voiture le 22 à l'aube, après avoir confirmé leur confiance totale dans Brothier pour participer au mouvement. Je ne saurai que plus tard que Brothier s'est prudemment mis en permission à Mostaganem le 21 ...

Brothier m'expose alors son point de vue et ses arguments: "Il y a toutes chances qu'après réflexion Pouilly se rallie et il entraînera la plus grande partie sinon la totalité des Cdts de zone du CA. et l'ensemble des troupes.

"Non seulement il n'est pas nécessaire d'envoyer d'unités de la Légion à Oran pour faire pression sur Pouilly mais cela ne ferait que l'indisposer et l'incliner à refuser de se joindre au mouvement.

"De toute façon, il serait très contre-indiqué de faire marcher la Légion "en pointe" dans l'affaire, sur le plan de l'opinion tant française qu'internationale.

"Il y aurait danger d'intervention de l'aviation, qui est en grande partie hostile, à La Sénia et pourrait aller jusqu'à attaquer les colonnes sur les routes ...

Tout ceci dit avec des nuances, fort adroitement. Si j'en retiens que Brothier refuse d'engager ses unités dans l'action immédiate, je n'ai alors aucun soupçon qu'il réserve son adhésion au mouvement et son obéissance aux ordres de Challe. Ceci ne me vient pas même à l'esprit. Je ne comprendrai que plus tard qu'il est un virtuose du double jeu.

Ceci étant, j'annonce à Brothier que, conformément aux ordres de Challe, je compte me rendre au plus tôt à Oran pour essayer de déterminer Pouilly, ce en quoi il m'approuve entièrement, répétant qu'il est persuadé de ce ralliement prochain. Je lui indique que je veux, avant de partir prendre un contact rapide avec le général Perrotat (commandant la zone Centre-Oranais et la 29ème Division à Sidi-Bel-Abbés) et, pour marquer que je ne veux pas faire acte de déférence envers celui-ci, que je n'estime pas, vais lui demander, pour gagner du temps, de venir me voir ici, au bureau de Brothier. Ce que je fais aussitôt par téléphone. Perrotat hésite visiblement puis accepte et arrive quelques instants après. Réticent et fort embarrassé, il ne répond à mes questions sur son ralliement éventuel à Challe que par des phrases vagues, d'où il ressort finalement qu'il suivra purement et simplement la conduite de Pouilly. Brothier suggère que Perrotat vienne avec moi à Oran. Je n'en suis pas ravi, mais Perrotat ayant accepté, je ne puis faire autrement. Perrotat dira au procès Challe-Zeller qu'il m'a trouvé très énervé, agité. C'est absolument inexact, j'étais fort calme, simplement pressé de mener à bien ma mission et ne cachant pas ma passion pour notre cause; je n'ignorais évidemment pas son point de vue essentiel: s'en tirer personnellement sans trop d'ennui et ne pas prendre le moindre risque.

J'emmène Glasser que Brothier me donne comme aide de camp provisoire. Je lui demande d'autre part une escorte, ne fut-ce que deux ou trois jeeps, pour éviter d'être arrêté bêtement par n'importe quel élément hostile. Brothier élude la question en disant que c'est absolument inutile, qu'il n'y a aucun risque. En fait, j'apprendrai dans la journée que Pouilly avait bien donné l'ordre de m'intercepter, soit à l'arrivée au terrain de Bel-Abbès, soit à Oran, mais qu'il l'a annulé après une conversation téléphonique avec Challe où il s'est engagé à ne pas le faire, pour l'instant.

Juste avant de partir, j'apprends qu'Argoud a été désigné par Challe pour me rejoindre comme second et qu'il arrivera d'ici deux ou trois heures au terrain de Bel-Abbés. Un officier a intercepté un renseignement disant que l'A.L.A.T. se dispose à l'arrêter à son arrivée. Cette fois, j'exige de Brothier qu'il envoie une garde au terrain. Il cherche à éluder encore, mais j'insiste vigoureusement et il m'assure que ce sera fait. Je confirme à De Baulny de s'en occuper personnellement sans faute.

Conversation avec Perrotat durant le trajet. Il m'est pénible de parler avec cet homme que je méprise cordialement. Je n'en ai retenu qu'un échange de phrases -" Qu'est devenu Gambiez, me demande-t-il ? - Il est arrêté, bien entendu. - C'est cependant un bien chic type! - je ne considère pas comme un chic type un chef qui ne fait que mentir ". Perrotat n'insiste pas ... Le reste du temps, j'expose autant que possible les buts et conceptions de Challe tels que celui-ci me les a indiqués et ses souhaits que Pouilly accepte de se rallier.

Arrivée au Château-Neuf. Les officiers du cabinet font une gueule empoisonnée; attitude correcte, mais aussi peu accueillante que possible. Pouilly m'introduit dans son bureau et demande à Perrotat d'entrer également. Je connais Pouilly depuis 1943, où il m'a succédé à l'E.M. de la 1ère D.B., alors que je prenais sa place au 2ème Chasseurs d'Afrique. C'est le type du militaire honnête, scrupuleux, timoré. Il me paraît épaissi, très vieilli. Je lui expose, en essayant de me faire aussi persuasif que possible, la nécessité et les buts du mouvement que nous menons pour nous opposer à l'abandon certain de l'Algérie. Il n'en disconvient pas, mais répond:

- que notre échec est certain, très vite ou à terme, en raison de la faiblesse de nos moyens devant les énormes possibilités du pouvoir et de l'opposition violente de l'opinion métropolitaine presque unanime,

- que le seul résultat de notre action, au cas où le régime s'effondrerait serait d'amener le communisme au pouvoir en France.

La discussion, qui reste courtoise, demeure sans résultat. Je suggère à Pouilly d'appeler Challe au téléphone, ce qu'il fait; je devine les phrases de Challe et entend celles de Pouilly, répétant ce qu'il vient de me dire et concluant qu'il ne peut se rallier. Je prends ensuite l'appareil et Challe me dit d'agir pour le mieux selon les circonstances dans le sens des instructions qu'il m'a données, me disant qu'il espère encore que l'attitude de Pouilly n'est pas définitive. Pouilly me demande ensuite si Gouraud, commandant le C.A. de Constantine, s'est rallié comme on l'a dit à Alger. Je réponds affirmativement de bonne foi. "Eh bien, me dit Pouilly, c'est inexact. Je lui ai téléphoné tout à l'heure et il m 'a déclaré rester fidèle au gouvernement".

Il faut conclure l'entretien. Pouilly me dit que personnellement son parti est pris mais, qu'avant de donner une réponse irrévocable, il veut réunir ses généraux commandants de zone et recueillir leurs avis ... Il me fera donc connaître sa position définitive après cette réunion, c'est-à-dire, vers 15 heures. (Pouilly dira u procès de Challe que cet atermoiement n'avait pour but que de gagner du temps, sachant que Joxe et Olié devaient atterrir à Lartigue vers 12h30, venant de France, et voulait attendre leurs instructions. J'ignorais naturellement à ce moment la venue de ces émissaires et que Pouilly les attendait). Je réponds donc que j'attendrai cette réponse avant d'agir comme j'estimerai nécessaire devoir le faire au service de la cause à laquelle je me suis voué et selon les ordres de Challe.

Restant courtois et modéré, je m'efforce de faire comprendre à Pouilly qu'il s'agit bien de mener une action en vue de faire passer l'ensemble de l'Oranie, à commencer par Oran, dans le camp de Challe.

