EXTRAITS DE LA PLATE-FORME POLITIQUE DU CONGRèS DE LA SOUMMAM

(20 AOUT 1956)

  page de garde du site

  

(Document F.L.N.)

(La "Plateforme " a d'abord eu un caractère confidentiel. Le F.L.N. ne s'est décidé à en publier des extraits que plusieurs mois après son adoption par le Congrès de la Soummam; mais alors il y a incorporé des additions en vue d'actualiser le texte et en a sans doute supprimé quelques parties trop violentes.)

 

INTRODUCTION (du 1er novembre 1956)

A l'occasion du deuxième anniversaire de la Révolution Algérienne, le Front de Libération Nationale porte à la connaissance du peuple algérien et du monde les décisions prises par le Congrès du 20 août 1956 qui s'est tenu dans la vallée de la Soummam.

La propagande française essaie d'accréditer l'idée que la Révolution Algérienne est décapitée à la suite de l'arrestation, dans les conditions infâmes que l'on connaît, des frères Ben Bella, Ait Ahmed, Khider, Lachref et Boudiaf. La structure du F.L.N., aujourd'hui rendue publique, démontre qu'il n'en est rien. Ceux qui connaissent les mouvements de résistance savent que l'arrestation d'un ou plusieurs chefs n'a jamais arrêté ces mouvements. Cela est encore plus vrai en ce qui concerne la Révolution Algérienne, à la tête de laquelle se trouve non un chef, mais un Conseil National de la Révolution Algérienne (C.N.R.A.).

Le C.N.R.A., organisme suprême de la Révolution, élabore la politique du F.L.N. Il est seul habilité en dernier ressort à engager l'avenir du pays. Seul le C.N.R.A. peut, par exemple, ordonner le cessez-le-feu.

L'Etat-major du F.L.N. porte le nom de Comité de Coordination et d'Exécution (C.C.E.). Le C.C.E. est composé de cinq membres choisis parmi les membres du C.N.R.A. Son quartier général est en Algérie quelque part dans un maquis.

Le C.C.E. est un véritable cabinet de guerre. C'est lui qui dirige et oriente toutes les branches de la Révolution: militaire, politique et diplomatique. Il a le pouvoir de contrôler tous les organismes de la Révolution - politique, militaire, diplomatique, social, administratif, etc.

Les chefs politico-militaires qui sont responsables de toutes les branches de la Révolution dans les six départements (Wilaya) relèvent exclusivement du C.C.E.

Après deux années de guerre menée avec succès, le F.L.N. sort au grand jour. Le peuple algérien, qui lui a toujours fait confiance, sait qu'il le conduira jusqu'à la victoire finale : l'Indépendance Nationale de l'Algérie.

 

* **

 

Les extraits de la présente plate-forme d'action du FRONT DE LIBERATION NATIONALE ont pour objet de définir, d'une façon générale, la position du F.L.N. à une étape déterminante de la Révolution Algérienne.

Elle est divisée en trois parties:

1- La situation politique actuelle.

2 - Les perspectives générales.

3 - Les moyens d'action et de propagande.

 

* **

 

1 - SITUATION POLITIQUE ACTUELLE

 

A) L'essor impétueux de la Révolution Algérienne.

L'Algérie, depuis deux ans, combat avec héroïsme pour l'indépendance nationale.

La Révolution patriotique et anticolonialiste est en marche. Elle force l'admiration de l'opinion publique mondiale.

a) - La Résistance armée -

En une période relativement courte, l'Armée de Libération Nationale, localisée dans l'Aurès et la Kabylie, a subi avec succès l'épreuve du feu.

Elle a triomphé de la campagne d'encerclement et d'anéantissement menée par une armée puissante, moderne, au service du régime colonialiste d'un des plus grands états du monde.

Malgré la pénurie provisoire d'armement, elle a développé les opérations de guérillas, de harcèlement, de sabotage, s'étendant aujourd'hui à l'ensemble du territoire national.

Elle a consolidé sans cesse ses positions en améliorant sa tactique, sa technique, son efficacité.

Elle a su passer rapidement de la guérilla au niveau de la guerre partielle.

Elle a su combiner harmonieusement les méthodes éprouvées des guerres anticolonialistes avec les formes les plus classiques en les adoptant intelligemment aux particularités du pays.

Elle a déjà fourni la preuve suffisante, maintenant que son organisation militaire est unifiée, qu'elle possède la science de la stratégie d'une guerre englobant l'ensemble de l'Algérie.

 

L'ARMEE DE LIBERATION NATIONALE SE BAT POUR UNE CAUSE JUSTE

Elle groupe des patriotes, des volontaires, des combattants décidés à lutter avec abnégation jusqu'à la délivrance de la patrie martyre.

Elle s'est renforcée par le sursaut patriotique d'officiers, de sous officiers et de soldats de carrière ou de contingent, désertant en masse avec armes et bagages les rangs de l'armée française.

Pour la première fois dans les annales militaires, la France ne peut plus compter sur le " loyalisme ~ des troupes algériennes. Elle est obligée de les transférer en France et en Allemagne.

Les harkas de goumiers, recrutés parmi les chômeurs souvent trompés sur la nature du "travail~ pour lequel ils étaient appelés, disparaissent dans le maquis. Certaines sont désarmées et dissoutes par les autorités mécontentes.

Les réserves humaines de l'A.L.N. sont inépuisables. Elle est souvent obligée de refuser l'enrôlement des Algériens jeunes et vieux, des villes et campagnes, impatients de mériter l'honneur d'être soldats de leur "Armée".

Elle bénéficie pleinement de l'amour du peuple algérien, de son soutien enthousiaste, de sa solidarité agissante, morale et matérielle, totale et indéfectible.

Les officiers supérieurs, les commandants de ;zones, les commissaires politiques, les cadres et soldats de l'Armée de Libération Nationale sont honorés comme des héros nationaux, glorifiés dans des chants populaires qui ont déjà pénétré aussi bien dans l'humble gourbi que la misérable khaïma, la ghorfa des casbahs comme le salon des villas.

Telles sont les raisons essentielles du "miracle algérien": l'A.L.N. tenant en échec la force colossale de l'armée colonialiste française, renforcée par les divisions "atomiques" prélevées sur les forces de l'O.T.AN.

Voilà pourquoi en dépit des incessants renforts, jugés aussitôt insuffisants, malgré le quadrillage ou autre technique aussi inopérante que les déluges de feu, les généraux français sont obligés de reconnaître que la solution militaire est impossible pour résoudre le problème algérien.

Nous devons signaler particulièrement la formation de nombreux maquis urbains qui, d'ores et déjà, constituent une seconde armée sans uniforme.

Les groupes armés dans les villes et villages se sont notamment signalés par des attentats contre les commissariats de police, les postes de gendarmerie, les sabotages de bâtiments publics, les incendies, la suppression de gradés de la police, de mouchards, de traîtres.

Ce qui affaiblit d'une façon considérable l'armature militaire et policière de l'ennemi colonialiste, augmente la dispersion de ses forces sur l'ensemble du sol national, mais aussi accentue la détérioration du moral des troupes, maintenues dans un état d'énervement et de fatigue par la nécessité de rester sur un qui-vive angoissant.

C'est un fait indéniable que l'action de l'A.L.N. a bouleversé le climat politique en Algérie.

Elle a provoqué un choc psychologique qui a libéré le peuple de sa torpeur, de la peur, de son scepticisme.

Elle a permis au peuple algérien une nouvelle prise de conscience de sa dignité nationale.

Elle a également déterminé une union psycho-politique de tous les Algériens, cette unanimité nationale qui féconde la lutte armée et rend inéluctable la victoire de la liberté.

 

b) - Une organisation politique efficace

Le Front de Libération Nationale, malgré son activité clandestine, est devenu aujourd'hui l'unique organisation véritablement nationale. Son influence est incontestable et incontestée sur tout le territoire algérien.

En effet, dans un délai extrêmement court, le F.L.N. a réussi le tour de force de supplanter tous les partis politiques existants depuis des dizaines d'années.

Cela n'est pas le fruit du hasard. C'est le résultat de la réunion des conditions indispensables suivantes:

1 - Le bannissement du pouvoir personnel et l'instauration du principe de la direction collective composée d'hommes propres, honnêtes, imperméables à la corruption, courageux, insensibles au danger, à la prison ou à la peur de la mort;

2 - La doctrine est claire. Le but à atteindre, c'est l'indépendance nationale. Le moyen, c'est la révolution par la destruction du régime colonialiste.

3 - L'union du peuple est réalisée dans la lutte contre l'ennemi commun, sans sectarisme:

Le F.L.N. affirmait au début de la Révolution que "la libération de l'Algérie sera l'œuvre de TOUS les Algériens et non pas celle d'une fraction du peuple algérien, quelque soit son importance". C'est pourquoi le F.L.N. tiendra compte dans sa lutte de toutes les forces anticolonialistes, même si elles échappent encore à son contrôle.

4 - La condamnation définitive du culte de la personnalité, la lutte ouverte contre les aventuriers, les mouchards, les valets de l'administration, indicateurs ou policiers. D'où la capacité du F.L.N. à déjouer les manœuvres politiques et les traquenards de l'appareil policier français.

Cela ne saurait signifier que toutes les difficultés soient complètement effacées.

 

Notre action politique a été handicapée au départ pour les raisons ci-après:

1 - L'insuffisance numérique des cadres et des moyens matériels et financiers;

2 - La nécessité d'un long et dur travail de clarification politique, d'explication patiente et persévérante pour surmonter une grave crise de croissance.

