Le Plan de Constantine

 

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Ceci n'est qu'un témoignage

 

C'est avec infiniment de scrupules que j'ai accepté l'honneur que m'a fait le Président Denis FADDA en me proposant de faire devant vous un exposé sur le plan de Constantine. C'est même avec une certaine anxiété que je me livre à cet exercice. Non pas parce que le sujet ne m'intéresse pas: il m'a passionné durant quatre années. Mais parce que ce que je vous apporte, c'est très précisément ce que les historiens ont en sainte horreur, à savoir un témoignage, rien qu'un témoignage. Or chacun sait combien les historiens accordent - non sans quelque raison - peu de confiance aux témoignages.

Je vous prie de m'en excuser. J'aurais évidemment préféré faire mieux. J'aurais aimé pouvoir vous montrer au moins quelques échantillons des montagnes de rapports et d'études de haut niveau qui ont été réalisées par tous les grands bureaux d'études français, dans le cadre du Plan de Constantine et des travaux qui l'ont précédé.

La seule archive qui me reste malheureusement de ces six années, la voici. Il s'agit des Perspectives décennales qui ont été publiées en mars 1958.

Il s'agit certes d'un document très complet, appuyé sur les hypothèses de financement du rapport Maspetiol et inspiré, pour sa méthode, du 2ème plan quadriennal français. Remarquez la date: mars 1958. Le 13 mai n'a pas encore eu lieu. De gaulle n'est pas encore revenu au pouvoir. Six mois vont encore s'écouler avant qu'il ne prononce le discours du 3 septembre 1958 qui va donner son nom et fixer ses objectifs au plan de développement économique de l'Algérie.

Mais, pour aussi important qu'il soit, ce gros volume est bien mince à côté des mètres cubes de rapports qui ont concerné toutes les branches de l'économie et qui ont fourni, branche par branche, les données, les contraintes, les projections, de toute l'économie algérienne.

Ma déception est d'autant plus grande que je n'ai même pas pu emporter ou récupérer des documents auxquels j'ai personnellement travaillé.

Deux exemples. j'avais écrit et diffusé en plusieurs centaines d'exemplaires une brochure verte, dont j'étais très fier, car elle démontrait qu'en trois ans (de 1957 à 1960) le nombre de logements mis en chantier en Algérie, logements urbains ou "semi-rural", hors habitat rural et hors villages Delouvrier, avait été multiplié par trois. Je ne m'étends pas sur les performances techniques, financières et administratives qu'une croissance aussi rapide a exigé.

Cette croissance très rapide était importante car la Construction de logement était l'un des deux principaux moteurs que la stratégie du Plan voulait lancer, le second étant l'industrie légère.

Je n'ai jamais pu remettre la main sur cette brochure verte.

Deuxième exemple. En 1961, nous ne nourrissions plus d'illusion sur la volonté politique du général De gaulle. Sans savoir vers quel statut politique il nous dirigeait, nous savions que nous allions vivre de profonds changements. Aussi avons-nous soigneusement rangés dans trois caisses en bois identiques, les résumés de toutes les études ayant contribué à la conception du Plan de Constantine. Une petite équipe de trois personnes placées sous la responsabilité d'un jeune ingénieur que j'avais fait venir avec moi de Constantine en 1956 : Gabriel DELAGE, avait, durant l'année 1961, résumé tous les rapports qui avaient été élaborés pour le compte du Plan de Constantine. Ces résumés avaient été reproduits en trois exemplaires, puis collés sur de minces feuilles de carton. On les avait ensuite étroitement serrés dans ces boites en bois qui avaient été fortement cerclées de fer. Nous pensions avoir ainsi mis à l'abri de la destruction par le feu ou par le pillage, le produit de toutes ces enquêtes, de tous ces calculs économiques, de toutes ces réflexions.

Conscients des inévitables tumultes qui accompagnent inexorablement tout changement politique important - durant les journées de mai 58, les dossiers de certaines directions avaient été jetés par les fenêtres - notre préoccupation avait été de préserver l'intense travail intellectuel qui avait été accompli. Quel que soit le pouvoir qui viendrait demain s'installer Gouvernement général de l'Algérie, ce travail intellectuel lui serait utile. Nous pensions de notre devoir de le lui transmettre dans le meilleur état possible.

Tous les rapports ont donc été condensés, reproduits en trois exemplaires, dont l'un a été envoyé à Paris, rue de Martignac, au Commissariat général du Plan, et les deux autres répartis à Alger entre les Finances et le Plan.