Sur ce, je prends congé, et, en serrant la main, Pouilly me dit qu'il me conserve tout son estime. Je réponds bien entendu, moi aussi ... Perrotat n'a pas pipé mot et demeure avec Pouilly après mon départ. L'entourage, à ma sortie du PC, fait une tête encore plus fermée qu'à mon arrivée. Je regagne donc Bel-Abbès avec Glasser, dans l'intention de préparer un mouvement sur Oran avec le 1er R.E. en fin d'après-midi, si la réponse définitive de Pouilly est, comme je m'y attends, négative.

En arrivant au Quartier Viénot, j'apprends (il peut être 13h00 environ):

- qu'Argoud est arrivé, tandis que j'étais à Oran, venant d'Alger avec des renseignements nouveaux. (Il s'agit sans doute de la perspective de l'envoi sur l'Oranie pour le lendemain soir des 14ème et 18ème R.C.P.).

- que Brothier et Argoud sont partis aussitôt pour Oran en vue de faire une nouvelle démarche auprès de Pouilly que Brothier se dit toujours convaincu de le persuader finalement.

Tous deux me font dire d'attendre à SBA le résultat de leur tentative. Ils m'en aviseront par téléphone dès que possible.

Je prescris à De Baulny de prendre toutes dispositions pour pouvoir envoyer sur Oran, si cela devient nécessaire, comme il est probable, les éléments disponibles. Il s'agit d'un EMT à trois compagnies sous les ordres du commandant Fournier, plus la compagnie du capitaine Bonnel. Je vais déjeuner chez Glasser, où je retrouve le lieutenant Gardy, fais une courte sieste Ge n'ai dormi que quelques heures depuis mon départ de Marseille) et un peu de toilette. On m'a procuré un battle-dress.

L'après-midi est réconfortante. Ce sera la dernière période heureuse de ces événements. L'ambiance du PC du 1er RE. est excellente, tous les officiers de l'Etat-Major et ceux qui y viennent sont confiants et contents. Des Rieux et Pompidou sont rentrés d'Alger et les nouvelles directes qu'ils apportent du succès initial ont réjoui tout le monde. Personne ne doute que le 1er RE. ne soit totalement au service de notre cause désormais.

D'autre part, on reçoit de nombreux messages de corps donnant leur adhésion au mouvement. J'en ai retenu, pour la Légion, le colonel Pfirmann et son régiment, le 5ème REI, le commandant Gendron qui rend compte avoir pris le commandement de son régiment, la 13éme D.B.L.E., (à la place du colonel Vaillant, inconditionnel) et se met à ma disposition et demande des ordres. Je lui fais répondre, car il n'est pas en Oranie, de réclamer des ordres à Challe, ce qu'il fera. Adhèrent également le 2ème REJ. à Aïn Sefra, la plupart des C.S.P.L.I . J'apprendrai plus tard que le commandant Cabiro a pris le commandement de son régiment, le 2éme R.E.P., et éliminé Darmuzai qui avait manifesté d'emblée une opposition violente et active.

En dehors de la Légion, pour l'Oranie, je reçois notamment des messages d'adhésion de la Demi-Brigade de Fusiliers-Marins de Nemours, du 1er Cuirassiers et du 6ème R.C.A de la région de Mostaganem, et d'autres. Malheureusement, ces unités ont des missions locales et on en peut les retirer, au moins sans étude préalable, et pas de moyen de transport. Ces bonnes volontés resteront inutiles...

Dans cette ambiance d'euphorie, le téléphone sonne. De Baulny ne répond pas, bouche le micro et annonce que c'est le général Morel, inspecteur de la Légion, et qu'il ne veut pas répondre lui-même. Bertany fait également des signes de dénégation et c'est finalement Des Rieux qui prend l'appareil. Le colonel Brothier? demande Morel - réponse: pas là - De Baulny? - même réponse - Bertany? - de même - Alors, qui est à l'appareil? Capitaine des Rieux, mon général - Que se passe-t-il à SBA? - Mon général, répond Des Rieux, le 1er R.E. s'est mis aux ordres du général Challe, en totalité, ainsi que de nombreuses unités, Légion et non Légion - Morel n'insiste pas et raccroche.

Vers la fin de l'après-midi, Le colonel Brothier et le colonel Argoud appellent d'Oran pour rendre compte de leurs résultats. Il a été convenu avec Pouilly que celui-ci "se retirerait purement et simplement", qu'il quitterait son P.C. le 23 à 6 heures du matin et, que conformément aux ordres du général Challe, je prendrai le commandement provisoire du C.A. à 7 heures. Les commandants de zone ne se sont pas ralliés, mais l'impression de Brothier est qu'ils ne feront pas d'opposition et pratiquement exécuteront les ordres. Par ailleurs, Pouilly laissera à Oran tout son E.M. et les services (sauf son cabinet), les forces de maintien de l'ordre et l'ensemble des unités, qui continueront à assurer leurs missions normales et leur service. C'est en somme assez satisfaisant et compte tenu du ralliement de nombreuses unités, l'affaire paraît s'annoncer bien pour l' Oranie. Les modalités ainsi annoncées sont malheureusement loin d'être exactes et les choses ne se passeront pas ainsi, bien au contraire.

Argoud et Brothier obtiennent de Pouilly qu'il se "retire, purement et simplement", laissant la place à Gardy.

Ce dernier se rend à Oran avec une compagnie de légion du premier R.E. qui occupe les points vitaux de la ville.

 

23 Avril 1.961 :

A Paris c'est l'affolement, le gouvernement arrête tous ceux qui ont des opinions Algérie française, Debré fait distribuer des godillots et des armes (qui ne seront jamais rendues) à ceux qui voudront bien se jeter en travers des pistes d'atterrissage pour empêcher les parachutistes d'atterrir.

Il n'a pas tort, l'excellent Pierre Descave raconte que, responsble d'un groupe de 200 hommes determinés, tous poujadistes, habitués aux coups de main contre les inspecteurs du fisc "polyvalent" ami du capitaine Seergent, il avait pour consigne, le lendemain du putsch d'aller se faire armer par le deuxième hussard à Orleans, puis de prendre Chartre. Le général Faure arreté et le colonel du deuxième hussard en arriére de la main, Descaves suivra le putsch derriére sa télévision.

.Voici l'analyse de Soustelle : (L'espérance trahie, éditions de l'alma, 1962).

" Cette fascisation s'est donné libre cours depuis la tentative de "putsch menée par le général Challe, avec les généraux Zeller, Jouhaud et Salan, du 22 au 25 avril. Des faits eux-mêmes, je ne connais guère que ce que tout le monde a pu lire dans la presse.

" Tout en ayant beaucoup d'estime pour le général Challe, je ne l'avais guère vu plus de quatre ou cinq fois. Quoi qu'on ait prétendu, j'ai la conviction qu'il n'avait aucunement pour but de passer en métropole pour y prendre le pouvoir; il voulait donner un coup d'arrêt à la politique d'abandon en Algérie, sauver cette province, l'apporter à la France. Quand il vit qu'une partie des cadres de l'Armée se réservait et que les cellules communistes du contingent, enhardies par le soutien officiel, dressaient certains soldats contre leurs chefs, il préféra se sacrifier pour éviter une effusion de sang et prit sur lui toutes les conséquences de son geste.

" Avec lui, le général Zeller, ancien chef d'état-major général, le commandant de Saint Marc, rescapé des camps de la mort d'Hitler, et de nombreux officiers généraux et supérieurs furent condamnés à de lourdes peines de prison, au moment même où Ben Bella, Ait Ahmed et autres criminels, coupables ou instigateurs de forfaits atroces, étaient confortablement installés dans des châteaux.