3 - L'impératif stratégique de SUBORDONNER TOUT AU FRONT DE LA LUTTE ARMEE.

 

Cette faiblesse, normale et inévitable au début, est déjà corrigée.

Après la période où il se contentait de lancer uniquement des mots d'ordres de résistance à l'impérialisme, on a assisté ensuite à une réelle apparition du F.L.N. sur le plan de la lutte politique.

Ce redressement fut marqué par la grève d'anniversaire du 10 novembre 1956, considérée comme l'événement décisif, tant par son aspect spectaculaire et positif que par son caractère profond, preuve de la "prise en main" de toutes les couches de la population. (Ce passage, addition du F.L.N., est évidemment postérieur au Congrès de la Soummam qui a eu lieu en août)

Jamais, de mémoire d'Algérien, aucune organisation politique n'avait obtenu une grève aussi grandiose dans les villes et villages du pays.

D'autre part, le succès de la non-coopération politique lancée par le F.L.N. est non moins probant. La cascade de démissions des élus patriotes suivie de celles des élus administratifs ont imposé au gouvernement français la non-prorogation du mandat des députés du Palais Bourbon, la dissolution de l'Assemblée Algérienne. Les conseils généraux et municipaux et les djemâas ont disparu, vide accentué et amplifié par la démission de nombreux fonctionnaires et auxiliaires de l'autorité coloniale, caïds, chefs de fraction, gardes champêtres. Faute de candidatures ou de remplaçants, l'administration française est disloquée; son armature considérée comme insuffisante ne trouve aucun appui parmi le peuple; dans presque toutes les régions elle coexiste avec l'autorité du F.L.N.

Cette lente mais profonde désagrégation de l'administration française a permis la naissance puis le développement d'une dualité de pouvoir. Déjà fonctionne une administration révolutionnaire avec des djemâas clandestines et des organismes s'occupant du ravitaillement, de perception d'impôts, de la justice, du recrutement de moudjahidine, des services de sécurité et de renseignements. L'administration du F.L.N. prendra un nouveau virage avec l'institution des assemblées du peuple qui seront élues par les populations rurales avant le deuxième anniversaire de notre révolution.

Le sens politique du F.L.N. s'est vérifié d'une façon éclatante par l'adhésion massive des paysans pour lesquels la conquête de l'indépendance nationale signifie en même temps la réforme agraire qui leur assurera la possession des terres qu'ils fécondent de leur labeur.

Cela se traduit par l'éclosion d'un climat insurrectionnel qui s'est étendu avec rapidité et une forme variée à tout le pays.

La présence d'éléments citadins, politiquement mûrs et expérimentés, sous la direction lucide du F.L.N., a permis la politisation des régions retardataires. L'apport des étudiants et étudiantes a été d'une grande utilité, notamment dans les domaines politique, administratif et sanitaire.

Ce qui est certain, c'est que la Révolution Algérienne vient de dépasser avec honneur une première étape historique.

C'est une réalité vivante ayant triomphé du pari stupide du colonialisme français prétendant la détruire en quelques mois.

C'est une révolution organisée et non révolte anarchique.

C'est une lutte nationale pour détruire le régime anarchique de la colonisation et non une guerre religieuse. C'est une marche en avant dans le sens historique de l'humanité et non un retour vers le féodalisme.

C'est enfin la lutte pour la renaissance d'un Etat Algérien sous la forme d'une république démocratique et sociale et non la restauration d'une monarchie ou d'une théocratie révolues.

 

c) - La faillite des anciennes formations politiques

La Révolution Algérienne a accéléré la maturité politique du peuple algérien. Elle lui a montré, à la lumière de l'expérience décisive du combat libérateur, l'impuissance du réformisme et la stérilité du charlatanisme contre-révolutionnaire.

La faillite des vieux partis a éclaté au grand jour.

Les groupements divers ont été disloqués. Les militants de base ont rejoint le F.L.N. L'U.D.M.A. dissoute et les Oulama se sont alignés courageusement sur les positions du F.L.N.; l'U.G.E.M.A., groupant tous les universitaires et lycéens, a proclamé par la voix de son congrès unanime le même sentiment.

Le Comité Central du M.T.L.D. a complètement disparu en tant que regroupement d'ex-dirigeants et en tant que tendance politique.

 

LE MESSALISME EN DEROUTE.

Le M.N.A., en dépit de la démagogie et de la surenchère, n'a pas réussi à surmonter la crise mortelle du M.T.L.D. Il conservait une assise organique seulement en France du fait de la présence de Messali en exil, de l'ignorance totale des émigrés de la réalité algérienne.

C'est de là que partaient les mots d'ordres, les fonds et les hommes en vue de la création en Algérie de groupes armés ou de maquis dissidents, destinés non à la participation de la lutte contre l'ennemi exécré, le régime colonialiste, son armée et sa police, mais à créer des opérations de provocation et à saboter par le défaitisme, le désordre et l'assassinat, la Révolution Algérienne et ses dirigeants militaires et politiques.

L'activité sporadique et brève du M.N.A. s'était manifestée publiquement, dans les rares villes telles Alger, comme une secte contrerévolutionnaire dans des opérations de diversion et de division (campagne anti-mozabite), de gangstérisme (racket de commerçants), de confusion et de mensonges (Messali, soi-disant créateur et chef de l'Armée de Libération Nationale).

Le messalisme a perdu sa valeur de courant politique. Il est devenu de plus en plus un état d'âme qui s'étiole chaque jour.

Il est particulièrement significatif que les derniers admirateurs et défenseurs de Messali soient précisément les journalistes et intellectuels proches de la présidence du gouvernement français. Ils prétendent dénoncer l'ingratitude du peuple algérien qui ne reconnaîtrait plus "les mérites exceptionnels de Messali, le créateur, il y a trente ans, du nationalisme algérien".

La psychologie de Messali s'apparente à la conviction insensée du coq de la fable qui ne se contente pas de constater l'aurore, mais proclame "qu'il fait lever le soleil".

Le nationalisme algérien dont Messali revendique effrontément l'initiative est un phénomène de caractère universel, résultat d'une évolution naturelle suivie par tous les peuples sortant de leur léthargie.

Le soleil se lève sans que le coq y soit pour quelque chose, comme la Révolution Algérienne triomphe sans que Messali y ait aucun mérite.

Cette apologie du messalisme dans la presse française était un indice sérieux de la préparation psychologique d'un climat artificiel favorable à une manœuvre de grande envergure contre la Révolution Algérienne.

C'est la division, arme classique du colonialisme.

Le gouvernement français a tenté en vain d'opposer au F.L.N. des groupements modérés, voire même le groupe des "61>. Ne pouvant plus compter sur les Sayah ou Farès, le béni-oui-ouisme étant discrédité d'une façon définitive et sans retour, le colonialisme français espérait utiliser le chef du M.N.A. dans son ultime manœuvre diabolique pour tenter de voler au peuple algérien sa victoire.

Dans cette perspective, Messali représente, en raison de son orgueil et de son manque de scrupules, l'instrument parfait pour la politique impérialiste.

Ce n'est donc pas par hasard que Jacques Soustelle pouvait affirmer en novembre 1955 au Professeur Massignon: "Messali est ma derrnière carte."

Le ministre résident Lacoste ne se gêne pas pour confier à la presse colonialiste algérienne sa satisfaction de voir le M.N.A. s'efforcer uniquement d'affaiblir le F.L.N.

L'hebdomadaire socialiste Demain dévoilant les divergences tactiques divisant les gouvernants français, pouvait écrire que certains ministres étaient disposés, pour empêcher le renforcement du F.L.N., à accorder à Messali sa liberté totale, "le seul problème étant de protéger la vie du leader algérien".

Quand on se rappelle que Messali s'est livré à une violente attaque contre les pays arabes, ce qui ne peut que réjouir les Soustelle, Lacoste et Borgeaud, son déplacement d'Angoulême à Belle-Isle justifie la thèse du journal "Demain".

Lorsque la vie de Messali est si précieuse pour le colonialisme français, faut-il s'étonner de le voir glisser vers la trahison constante.

 

LE COMMUNISME ABSENT.

Le P.C.A., malgré son passage dans l'illégalité et la publicité tapageuse dont la presse colonialiste l'a gratifié pour justifier sa collusion imaginaire avec la Résistance algérienne, n'a pas réussi à jouer un rôle qui mériterait d'être signalé.

La direction communiste, bureaucratique, sans aucun contact avec le peuple, n'a pas été capable d'analyser correctement la situation révolutionnaire. C'est pourquoi elle a condamné le "terrorisme" et ordonné dès les premiers mois de l'insurrection aux militants des Aurès, venus à Alger chercher des directives, DE NE PAS PRENDRE LES ARMES.

La sujétion au P.C.F. a pris le caractère d'un béni-oui-ouisme avec le silence qui a suivi le vote des pouvoirs spéciaux.

Non seulement les communistes algériens n'ont pas eu suffisamment de courage pour dénoncer cette attitude opportuniste du groupe parlementaire, mais ils n'ont pas soufflé mot sur l'abandon de l'action concrète contre la guerre d'Algérie : manifestations contre les renforts de troupes, grèves de transports, de la marine marchande, des ports et des stocks, contre le matériel de guerre.

Le P.C.A. a disparu en tant qu'organisation sérieuse à cause surtout de la prépondérance en son sein d'éléments européens dont l'ébranlement des convictions nationales algériennes artificielles a fait éclater les contradictions face à la résistance armée.

