Le hasard me fit un jour assister à une conversation entre un métropolitain qui rentrait d'Algérie où l'avion lui avait permis, en 48 heures d'absence de Paris, de passer une dermi-journée à Alger, puis une journée à Hassi-Messaoud, et, d'autre part, un marin qui, pendant des années, avait bourlingué dans toute la Méditerranée et notamment de Tunis à Alger et Gibraltar en touchant tous les ports intermédiaires. Le premier avait rapporté de son bref voyage des idées aussi précises que définitives et affirmait péremptoirement: en Algérie il n'y a pas de montagnes, tout au plus des rochers, des cailloux, des montagnettes, mais pas de vraies montagnes. Et son interlocuteur de répliquer: comment, des montagnes en Algérie on ne voit que cela; de la frontière tunisienne à Bône, Philippeville, Alger, Oran, Nemours et jusqu'au Maroc on ne voit rien d'autre; les ports sont au pied de montagnes que les villes escaladent, comme Alger, et même le fond des baies, comme celle de Bougie, est entièrement bordé de montagnes qui lui constituent un prestigieux décor de pics et de monts escarpés.
Et cette dernière opinion n'était pas nouvelle puisque Tite-Live racontait déjà que, lorsque en 205 avant Jésus-Christ, Publius Cornelius Scipion, après avoir conquis au cours de la 2ème guerre punique tout le centre et le sud de l'Espagne enlevés à Carthage, envisageait de porter la guerre en Afrique, il lui fut donné l'avertissement: "Quand de la Haute-mer tu apercevras l'Afrique, ta conquête de l'Espagne ne te semblera plus qu'un jeu et un badinage". (Tite-Live -Rist. XXVIII, 42, cité par A. Berthier). Car le vieil historien latin savait déjà que la péninsule ibérique, malgré l'existence au Nord comme au Sud, de sommets de plus de 3000 mètres, s'ouvrait sur la Méditerranée par des plaines accueillantes; au contraire en Algérie, quand le rivage n'est pas formé par des montagnes, si des plaines viennent presque jusqu'à la côte, elles se terminent, au dessus de la mer par des falaises par exemple près d'Oran. Les points où les plaines de l'intérieur de l'Algérie, que les géographes appellent sublittorrales, s'abaissent en pente douce vers la mer sont très rares, on ne peut guère citer qu'une dizaine de kilomètres où la Mitidija s'abaisse lentement vers la mer près de Maison-Carrée à l'Est d'Alger et de même quelques kilomètres à l'Est de Bône; ces deux points exceptionnels ayant permis l'accès vers les deux grands ports.
Revenant aux deux opinions exprimées ci-dessus : l'Algérie pays sans montagnes, l'Algérie pays tout en montagnes, elles contiennent toutes deux une part de vérité. Il est exact que sauf dans l'extrême sud saharien où le Hoggar atteint 3000 mètres, l'Algérie du Nord, la seule dont il sera question ici, ne comporte pas de hautes montagnes comparables aux Pyrénées et aux Alpes.
Mais, en même temps, il faut avoir présent à l'esprit le fait que des sommets de 1500 mètres ou 2000 mètres et plus, il y a en a partout, ou presque, au Nord comme au Sud, et qu'en même temps ces régions sculptées dans le détail par l'érosion, burinées peut-on dire, coupées de milliers de ravins ou de ravinaux, séparés par des crêtes aux flancs abrupts, sont très difficiles à parcourir, et les grandes voies de communication doivent les contourner. Les pistes ou chemins des régions montagneuses défient même le cheval, et c'est ainsi que, si dans bien des zones on installa au XIXème siècle des brigades de gendarmerie à cheval, comme naguère en France, on put voir, ce qui n'exista jamais en métropole, des brigades de gendarmerie à mulet, comme celle d'Arris, car la fatigue imposée aux montures dans la région était telle qu'elle défiait les forces des chevaux! En effet, les vallées se rétrécissent souvent en gorges aux parois verticales, et force est alors d'escalader les hauteurs. En outre, le dessin général des reliefs ne s'organise pas en massifs montagneux groupés et séparés par de vastes ensembles de plaines, mais des hauteurs s'élèvent un peu partout sans s'ordonner régulièrement, se succèdent, les unes après les autres sans se prolonger, dans un espèce de chaos où l'esprit cherche vainement une ordonnance.