" Les premières nouvelles d'Alger, le 22 avril, provoquèrent à Paris dans les milieux gouvernementaux et dans les milieux défaitistes (qui se trouvaient, par la force des choses, de plus en plus associés) une véritable panique. C'est ainsi seulement que peuvent s'expliquer les scènes grotesques qui se déroulèrent place Beauvau, au ministère de l'intérieur et au Grand-Palais, où des volontaires vinrent offrir leurs bras héroïques pour "défendre la République" que personne ne menaçait. Un bon tiers de ces candidats miliciens était fourni par le parti communiste, qui vociférait: "Des armes! Des armes!", heureux d'obtenir quelques moyens d'un gouvernement bourgeois assez sot pour les lui donner. Un autre tiers se composait de vaillants francs-tireurs de salles de rédaction provenant des journaux et hebdomadaires progressistes. L'U. N. R. inconditionnelle apportait le reste. "On vit des députés brandir des revolvers, des journalistes pro-fellagha chausser des godillots et se coiffer de chapeaux de brousse, accessoire évidemment indispensable pour soutenir le choc des parachutistes dans les rues de Paris.

" En même temps, Michel Debré, perdant tout contrôle de lui-même ainsi que le sens du ridicule, invitait les Parisiens à se porter "à pied et en voiture" au-devant des envahisseurs hypothétiques pour les dissuader de leur sacrilège entreprise.

" La suite, et notamment le procès intenté au général Challe, a surabondamment prouvé qu'il n'avait jamais été question de lancer les "paras" sur la métropole. Mais cette intoxication permit au général de Gaulle de faire application de l'article 16 de la Constitution.

" Ainsi que je l'ai dit, cet article avait été longuement discuté en 1958, et ses conditions d'application étaient très précisément limitées. Ces conditions étaient-elles réunies au lendemain du "coup" de Challe? On peut en douter. Si grave qu'elle fût pour l'ordre public au sens classique du mot, sa tentative ne portait pas atteinte à l'intégrité du territoire national, au contraire, puisqu'elle visait à la maintenir On peut difficilement prétendre que le fonctionnement des pouvoirs publics fût empêché. Enfin, il n'existait aucune des circonstances qu'entraîne une invasion ou une guerre atomique, hypothèses mises en avant pour justifier l'article 16.

Mais admettons même que le Président de la République ait eu le droit pour lui en appliquant l'article 16 pendant le "putsch". Dès le 25 avril à minuit, dès lors que Challe s'était constitué prisonnier et que le mouvement d'Alger avait pris fin, il n'existait plus aucune justification au maintien de l'article 16. Tout ce qui a été fait et tout ce qui se fait encore par référence à cet article est de toute évidence anticonstitutionnel et illégal. Il n'entre pas dans l'objet de cet ouvrage de relater ce qui s'est passé après avril 1961, sinon dans les grandes lignes et pour en tirer des conclusions générales. Je me bornerai à rappeler ce qui a été l'action du pouvoir sous le régime de l'article 16, dont, par un artifice encore plus anticonstitutionnel que tout le reste, les conséquences subsistent alors même qu'on a officiellement rétabli l'état normal des choses :

- répression collective d'une ampleur et d'une durée sans précédent contre la population européenne, notamment à Alger. Perquisitions, arrestations, brimades, brutalités de toute nature ont été infligées systématiquement à ces infortunés, traités comme les habitants d'un pays occupé par une armée ennemie;

- délation organisée dans l'Armée, où il a suffi, pendant de longs mois, qu'une cellule communiste dénonce des officiers ou des gradés comme "activistes" pour qu'ils soient mutés, sanctionnés, souvent destitués et chassés;

-"chasse aux sorcières ", en Algérie et en métropole, s'accompagnant d'illégalités, de sévices et d'atteintes aux libertés démocratiques et à la dignité humaine. Des femmes, comme Mme Salasc et Mlle Lucchetti, ont été torturées. Des enfants même ont été incarcérés dans des conditions révoltantes."

fin de l'extrait de Soustelle.

A Oran la foule entre en délire, on retrouve les scènes de fraternisation du 13 Mai, la ville est entièrement pavoisée.

Les espagnols (Salan, Susini, Ortiz,)débarquent à Alger

Jouhaud, qui a déjà fait l'exercice en 58, recommence la mise au point d'un éventuel débarquement de paras en métropole, il a les mêmes problèmes et les mêmes limites qu'à l'époque, flotte aérienne hétérogène et capacité limitée à trois régiments.

En Oranie, la situation est très confuse,. Pouilly laisse son bureau et son état major à Gardy et part sur Tlemcen organiser une riposte. Les responsables de zone d'oranie ont le téléphone chaud, écoutant les arguments, soit de Gardy soit de Pouilly. Deux régiments de paras envoyés par Alger arrivent à Oran. Challe donne l'ordre à Gardy (et Argoud) de s'appuyer sur les civils pour faire basculer les militaires, Gardy n'y arrive pas.

Gardy négocie avec le général Clausse (l'aviateur de l'oranie) un accord de neutralité. Il se rend ensuite à Mers el kebir chez Querville, où il obtient le même type d'accord.

Les deux régiments de para, Masselot (18 éme R.C.P.) et Lecomte, (14 éme R.C.P.) arrivent, trés fatigués de leur deux jours de voyage (au cours duquel ils ont été normalement ravitaillés par les unités de quadrillage) . Gardy et Argoud décident de les utiliser le lendemain pour éradiquer le noeud de resistance que constitue Tlemcen et de Pouilly.

Le soir De gaulle intervient à la télé. Il stigmatise le quarteron de généraux à la retraite, il supplie "françaises, français, aidez moi" il demande à tous de s'opposer "par tous les moyens".

Une fois de plus, celui qui ne craint pas de faire couler le sang français, c'est De gaulle. Cette allocution qu'on a pu entendre par radio en Algérie fait grosse impression.

 

24 Avril 1961 :

Plastic à Orly, un mort, deux blessés.

Gare d'Orsay, 4 blessés.

Gare de Lyon, 5 blessés.

 Mollet pour les socialistes, Schuman pour les chrétiens, Bergerac apportent leur soutien à De gaulle, contre les "factieux."

Son téléphone surveillé depuis des mois, son appartement surveillé ostensiblement par la police, averti qu'il ne va pas tarder à être arrêté, Soustelle s'échappe dans la voiture d'une voisine, camouflée sous une couverture à l'arrière, et gagne la Suisse. Sauf une brève interview en 62, Soustelle ne retrouvera la France qu'en 68. Pendant son exil, il communiquera avec son épouse en lui écrivant en nahuatl, la langue aztéque, que tous deux pratiquent parfaitement.

Pour revenir sur les motivations du mouvement du 22 Avril 1.961, et particulièrement celles de Challe, voici l'opinion de l'excellente revue "Veritas" qui se consacre à l'histoire de cette période: Il y a 40 ans, le 21 avril 1961, le Général Challe, ancien Commandant en Chef des forces françaises en Algérie (de novembre 1958 à avril 1960) prenait la tête d'un mouvement insurrectionnel à Alger avec les Généraux Salan, Zeller, Gardy et Jouhaud.

Le caractère tragique de la destinée du Général Challe, homme de haute valeur morale, combattant authentique de la résistance, arrivé aux plus hauts grades par son seul mérite et qui fera preuve d'une abnégation totale dans l'épreuve, le fera jouer de malheur en se trouvant continuellement en porte-à-faux avec tous les acteurs de la tragédie algérienne.