Cette absence d'homogénéité et la politique incohérente qui en résulte ont pour origine fondamentale la confusion et la croyance en l'impossibilité de la libération nationale de l'Algérie avant le triomphe de la révolution prolétarienne en France.

Cette idéologie qui tourne le dos à la réalité est une réminiscence des conceptions de la S.F.I.O. favorable à la politique d'assimilation passive et opportuniste.

Niant le caractère révolutionnaire de la paysannerie et des fellahs algériens en particulier, elle prétend défendre la classe ouvrière algérienne contre le danger problématique de tomber sous la domination directe de la "bourgeoisie arabe", comme si l'indépendance nationale de l'Algérie devait suivre forcément le chemin des révolutions manquées - voire même de faire marche arrière vers un quelconque féodalisme.

La C.G.T. subissant l'influence communiste se trouve dans une situation analogue et tourne à vide sans pouvoir énoncer et appliquer le moindre mot d'ordre d'action.

La passivité générale du mouvement ouvrier organisé, aggravée dans une certaine mesure par l'attitude néfaste des syndicats F.O. et C.F.T.C., n'est pas la conséquence du manque de combativité des travailleurs des villes, mais de l'apathie des cadres syndicaux de l'U.G.S.A attendant, les bras croisés, les directives de Paris.

Les dockers d'Alger en ont donné la preuve en participant à la grève politique anniversaire du 1er novembre 1956. (Passage évidemment ajouté par le F.L.N. après le Congrès de la Soummam.)

Nombreux furent les travailleurs qui ont compris que cette journée d'action patriotique aurait revêtu un caractère d'unanimité nationale, plus démonstrative, plus dynamique, plus féconde, si les organisations ouvrières avaient été entraînées intelligemment dans la lutte générale par une véritable centrale syndicale nationale. Cette appréciation juste se trouve entièrement confirmée dans les succès complets de la grève générale patriotique du 5 juillet 1956.

Voilà pourquoi les travailleurs algériens ont salué la naissance de l'U.G.T.A., dont le développement continu est irrésistible, comme l'expression de leur désir impatient de prendre une part plus active à la destruction du colonialisme, responsable du régime de misère, de chômage, d'émigration et d'indignité humaine.

Cette extension du sentiment national, en même temps que son passage à un niveau qualificatif plus élevé, n'a pas manqué de réduire, comme une peau de chagrin, la base de masse du P.C.A, déjà rétrécie par la perte des éléments européens hésitants et instables.

On assiste cependant à certaines initiatives émanant à titre individuel de certains communistes s'efforçant de s'infiltrer dans les rangs du F.L.N. et de l'A.L.N. Il est possible qu'il s'agisse là de sursauts individuels pour retourner à une saine conception de la libération nationale.

Il est certain que le P.C.A essaiera dans l'avenir d'exploiter ces "placements" dans le but de cacher son isolement total et son absence dans le combat historique de la Révolution Algérienne.

 

B) La stratégie impérialiste française.

La Révolution Algérienne, détruisant impitoyablement tous les pronostics colonialistes et faussement optimistes, continue de se développer, avec une vigueur exceptionnelle, dans une phase ascendante de longue portée.

Elle ébranle et ruine ce qui reste de l'empire colonial français en déclin.

Les gouvernements successifs de Paris sont en proie à une crise politique sans précédent. Obligés de lâcher les colonies d'Asie, ils croient pouvoir conserver celles d'Afrique. Ne pouvant faire face au "pourrissement" de l'Afrique du Nord, ils ont lâché du lest en Tunisie et au Maroc pour tenter de garder l'Algérie.

a) - La leçon des expériences tunisienne et marocaine -

Cette politique sans perspectives réalistes s'est traduite notamment par la succession rapide de défaites morales dans tous les secteurs: mécontentement en France, grèves ouvrières, révoltes de commerçants, agitation chez les paysans, déficit budgétaire, inflation, sous-production, marasme économique, question algérienne à l'O.N.U, abandon de la Sarre à l'Allemagne.

La poussée révolutionnaire nord-africaine, malgré l'absence d'une stratégie politique commune en raison de la faiblesse organique de ce qu'a été le Comité de Libération du Maghreb, a acculé le colonialisme français à improviser une tactique défensive hâtive, bouleversant tous les plans de la répression esclavagiste traditionnelle.

Les conventions franco-tunisiennes qui devaient jouer le rôle de barrage néo-colonialiste ont été dépassées sous la pression conjuguée du mécontentement populaire et des coups portés à l'impérialisme dans les trois pays frères.

Le rythme de l'évolution de la crise marocaine, l'entrée en lutte armée des montagnards venant renforcer la résistance citadine, et surtout la pression de la révolution algérienne ont été parmi les facteurs les plus déterminants du revirement de l'attitude officielle française et de l'indépendance marocaine.

Le brusque changement de méthode du gouvernement colonialiste abandonnant l'immobilisme pour s'engager dans la recherche d'une solution rapide était dicté d'abord par des raisons de caractère stratégique.

 

Il s'agissait:

1 ° - D'empêcher la constitution d'un véritable second front en mettant fin à l'unification de la lutte armée au Riff et en Algérie,

2° - D'achever de briser l'unité de combat des trois pays d'Afrique du Nord,

3° - D'isoler la Révolution Algérienne dont le caractère populaire la rendait nettement plus dangereuse.

 

Tous les calculs ont été voués à l'échec. Les négociations menées séparément avaient pour but de tenter de duper ou de corrompre certains dirigeants des pays frères en les poussant à abandonner consciemment ou inconsciemment le terrain réel de la lutte révolutionnaire jusqu'au bout.

La situation politique nord-africaine est caractérisée par le fait que le problème algérien se trouve encastré dans les problèmes marocain et tunisien pour n'en faire qu'un seul.

En effet, sans l'indépendance de l'Algérie, celle du Maroc et de la Tunisie est un leurre.

Les Tunisiens et les Marocains n'ont pas oublié que la conquête de leurs pays respectifs par la France a suivi la conquête de l'Algérie.

Les peuples du Maghreb sont aujourd'hui convaincus par l'expérience que la lutte en ordre dispersé contre l'ennemi commun n'a pas d'autre issue que la défaite pour tous, chacun pouvant être écrasé séparément.

C'est une aberration de l'esprit que de croire que le Maroc et la Tunisie puissent jouir d'une indépendance réelle alors que l'Algérie restera sous le joug colonial.

Les gouvernants colonialistes, experts en hypocrisie diplomatique, reprenant d'une main ce qu'ils cèdent de l'autre, ne manqueront pas de songer à la reconquête de ces pays dès que la conjoncture internationale leur semblera favorable.

D'ailleurs, il est important de souligner que les leaders marocains et tunisiens formulent dans des déclarations récentes et renouvelées des points de vue rejoignant l'appréciation du F.L.N.

 

b) - La politique algérienne du gouvernement -

Le gouvernement à direction socialiste dès le 6 février, après la manifestation ultra-colonialiste d'Alger, a abandonné les promesses électorales du Front républicain: ramener la paix en Algérie par la négociation, renvoyer dans leurs foyers les soldats du contingent, briser les "féodalités" administratives et financières, libérer les prisonniers politiques, fermer les camps de concentration.

Si, avant la démission de Mendès-France, celui-ci représentait au gouvernement la tendance à la négociation face à la tendance opposée, animée furieusement par Bourgès-Maunoury et Lacoste, aujourd'hui, c'est la politique Lacoste qui fait l'unanimité. C'est la guerre à outrance qui a pour but chimérique de tenter d'isoler le maquis du peuple par l'extermination.

Devant cet objectif accepté par l'unanimité du gouvernement et la presque totalité du parlement français, il ne peut exister aucune divergence, sauf quand cette politique d'extermination dite "de pacification" aura échoué. Il est clair que les buts politiques déclarés à nouveau par Guy Mollet ne servent qu'à camoufler l'entreprise réelle qui veut être le nettoyage, par le vide, de toutes nos forces vives.

L'offensive militaire est doublée d'une offensive politique condamnée, d'avance, à un échec.

La "reconnaissance de la personnalité algérienne> reste une formule vague sans contenu réel, concret, précis. La solution politique exprimée d'une façon schématique n'avait au début d'autres supports que deux idées-forces: celle de la consultation des Algériens par des élections libres et celle du cessez-le-feu. Les réformes fragmentaires et dérisoires étaient proclamées dans l'indifférence générale: provisoirement pas de représentation parlementaire au Palais Bourbon, dissolution de l'Assemblée Algérienne, épuration timide de la police, remplacement de "trois> hauts fonctionnaires, augmentation des salaires agricoles, accès des musulmans à la fonction publique et à certains postes de direction, réforme agraire, élections au collège unique. Aujourd'hui le gouvernement Guy Mollet annonce l'existence de 6 ou 7 projets de statuts pour l'Algérie, dont la ligne générale serait la création de deux assemblées, la première législative, la seconde économique, avec un gouvernement composé de ministres ou de commissaires et présidé d'office par un ministre du gouvernement français.

Cela démontre d'une part l'évolution, grâce à notre combat, de l'opinion publique en France, et d'autre part le rêve insensé des gouvernants français de croire que nous accepterions un compromis honteux de ce genre.

La tentative d'isoler les maquis de la solidarité du peuple algérien, préconisée par Naegelen sur le plan intérieur, devait être complétée par la tentative d'isoler la Révolution Algérienne de la solidarité des peuples anticolonialistes, engagée par Pineau sur le plan extérieur.