Des bassins intérieurs se succèdent souvent allongés sans non plus se prolonger, et sont séparés par des seuils que les rivières franchissent dans des défilés souvent étroits. L'irrégularité de ce relief est une de ses caractéristiques, et c'est ainsi que le voyageur qui, d'Alger s'en va vers l'Est en direction de la Tunisie, franchira à travers l'Algérie, 700 km environ, sans suivre aucune rivière pendant plus de quelques dizaines de kilomètres, mais s'élevant pour passer d'un bassin à l'autre et redescendre, peu après, en un trajet qui évoque un profil de montagnes russes: la grande voie ferrée qui unit Alger à Tunis monte et descend irrégulièrement pour s'élever à 700 m d'altitude vers Bouira, à environ 120 km d'Alger, redescend ensuite vers 100 m d'altitude vers la vallée de la Soumam puis remonte à plus de 1000 mètres sur le plateau sétifien à moins de trois cents kilomètres d'Alger et ainsi de suite tout au long de dénivellations qu'il serait fastidieux d'énumérer.
Dans un dédale de massifs montagneux et de plaines on ne voit guère de lignes directrices et, c'est d'une manière qui semble théorique, que les géographes ont parlé d'un Atlas tellien groupant tous les reliefs de la zone humide du nord du pays, de ce que les autochtones appellent le Tell, tandis que les reliefs du sud recevaient le nom, purement livresque, d'Atlas Saharien. Les massifs de l'Atlas tellien, sont en général de moyenne altitude, 1000 à 2000 mètres, formés d'un lacis de petites crêtes et de ravines couvertes de forêts lorsqu'elles n'ont pas été détruites par l'homme. Un seul d'entre eux a un aspect de hautes montagnes, c'est à l'est d'Alger , le massif dit de grande Kabylie, dominé par les crêtes de Djurdjura, crêtes calcaires très escarpées, où la roche est souvent à nu, et s'élève souvent au dessus de 2000 mètres, atteignant 2306 mètres au Lalla Khedidja. Par temps clair, l'hiver, on voit ces sommets enneigés depuis Alger.
Entre ces hauteurs se trouvent des plaines basses, zones affaissées entre les massifs au cours des périodes géologiques les plus récentes. Et, là encore, on cherche des lignes directrices sans les trouver: le moindre coup d'oeil sur le paysage montre des dispositions d'ensemble inhabituelles: ainsi la Mitidja est une plaine qui s'allonge d'Ouest en Est sans le moindre accident topographique notable dans cette orientation; au contraire, elle est régulièrement séparée de la mer par le bourrelet du Sahel qui s'allonge à l'Ouest d'Alger parallèlement à l'axe de la plaine. Et, paradoxalement, le réseau des rivières n'est pas parallèle aux lignes du relief, mais le recoupe presque perpendiculairement: ainsi l'Oued Chiffa qui descend des hauteurs de Médéa et coule vers le nord, lorsqu'il arrive dans la plaine, ne suit pas l'orientation de celle-ci, mais continue droit vers la mer et entaille le Sahel dans le défilé dit du Mazafran pour rejoindre le rivage et se jeter dans la mer.