Dans son livre" NOTRE REVOLTE" écrit, en grande partie, en prison, Maurice Challe décrit une scène qui se passe au moment des Barricades d'Alger en janvier 1960. L'organisation mise sur pied par Joseph Ortiz, soutenue par les unités territoriales du Colonel Sapin-Lignières, s'est retranchée, en pleine ville, après l'échauffourée violente et meurtrière, manigancée par les gaullistes, qui les a opposés aux gendarmes et aux C.R.S. du Colonel Debrosse.

Devenu très populaire par ses manières simples et franches et surtout par le grand succès de sa stratégie - plan Challe - qui, en 1959, a pratiquement vaincu toute la rébellion sur le terrain, le Général refuse, de réduire les barricades par la force. Parfaitement en accord avec le Gouvernement, sa position est claire: Il combat pour une algérie française. Cependant, il est un peu troublé par le discours d'autodétermination du 16 septembre précédent et par le renvoi brusque de Massu "congédié comme un trompette", dit-il, par De gaulle.

Alors le Général Challe raconte son entrevue avec le Général Ely, Chef de l'état-major des Armées, envoyé par De gaulle: "Le Général De gaulle est notre seule chance - affirme Ely- sa retraite entraînerait la perte de l'Algérie. Celle-ci doit rester française! " Challe se remémore aussi le message écrit de Michel Debré: "La politique de la France a été clairement définie. Elle seule peut assurer le maintien de l'autorité française en Algérie". Tout cela concorde avec ce qu'assurait quelque temps avant cette explosion de colère, Paul Delouvrier, Ministre résidant, à Mostaganem, le 30 décembre 1959 : "Je viens de rappeler que nous combattons pour la France, l'Occident et la liberté, cela veut dire que nous combattons pour une Algérie française. (Montagnon - La France Coloniale - Pygmalion 1990- page 399.)

Le 29 janvier 1960, de surcroît, De gaulle prend la parole. Va-t-il encore s'exprimer en "charades et rébus", ce qui intrigue les uns et affole les autres. Non, pour une fois, le langage est clair: "Français d'Algérie, comment pouvez-vous écouter les menteurs qui vous disent que De gaulle et la France, en donnant le libre choix aux Algériens, veulent vous abandonner, se retirer d'Algérie et la livrer à la rébellion ?" .

Et s'adressant à l'Armée: "Vous avez à liquider la force rebelle qui veut chasser la France d'Algérie et faire régner sur ce pays sa dictature de misère et de stérilité." (Discours et Messages de Charles De gaulle Plon 1970- page 164 et J.O. du 30.01.1960) Tout est dit et tout est clair !

En somme, De gaulle s'indignait que les Français d'Algérie puissent le suspecter de faire ce que justement il s'apprêtait à faire et qu'il fera exactement jusqu'au bout. Aujourd'hui, nous pouvons apprécier à sa juste valeur la duplicité de Charles De gaulle et de ses sbires qui mentaient aussi effrontément, sur ordre, car à cette date le Chef de l'état avait déjà décidé de rejeter l'Algérie vers ses antiques malédictions (c'est lui-même qui l'avoue dans ses "Mémoires d'espoir"). Ce fut là une des plus belles journées de dupe ! La fourberie qui y fut déployée, le mépris des hommes qui y fut manifesté et les drames qui s'ensuivirent offrent peu d'exemples aussi indignes et aussi révoltants dans toute l'Histoire de France.

Et voilà l'honnête, le fidèle Général Challe, cet homme droit, intègre et loyal, tiraillé entre sa fidélité à Charles De gaulle qui ne s'est jamais démentie dans le passé et son angoisse devant le pire qu'il appréhende et qu'il pressent vaguement, trop vaguement encore. .. Hélas! Joseph Ortiz, Michel Sapin-Lignières, Pierre Lagaillarde et leurs compagnons des Barricades l'ont, eux, parfaitement compris. Ils savent que De gaulle va se parjurer et aller jusqu'au crime en abandonnant les quinze départements français d'Algérie et leurs populations innocentes aux mains des terroristes du F.L.N. Ils ont beau l'expliquer, le clamer et accepter spontanément de mourir pour en faire la preuve, ils ne peuvent convaincre Challe qui refuse de croire une telle ignominie. Le vrai drame s'est joué à cause de l'incrédulité pendant ces journées- là ! Sceptique, Maurice Challe choisit de basculer du côté de la discipline et fit démanteler les Barricades - certes, sans effusion de sang - laissant arrêter ses principaux organisateurs, dissoudre les Unités Territoriales, muter, bientôt, les meilleurs officiers.

"Non, De gaulle ne peut mentir à ce point!" Challe relate dans "Notre révolte" son impression d'alors. Il ne peut pas croire, il ne peut même pas concevoir une telle forfaiture! Quinze mois plus tard, le malheureux devait détruire de ses mains toutes les chances qui lui seraient restées de réussir lors du mouvement insurrectionnel des Généraux, le 21 avri1 1961. Voyant qu'une grande partie de l'Armée ne suivait pas, il choisit de se rendre, tout en étant persuadé qu'il serait condamné à mort et fusillé. L'échec lamentable de ce putsch dans lequel de prestigieux officiers avaient englouti, volontairement, leur vie, leur carrière, leurs biens, leurs familles pour ne conserver que l'honneur et le respect de la parole donnée, André Rossfelder l'a parfaitement résumé: "Avec l'Armée, nous, civils algérois, étions des patriotes en mai 1958. Sans elle, aux Barricades, nous devenions des factieux, mais sans les civils, la révolte de Challe n 'était plus qu'une junte".

Sur l'attitude décevante de la majorité des cadres, Hélie de Saint Marc, qui fut le premier bras séculier de la révolte, exprime, dans son dernier livre, "Les Sentinelles du Soir" (Prix VERITAS 2000) un jugement sévère: "L'injustice du monde doit beaucoup à l'incertitude de ces êtres flottants qui agissent comme des bouchons de liège au gré des Courants : je me souviens, la nausée aux lèvres, de ces hommes qui auraient été pour si la révolte militaire avait atteint son but et qui furent si farouchement contre parce qu'elle avait échouée."

Quelles qu'aient pu être les erreurs de Challe dans cette malheureuse aventure, il avait choisi les voies de l'honneur avant de capituler par crainte de voir couler le sang français. VERITAS rend hommage à son désintéressement, à la noblesse de son attitude qui lui fit rejeter, tout comme le Général Zeller, le sordide marchandage suggéré en sous-main par l'ignoble Edmond Michelet: Aveu de culpabilité contre clémence ! Toute la noblesse du Général Maurice Challe s'exprima dans cette déclaration qu'il fit devant le Tribunal: "Il n 'y a pas de loi au monde qui puisse obliger un homme à faire du parjure son pain quotidien !"

Face à de tels hommes, que pèsent des Joxe, des Messmer, des Morin ou des Delouvrier, au gaullisme alimentaire, fidèles à la main nourricière plutôt qu'à la parole donnée et qui firent tous preuve de "cette médiocrité qui ne s'imite pas" ? Rappelons les paroles du général de Pouilly au procès : "Obéissant, j'ai choisi, avec la nation française la honte d'un abandon, et pour ceux qui, n'ayant pu supporter cette honte, se sont révoltés contre elle, l'histoire dira sans doute que leur crime est moins grand que le nôtre".

 On voit que VERITAS met sur le compte du remords la prise de responsabilité de Challe à la place de Massu, défaillant. C'est une explication convaincante. Ce fût, tout au long de cette période un phénomène extraordinaire de voir les gens se détacher du général De gaulle au fur et à mesure que la réalité de ses intentions se précisait et être ainsi réduits par petits paquets.