Le F.L.N. déjouera comme par le passé les plans futurs de l'adversaire.

Nous mentionnerons l'appréciation sur la situation internationale dans la troisième partie.

 

***

 

Il - LES PERSPECTIVES POLITIQUES

 

La preuve est faite que la Révolution Algérienne n'est pas une révolte de caractère anarchique, localisée, sans coordination, sans direction politique, vouée à l'échec.

La preuve est faite qu'il s'agit au contraire d'une véritable révolution organisée, nationale et populaire, centralisée, guidée par un état major capable de la conduire jusqu'à la victoire finale.

La preuve est faite que le gouvernement français, convaincu de l'impossibilité d'une solution militaire, est obligé de rechercher une solution politique.

Voilà pourquoi le F.L.N., inversement, doit se pénétrer de ce principe: la négociation suit la lutte à outrance contre un ennemi impitoyable, elle ne la précède jamais.

Notre position à cet égard est fonction de trois considérations essentielles pour bénéficier du rapport des forces;

 

1 ° - Avoir une doctrine politique claire;

2° - Développer la lutte armée d'une façon incessante jusqu'à l'insurrection générale;

3° - Engager une action politique d'une grande envergure.

 

A) Pourquoi nous combattons.

La Révolution Algérienne a la mission historique de détruire de façon définitive et sans retour le régime colonial odieux, décadent, obstacle au progrès et à la paix.

 

1) LES BUTS DE GUERRE.

 

II) LE CESSEZ-LE-FEU.

 

III) NÉGOCIATIONS POUR LA PAIX.

 

I. - LES BUTS DE GUERRE.

Les buts de guerre, c'est le point final de la guerre à partir duquel se réalisent les buts de paix. Les buts de guerre, c'est la situation à laquelle on accule l'ennemi pour lui faire accepter nos buts de paix. Ce peut être la victoire militaire ou bien la recherche d'un cessez-le-feu ou d'un armistice en vue de négociations. Il ressort que, vu notre situation, nos buts de guerre sont politico-militaires. Ce sont

1 ° - L'affaiblissement total de l'armée française, pour lui rendre impossible une victoire par les armes;

2° - La détérioration sur une grande échelle de l'économie colonialiste par le sabotage, pour rendre impossible l'administration normale du pays:

3° - La perturbation au maximum de la situation en France sur le plan économique et social, pour rendre impossible la continuation de la guerre;

4° - L'isolement politique de la France - en Algérie et dans le monde;

5° - Donner à l'insurrection un développement tel qu'il la rende conforme au droit international (personnalisation de l'armée, pouvoir politique reconnaissable, respect des lois de la guerre, administration normale de zones libérées par l'A.L.N.);

6° - Soutenir constamment le peuple devant les efforts d'extermination des Français.

 

II. - CESSEZ-LE-FEU.

 

Conditions ;

a) Politiques:

1° - Reconnaissance de la Nation Algérienne indivisible. Cette clause est destinée à faire disparaître la fiction colonialiste de "l'Algérie française".

2° - Reconnaissance de l'indépendance de l'Algérie et de sa souveraineté dans tous les domaines, jusques et y compris la défense nationale et la diplomatie.

3° - Libération de tous les Algériens et Algériennes emprisonnés, internés ou exilés en raison de leur activité patriotique avant et après l'insurrection nationale du 1er. novembre 1954.

4° - Reconnaissance du F.L.N. comme seule organisation représentant le peuple algérien et seule habilitée en vue de toute négociation. En contrepartie, le F.L.N. est garant et responsable du cessez-le-feu au nom du peuple algérien.

 

b) Militaires:

Les conditions militaires seront précisées ultérieurement.

 

III. - NÉGOCIATIONS POUR LA PAIX.

1° - Les conditions sur le cessez-le-feu étant remplies, l'interlocuteur valable et exclusif pour l'Algérie demeure le F.L.N. Toutes les questions ayant trait à la représentativité du peuple algérien sont du ressort exclusif du F.L.N. (gouvernement, élections, etc.). Aucune ingérence de ce fait de la part du gouvernement français n'est admise.

2° - Les négociations se font sur la base de l'indépendance (diplomatie et défense nationale incluses).

3° - Fixation des points de discussions:

- Limites du territoire algérien (limites actuelles y compris le Sahara algérien),

- Minorité française (sur la base de l'option entre citoyenneté algérienne ou étrangère - pas de régime préférentiel - pas de double citoyenneté algérienne et française),

- Biens français: de l'Etat français, des citoyens français,

- Transfert des compétences (administration),

- Formes d'assistance et de coopération françaises dans les domaines économique, monétaire, social, culturel, etc. - Autres points.

 

Dans une deuxième phase, les négociations sont menées par un gouvernement chargé de préciser le contenu des têtes de chapitre. Ce gouvernement est issu d'une assemblée constituante, elle-même issue d'élections générales.

 

La Fédération Nord-Africaine

L'Algérie libre et indépendante, brisant le colonialisme racial fondé sur l'arbitraire colonial, développera sur des bases nouvelles l'unité et la fraternité de la Nation Algérienne dont la renaissance fera rayonner sa resplendissante originalité.

Mais les Algériens ne laisseront jamais leur culte de la Patrie, sentiment noble et généreux, dégénérer en un nationalisme chauvin, étroit et aveugle.

C'est pourquoi ils sont en même temps les Nord-Africains sincères attachés, avec passion et clairvoyance, à la solidarité naturelle et nécessaire des trois pays du Maghreb.

L'Afrique du Nord est un TOUT par la géographie, l'histoire, la langue, la civilisation, le devenir.

Cette solidarité doit donc se traduire naturellement dans la création d'une Fédération des trois Etats Nord-Africains.

Les trois peuples frères ont intérêt pour le commencement à organiser une défense commune, une orientation et une action diplomatique communes, la liberté des échanges, un plan commun et rationnel d'équipement et d'industrialisation, une politique monétaire, l'enseignement et l'échange concerté des cadres techniques, les échanges culturels, l'exploitation en commun de nos sous-sols et de nos régions sahariennes respectives.

 

Les tâches nouvelles du .F.L.N. pour préparer l'insurrection générale.

L'éventualité de l'ouverture des négociations pour la Paix ne doit en aucun cas donner naissance à une griserie du succès, entraînant inévitablement un dangereux relâchement de la vigilance et la démobilisation des énergies qui pourrait ébranler la cohésion politique du peuple.

Au contraire, le stade actuel de la révolution algérienne exige la poursuite acharnée de la lutte armée, la consolidation des positions, le développement des forces militaires et politiques de la Résistance.

L'ouverture des négociations et leur conduite à bonne fin sont conditionnées d'abord par le rapport des forces en présence.

C'est pourquoi, sans désemparer, il faut travailler avec ensemble et précision pour transformer l'Algérie en un camp retranché, inexpugnable. Telle est la tâche que doivent remplir avec honneur et sans délai le F.L.N. et son Armée de Libération Nationale.

Dans ce but, reste valable plus que jamais le mot d'ordre fondamental:

 

Tout pour le front de la lutte armée. Tout pour obtenir une victoire décisive.

 

L'indépendance de l'Algérie n'est plus la revendication politique, le rêve qui a longtemps bercé le peuple algérien courbé sous le joug de la domination française.

C'est aujourd'hui un but immédiat qui se rapproche à une allure vertigineuse pour devenir, très bientôt, une lumineuse réalité.

Le F.L.N. marche à pas de géants pour dominer la situation sur le plan militaire, politique et diplomatique.

 

Objectifs nouveaux : préparer dès maintenant, d'une façon systématique, l'insurrection générale, inséparable de la libération nationale.

a) - Affaiblir l'armature militaire, policière, administrative et politique du colonialisme;

b) - Porter une grande attention, et d'une manière ininterrompue, aux côtés techniques de la question, notamment l'acheminement du maximum de moyens matériels;

c) - Consolider et élever la synchronisation de l'action politico-militaire.

 

Faire face aux inévitables manœuvres de division, de divergence ou d'isolement lancées par l'ennemi, par une contre-offensive intelligente et vigoureuse basée sur l'amélioration et le renforcement de la Révolution populaire libératrice.

a) - Cimenter l'union nationale anti-impérialiste;

b) - S'appuyer d'une façon plus particulière sur les couches sociales les plus nombreuses, les plus pauvres, les plus révolutionnaires, fellahs, ouvriers agricoles;

c) Convaincre avec patience et persévérance les éléments retardataires, encourager les hésitants, les faibles, les modérés, éclairer les inconscients;

d) - Isoler les ultra-colonialistes en recherchant l'alliance des éléments libéraux, d'origine européenne ou juive, même si leur action est encore timide ou neutraliste.

 

Sur le plan extérieur, rechercher le maximum de soutien matériel, moral et psychologique.

a) - Augmenter le soutien de l'opinion publique;

b) - Développer l'aide diplomatique en gagnant à la cause algérienne les gouvernements des pays neutralisés par la France ou insuffisamment informés sur le caractère national de la guerre d'Algérie.

 

 

III. - MOYENS D'ACTION ET DE PROPAGANDE

Les perspectives politiques générales tracées précédemment mettent en relief la valeur et la vérité des moyens d'action que le F.L.N. doit engager pour assurer la victoire complète du noble combat pour l'indépendance de la patrie martyre.

Nous allons en préciser les grandes lignes sur le plan algérien, nord-africain, français et étranger.