Ces curieuses dispositions du relief s'expliquent par l'étude de l'histoire géologique du pays. Des mouvements verticaux du sol, affaissements et exhaussements, se sont poursuivis pendant les périodes les plus récentes de l'histoire de la région. Ainsi l'oued Chiffa descendait des montagnes, traversait le bas-pays et se jetait tout naturellement dans la mer en traversant une plaine qui s'étendait sans obstacle jusqu'au rivage. Et c'est récemment que le sol s'est élevé entre ce qui est aujourd'hui la Mitidja et la mer, formant le bourrelet du Sahel; comme ce mouvement a été lent, de l'ordre d'un dixième de millimètre par an, la rivière a pu creuser son lit au fur et à mesure que le sol s'élevait. C'est dire que ce relief du Sahel est dû à un mouvement lent qui a duré -approximativement- 2 millions d'années, ce qui est bref eu égard à la durée des ères géologiques. Ce processus a joué dans toute l'Algérie de façon analogue, et c'est ainsi que l'on voit fréquemment des rivières ne coulant pas dans les plaines, mais s'élançant contre des reliefs qu'elles traversent dans des gorges plus ou moins étroites.
Le propos de ce livre n'étant pas de faire un cours de géologie ni même de géographie, je me contenterai de dire que la complexité du relief algérien s'explique très bien par le fait que le pays entier est, surtout dans les parties proches de la Méditerranée, une mosaïque de régions qui, les unes ont tendance à s'affaisser, les autres à s'élever. Comme ces régions sont chacune de faibles dimensions, le résultat est le relief chaotique, désordonné, sans voies de communications faciles qui caractérise le Nord de l'Algérie.
Lorsqu'on s'éloigne de la Méditerranée, d'une ou deux centaines de kilomètres vers le sud, un nouveau type de paysage apparaît contrastant avec le relief tourmenté du nord: tout d'un coup la vue n'est plus bornée par un horizon de montagnes, mais au contraire s'étend à l'infini, on voit des plaines ou plateaux, généralement élevés, et que les géographes ont qualifiés de Hautes-Plaines ou Hauts-Plateaux. Se situant à plusieurs centaines de mètres au-dessus du niveau de la mer, ils s'étendent sur des centaines de kilomètres du Nord au Sud, et sur plus de mille kilomètres d'Est en Ouest, du Maroc à la Tunisie. Ils forment une grande unité géographique qui n'est pas totalement uniforme: à l'Ouest les reliefs qui interrompent la monotonie du paysage sont rares, et les sommets peu fréquents, élevés de quelques centaines de mètres au dessus de la plaine environnante; au contraire, ces reliefs sont plus nombreux à l'Est Constantinois. Mais comme ce qui fait la plus grande différence entre l'Ouest et l'Est, c'est la pluviométrie qui conditionne l'aspect du pays et la végétation, je ne reparlerai de ces régions qu'après avoir .dit quelques mots du climat.
Au Sud des Hautes-Plaines, de longues crêtes rectilignes, s'élevant parfois à 1800 ou 2000 mètres s'élèvent au-dessus de l'horizon: monts des Amour -la grande confédération de tribus du Sud-Oranais- et monts des Ouled Naïl dans le sud Algérois. Ces crêtes constituent le grand ensemble que les géographes appellent Atlas Saharien car il borde le grand désert. Vers l'Est, cet ensemble est continué par l'Aurès, le plus haut massif de l'Algérie avec ses sommets de 2321 mètres (Mahmel) et 2329 mètres (Chellia). Enfin, au sud de ces reliefs vient le Sahara, plateau rocheux à l'Ouest et au Centre, plaine basse dans l'Est.
Rien qu'à lire les lignes ci-dessus où l'on aurait voulu ne parler que du relief, on sent immédiatement que la question de climat joue un grand rôle dans l'allure du paysage, quel que soit le substratum géologique du lieu: au nord c'est un pays où il y a des rivières, où il pleut, qui par beaucoup de côtés se rapproche de nos pays d'Europe, au sud ce sont des paysages de plus en plus arides où la pluie devient rare, puis rarissime, et cela modifie du tout au tout le paysage et la vie que les hommes peuvent y mener. Les historiens ont cherché les raisons pour lesquelles, au cours des trois derniers millénaires jamais un état centralisé n'a pu se constituer en Algérie, sauf au cours des derniers siècles, mais alors ce fut sous des influences extérieures au pays: turques ou françaises. Ils ont beaucoup trop cherché la raison de ce fait dans le relief et pas assez dans les faits climatiques qui conditionnent à peu près seuls les modes de vie dans un pays où, en l'absence constante au cours de l'histoire, d'industrie ou d'un artisanat autre que local l'agriculture et l'élevage étaient les seules ressources, et celles-ci étaient conditionnées par le climat, facteur primordial du développement humain.