Qu'il reste encore du monde pour admirer ces mensonges permanents aboutissant au génocide des partisans de la france et d'autres partis que le F.L.N., à la main mise d'une minuscule oligarchie sur un grand pays, aux massacres subséquents, reste un sujet d'étonnement. Que les complices de ces ignominies tentent désespérément de se justifier en ajoutant mensonges et palinodies ignobles à celles du général est bien plus compréhensible.

Le soir, la foule d'Alger en délire qui attend depuis le matin une intervention des généraux écoute avec émotion Challe lui dire "nous sommes venus pour vaincre ou mourir avec vous", délire.

La situation est de plus en plus confuse en algérie, les généraux changent d'opinion plusieurs fois par jour, certains perdent leur contrôle. A La Calle le 14ème bataillon de chasseur alpin arrête ses officiers. A Oran, Masselot qui connaît bien de Pouilly, le persuade d'aller rejoindre Challe en helicoptére. Du coup les deux régiments de para restent en attente à Sidi bel Abbès. De Pouilly restant "loyal", Challe le fait interner.

La patron de la légion à Bel Abbés (brothier ) retire les deux compagnies qui tenaient Oran pour le compte de Challe et de gardy, ce dernier n'a plus avec lui que les deux régiments de para envoyés de Constantine, dont la loyauté commence à vaciller.

Gardy rapatrie sur Oran le régiment de Lecomte, dans l'intention de prendre le lendemain matin la base de Mers el Kebir, noyautées par le lieutenant de vaisseau Guillaume et quelques amis.

Se rallient à Oran les C.R.S., retour de Tlemcen, et le maquis de Petijean.

Ordonnance du gouvernement, destinée à lutter contre l'O.A.S., prise avec l'accord de toutes les grandes consciences. Elle étend le champs d'application des internements administratifs, et porte de 5 à 15 le nombre de jours de garde à vue.

 

25 Avril 1961 :

La situation en Algérie est de plus en plus confuse, Lecomte à la tête de son régiment de para fait route vers Mers-el-Kébir pour en prendre le contrôle, mais deux des trois compagnies refusent cette mission, malgré les efforts des officiers.

Gardy et Argoud rendent compte qu'ils ne peuvent plus rien faire à Oran, Challe ordonne le repli sur Alger.

Le général Bigot, rallié au putsch, ne contrôle plus son armée de l'air, des avions décollent et rallient la métropole, un comité de soldat a pris le contrôle de la base de la Mitidja. Le deuxième REP doit aller reprendre le contrôle de l'aérodrome de Maison Blanche, ce qu'il fait sans un coup de feu.

A seize heures, Challe réunit ses troupes et discute deux options, le repli sur Alger transformé en réduit, ou la reddition. Nombreux sont les absents dans cette réunion, Jouhaud "introuvable", (car on ne l'a pas vraiment cherché), Gardy et Argoud en Oranie, Lecomte, Masselot sur la route avec leurs régiments. La reddition est choisie, Sergent sort son revolver, Salan l'empêche de tuer Challe.

Susini arrive à se frayer un chemin jusqu'à Challe il lui propose un plan basé cette fois sur les civils (mobilisation de huit classes). Challe donne son accord, Jouhaud fait une déclaration dans ce sens à la télé, mais des officiers qui ont rencontré les éléments civils présentés par Susini rendent compte à Challe que les armements et la formation de ces civils est tout à fait insuffisant, même pour faire camerone dans un réduit autour du gouvernement général; Challe (qui le pensait) élimine toute autre solution que se rendre. Dans son livre ("notre révolte") Challe explique qu'il aurait dû dés le premier jour annoncer qu'il rendait une partie du contingent et qu'il le remplaçait par une mobilisation massive des algériens, musulmans et pieds noirs. Il écrit que c'était dès le debut dans son intention, mais qu'il a trop tardé à l'annoncer, laissant monter ainsi en métropole et dans le contingent l'impression que son action les coupaitent pour longtemps.

La radio gaulliste diffuse la fausse nouvelle du suicide de Salan.

Susini et Jouhaud n'arrivent pas à prendre contact avec les deux régiments de paras, Argoud, et Gardy qui rentrent d'Oran, ils sont arrivés aux environs d'Orleansville, Jouhaud et Susini souhaitaient les avoir à Alger pour en faire un réduit, l'idée que Challe vient d'abandonner.

La débâcle du putsch, vue par jean Brune ("interdit aux chiens et aux français", éditions Atlantis).

Le 25 au matin, le général Zeller fit appeler Sergent. Il était seul derrière son bureau, le visage un peu rosé.

- Sergent, dit-il, le général Challe a décidé de se rendre.

"Je me souviens encore, raconte Sergent, de la douleur physique que m'infligea l'information."

- Je voulais vous demander, poursuit Zeller, si vous-même et les jeunes officiers accepteriez de poursuivre l'effort... Sergent s'emporte. Il dit que les capitaines ne se sont pas lancés dans l'aventure pour jeter le manche après la cognée, au bout de quatre jours. Mais le destin est déjà en marche. Challe a convoqué les officiers supérieurs pour leur faire part de sa décision. Sergent refuse d'y croire. Il contourne le bureau et frappe à la porte du chef d'état-major. Le colonel de Boissieu a été rappelé par Challe du Constantinois. Il demande :

- Qu'y a-t-il ?

- Je viens d'apprendre la décision du général Cha1le, dit Sergent. C'est atroce...

- Oui, dit le colonel, c'est atroce. Mais nous n'y pouvons rien.

- Nous pouvons peut-être tirer sur le général Challe ?

Boissieu a les yeux embués de larmes. Il murmure :

- Oui... Peut-être...

Zeller entre. Et de sa petite voix posée, calme, qui porte un étrange pouvoir de persuasion, il dit :

- Voyons, Sergent, vous ne pouvez pas tirer sur le général Challe.

Le soir tombait sur Alger, engloutissant lentement la ville avec son grand arroi de terrasses et de jardins, les chevelures raidies des palmiers découpées sur le ciel rouge, le dessin idéal de la baie, la mer déjà rendue à l'opacité de l'étain et les montagnes qui n'irradiaient plus les lueurs de gemmes allumées par le couchant. On pensait aux derniers mots de Rommel : "La nuit se fait autour de nous..."

La foule s'était assemblée sur le Forum. Ce n'étaient plus les grandes houles sonores des fêtes de mai 1958. C'était une station silencieuse, une veillée. Le chœur si souvent délirant d'acclamations, de clameurs et de chansons s'était tu, écrasé par l'intensité tragique des heures. On avait réclamé les généraux au balcon. Mais les appareils amplificateurs ne fonctionnaient pas. Les acteurs qui avaient manqué leur rôle et allaient s'enfoncer dans leurs caves et leurs geôles promenaient leur regard sur la foule qui les regardait, devinant les lendemains terribles qui l'attendaient. Et cette contemplation mutuelle dans le silence, interdisant toute explication, était comme un symbole des confusions qui avaient empoisonné les jours écoulés.

Les gendarmes avaient pris position sur les avenues qui dominent le Forum. Ils échangeaient des injures avec les civils, et les élèves des classes préparatoires à Saint-Cyr du lycée Bugeaud s'étaient embossés les armes à la main dans les jardins proches du Gouvernement général de l'Algérie. Derrière les baies vitrées du grand bureau central passaient les ombres des généraux. Hautes silhouettes de Salan et de Jouhaud, stature lourde de Challe et frêle profil de Zeller. Godard, Gardes, Saint-Marc étaient là aussi. On disait que les escadrons de gardes progressaient dans les jardins supérieurs. Sergent dit à Challe : "Mon général, vous avez décidé de vous rendre et c'est votre affaire. Vous jugez que vous devez rendre des comptes au chef de l'Etat; cela ne nous regarde pas. Pour nous, le combat continue. Il n'est pas normal que les officiers qui représentent une force aillent en prison et ainsi soient perdus pour la bataille qu'il reste à livrer..."