 

1° COMMENT ORGANISER ET DIRIGER DES MILLIONS D'HOMMES DANS UN GIGANTESQUE COMBAT.

L'union psycho-politique du peuple algérien forgée et consolidée dans la lutte armée est aujourd'hui une réalité historique.

Cette union nationale, patriotique, anticolonialiste, constitue la base fondamentale de la principale force politique et militaire de la Résistance.

Il convient de la maintenir intacte, inentamée, dynamique, en évitant parfois les fautes impardonnables de sectarisme ou d'opportunisme, pouvant favoriser les manœuvres diaboliques de l'ennemi.

Le meilleur moyen d'y parvenir, c'est de maintenir le F.L.N. comme guide unique de la révolution algérienne; cette condition ne doit pas être interprétée comme un sentiment de vanité égoïste ou un esprit de suffisance aussi dangereux que méprisable.

C'est l'expression d'un principe révolutionnaire: réaliser l'unité de commandement dans un état-major qui a déjà donné les preuves de sa capacité, de sa clairvoyance, de sa fidélité à la cause du peuple algérien.

Il ne faut jamais oublier que, jusqu'au déclenchement de la Révolution, la force de l'impérialisme français ne résidait pas seulement dans sa puissance militaire et policière, mais aussi dans la faiblesse du pays dominé, divisé, mal préparé à la lutte organisée, et surtout, pendant une longue période, de l'insuffisance politique des dirigeants des diverses fractions du mouvement anticolonialiste.

L'existence d'un F.L.N. puissant, plongeant ses racines profondes dans toutes les couches du peuple, est une des garanties indispensables.

 

a) - Installer organiquement le F.L.N. dans tout le pays, dans chaque ville, village, mechta, quartier, entreprise, ferme, université, collège, etc.;

b) - Politiser le maquis;

c) - Avoir une politique de cadres formés politiquement, éprouvés, veillant au respect de la structure de l'organisation, vigilants, capables d'initiatives;

d) - Répondre avec rapidité et clarté à tous les mensonges, dénoncer les provocations, populariser les mots d'ordre du F.L.N. en éditant une littérature abondante, variée, touchant les secteurs même les plus restreints.

Multiplier les centres de propagande avec machines à écrire, papier: ronéo (reproduction des documents nationaux et édition de bulletins ou tracts locaux).

Editer brochure sur la Révolution et bulletin intérieur pour directives et conseils aux cadres.

Bien se pénétrer de ce principe: la propagande n'est pas l'agitation qui se caractérise par la violence verbale, souvent stérile et sans lendemain. En ce moment où le peuple algérien est mûr pour l'action armée positive et féconde, le langage du F.L.N. doit traduire sa maturité en prenant la forme sérieuse, mesurée et nuancée sans manquer pour cela de la fermeté, de la franchise et de la flamme révolutionnaire.

Chaque tract, déclaration, interview ou proclamation du F.L.N. a aujourd'hui une résonance internationale. C'est pourquoi nous devons agir avec un réel esprit de responsabilité qui fasse honneur au prestige mondial de l'Algérie en marche vers la liberté et l'indépendance.

 

20 CLARIFIER LE CLIMAT POLITIQUE.

Pour conserver juste l'orientation de la Résistance tout entière dressée pour détruire l'ennemi séculaire, nous devons balayer tous les obstacles et tous les écrans placés sur notre chemin par les éléments conscients ou inconscients d'une action néfaste, condamnés par l'expérience.

 

30 TRANSFORMER LE TORRENT POPULAIRE EN ÉNERGIE CRÉATRICE,

Le F.L.N. doit être capable de canaliser des immenses vagues qui soulèvent l'enthousiasme patriotique de la nation. La puissance irrésistible de la colère populaire ne doit pas se perdre comme la force extraordinaire du torrent qui s'évanouit dans les sables.

Pour la transformer en énergie créatrice le F.L.N. a entrepris un colossal travail de brassage de millions d'hommes.

Il s'agit d'être présent partout.

Il faut organiser sous des formes multiples, souvent complexes, toutes les branches de l'activité humaine :

 

A - Le mouvement paysan.

La participation massive de la population des fellahs, khames et ouvriers agricoles à la Révolution, la proportion dominante qu'elle représente dans les moudjahidines ou moussebilines de l'Armée de Libération Nationale ont profondément marqué le caractère populaire de la Résistance Algérienne.

Pour en mesurer l'importance exceptionnelle, il suffit d'examiner le revirement spectaculaire de la politique agraire colonialiste.

Alors que cette politique était basée essentiellement sur le vol des terres (habous, arch, melk) les expropriations s'étant poursuivies jusqu'en 1945-1946, le gouvernement français préconise aujourd'hui la réforme agraire. Il ne recule pas devant la promesse de distribuer une partie des terres d'irrigation, en mettant en application la loi Martin restée lettre morte à la suite du veto personnel d'un haut fonctionnaire au service de la grosse colonisation. Lacoste lui-même ose envisager, dans ce cas, une mesure révolutionnaire: l'expropriation d'une partie des grands domaines.

Par souci d'équilibre, pour apaiser la furieuse opposition des gros colons, le gouvernement français a décidé la réforme du khaméssat. C'est là une mesure trompeuse tendant à faire croire à l'existence d'une rivalité intestine entre fellahs et khammes, alors que le métayage a déjà évolué naturellement vers un processus plus équitable, sans l'intervention officielle, pour se transformer généralement en "chourka benes" ou l'association par moitié.

Ce changement de tactique traduit le profond désarroi du colonialisme voulant tenter de tromper la paysannerie pour la détacher de la Révolution.

Cette manœuvre grossière de dernière heure ne dupera pas les fellahs qui ont déjà mis en échec la vieille chimère des "affaires indigènes" séparant artificiellement les Algériens en Berbères et Arabes hostiles.

Car la population paysanne est profondément convaincue que sa soif de terre ne pourra être satisfaite que par la victoire de l'indépendance nationale.

La véritable réforme agraire, solution patriotique de la misère des campagnes, est inséparable de la destruction totale du régime colonial.

Le F.L.N. doit s'engager à fond dans cette politique juste, légitime et sociale. Elle aura pour conséquence:

a) - La haine irréductible à l'endroit du colonialisme français, de son administration, de son armée, de sa police et des traîtres collaborateurs.

b) - La constitution de réserves humaines inépuisables pour l'AL.N. et la Résistance.

c) - L'extension de l'insécurité dans les campagnes (sabotages, incendies de fermes, destruction des tabacoops et des vinicoops, symboles de la présence colonialiste).

d) - La création des conditions pour la consolidation et l'organisation de nouvelles zones libérées.

 

B - Le mouvement ouvrier.

La classe ouvrière peut et doit apporter une contribution dynamique pouvant conditionner l'évolution rapide de la Révolution, sa puissance et son succès final.

Le F.L.N. salue la création de l'U.G.T.A comme l'expression d'une saine réaction des travailleurs contre l'influence paralysante des dirigeants de la C.G.T., de F.O. et de la C.F.T.C.

L'U.G.TA aide la population salariée à sortir du brouillard de la confusion et de l'attentisme.

Le gouvernement socialiste français et la direction néo-colonialiste de F.O. sont inquiets de l'affiliation internationale de l'U.G.T.A à la C.I.S.L. dont l'aide à l'U.G.T.A et à la Centrale Marocaine a été positive dans divers domaines nationaux et extérieurs.

La naissance et le développement de l'U.G.T.A. a eu en effet un profond retentissement. Son existence a provoqué immédiatement un violent remous au sein de la C.G.T. abandonnée en masse par les travailleurs. Les dirigeants communistes ont essayé vainement de retenir les cadres les plus conscients en essayant de retrouver sous les cendres l'esprit de l'ancienne C.G.T.U. dont le mot d'ordre de l'indépendance de l'Algérie fut enterré au lendemain de l'unité syndicale en 1935.

Mais pour devenir une Centrale nationale, il ne suffit pas à la filiale de la C.G.T. parisienne de modifier le titre, ni de changer la couleur de la carte, ni même de couper un cordon ombilical atrophié.

Pour s'adapter aux fonctions nouvelles du mouvement ouvrier ayant déjà atteint l'âge adulte, il ne suffisait pas à l'U.G.S.A. de changer de forme ou d'aspect extérieur. Quiconque observe les velléités communistes ne peut manquer de retrouver le rythme et la méthode colonialistes qui ont présidé à la transformation des délégations financières en la bâtarde Assemblée Algérienne.

L'accession de certains militants à des postes de direction syndicale rappelle singulièrement la promotion symbolique de certains élus administratifs.

Dans les deux cas, il aurait fallu changer le but, la nature et le contenu du Foyer civique et du Palais Carnot.

L'incapacité de la direction du P.C.A. sur le plan politique ne pouvait que se traduire sur le plan syndical et entraîner la même faillite.

L'U.G.T.A. est le reflet de la profonde transformation qui s'est produite dans le mouvement ouvrier, à la suite d'une longue évolution et surtout après le bouleversement révolutionnaire provoqué par la lutte pour l'indépendance nationale.

La nouvelle centrale algérienne diffère des autres organisations C.G.T., F.O. et C.F.T.C. dans tous les domaines, notamment par l'absence de tutelle, le choix de l'état-major, la structure rationnelle, l'orientation juste et la solidarité fraternelle en Algérie, en Afrique du Nord et dans le monde entier.