LE CLIMAT
LES TEMPERATURES
Tout le monde sait que l'Algérie est un pays où il fait assez chaud: les températures moyennes sont presque partout assez élevées, mais beaucoup ignorent que c'est aussi un pays où il peut faire froid et même très froid. Ceci, non seulement dans l'Algérie septentrionale où seul le littoral est à l'abri des grands froids, mais aussi dans le sud où les claires nuits d'hiver sont généralement froides, et peuvent même être très froides. Au Sahara on a pu voir, en hiver, des chameliers casser la glace d'un point d'eau pour, au petit matin, faire boire les chameaux. L'auteur de ces lignes a rarement eu aussi froid qu'une nuit passée en plein air, sur la Hammada de Tinrhert, à mi-chemin entre Flatters et Ghadamès, où juste après le lever du soleil, de l'eau répandue sur le sol gelait immédiatement; j'appris peu après que cette nuit-là, quoiqu'il ait fait certainement moins froid à Flatters, oasis située à une altitude bien moindre, le thermomètre était pourtant descendu là-bas à 7° en dessous de zéro.
Ceci est d'ailleurs un fait observé depuis fort longtemps dans un pays analogue, la Judée, entre la Méditerranée et le désert arabique, puisque la Bible fait dire au patriarche Jacob: "la chaleur me dévorait pendant le jour et le froid pendant la nuit" (Genèse XXXI, 40). De nos jours on exprime parfois le même fait en disant: "l'Afrique du Nord est un pays froid où le soleil est chaud".
Oui, il fait chaud partout en été, même si, en altitude, au dessus de 1500 mètres la chaleur est supportable, et là, parfois atténuée quand vient l'automne, par des pluies d'orage. Chaleur généralement supportable quoique parfois excessive. Donnons des chiffres, d'abord celui du maximum absolu observé dans l'Algérie du Nord, à Ard el Beida, entre Relizane et Orléansville, dans la plaine du Chélif, donc dans une de ces plaines qui, séparées de la Méditerranée par les reliefs côtiers, ne bénéficient pas de la "brise de mer" et sont donc particulièrement chaudes. Là, dans les conditions très strictes définies par les météorologistes de l'Institut de Physique du Globe de l'Université d'Alger, c'est-à-dire à 1 mètre au-dessus du sol et sous abri, donc à l'ombre, on a observé, le 5 Août 1920, 50°,3 centigrades. Cette température et toutes celles au voisinage de 50° sont exceptionnelles, mais dans toutes les plaines du nord, le mercure du thermomètre monte assez souvent entre la fin juin et la mi-septembre entre 44 et 48°. Cependant, ce ne sont pas ces maxima qui sont ce qu'il y a de plus difficile à supporter. Sont bien plus pénibles les nuits chaudes qui les accompagnent, et où il arrive que l'on ne puisse voir le sommet de la colonne du thermomètre s'abaisser en dessous de 40°. Durant ces nuits le sommeil tarde à venir, quels que soient les artifices employés, tels que la serviette imbibée d'eau étendue sur le corps, à même la peau, et qui procure une passagère sensation de fraîcheur qui permet l'assoupissement. De toutes façons, ces excès de chaleur sont difficiles à supporter pour tous, même les personnes habituées, et ce, sans distinction de race!
A côté de la chaleur fréquente, le froid plus rare et moins extrême, sévit partout dès qu'on s'éloigne de la Méditerranée; il gêle très fréquemment de décembre à février dans toutes les régions, surtout près des montagnes. A titre d'exemple on a observé, le 31 Janvier 1935, 15° en dessous de zéro à Géryville dans le sud oranais et en montagne, au-dessus de 2000 mètres, le froid était bien plus intense.