- Vous avez peut-être raison, répond Challe. Faites ce que votre conscience vous commande de faire.

La foule s'était faite moins dense sur le Forum. Couraient les bruits les plus extraordinaires... On parlait d'assaut, de défense désespérée. L'immeuble du Gouvernement général était pratiquement cerné, mais le 1er régiment étranger de parachutistes continuait à faire peur. Par sa seule présence, il contenait les gardes derrière leurs taillis.

- Il y eut, dit un témoin, une heure d'angoisse extraordinaire. On avait la sensation de deviner, de sentir physiquement l'approche des gardes dans la ville engloutie.

Le général Zeller, le premier, descendit les escaliers, vêtu d'un ciré noir, et se perdit dans l'ombre. Des légionnaires dormaient dans les couloirs du Gouvernement général. Sergent s'était fait apporter des vêtements civils. Il se déshabilla dans un réduit. Penché sur l'ombre d'un légionnaire endormi, il glissa son pistolet et sa tenue sous le sac du soldat et à son tour, après Degueldre et Godard, il disparut dans le gouffre d'ombre de la ville. Les sous-officiers réveillaient leurs hommes et les rassemblaient. En bas, les camions de la compagnie portée du 1er R.E.P. attendaient, moteur en marche; ronronnement continu qui prêtait une densité au silence. Parurent Jouhaud et Challe, vêtus d'un blouson de pilote; puis Salan.

- Merde! dit Challe, j'ai oublié ma valise. Il enjamba les marches et revint, porteur d'une petite mallette, Au pied des camions, Salan s'entretenait avec son épouse. Un homme s'approcha, comme pour écouter. Salan le poussa de la main appuyée à plat sur la poitrine de l'indiscret. C'était fini! Les camions s'ébranlèrent avec leur chargement de généraux et de légionnaires. Les hommes chantaient une rengaine d'Edith Piaf... "Je ne regrette rien."

Aux alentours du Forum commençaient les échauffourées entre les gendarmes et les civils qui rentraient chez eux. Un camion passa, portant des soldats du contingent métropolitain. Ils chantaient: " Les pieds-noirs sont dans la merde... " sur l'air des Gaulois dans la plaine.

Le couvre feu est fixé à 21 heures, les européens doivent rendre toutes leurs armes, la police et la garde mobile perquisitionne les "suspects".

Saint Marc est rentré à Zeralda avec les generaux du putsch, à qui il a promis que leur rédition, là-bas "se passerait proprement". Salan et Jouhaud, qui desirent entrer en clandestinité demandent au maire de Zeralda de les mettre en lieu sûr, il les envoie chez un colon du reseau de Martell.

Saint Marc décide de récuperer deux sections du premier REP restées seules à Alger, elles gardent des troupes "loyales". Avec une dizaine d'hommes et des camions, il se rend sur place, il trouve une situation tendue, les hommes des deux cotés ont mis des armes automatiques en batterie. Il s'avance seul dans le no man's land, pendant que ses sections embarquent. Il demande à parler au commandant, le commandant se montre, saint Marc lui déclare: "vous étes nommé commandant de votre section, mettez vos hommes aux arrets jusqu'à demain cinq heures, vous recevrez à ce moment de nouvelles instructions", il salue et regagne à pas lents sa jeep, regagne Zeralda.

 

26 Avril 1961 :

Arrestation du général de Boissieu, chef d'état major de Challe pendant le putsch et cousin du gendre du général De gaulle.

Par décret le saint laïc Michelet suspend l'inamovibilité des juges du siège en Algérie. Excellente décision qui exposera aux coups des fells les juges gaullistes nommés à leur place.

Le capitaine Mosconi, commandant la première compagnie du premier RCP, qui avec sa jambe dans le plâtre a arrêté Debrosse et tout l'état major est un italien, dont la famille immigre en région parisienne où il passe son enfance. Engagé dans la résistance au titre des FTP, il continue dans l'armée, voit un autre coté du communisme en Indochine, vient à Alger. En parallèle il poursuit une carrière de champion para, record du monde du saut en altitude en 58, animateur de meetings, chef d'un groupe qui devient champion du monde de saut groupé de nuit. Condamné pour son action lors du putsch, il doit quitter l'armée, et rejoindra l'O.A.S.

On peut toujours refaire l'histoire, mais certains regrettent que Challe n'ait pas rendu le contingent à la france (en les remettant au Maroc) et, appuyé sur le pétrole, n'ait pas tenté l'aventure d'une algérie française indépendante.

 

27 Avril 1961 :

Afin de lutter contre l'O.A.S. le gouvernement prend une ordonnance (application de l'article 16) qui limite sérieusement la liberté de la presse. Tous les journalistes métropolitains approuvent avec enthousiasme cette mesure qui s'imposait.

Le même jour, toujours par ordonnance est créé le haut tribunal militaire, première des juridictions d'exception crées pour lutter contre l'O.A.S. (en effet, le tribunal militaire avait honteusement acquitté tous les accusés présents des barricades). Ce tribunal présente l'intérêt de n'avoir aucun recours (sauf bien sûr De gaulle), et 5 militaires sur les 9 juges.

Le trois mai sera égalemen créé le tribunal militaire spécial, destiné aux seconds couteaux.

Les paras de la légion, (premier REP) qui ont rejoint Zéralda font sauter leur camp et rejoignent en camion Sidi-bel-Abbés où le régiment sera dissous. Ils chantent la chanson d'Edith Piaf, "je ne regrette rien". Tout le long de leur parcours, ils sont l'objet d'ovations enthousiastes. Tous les officiers sont internés au fort de Nogent, en région parisienne.

Tous les journaux paraissant en algérie sont supprimés. Les avions et les paquebots peuvent reprendre leurs trajets entre la métropole et sa province algérienne.

C'est ce jour qu'un universitaire prend comme date pour mesurer l'"échec" du plan de Constantine.

Critique de cette étude par Mayer :

"Certes, l'algérie était bien équipée en routes nationales, en ports, en aéroports, en grands ouvrages hydrauliques. Elle comptait des hôpitaux très modernes, comme l'hôpital Mustapha d'Alger. La métropole ne comptait sans doute à cette époque aucune maternité susceptible de rivaliser avec celle de Constantine, immense, climatisée, aseptisée, équipée de salles d'opération rutilantes. En matière de grands équipements d'infrastructure, l'algérie pouvait donc avantageusement rivaliser avec la plupart des autres pays riverains de la Méditerranée. Mais son tissu économique était inhibé par la concurrence des industries métropolitaines et, malgré les efforts des services du paysannat, son développement rural souffrait de graves lacunes.

J'ai déjà évoqué la mission du conseiller d'état Maspetiol. Le "rapport Maspetiol" est daté de juin 1955. A cette date, la rébellion avait déjà envahi les Aurès, la Kabylie, l'Ouarsenis. Les propositions du rapport Maspetiol partaient du principe que, pour que le niveau de vie algérien s'élève plus vite que le niveau de vie métropolitain et le rattrape dans des délais raisonnables, il fallait investir à un rythme accéléré.