Ces précautions semblent avoir été parfaitement inutiles. Ce sont des conseillers soviétiques qui ont pris notre relais. Ils n'ont sans doute eu que mépris pour nos stratégies libérales. Ils ont orienté Boumedienne et ses ministres vers l'industrie lourde (la sidérurgie d'Ennaba) et vers une agriculture dirigée. J'imagine donc que tous les rapports destinés à élaborer le Plan de Constantine ont servi à rouler des cornets de frites. Quand à la caisse de résumés qui fut envoyée rue de Martignac, je crains qu'à Paris, on ne lui ait pas manifesté beaucoup plus de respect.

 

Un témoignage dont j'espère que vous m'aiderez à le rendre vivant.

 

Le seul intérêt de ma présence parmi vous, si tant est qu'elle en présente une, est de vous rapporter des scènes vécues et un climat, agrémenté de quelques anecdotes.

A chaque étape de l'élaboration, puis de la trop brève mise en œuvre de ce plan de développement qu'on a pris l'habitude d'appeler "Plan de Constantine", je peux dire : "j'y étais".

Fin 1955, j'étais à El-Milia, en Petite Kabylie, où j'avais demandé à être rappelé comme lieutenant d'artillerie. A Alger, les travaux du groupe des Perspectives décennales s'achevaient. Ils avaient fait apparaître que la construction de logements, non seulement correspondait à une demande pressante de la population, mais pouvait, par son multiplicateur élevé, permettre de construire un puissant moteur, de développement économique. La Commission de l'Habitat de l'Assemblée algérienne exigeait donc que soit créée au Gouvernement général, une direction de l'Habitat. André Bakouche, délégué de Constantine et Gabriel Lambert, délégué d'Oran, ont demandé que j'en sois chargé.

J'étais donc à Alger, au ministère de l'Algérie, en mars 1956, quand Robert Lacoste a demandé au groupe qui avait travaillé à ces perspectives décennales de rédiger le document final. J'y ai participé avec d'autres jeunes hauts fonctionnaires. Après bien des retouches, le document que voici n'a été édité qu' en mars 1958.

J'étais encore "au GG" quand Robert Lacoste, ministre de l'Algérie, Max Lejeune, ministre du Sahara puis ministre de la Défense nationale, allumèrent le deuxième moteur de ce développement économique - celui concernant le développement de l'industrie légère, en signant le décret du 31 janvier 1958 "tendant à encourager la création et le développement d'entreprises industrielles en Algérie".

J'étais, à quinze mètres de lui, accoudé à l'une des baies donnant sur le forum, quand le Général De gaulle a lancé son fameux "Je vous ai compris", déchainant les torrents d'acclamations de la foule algéroise.

J'étais encore dans la suite du Général, le 3 septembre 1958, à Constantine, quand il donna le coup d'envoi du plan qui allait désormais garder ce nom. Toute la journée, j'avais accompagné le Général Dans la matinée, à la demande d'Alain de Boissieu et de Salah Bouakouir, je lui avais présenté Fourchy, une zone rendue désertique par l'excès de sel, qui avait d'abord été drainée, puis que des puits artésiens avaient rendu irrigable. Avant de rentrer à la Préfecture prononcer son célèbre discours, le Général avait remis personnellement les terrains correspondants aux tribus voisines. Ces terrains se voulaient être les symboles de ce que le plan de développement allait apporter aux populations.

J'étais souvent là, parfois discutant avec Salah Bouakouir, tandis que Jean Vibert écrivait à la plume et sans une seule rature, la synthèse des rapports qu'avait engendré la confection du Plan. Plus loin, dans l'un de mes bureaux de mon service, un jeune et brillant sociologue que Jean Vibert m'avait affecté, Pierre Bourdieu, rédigeait ses études sur la Kabylie.

J'étais à nouveau dans son bureau quand Jean Vibert revint de Paris où il était allé avec Paul Delouvrier présenter la mouture finale du Plan.

"Qu'a dit le Général ?"

- Il a laissé tomber : "On va faire du développement économique, ça ne peut pas faire de mal !" L'enthousiasme, en somme !

 

Mais j'étais toujours là quand une large part de l'équipe des directeurs démissionna et qu'il fut clair qu'il n'y aurait plus de Plan de Constantine.

N'hésitez donc pas à me poser des questions et à commenter ou à contester mes affirmations.