LES VENTS
Les températures ne sont pas seulement élevées au soleil, mais aussi au vent et notamment au sirocco, ce terrible chihli des autochtones, qui, souft1ant du Sud au Sud-Est, transporte rapidement l'air surchauffé et sec du Sahara sur la Méditerranée. Air chargé de poussières très fines, plus fines que les gouttes d'eau du brouillard, et qui ne mérite pas le nom de vent de sable qu'on lui donne souvent. En effet les grains de ce dernier, trop lourds, ne se trouvent dans le vent que là où il y a du sable à proximité et ne sont portés par les remous ou tourbillons, si violents qu'ils soient, à seulement quelques mètres au-dessus du sol, alors que le chihli s'élève à plus de 5000 mètres d'altitude. Les aviateurs le savent bien qui parlent, plus justement, de "brume sèche". Ces particules fines font que ce vent donne à l'atmosphère une couleur jaune ocre, caractéristique, et peuvent même obscurcir le ciel, voilant totalement le soleil, tandis qu'au sol règne presque l'obscurité. Elles sont formées d'argile en microscopiques plaquettes de l'ordre du millième de millimètre. Et ceux qui ont parcouru à pied le bled algérien savent qu'après une bouffée de chihli, le sol, là où il est naturellement lisse, peut avoir été recouvert d'une fine pellicule d'argile et être devenu, l'humidité aidant, aussi glissant qu'une patinoire.
Une des caractéristiques de ce vent venu du désert est d'être chaud et sec, et de véhiculer de l'électricité statique au point d'interrompre les communications radio et de charger les objets séparés du sol; ainsi, quand il souffle violemment dans les régions sèches du sud, si on approche la main d'une voiture automatiquement isolée du sol par ses pneumatiques, on ressent un picotement net et, s'il fait nuit, on peut voir les étincelles s'échapper du bout des doigts quand ceux-ci arrivent à quelques centimètres du véhicule. Et, plus simplement, il suffit de passer sa main dans les cheveux pour entendre le crépitement des étincelles.
Ce vent est sec et dessèche tout, hommes et bêtes, tout le monde est assoiffé, les végétaux se flétrissent. Il m'est même arrivé de voir dans un jardin qui avait pu être abondamment irrigué, des plantes aux feuilles flétries pendant le long des tiges, alors que le sol était recouvert de plusieurs centimètres d'eau: les vaisseaux de la tige n'étaient pas capables de faire monter l'eau vers les feuilles aussi vite que celle-ci s'évaporait.
LES PLUIES
Si le vent du sud dessèche, il n'en est pas de même des vents du secteur Ouest, qui soufflent parfois avec violence, surtout du Nord-Ouest, et sont des vents bienfaisants qui amènent la pluie, arrosant tout le pays et surtout les secteurs montagneux, mais d'une manière irrégulière de l'automne au printemps, à des dates et en quantités très variables suivant les années, mais privilégiant toujours les massifs montagneux par rapport aux régions voisines.
Dans l'ensemble l'Algérie était plus humide dans l'Est où le Constantinois était privilégié, tandis que l'Oranie était plus sèche. Ceci était bien connu de tous ceux qui ont parcouru l'ensemble du pays, et cela se traduisait au premier coup d'oeil par l'abondance beaucoup plus grande des forêts dans l'Est: grandes forêts de cèdres des montagnes au sud de Constantine, forêts de chênes-lièges des massifs montagneux du littoral oriental, sans parler de l'exceptionnelle forêt de sapins des sommets du Babor, au sud-est de Bougie.