Le rapport déterminait l'effort nécessaire en se basant sur des ratios "investissement sur taux de croissance" tels qu'on pouvait les évaluer dans des pays au dynamisme démographique similaire, parvenus à un niveau de développement comparable à celui de l'algérie. L'approche méthodologique était donc macro-économique. On a même le droit de la juger un peu fruste. Son principal intérêt étaient de vérifier que l'objectif n'avait rien d'irréaliste. Sur les bases de ce rapport, un groupe de travail composé de fonctionnaires du "GG" auxquels je me suis joint début 1957, dans la phase finale de leurs travaux, décomposa les objectifs par branche. On ne parlait pas encore de modèle physico- financier, mais c'était déjà l'esprit. Le résultat des études de ce groupe permit d'établir les "Perspectives décennales de développement économiques de l'algérie", publiées en 1958.

Le 3 octobre 1958, à Constantine, le général De gaulle annonça le lancement d'un Plan de développement qui prit dès lors le nom de cette ville. Paul Delouvrier, nommé Délégué général du gouvernement par le général De gaulle, arriva à Alger le 12 décembre 1958. Sa qualité d'Inspecteur général des Finances et sa compétence économique n'ont sans doute pas été étrangères aux motifs qui ont amené le Général à porter son choix sur ce haut fonctionnaire d'une qualité exceptionnelle dont le dynamisme donna un coup de fouet supplémentaire au développement amorcé. Paul Delouvrier désigna Jean-Marie Vibert comme Directeur du Plan et le plaça sous la houlette de Salah Bouakouir, secrétaire général pour les affaires économiques. L'équipe du Plan disposait de crédits d'étude sérieux et comptait de nombreux spécialistes. Elle mit toutes les administrations à contribution. Parmi les experts, figurait un jeune et brillant sociologue nommé Pierre Bourdieu qui, en vue de la future industrialisation de l'algérie, étudiait les relations existant entre les cultures locales et les aptitudes "entrepreneuriales". Un jeune énarque fort courtois et de grande taille était chargé de mission auprès du directeur général de l'Agriculture, le préfet Pélissier. Il occupait parfois une pièce située en face de mon bureau. Il s'appelait Jacques Chirac. D'autres énarques de la promotion Vauban hantaient également les couloirs du "GG": Boyon, Brosse, Consigny, Creyssel, Friedmann, Labrusse, Rouvillois, Voillereau... Tous les bureaux d'études économiques français (SCEI , SEMA, BERU, CREDOC etc.) étaient mobilisés.

L'une des idées maîtresses du Plan de Constantine était d'amorcer l'industrialisation légère de l'algérie en drainant l'épargne locale au profit du secteur sur lequel les tensions les plus vives étaient constatées, à savoir le besoin en logement. En effet, la poussée démographique jointe à l'urbanisation rendaient indispensable un intense effort de construction. Plus généralement, le plan accordait une place déterminante au secteur Bâtiment- Travaux publics qui devait entraîner dans son sillage la création d'industries travaillant pour son compte: carrières, usines de matériaux de construction, métallurgie, briqueteries, ateliers de préfabrication, menuiseries, peintures etc.

Le plan prévoyait "l'élévation du niveau de vie moyen d'au moins 6% par an". (et pas le PNB, bien lire par tête).

Dans mon bureau du "G.G.", sur un éventail de panneaux pivotants, des punaises de couleur traçaient des courbes qui traduisaient l'état des permis de construire, la progression des mises en chantier, le niveau des livraisons de logements, les quantités d'équipements de second œuvre fabriqués en Algérie, le nombre de compteurs électriques mis en service, le montant des prêts accordés par le Crédit foncier, les superficies de terrains aménagées etc. Nous attachions une importance particulière aux "indicateurs rapides", ceux qui fournissent avant les autres une indication de tendance sur la conjoncture: la consommation de ciment, celle d'électricité, les demandes de crédit, les emballages etc...

Toutes ces courbes grimpaient à l'assaut des objectifs, bien décidées à les dépasser. Les taux annuels de progression étaient généralement supérieurs à 10%. La construction de logements de type HLM- normalisé -Algérie, a même triplé de 1956 à 1960 ! L'objectif annoncé par le général De gaulle de loger un million de personnes serait atteint. Il devait être dépassé grâce aux actions menées en matière d'habitat rural par le commissariat à la reconstruction d'Orléansville (cette ville qu'un tremblement de terre avait détruite), un organisme public qui, sa tâche accomplie, avait été reconverti, sous la direction de M. Gas, dans la construction de villages pour les paysans !

Quant à l'enseignement, il progressait à pas de géant. D'octobre 1957 à octobre 1961, l'effectif des élèves musulmans dans les écoles primaires est passé de 332.043 (dont 32,6 % de filles) à 735.474 (dont 37 % de filles). A ces chiffres, les centres sociaux de préscolarisation, encadrés par des instituteurs et destinés à éradiquer l'analphabétisme, ajoutaient un peu plus de 150.000 enfants. Au total, environ 900.000 élèves musulmans étaient scolarisés dans le primaire. L'objectif ambitieux mais réaliste fixé par le plan prévoyait de scolariser en 1965 1.300.000 enfants dans le primaire et 1.000.000 dans les centres sociaux.

Durant la même période, le nombre des élèves européens scolarisés dans le primaire décroissait faiblement, passant de 124.336 à 109.300. Dans le secondaire, d'octobre 1954 à octobre 1960, ces effectifs croissaient de 62.953 à 102.580. Dans le supérieur, l'université d'Alger, occupait la seconde place parmi les universités françaises de l'époque. Son enseignement était complété par celui d'une école d'ingénieurs, d'une école de commerce et de l'école d'agriculture de Maison Carrée. Elle amorçait déjà sa décentralisation sur Constantine, Oran et Tlemcen.

Responsable de la construction et de l'habitat, je fus souvent appelé à participer aux travaux du plan de Constantine. Au point que, lorsque Jean-Marie Vibert quitta Alger, Salah Bouakouir trouva naturel de me charger de prendre sa suite. Malheureusement, on était alors fin 1960 et le désarroi créé par l'annonce (le 16 septembre 1959) que l'algérie deviendrait indépendante aurait rendu surréaliste toute sorte de planification économique. Mon rôle fut donc assez peu gratifiant. Il se borna à faire établir des résumé du monceau d'études réalisées, à les enregistrer sur fiches cartonnées, à classer méthodiquement les dossiers ainsi constitués et à les mettre à l'abri en différents endroits pour que ce remarquable capital d'analyses, d'études et de propositions échappe aux désordres susceptibles de se produire durant la période de transition. En accord avec Salah Bouakouir, le but que j'ai alors poursuivi fut de faire en sorte que les responsables de l'algérie indépendante puissent disposer de ces études quand ils prendraient les commandes.

En fait, le gouvernement Ben Bella puis celui de Boumedienne ont pris des conseillers soviétiques qui ont orienté les investissements vers l'industrie lourde (sidérurgie). Ils ont tourné le dos aux mécanismes du marché et adopté une économie administrée plus propice à favoriser la prévarication qu'à susciter la création d'entreprises compétitives. Les immenses ressources que le pétrole se mit alors subitement à leur procurer n'ont donc pas été valorisées comme elles auraient pu l'être si la stratégie de développement du Plan de Constantine avait été poursuivie.