Voyons à présent l'historique du Plan de Constantine

 

Les origines de la planification du développement économique, social et culturel de l'Algérie : le plan de progrès social et économique (1944) et le rapport Maspetiol (juin 1955)

 

Le plan de Constantine n'est pas né, comme on peut le croire en écoutant certaines hagiographies, le 3 septembre 1958 de l'imagination fertile du nouveau Président de la République. Il fut le fruit de longs travaux d'étude antérieurs. On peut même soutenir que la réalisation de ce plan - qui ne s'appelait évidemment pas encore "de Constantine" - était déjà engagée depuis plus d'un an quand l'annonce en fut faite.

 

Avant l'annonce qu'en fit le Général, on peut distinguer quatre étapes:

- 1944, le Plan de progrès social et économique de l'Algérie. Il échoue sur l'opposition du ministère des finances et le désintérêt du chef de l'État (le Général).

- juin 1955. La commission Maspetiol remet son rapport alors que le gouvernement qui le lui a commandé a disparu depuis le 5 février 1955 - il aura duré sept mois et dix-sept jours.

- 1955- début 1957 - les travaux du groupe permettent de présenter aux autorités les Perspectives décennales. Certaines mesures d'incitation sont adoptées (31 janvier 1958).

- 3 septembre 1958 le général de Gaulle annonce le Plan à la Préfecture de Constatine.

- la démission le 6 novembre 1960, d'André Jacomet, Jean Vibert, Jacques Saigot et Armand Colot. Les industriels deviennent attentistes ou se désengagent. On admettra que cette date marque la fin du Plan de Constantine.

 

La première tentative en ce sens s'est située vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1944, après qu'Alger eut été, durant près de deux années, le siège du Gouvernement provisoire de la République. L'opposition du ministère des finances et le manque d'intérêt du chef de l'État n'ont guère laissé de chance d'aboutir à cette première tentative intitulée Plan de progrès social et économique de l'Algérie.

A partir de 1945, en Métropole, dans un pays ravagé par la seconde guerre mondiale, la Reconstruction s'impose comme impérativement prioritaire. Moins que jamais, l'Algérie n'intéresse Paris. Aucune déclaration d'investiture ne fait allusion à l'Algérie sauf celle de Pierre Mendès France. Observons simplement, écrit Guy Pervillé , professeur d'Histoire contemporaine à l'université de Toulouse, que si le blocage des réformes politiques semble bien dû en grande partie aux pressions du "lobby algérien ", l'insuffisance du programme de progrès économique et social paraît surtout imputable au gouvernement de la métropole.

À Alger comme à Paris, le souci de sortir l'Algérie de son sous-développement continua cependant d'agiter certains esprits. Mais l'objectif était-il seulement à portée de l'économie française ? À quel niveau devrait se situer l'effort financier de la Métropole pour permettre à l'Algérie de décoller ? Un Conseiller d'État, Roland Maspetiol, fut chargé (probablement par Pierre Mendès-France) de trouver la réponse à cette question. Il présida les travaux d'un Groupe d'études des relations financières entre la Métropole et l'Algérie, puis déposa en juin 1955 le "Rapport Maspetiol" (qui porte en réalité le nom impossible de "Rapport de la mission de réorganisation du Gt Gal de l'Algérie et de déconcentration administrative"). Ayant procédé à des comparaisons avec d'autres pays de taille et de développement comparables, ce rapport évaluait les investissements nécessaires. Compte tenu des efforts que l'Algérie était elle-même en état de consentir , il chiffrait par différence la contribution qui devrait être celle de la Métropole. Cent milliards de Francs légers par an - de l'ordre de 1 ou 2 Milliard d'€uros d'aujourd'hui - somme qui devait croître progressivement pendant cinq ans. Ce rapport montrait donc que l'effort budgétaire demandé à la France se situait à un niveau parfaitement soutenable pour une France qui était, rappelons-le, désormais engagée dans la brillante chevauchée des Trente Glorieuses.

Cette évaluation de la contribution métropolitaine servira d'hypothèse aux Perspectives décennales, puis au Plan de Constantine. Plus tard, elle servira encore à dimensionner le niveau de l'aide financière que la France accordera à une Algérie devenue indépendante. Autrement dit, les conclusions du Rapport Maspetiol ont structuré durant plus de dix années, les relations financières publiques entre la France et l'Algérie.