1 - Le caractère national se traduit non seulement par une indépendance organique, détruisant les contradictions inhérentes à une tutelle étrangère, mais aussi par une liberté totale dans la défense des travailleurs dont les intérêts vitaux se confondent avec ceux de toute la nation algérienne;

2 - la direction est formée non par des éléments issus d'une minorité ethnique n'ayant jamais subi l'oppression coloniale, toujours enclins au paternalisme, mais par des patriotes dont la conscience nationale aiguise la combativité contre la double pression de l'exploitation sociale et de la haine raciale;

3 - la "colonne vertébrale> est constituée non par une aristocratie ouvrière (fonctionnaires et cheminots) mais par les couches les plus nombreuses et les plus exploitées (dockers, mineurs, ouvriers agricoles, véritables parias jusqu'ici abandonnés honteusement à la merci des seigneurs de la vigne);

4 - le souffle révolutionnaire purifie le climat syndical non seulement en chassant l'esprit néo-colonialiste et le chauvinisme national qu'il engendre, mais en créant les conditions pour l'épanouissement d'une fraternité ouvrière, imperméable au racisme;

5 - l'action syndicale, maintenue longtemps dans le cadre étroit des revendications économiques et sociales, isolée de la perspective générale, est devenue non un frein dans la lutte anticolonialiste mais un accélérateur dans le combat pour la liberté et la justice sociale;

6 - la population laborieuse algérienne, jugée jusqu'ici comme mineure ne méritant pas l'émancipation, est appelée, non à occuper un rang subalterne dans le mouvement social français, mais à coopérer brillamment avec le mouvement ouvrier nord-africain et international;

7 - L'U.G.S.A-C.G.T. se verra inévitablement contrainte de se dissoudre à l'exemple des organisations similaires de Tunisie et du Maroc pour céder entièrement la place à l'U.G.T.A centrale nationale authentique et unique, groupant tous les travailleurs algériens sans distinction.

Le F.L.N. ne doit pas négliger le rôle politique qu'il peut jouer pour aider et compléter l'action syndicale indépendante de l'U.G.T.A en vue de sa consolidation et de son renforcement.

Les militants F.L.N. doivent être parmi les plus dévoués, les plus actifs, toujours soucieux de respecter les règles démocratiques selon la tradition en honneur dans le mouvement ouvrier libre.

Pas de schématisme: tenir compte de chaque situation concrète et adapter les formes d'action aux conditions particulières, subjectives de chaque corporation.

 

- Développer l'esprit de combativité en organisant sans retard l'action revendicative sous une forme souple et variée selon les conditions concrètes du moment (arrêt de travail limité, grèves locales, corporatives, de solidarité);

 

- Entraîner dans l'action les travailleurs européens;

 

- Concrétiser la sympathie pour l'A.L.N. en transformant en action de soutien la résistance : souscriptions, fournitures aux combattants, actes de sabotage, grèves de solidarité, grèves politiques.

 

C - Le mouvement des jeunes.

La jeunesse algérienne a les qualités naturelles de dynamisme, de dévouement et d'héroïsme.

De plus, elle se caractérise par un fait rare. Très nombreuse, elle représente près de la moitié de la population totale, en raison d'un développement démographique exceptionnel.

En outre, elle possède une qualité originale: la maturité précoce.

En raison de la misère, de l'oppression coloniale, elle passe rapidement de l'enfance à l'âge adulte; la période de l'adolescence est singulièrement réduite.

Elle suit avec passion, avec le mépris de la peur et la mort, l'organisation révolutionnaire qui peut la conduire à la conquête de son pur idéal de liberté.

La Révolution Algérienne, les exploits de l'A.L.N. et l'action clandestine du F.L.N. répondent à sa témérité que nourrit le plus noble sentiment patriotique.

C'est donc pour le F.L.N. un levier inflexible d'une puissance et d'une résistance formidables.

 

D - Intellectuels et professions libérales.

Le ralliement des intellectuels à la patrie algérienne, le fait que ta "francisation> n'a pas réussi à étouffer leur conscience nationale, la rupture avec les positions idéalistes individualistes ou réformistes, sont les preuves d'une saine orientation politique.

1° - Former des comités d'action des intellectuels patriotes.

a) Propagande: indépendance de l'Algérie,

b) Contacts avec les libéraux français,

c) Souscriptions.

Le F.L.N. devra assigner aux étudiants et étudiantes, d'une manière rationnelle, des tâches précises dans les domaines où ils peuvent rendre le mieux: politique, administratif, culturel, sanitaire, économique, etc.

 

2° - Organiser des services de santé.

a) Chirurgiens, médecins, pharmaciens en liaison avec les hospitaliers - internes et infirmiers,

b) Soins, médicaments, pansements,

c) Infirmiers de campagne, traitement des malades et convalescents.

 

E - Commerçants et artisans.

A côté du syndicat commercial algérien, dominé par le monopoleur Schiaffino, maître des chambres de commerce et le mouvement Poujade raciste et colonial-fasciste se trouvait le vide constitué par l'absence d'une véritable Centrale commerciale et artisanale, dirigée par des patriotes pour assurer la défense de l'économie algérienne.

L'U.G.C.A. prendra donc une place importante à côté de l'organisation ouvrière sœur, l'U.G.T.A.

Le F.L.N. doit l'aider à se développer rapidement en créant les conditions politiques les plus favorables:

1 ° - Lutte contre les impôts;

2° - Boycott des grossistes colonialistes, poujadistes, apportant un soutien actif à la guerre impérialiste.

 

F - Le mouvement de femmes.

D'immenses possibilités existent et sont de plus en plus nombreuses dans ce domaine.

Nous saluons avec émotion, avec admiration, l'exaltant courage révolutionnaire des jeunes filles et des jeunes femmes, des épouses et des mères; de toutes nos sœurs "moujahidates" qui participent activement, et parfois les armes à la main, à la lutte sacrée pour la libération de la Patrie.

Chacun sait que les Algériennes ont chaque fois participé activement aux insurrections nombreuses et renouvelées qui ont dressé, depuis 1830, l'Algérie contre l'occupation française.

Les explosions principales de 1864 des Ouled Sidi Cheikh du Sud Oranais, de 1871 en Kabylie, de 1916 dans les Aurès et la région de Mascara ont illustré à jamais l'ardent patriotisme, allant jusqu'au sacrifice suprême, de la femme algérienne.

Celle-ci est aujourd'hui convaincue que la Révolution actuelle aboutira inexorablement à la conquête de l'indépendance.

L'exemple récent de la jeune fille kabyle qui repousse une demande en mariage, parce que n'émanant pas d'un maquisard, illustre d'une façon magnifique le moral sublime qui anime les Algériennes. Il est donc possible d'organiser dans ce domaine, avec des méthodes originales propres aux mœurs du pays, un redoutable et efficace moyen de combat:

a) soutien moral des combattants et des résistants,

b) renseignements, liaisons, ravitaillement, refuges,

c) aide aux familles et enfants de maquisards, de prisonniers ou d'internés.

 

 

40 LA RECHERCHE DES ALLIANCES,

 

Pour libérer leur patrie enchaînée, les Algériens comptent d'abord sur eux-mêmes.

L'action politique, comme la science militaire, enseignent qu'il ne faut négliger aucun facteur, même apparemment peu important, pour assurer la victoire.

C'est pourquoi le F.L.N. a entrepris avec succès la mobilisation de toutes les énergies nationales. Mais il ne laissera pas l'ennemi colonialiste s'appuyer sur la totalité de la minorité ethnique en Algérie, dresser contre nous l'opinion en France et nous priver de la solidarité internationale.

 

A - Les libéraux algériens.

A la différence de la Tunisie et du Maroc la minorité ethnique d'origine européenne a une importance numérique dont il faut tenir compte. Elle est renforcée par une immigration permanente jouissant d'une aide officielle et fournissant au régime colonial une fraction importante de ses soutiens les plus farouches, les plus obstinés, les plus racistes.

Mais en raison de ses privilèges inégaux, du rôle qu'elle joue dans la hiérarchie économique, administrative et politique du système colonialiste, la population d'origine européenne ne constitue pas un bloc indissoluble autour de la grosse colonisation dirigeante.

L'esprit de race supérieure est général. Mais il se manifeste sous des aspects nuancés, allant de la frénésie du type "sudiste" à l'hypocrisie paternaliste.

Le colonialisme français, maître tout puissant de l'administration algérienne, de la police, du monopole de la presse, de la radio, s'est montré souvent capable d'exercer une pression psychologique pouvant cristalliser l'opinion publique autour d'une idée-force réactionnaire.

Le départ de Soustelle et la manifestation du 6 février ont été les preuves d'une grande habileté dans l'art de la provocation et du complot.

Le résultat fut la capitulation du chef du gouvernement français. Pour atteindre son but, le colonialisme organisa la panique. Il accusa le gouvernement d'abandonner la minorité ethnique non musulmane à la "barbarie arabe", à la "guerre sainte", à une Saint Barthélémy plus immonde.

Le slogan fabriqué par le maître-chanteur Reygass et diffusé par le bourreau Benquet-Crevaux, l'odieuse image: "la valise ou le cercueil" semblent aujourd'hui anodins.

Les anciens partis nationalistes n'ont pas toujours accordé à cette question l'importance qu'elle mérite. Ne prêtant d'attention que pour l'opinion musulmane, ils ont négligé souvent de relever comme il convient des déclarations maladroites de certains charlatans ignorés, apportant en fait de l'eau au moulin de l'ennemi principal.