Les succès enregistrés par le plan de Constantine au cours de ses deux premières années -1958-59, avant même son approbation officielle qui fut tardive - contrariaient les thèses "cartiéristes". Les tenants de celles-ci s'efforcèrent donc de le discréditer. Une étude parue chez Fayard au sein d'un remarquable ensemble de textes réunis par Jean-Pierre Rioux (La guerre d'algérie et les Français) participe de cette mauvaise querelle. Elle s'intitule: L'échec du Plan de Constantine. Pour justifier ce titre, elle se fonde sur le fait que "les effectifs employés dans l'industrie n'avaient pratiquement pas varié entre le 27 avril et le 31 octobre 1961". L'auteur, M. Daniel Lefeuvre, cite l'exemple du textile qui, selon lui, "devait jouer un rôle important" dans le développement économique de l'algérie. Il en déduit, bien sûr, que le Plan de Constantine a été inefficace et que d'ailleurs son poids aurait été insupportable par les finances françaises.

Quand on veut tuer son chien ... Contrairement à ce que vous affirmez, Monsieur l'Universitaire, le textile ne jouait qu'un rôle secondaire dans le Plan de Constantine dont le principal moteur était comme je l'ai dit, le secteur bâtiment - travaux publics. Mais cette erreur est accessoire comparée aux affirmations concernant l'effort exigé des finances françaises! page 322, vous écrivez sans sourciller que le coût du plan de Constantine devait être de "2.040 milliards de nouveaux francs en cinq ans". Et, sous les yeux effarés du contribuable valsent les centaines de milliards qui devaient être affectés aux différents secteurs. Rappelons qu'au moment où ces lignes sont écrites, c'est à dire quarante ans plus tard, le budget total annuel de l'Etat français n'est que de 1.585 milliards de (nouveaux) Francs.

Vous vouliez donc en réalité, simple broutille, parler de 2.040 milliards de centimes ! Mais même divisés par cent, les chiffres que vous avancez sont encore sensiblement exagérés. Ces vingt milliards représentaient en effet la somme d'investissements à réaliser en recourant non pas uniquement aux fonds publics de l'Etat français, mais aussi, à ceux du budget autonome de l'algérie, à ceux des collectivités départementales et communales algériennes, à ceux des établissements publics et sociétés nationales et enfin aux investissements privés d'origine algérienne, métropolitaine ou étrangère !...

Cet effort était d'ailleurs progressif. L'année 1961, la dernière à avoir respecté le Plan de Constantine, a été pour l'Etat français la plus onéreuse. Or cette année-là. il a coûté un milliard lourd. Sur cinq années, s'il était allé à son terme, il aurait coûté au budget français environ 5 milliards. C'est d'ailleurs sur ces bases, et en escomptant que la France poursuivrait son effort, que les négociateurs d'Evian représentants du GPRA "ont estimé à deux milliards de NF le total de l'aide française qu'ils voudraient (annuellement) recevoir" (Michel Tardieu, dans La Vie Française -3 mars 1962). Cinq milliards de Francs sur la période, éventuellement dix si l'on tenait à accéder aux demandes maximalistes du FLN, mais certainement ni vingt, ni surtout deux mille!

Au cours de ce même colloque où fut présentée cette étude, un autre universitaire, M. Jacques Marseille, a d'ailleurs souligné que "de 1950 à 1962, la PIB (française) s'accroît en volume de 4,6 % l'an, aucun recul, aucun ralentissement ne venant freiner ce spectaculaire élan". Ce constat l'autorise, avec humour, à titrer son exposé: "La guerre d'algérie a-t-elle eu lieu?"

Autrement dit, le financement du plan de Constantine s'est révélé tellement bien supportable par l'économie française - nous vivions alors les Trente Glorieuses - que même le cumul de l'effort de développement correspondant avec l'effort de guerre, et plus tard avec le coût d'intégration des rapatriés, n'a provoqué aucun infléchissement mesurable de sa progression qui s'est imperturbablement maintenue à un niveau très élevé qu'on aimerait bien connaître à nouveau aujourd'hui. Enfin, pour prendre définitivement la mesure du peu de valeur des arguments avancés par les "cartiéristes" pour habiller leur parti-pris d'une apparente rationalité, il faut s'arrêter un instant sur la période prise ici comme référence: elle s'étend du 27 avril au 31 octobre 1961.

Or, c'est le 16 septembre 1959 que le général de Gaulle avait ouvert la voie à une "Algérie algérienne" et le 8 janvier 1961, qu'un référendum avait "reconnu aux populations algériennes le droit de choisir leur destin politique par rapport à la politique française." (Définition donnée par le J.O. du 3 juillet 1962). Le 20 mai 1961, s'étaient ouvertes les négociations d'Evian avec le FLN. Le 12 juillet, le chef de l'Etat avait évoqué "le regroupement des Français d'algérie. Le 23 août, il avait confié à Hervé Alphand: "il faut nous débarrasser de cette boîte à chagrins". Le 5 octobre 1961, il annonçait publiquement que l'algérie était destinée à devenir un Etat souverain et indépendant par la voie de l'autodétermination.

M. l'Universitaire, en cette période d'avril à octobre 1961 prise pour référence, si vous aviez été un industriel ou un financier, est-ce que votre préoccupation la plus urgente aurait été d'investir vos avoirs en Algérie, en vue d'y créer de nouveaux emplois ?. C'est ainsi que, même dans les milieux censés avoir été formés à la rigueur scientifique, dès qu'il s'agit de l'algérie, les passions l'emportent sur l'objectivité ! En résumé, l'effort de développement qui aurait permis à l'économie algérienne de sortir de sa sujétion "coloniale" (qui n'était nullement le fait des colons présents sur place, réduits au rôle d'exécutants) n'a été sérieusement entrepris que trop tard, à un moment où la guerre y sévissait déjà. Alors qu'il commençait néanmoins à produire de spectaculaires effets positifs , cet effort a été abandonné sous le prétexte qu'il aurait été insupportable par l'économie française, ce que dément l'insolente progression de cette dernière durant toute la période considérée.

Algérie, mémoire déracinée, René Mayer, l'harmattan, ISBN 2-7384-8489-1

 

28 Avril 1961 :

Le premier bilan de la répression du putsch s'élève à Paris seul à 200 officiers et 400 civils (on se souvient que Challe les avait écarté, mais bon c'est une bonne occasion) arrêtés.

Trois régiments de parachutistes, un de commando de l'air dissous. A Oran 115 CRS qui avaient eu le tort de naître en algérie ("toute personne née en algérie est plus que colonialiste, fachiste" affirme Sartre) sont mis aux arrêts..

Duval, évêque, futur cardinal (le rouge lui va bien), surnommé Mohamed par ses fidèles (et d'ailleurs Mohamed est le nom qu'il choisira quand il prendra la nationalité algérienne) publie un communiqué où on lit : "Les égarés n'ont été qu'une faible majorité" (la méthode Coué) et "confiance, confiance, confiance".

Dans un café du XIXéme arrondissement, un commando MNA fait treize blessés, rue de Crimée.

 

29 Avril 1961 :

rien.

 

30 Avril 1961 :

 Le conseil municipal de Mostaganem est dissous par arrêté pris en conseil des ministres, et remplacée par une délégation spéciale dépendant du préfet

Le maire, Lucien Laugier, le seul maire d'une des grandes villes d'algérie à avoir ouvertement approuvé et soutenu le putsch des généraux d'Alger est déporté en France et mis en camp de concentration.

D'autres maires ne sont que suspendus, il s'agit de ceux de Boufarik, Soumma, Bouinan, Castiglione.

Un tract du 30 avril, rédigé par Jouhaud mais corrige par les services de Robert Martel, se retrouve, a la fureur du général, enrichi de formules tout a fait caractéristiques du discours du MP 13: "Nous vaincrons car Dieu nous aide. (...) Nous allons engager cette ultime croisade dont dépend le sort de l'humanité."