Mais soyons précis et donnons des chiffres empruntés au gros ouvrage publié par l'institut de Physique du Globe de l'Université d'Alger, sous la direction de P. SEL TZER, et qui fournit les moyennes observées dans plus d'une centaine de stations régulièrement suivies. Voici, choisis dans cette abondante documentation, les chiffres se rapportant aux villes du littoral énumérées d'Ouest en Est, donnés en mm par an (pour les villes où il y avait plusieurs stations on donne la moyenne):
ORANIE
Nemours 410 Béni-Saf 371 Oran 450 Mostaganem 377
ALGEROIS
Ténès 545 Cherchell 633 Tipaza 630 Alger 704
CONSTANTINOIS
Bougie 972 Philippeville 830 Bône 738 La Calle 910
L'augmentation d'Ouest en Est est nette, quoique irrégulière en raison de l'influence variable des reliefs locaux. Elle est dûe à ce que les perturbations atmosphériques qui engendrent les pluies ont des trajets préférentiels. L'un de ceux-ci, venant de l'Atlantique Nord, passe par le golfe de Gascogne, traverse obliquement les Pyrénées - il pleut beaucoup plus à Gérone et en Catalogne, au sud, qu'à Perpignan ou dans les Corbières au Nord- franchit la Méditerranée et arrose l'Est de l'Algérie. Son passage se marque nettement aux Baléares où Minorque, à l'Est est beaucoup plus humide que Majorque. Ces chutes de pluie plus abondantes dans l'Est de l'Algérie sont un fait bien connu des météréologistes. P. SELTZER adonné un bon résumé des facteurs régissant la répartition des pluies en Algérie; dans le livre déjà cité il a indiqué (p. 144) les trois règles fondamentales :
- la hauteur de pluie augmente avec l'altitude;
- elle augmente de l'Ouest à l'Est;
- elle diminue à mesure que l'on s'éloigne du littoral.
Hélas, si la première règle, et surtout la dernière, sont bien connues, la seconde, pourtant essentielle en ce qui concerne les ressources et le mode de vie des habitants, a été trop souvent ignorée par les géographes et les historiens, quoiqu'elle donne la seule explication possible de faits historiques concernant le peuplement du pays. C'est elle qui a amené l'inégalité des deux moitiés occidentales et orientales de l'Algérie et empêcha longtemps leur réunion en un état unique.
L'Ouest de l'Algérie, mise à part une bande littorale large d'une centaine de kilomètres, est une zone aride, pays de steppe favorable à l'élevage, où vivent de nombreux nomades. Cette zone, qui fut parfois appelée "petit désert" autour des années 1850, n'a pas d'équivalent dans l'Est du pays.
A l'époque française cela a été masqué parce que les deux moitiés ont pu accéder à la prospérité, mais l'Est est resté le grand pays, céréalier tandis que dans l'Ouest c'est la culture de la vigne qui a enrichi le pays lequel a aussi pu bénéficier d'une politique de grands barrages favorisant l'arboriculture. Et seul l'Est avait un élevage de bovins traditionnel (race de Guelma).
A l'époque romaine la beaucoup plus grande prospérité de l'Est, attestée par des dizaines de grandes villes (dont celles fouillées de Djemila et Timgad), fut fondée aux deux premiers siècles de notre ère sur la culture des céréales relayée plus tard par la culture de l'olivier. Nous reviendrons sur ces faits.
S'il fallait conclure sur cette question de climat, je dirai que, comparé, à celui de la France, il est excessif et irrégulier. Plus encore que dans nos pays tempérés, il faut avoir présent à l'esprit la notion d'écart à la moyenne.
Ainsi c'est semble-t-il à peine plus qu'un hasard si la hauteur totale de pluie d'une année est à peu près égale à la moyenne établie sur une longue période, le plus souvent on a plus ou moins, comme si la réalité se riait de nos calculs. Il en est de même pour toutes les données météréologiques, comme par exemple la date des premières pluies d'automne ou celle des dernières pluies de printemps, ou encore les hauteurs moyennes de chutes de pluie de tel mois, ou enfin, à titre d'exemple, dans toutes les régions élevées, la présence et la date des gelées hivernales. Les agriculteurs ne connaissaient, hélas, que trop bien ces irrégularités, dont ils étaient bien plus souvent victimes que dans nos pays d'Europe.