 

Les Perspectives décennales

 

La publication du "Rapport Maspetiol" souleva à Alger un vent de foi dans l'avenir. Sous la houlette de M. Tixier, directeur général des Finances, puis de son successeur, M. Yves Leportz, fort également du soutien de M. Salah Bouakouir, l'omniscient polytechnicien kabyle qui fut successivement directeur général de l'Industrie , puis Secrétaire général du Gouvernement pour les Affaires économiques, une équipe enthousiaste de jeunes hauts fonctionnaires et de dirigeants d'entreprise s'engagea ardemment dans l'élaboration d'un document qui prit le nom de : Les Perspectives décennales du développement économique de l'Algérie. Destiné à démultiplier les orientations du rapport Maspetiol, cet ouvrage était plus analytique. Il présente en particulier deux matrices des échanges intersectoriels.

Présenté aux autorités début 1957, c'est ce document, daté de mars 1958, qui fournit l'essentiel du contenu du discours présidentiel du 3 septembre 1958.

 

Le plan de Constantine

 

Le 3 septembre 1958, en pleine guerre d'Algérie - je faisais ce jour-la partie de sa suite - le Général De gaulle annonça, depuis la Préfecture de Constantine le lancement d'un plan de développement économique et social de l'Algérie. La nouveauté de l'annonce faite par le Chef de l'État tenait moins à son contenu qu'au fait que, pour la première fois et au plus haut niveau de l'État, les objectifs de développement de l'Algérie étaient pris en considération.

Ce plan ne se situait pas, à la manière des plans soviétiques, dans le cadre rigide d'une économie administrée. C'était un plan "à la française", compatible avec l'économie de marché, semblable à ceux qui avaient été conçus par Jean Monnet puis par Pierre Massé quand, en Métropole, il avait fallu, après 1945, entreprendre la Reconstruction. Ce type de plan s'appuie sur de nombreuses études. Il repose sur des concertations poussées entre tous les acteurs de l'économie et sur une prospective des relations intersectorielles dont il s'efforce d'effacer les goulets d'étranglement. Il désigne des objectifs, et comporte des mesures d'incitation.

Les finalités du "Plan de Constantine" étaient claires. Ce Plan visait, en quelques périodes quinquennales et malgré une démographie galopante, à porter le niveau économique, social et culturel de l'Algérie à un niveau européen. Dans le contexte de guerre civile de l'année 1958, il prenait aussi figure d'une riposte politique au FLN.

Début octobre 1958, pour mettre ce plan en œuvre, de Gaulle nomma Paul Delouvrier "Délégué général du gouvernement en Algérie". Paul Delouvrier était un brillant inspecteur des Finances qui avait fait carrière dans divers cabinets ministériels de la IVe République et qui, en 1946, avait travaillé auprès de Jean Monnet à la préparation du premier plan quinquennal français. Le Général lui donna mandat de "pacifier, administrer, mais en même temps transformer".

Paul Delouvrier alla rue Martignac, au Commissariat général du Plan, pour recruter Jean Vibert qui s'y occupait de l'Outre-mer. Dès le 31 octobre, il le nomma à Alger directeur du Plan et Secrétaire général de son instance consultative, le Conseil supérieur du Plan. Il demanda à Pierre Massé, brillant successeur de Jean Monnet comme Commissaire général au Plan, de présider ce Conseil. La filiation entre le Plan de Constantine et les plans quinquennaux français apparaît ainsi comme ayant été particulièrement étroite.

Jean Vibert travailla d'arrache pied. Pour réaliser les études nécessaires, il mobilisa tous les grands bureaux d'études français: SCET, BERU, CREDOC, CEGOS etc.. Les rapports - ceux dont mon équipe a fait les résumés fin 1961 - s'accumulaient sur sa table. Lui se réservait la rédaction des synthèses et celle des conclusions qui devraient guider l'action des administrations et des différents secteurs de l'économie.

Le Plan était ambitieux. Il visait à "transformer la condition des hommes et spécialement celle des plus déshérités". Il concernait tous les domaines: industrie lourde, industrie légère, agriculture, défense et restauration des sols (DRS), hydraulique, routes et ports, logement, enseignement, action sociale, etc.

La construction de logements y tenait une place particulière. L'exode rural et une (trop) rapide croissance démographique créaient d'énormes besoins. A condition de concevoir des logements adaptés à la demande, aux mœurs, au climat et au niveau de solvabilité des candidats, la construction drainerait des ressources qui entraîneraient dans son sillage toutes sortes d'industries sous-traitantes (carrières, industrie du bâtiment, matériaux de construction, peintures, industrie du meuble, voiries et réseaux divers, etc). La construction était ainsi chargée d'être l'un des principaux moteurs de la croissance.

Restait à obtenir l'approbation du Général. Paul Delouvrier et Jean Vibert prirent l'avion pour Paris. Je me souviens de l'anxiété avec laquelle nous attendîmes leur retour à Alger. Je guettai l'arrivée à son bureau de Jean Vibert. "Et alors?"