Actuellement, la contre-offensive est encore faible. La presse libérale de France ne peut enrayer totalement le poison colonialiste. Les moyens d'expression du F.L.N. sont insuffisants.

Heureusement, la Résistance Algérienne n'a pas fait de faute majeure pouvant justifier les calomnies de la presse colonialiste, du service psychologique de l'armée colonialiste, convaincu de mensonges flagrants par les témoignages de journalistes français et étrangers.

Voilà pourquoi le bloc colonialiste et raciste, sans fissure le 6 février, commence à se désagréger. La panique a cédé la place peu à peu à un sentiment plus réaliste. La solution militaire devant rétablir le statuquo est un mirage évident. La question dominante aujourd'hui, c'est le retour à une paix négociée: quelle est la place qui sera faite à ceux qui considèrent l'Algérie comme patrie toujours généreuse, même après la disparition du règne des Borgeaud?

 

Des tendances diverses apparaissent.

1 ° - Le neutralisme est le courant le plus important. Il exprime le souhait de laisser les ultra-colonialistes défendre leurs privilèges menacés par les nationalistes "extrémistes";

2° - Les partisans d'une solution "intermédiaire"; la négociation pour "une communauté algérienne à égale distance entre le colonialisme français et le rétrograde impérialisme arabe" par la création d'une double nationalité;

3° - La tendance la plus audacieuse accepte l'indépendance de l'Algérie et la nationalité algérienne, à la condition de s'opposer à l'ingérence américaine, anglaise et égyptienne.

Cette analyse est sommaire. Elle n'a d'autre but que de souligner la différenciation qui s'opère dans le large éventail de l'opinion publique européenne.

Ce serait donc une erreur impardonnable que de mettre dans le "même sac" tous les Algériens d'origine européenne ou juive.

Comme il serait impardonnable de nourrir l'illusion de pouvoir les gagner entièrement à la cause de la libération nationale.

L'objectif à atteindre, c'est l'isolement de l'ennemi colonialiste qui opprime le peuple algérien.

Le F.L.N. doit donc s'efforcer d'accentuer l'évolution de ce phénomène psychologique en neutralisant une fraction importante de la population européenne.

La Révolution Algérienne n'a pas pour but de "jeter à la mer" les Algériens d'origine européenne, mais de détruire le joug colonial inhumain.

La Révolution Algérienne n'est pas une guerre civile, ni une guerre de religion.

La Révolution Algérienne veut conquérir l'indépendance nationale pour installer une république démocratique et sociale garantissant une véritable égalité entre tous les citoyens d'une même patrie, sans discrimination.

 

B. - La minorité juive

Ce principe fondamental, admis par la morale universelle, favorise la naissance dans l'opinion israélite d'un espoir dans le maintien d'une cohabitation pacifique millénaire.

D'abord, la minorité juive a été particulièrement sensible à la campagne de démoralisation du colonialisme. Des représentants de leur communauté ont proclamé au congrès mondial juif de Londres leur attachement à la citoyenneté française, les mettant au-dessus de leurs compatriotes musulmans.

Mais le déchaînement de la haine antisémite qui a suivi les manifestations colonialo-fascistes ont provoqué un trouble profond qui fait place à une saine réaction d'auto-défense.

Le premier réflexe fut de se préserver du danger d'être pris entre deux feux. Il se manifeste par la condamnation des Juifs, membres du "8 novembre> et du mouvement poujadiste, dont l'activité trop voyante pouvait engendrer le mécontentement vindicatif contre toute la communauté.

La correction inflexible de la Résistance Algérienne réservant tous ses coups au colonialisme, apparaît aux plus inquiets comme une qualité chevaleresque d'une noble colère des faibles contre les tyrans.

Des intellectuels, des étudiants, des commerçants prirent l'initiative de susciter un mouvement d'opinion pour se désolidariser des gros colons et des anti-juifs.

Ceux-là n'avaient pas la mémoire courte. Ils n'ont pas oublié l'infâme souvenir du régime de Vichy. Pendant quatre ans, 185 lois, décrets ou ordonnances les ont privés de leurs droits, chassés des administrations et des universités, spoliés de leurs immeubles et de leurs fonds de commerce, dépouillés de leurs bijoux.

Leurs coreligionnaires de France étaient frappés d'une amende collective de un milliard. Ils étaient traqués, arrêtés, internés au camp de Drancy et envoyés par wagons plombés en Pologne où beaucoup périrent dans les fours crématoires.

Au lendemain de la libération de la France, la communauté juive algérienne retrouva rapidement ses droits et ses biens grâce à l'appui des élus musulmans, malgré l'hostilité de l'administration pétainiste.

Aura-t-elle la naïveté de croire que la victoire des ultra-colonialistes, qui sont précisément les mêmes qui l'ont persécutée naguère, ne ramènera pas le même malheur?

Les Algériens d'origine juive n'ont pas encore surmonté leur trouble de conscience, ni choisi de quel côté se diriger.

Espérons qu'ils suivront en grand nombre le chemin de ceux qui ont répondu à l'appel de la patrie généreuse, donné leur amitié à la Révolution en revendiquant déjà avec fierté, leur nationalité algérienne.

Cette option est basée sur l'expérience, le bon sens et la clairvoyance.

En dépit du silence du Grand Rabbin d'Alger, contrastant avec l'attitude réconfortante de l'Archevêque se dressant courageusement et publiquement contre le courant et condamnant l'injustice coloniale, l'immense majorité des- Algériens s'est gardée de considérer la communauté juive, comme passée définitivement dans le camp ennemi.

Le F.L.N. a étouffé dans l'œuf des provocations nombreuses préparées par les spécialistes du gouvernement général. En dehors du châtiment individuel infligé aux policiers et contre-terroristes responsables de crimes contre la population innocente, l'Algérie a été préservée de tout pogrom. Le boycottage des commerçants juifs, devant suivre le boycottage des Mozabites a été enrayé avant même d'exploser.

Voilà pourquoi le conflit arabo-israélien n'a pas eu, en Algérie, de répercussions graves, ce qui aurait comblé le vœu des ennemis du peuple algérien.

Sans puiser dans l'histoire de notre pays les preuves de tolérance religieuse, de collaboration dans les plus hauts postes de l'Etat, de cohabitation sincère, la Révolution Algérienne a montré, par les actes, qu'elle mérite la confiance de la minorité juive pour lui garantir sa part de bonheur dans l'Algérie indépendante.

En effet, la disparition du régime colonial, qui s'est servi de la minorité juive comme tampon pour atténuer les chocs anti-impérialistes, ne signifie pas forcément sa paupérisation.

C'est une hypothèse absurde que de s'imaginer que "l'Algérie ne serait rien sans la France".

La prospérité économique des peuples affranchis est évidente.

Le revenu national, plus important, assurera à tous les Algériens une vie plus confortable.

 

***

 

Tenant compte de ce qui précède, le F.L.N. recommande:

1 - Encourager et aider à la formation de comités et mouvements de libéraux algériens, même ceux ayant au départ des objectifs limités.

a) Comité d'action contre la guerre d'Algérie;

b) Comité pour la négociation et la paix;

c) Comité pour la nationalité algérienne;

d) Comité de soutien des victimes de la répression;

e) Comité d'études du problème algérien;

f) Comité pour la défense des libertés démocratiques;

g) Comité pour le désarmement des milices civiles;

h) Comité d'aide aux ouvriers agricoles (parrainage des syndicats soutien des grèves, défense des enfants et des femmes exploitées):

 

2 - Intensifier la propagande auprès des rappelés et des soldats du contingent.

a) Envoi de livres, revues, journaux, tracts anticolonialistes'

b) Comité d'accueil des permissionnaires'

c) Théâtre: pièces exaltant la lutte patriotique pour l'indépendance.

 

3 - Multiplier les comités de femmes de mobilisés pour exiger le rappel de leurs maris.

 

e - L'action du F.L.N. en France.

1 - Développer l'appui de l'opinion libérale.

L'analyse de l'éventail politique chez les libéraux en Algérie peut être valable pour saisir les nuances de l'opinion publique en France, sujette à des fluctuations rapides en raison de la sensibilité populaire.

Il est certain que le F.L.N. attache une certaine importance à l'aide que peut apporter à la juste cause de la Résistance Algérienne la partie éclairée du peuple français, insuffisamment informé des horreurs indicibles perpétrées en son nom.

Nous apprécions la contribution des représentants du mouvement libéral français tendant à faire triompher la solution politique pour éviter une effusion de sang inutile.

La Fédération F.L.N. en France, dont la direction est aujourd'hui renforcée à Paris, a une tâche politique de premier plan pour annuler l'effet négatif de la pression réactionnaire et colonialiste.

1 - Contacts politiques avec les organisations, mouvements et comités contre la guerre coloniale:

- presse, meetings, manifestations et grèves contre le départ des soldats, la manutention et le transport du matériel de guerre.

 

2 - Soutien financier par la solidarité aux résistants et aux combattants pour la liberté.

 

 

2 - Organiser l'émigration algérienne.

La population algérienne émigrée en France est un capital précieux en raison de son importance numérique, de son caractère jeune et combattif, de son potentiel politique.

La tâche du F.L.N. est d'autant plus importante pour mobiliser la totalité de ces forces qu'elle nécessite, en même temps, la lutte à outrance contre les tentatives de survivance du messalisme.

1 - Eclairer l'opinion publique française et étrangère en donnant informations, articles des journaux et revues. Grouper à cet effet les militants expérimentés, les intellectuels et les étudiants.