Les premiers colons européens eurent beaucoup de mal à déterminer les nouvelles cultures possibles dans un pays qui, pour l'essentiel, avait une agriculture à peu près uniquement céréalière. Ainsi, lorsqu'ils voulurent introduire la vigne dans certaines régions élevées ils durent trop souvent l'abandonner quoiqu'au début ils aient été encouragés par une production abondante et de qualité pendant quelques années, suivies de récoltes nulles après des gelées tardives. En effet, dans beaucoup d'endroits élevés, on peut observer des gelées survenant, après des périodes printanières d'une ou deux semaines où le thermomètre montant à plus de 30° a donné à la végétation un démarrage foudroyant ne la rendant que plus vulnérable au froid.
Et cette irrégularité rend, plus qu'ailleurs, rare l'année où toutes les conditions favorables sont réunies, où les récoltes sont particulièrement abondantes, la fameuse aâm khra des indigènes, l'année de l'abondance, qu'il fallait attendre, d'après un dicton, tsa ou tsaiil aâm, soit 99 ans.
LES COURS D'EAU
Les quelques lignes qui précèdent expliquent les différences du paysage algérien et de celui de la France, et même de tous les pays européens de la façade atlantique. Ici, peu de fleuves au cours régulier; l'eau ruisselle vite sur des pentes accentuées, et la chaleur, jointe à la sécheresse de l'air, évapore rapidement ce qui a imbibé le sol. Si beaucoup de rivières du nord arrivent à la Méditerranée, elles y apportent beaucoup d'eau au cours de rares crues qui ravagent tout, et au bout de quelques jours, voire de quelques heures, il ne subsiste plus qu'un filet d'eau ou même un lit de galets entièrement à sec.
C'est cela qui explique l'immense éclat de rire des habitants de l'Algérie, et surtout celui des gens d'Orléansville, le jour où, au siècle dernier, le correspondant facétieux d'un journal parisien bien connu, envoya à la direction un long article racontant comment les habitants de cette ville avaient recueilli et réconforté les passagers d'un grand navire victime d'une effroyable tempête au large de l'embouchure du Chélif qui s'était réfugié dans l'estuaire et était arrivé désemparé jusque sous les remparts de cette sous-préfecture. Il faut dire, pour expliquer l'hilarité des algériens lorsqu'ils lurent l'article qui s'étalait sur plusieurs colonnes dans le journal, qu'Orléansville est à environ 100 km de l'embouchure de la rivière, à vol d'oiseau, et à beaucoup plus si on suit les méandres du fleuve. Or, sur tout ce trajet, en dehors de périodes de crues où la rivière charrie de l'ordre de 2000 mètres cubes par seconde en un flot rapide qui défie toutes les remontées par un navire petit ou grand, il n'y a d'habitude qu'un débit insignifiant, et dans le lit on ne mesure que quelques décimètres d'eau. Et il eût été d'une invraisemblance criante d'envisager la remontée par un navire de haute mer de ce filet d'eau que l'on traverse à gué sans difficultés. Pourtant le Chélif est la plus grande rivière de toute l'Algérie ; elle prend sa source au sud des Hauts-Plateaux et franchit tous les reliefs qui les séparent de la Méditerrannée. Il était cependant plus invraisemblable de voir de grands bateaux de haute-mer remonter le cours qu'il le serait de rencontrer ces mêmes navires navigant sur le Var jusqu'à Puget- Théniers.
Il faut, pour comprendre cette indigence des rivières algériennes aboutissant à la Méditerranée, penser à l'évaporation intense en un pays chaud et où l'atmosphère est presque toujours très sèche. On a calculé que de l'eau tombée sur le sol du Nord de l'Algérie il n'en arrivait même pas cinq pour cent à la mer. En effet, sur la plus grande partie de la surface du pays l'eau aboutit dans des dépressions fermées plus ou moins comblées par les apports solides des cours d'eau, argiles, sables ou sels solubles tel le gypse ou le sel gemme. Ces dépôts tiennent une place importante dans le sous-sol de l'Algérie où les eaux, en s'évaporant, les abandonnent au centre des chotts où se trouvent des sebkha formant des étendues d'eau en hiver, et une croûte formée de cristaux de gypse et de sel gemme en été, brillant parfois d'une lumière blanche aveuglante sous le soleil. La ligne qui sépare au nord les zones dont une partie de l'eau s'écoule vers la mer par des rivières se jetant dans la Méditerrannée, ne s'éloigne guère à plus de 300 km de la méditerranée - sur le haut Chéliff - mais s'en rapproche à 10 kilomètres à peine dans la région d'Oran. Et partout, au sud de cette ligne les rivières aboutissent à des sebkha, mais si j'ose dire, y aboutissent rarement... uniquement lors des crues; en temps normal elles n'ont qu'un débit faible qui n'est constant que dans les montagnes où elles prennent naissance; ensuite leur débit s'amoindrit, l'eau se perdant dans les alluvions où elle s'évapore, quand elle n'est pas utilisée pour des irrigations.