- Le Général nous a écoutés. Puis il a laissé tomber : "Faisons du développement économique : cela ne peut pas faire de mal !"

Un enthousiasme assez mesuré, en somme.

 

Un succès trop bref

 

La stratégie conçue par Jean Vibert, avec le soutien de Paul Delouvrier et de Salah Bouakouir, se révéla payante. Comme dit plus haut, en trois ans (1957-1960), le rythme des mises en chantier de logements fut multiplié par trois. Le financement en provenait pour l'essentiel du Fonds de dotation de l'habitat , une rubrique inscrite au budget de l'Algérie à laquelle les Délégués à l'Assemblée algérienne portaient une attention particulière. En pleine guerre, le bâtiment entraîna alors à sa suite, dans une croissance à deux chiffres, la plupart des indicateurs économiques. Les emplois créés permettaient de verser des loyers qui venaient à leur tour réalimenter les ressources du Fonds de Dotation de l'Habitat. Seules certaines industries légères comme celles du secteur textile, n'entrèrent pas dans ce cycle vertueux, le patronat du textile s'opposant aux délocalisations en Algérie.

Dans l'enseignement, sur la même période, les effectifs d'enfants musulmans scolarisés furent multipliés par près de trois et ceux du secondaire furent majorés d'un tiers, passant de 37.500 en novembre 1957 à 49.300 en novembre 1960.

Dans mon bureau dont les fenêtres donnaient sur le Forum, au cinquième étage du Gouvernement général, une dizaine de panneaux pivotants supportaient des courbes qui rendaient compte de ces fortes progressions. Chaque semaine, des collaborateurs venaient y piquer des punaises de couleur qui prolongeaient la tendance. J'attachai une importance particulière aux indicateurs rapides. Ils n'entrent certes pas dans le calcul du PIB, mais ils donnent, avant les autres, des indications sur le sens des variations et sur leurs portées. Le nombre de compteurs électriques installés, le nombre de tonnes de ciment consommées, les volumes d'emballage etc. Toutes les courbes correspondantes grimpaient à plus de 10 % de progression annuelle. L'Algérie était désormais un pays en développement ! L'objectif tendant à l'amener, en deux ou trois décennies, à un niveau de vie européen, n'apparaissait plus irréaliste.

Et le pétrole, le pétrole montrait son nez. Jacques Saigot avait conçu un vaste programme de voies rapides quadrillant le désert. Leurs tapis, très roulants, autorisaient d'étonnants rallyes.

Mais le 16 septembre 1959, les déclarations du Chef de l'État affichèrent un retournement de politique. Le 6 novembre 1960, un nouveau discours du Général évoquant "l'Algérie algérienne" provoquait la démission du Conseiller d'État André Jacomet, Secrétaire général du Gouvernement en Algérie. En réalité, André Jacomet n'avait pas été le seul à remettre sa démission. Trois autres directeurs l'avaient imité : celui de l'Industrie, Armand Collot, celui des Travaux publics, Jacques Saigot, et… celui du Plan, Jean Vibert. Paul Delouvrier leur demanda, afin de ne pas provoquer de scandale, de conserver leurs démissions confidentielles. Ils l'acceptèrent mais la démission d'André Jacomet suffit à provoquer une émeute médiatique que la décision du Général De gaulle de révoquer André Jacomet ne fit qu'amplifier. Le Conseil d'État tint tête au Général et annula cette révocation. On était en plein désordre. On allait bientôt voir pire.

La confiance des entrepreneurs s'effondra. Les capitaux tentèrent de fuir. Bientôt, les disparitions et les enlèvements de civils allaient semer la panique dans les rangs des Européens qui choisirent la valise plutôt que le cercueil.

 

Né trop tard, le Plan de Constantine aura duré trop peu

 

Suivant la date que l'on prend pour marquer son début, la durée du Plan de Constantine peut varier de deux à quatre ans.

Si l'on fait remonter son départ à annonce faite par le Général, le 3 septembre 1958, le Plan de Constantine aura duré 26 mois, un peu plus de deux années.

Si l'on considère qu'en réalité le Plan a démarré bien plus tôt, dès le début 1957, il aura alors duré 47 mois, presque quatre années.

 

De toute façon, c'était bien trop peu pour qu'il puisse réellement faire ses preuves et transformer l'économie et la société algérienne.

 

Saint Cloud le 18 mars 2011

 

Signé: René Mayer