2 - Dénoncer d'une façon infatigable et patiente la faillite du messalisme comme courant politique, sa compromission avec les milieux proches du gouvernement français, ce qui explique l'orientation dirigée non contre le colonialisme, mais contre le F.L.N. et l'A.L.N.

 

D - La solidarité nord-africaine.

L'intransigeance révolutionnaire du F.L.N., la poursuite farouche de la lutte armée par l'A.L.N., l'unanimité nationale du peuple algérien soudée par l'idéal d'indépendance nationale, ont mis en échec les plans colonialistes.

Les gouvernements tunisien et marocain ont, en particulier (sous la pression des peuples frères), pris nettement position sur ce problème qui conditionne l'équilibre nord-africain.

Le F.L.N. doit encourager:

1 - La coordination de l'action gouvernementale des deux pays du Maghreb, dans le but de faire pression sur le gouvernement français: action diplomatique;

2 - L'unification de l'action politique par la création d'un comité de coordination des partis frères nationaux avec le F.L.N.

a) Création de comités populaires de soutien de la Résistance Algérienne;

b) Intervention multiforme dans tous les secteurs;

3 - La liaison permanente avec les Algériens résidant au Maroc et en Tunisie (action concrète auprès de l'opinion publique, de la presse et du gouvernement);

4 - La solidarité des Centrales ouvrières U.G.T.T., U.M.T., U.G.T.A.;

5 - L'entraide des trois unions estudiantines;

6 - La coordination de l'action des trois centrales économiques.

 

 

50 L'ALGÉRIE DEVANT LE MONDE

La diplomatie française a entrepris sur le plan international un travail interne pour obtenir partout où c'est possible, ne serait-ce que très provisoirement, une aide morale et matérielle ou une neutralité bienveillante et passive. Les seuls résultats plus ou moins positifs sont les déclarations gênées, arrachées aux représentants des Etats-Unis, de l'Angleterre et de l'O.T.A.N.

Mais la presse mondiale, notamment la presse américaine, condamne impitoyablement les crimes de guerre, plus particulièrement la Légion et les paras, le génocide des vieillards, des femmes, des enfants, le massacre des intellectuels et des civils innocents, la torture des emprisonnés politiques, la multiplication des camps de concentration, l'exécution d'otages.

Elle exige du colonialisme français la reconnaissance solennelle du droit du peuple algérien à disposer librement de son sort.

La lutte gigantesque engagée par l'Armée de Libération Nationale, son invincibilité garantie par l'adhésion unanime de la nation algérienne à l'idéal de liberté, ont sorti le problème algérien du cadre français dans lequel l'impérialisme l'a tenu jusqu'alors prisonnier.

La conférence de Bandoeng et surtout la 10' session de l'O.N.U. ont eu particulièrement le mérite historique de détruire la fiction juridique de "l'Algérie Française".

L'invasion et l'occupation d'un pays par une armée étrangère ne saurait, en aucun cas, modifier la nationalité de ses habitants. Les Algériens n'ont jamais accepté la "francisation", d'autant plus que cette "étiquette" ne les a jamais empêchés d'être dans leur patrie moins libres et moins considérés que les étrangers.

La langue arabe, langue nationale de l'immense majorité, a été systématiquement étouffée. Son enseignement supérieur a disparu dès la conquête par la dispersion des maîtres et des élèves, la fermeture des universités, la destruction des bibliothèques, le vol des donations pieuses.

La religion islamique est bafouée, son personnel est domestiqué, choisi et payé par l'administration colonialiste.

L'impérialisme français a combattu le mouvement progressiste des Oulémas pour donner son appui total au maraboutisme, domestiqué par la corruption de certains chefs de confréries.

Combien apparaît dégradante la malhonnêteté des BIDAULT, LACOSTE, SOUSTELLE et le Cardinal FELTIN lorsqu'ils tentent de tromper l'opinion publique française et étrangère en définissant la Résistance Algérienne comme un mouvement religieux fanatique au service du panislamisme.

La ligne de démarcation de la Révolution ne passe pas entre les communautés religieuses qui peuplent l'Algérie, mais entre d'une part, les partisans de la liberté, de la justice, de la dignité humaine et d'autre part, les colonialistes et leurs soutiens, quelle que soit leur religion ou leur condition sociale.

La meilleure des preuves n'est-elle pas le châtiment suprême infligé à des traîtres officiants du culte, dans l'enceinte même des mosquées.

Par contre, grâce à la maturité politique du peuple algérien et à la sage et lucide direction du Front de Libération Nationale, les provocations traditionnelles et renouvelées du colonialisme: pogroms, troubles antichrétiens, xénophobie, ont été déjouées et étouffées dans l'œuf.

La Révolution Algérienne, malgré les calomnies de la propagande colonialiste, est un combat patriotique, dont la base est incontestablement de caractère national, politique et social.

Elle n'est inféodée ni au Caire, ni à Londres, ni à Moscou, ni à Washington.

Elle s'inscrit dans le cours normal de l'évolution historique de l'Humanité qui n'admet plus l'existence de nations captives.

Voilà pourquoi l'indépendance de l'Algérie martyre est devenue une affaire internationale et le problème-clé de l'Afrique du Nord.

De nouveau, l'affaire algérienne sera posée devant l'O.N.U. par les pays afro-asiatiques.

Si, lors de la dernière session de l'Assemblée Générale de l'O.N.U., on constata chez ces pays amis un souci tactique exagérément conciliateur, allant jusqu'à retirer de l'ordre du jour la discussion de l'affaire algérienne, il n'en est pas de même aujourd'hui car les promesses de la France n'ont nullement été tenues.

Ce manque de hardiesse était déterminé par l'attitude des pays arabes en général et de l'Egypte en particulier. Leur soutien à la lutte du peuple algérien demeurait limité; il était assujetti aux fluctuations de leur diplomatie. La France exerçait une pression particulière sur le Moyen-Orient en monnayant son aide économique et militaire et son opposition au Pacte de Bagdad. Elle avait notamment essayé de peser de toutes ses forces pour paralyser les armes psychologiques et morales dont le F.L.N. dispose.

L'attitude des pays non arabes du bloc afro-asiatique était conditionnée, semble-t-il, par le souci d'une part de ne jamais dépasser celle des pays arabes, par le désir, d'autre part, de jouer un rôle déterminant dans des problèmes tels que ceux du désarmement et de la coexistence pacifique.

Ainsi l'internationalisation du problème algérien dans sa phase actuelle a renforcé la prise de conscience universelle sur l'urgence du règlement d'un conflit armé pouvant affecter le bassin méditerranéen et l'Afrique, le Moyen-Orient et le monde entier.

 

Comment diriger notre activité internationale?

Nos contacts avec les dirigeants des pays frères n'ont jamais été autre chose que des contacts d'alliés et non d'instruments.

Nous devons veiller d'une façon systématique à conserver intacte l'indépendance de la Révolution Algérienne. Il convient de réduire à néant la calomnie lancée par le gouvernement français. sa diplomatie, sa grande presse pour nous présenter comme une rébellion artificiellement fomentée de l'étranger, n'ayant pas de racines dans la Nation Algérienne captive.

1 - Provoquer chez les gouvernements du Congrès de Bandoeng, en plus de l'intervention à l'O.N.U., des pressions diplomatiques, voire économiques directes sur la France;

2 - Rechercher l'appui des Etats et des peuples d'Europe, y compris les pays nordiques et les démocraties populaires ainsi que les pays d'Amérique Latine;

3 - S'appuyer sur l'émigration arabe dans les pays de l'Amérique Latine.

Dans ce but, le F.L.N. a renforcé la Délégation Algérienne en mission à l'extérieur. Il devra avoir:

a) - Bureau permanent auprès de l'O.N.U. et aux U.S.A.;

b) - Délégation dans les pays d'Asie;

c) - Délégations itinérantes pour la visite des capitales et la participation aux rassemblements mondiaux culturels, estudiantins, syndicaux, etc.

d) - Propagande écrite créée par nos propres moyens: bureaux de presse, éditions de rapports, documents par la photo et le film.

 

 

CONCLUSION

 

IL y a dix ans, au lendemain de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, une formidable explosion a ébranlé l'impérialisme.

L'irrésistible mouvement de libération nationale, longtemps comprimé, secoua les peuples captifs. Une réaction en chaîne entraîna les pays colonisés, l'un après l'autre, dans la conquête d'un avenir flamboyant de liberté et de bonheur.

En cette courte période, dix-huit nations sont sorties des ténèbres de l'esclavage colonial et ont pris place au soleil de l'indépendance nationale.

Les peuples de Syrie et du Liban, du Viet-Nam et du Fezzan ont brisé les barreaux de leurs cellules et réussi à quitter l'immense prison du colonialisme français.

Les trois peuples du Maghreb ont manifesté à leur tour leur volonté et leur capacité de prendre leur place dans le concert des nations libres.

La Révolution Algérienne du 1er novembre 1954 est sur la bonne voie.

La lutte sera encore difficile, âpre, cruelle.

Mais sous la ferme direction du Front de Libération Nationale, la victoire couronnera la longue lutte armée menée par le peuple algérien indompté.

La date humiliante du 5 juillet 1830 sera effacée avec la disparition de l'odieux régime colonial.

Le moment est proche où le peuple algérien recueillera les doux fruits de son douloureux sacrifice et de son courage sublime,

L'INDEPENDANCE DE LA PATRIE SUR LAQUELLE FLOTTERA SOUVERAINEMENT LE DRAPEAU NATIONAL ALGERIEN.