Mais qu'il survienne une période pluvieuse, ou un orage. Alors on peut voir le cours d'eau grossir, s'enfler, l'eau s'écoule d'abord lentement, puis le débit augmentant l'écoulement devient de plus en plus rapide, ce n'est plus un ruisselet qui s'enfle, mais une vague puissante qui roule vers l'aval, un mascaret, qui couvre tout le lit de la rivière, et s'il arrive à un endroit où le lit se rétrécit, la hauteur en flot augmente pouvant atteindre plusieurs mètres. Malheur alors à l'imprudent qui s'est attardé entre des berges à pic qu'il n'aura pas le temps d'escalader: il périra immanquablement dans un flot d'eau boueuse qui s'écoule trop rapidement en tourbillonnant et où il est impossible de nager. Au débouché des oueds dans les plaines du pourtour des massifs, on voit parfois des blocs atteignant un poids d'une centaine de kilogrammes que la violence du flot a charriés, mais sa force diminuant quand la pente devient plus faible, il les a abandonnés. Et la dimension des galets que la rivière a disposés qui encombrent son lit indique la force du courant de crue qu'on peut ainsi estimer même quand il n'y a pas d'eau.
Ces rivières où, le plus souvent, on ne voit dans le lit que des galets et pas un filet d'eau, diffèrent suffisamment de ce qu'en français on baptise rivière, pour que dans le langage courant des français d'Algérie on ne parle que d'oued. Même les excellentes cartes dont le service géographique de l'armée avait doté le pays ne portaient jamais le mot rivière, mais uniquement celui d'oued.
Nous conclurons cette courte introduction à l'histoire du pays algérien en faisant remarquer qu'ici l'étude du relief ne représente pas le fait principal pour la compréhension de l'histoire des hommes qui ont vécu sur ces terres au cours des millénaires. Le relief, qu'il soit uniforme comme sur les immenses Hauts-Plateaux, où l'horizon peut fuir pendant des centaines de kilomètres devant le voyageur et monotone comme la surface de la mer, ou qu'il soit infiniment varié, morcelé en massifs montagneux escarpés dominants des plaines parcourues par des oueds capricieux, ou encore coupés de chotts poudreux et sebkha salées, n'est qu'un fait important mais secondaire par rapport aux données climatiques. Ce qui est essentiel c'est que la pluie soit abondante, et alors la vie est facile, ou rare, et alors elle est difficile ou même s'il ne pleut plus, ou presque plus, et alors c'est la vie à peu près impossible dans le désert. Et la sagesse populaire ne s'y est pas trompée: si l'on écoute le refrain des tirailleurs qui marchent sous le soleil qu'entend-t-on? Ahoussna Tell ou Sahara "Nous avons parcouru le pays où il pleut et celui où il ne pleut pas...". Et c'est la remontée de zones steppiques jusqu'à une centaine de kilomètres de la Méditerranée dans l'Algérois et l'Oranie qui a conditionné toute l'histoire de l'Afrique du Nord, depuis la préhistoire, jusqu'aux époques puniques, romaines, vandales, et pendant tout le Moyen-Age. Car dans ce pays aride ne pouvaient vivre que des Nomades ennemis des sédentaires et par là de toutes les civilisations.
Tout ce chapitre est tiré de " C'était l'Algérie " de Robert Laffitte, ISBN 2-907-862-21-9 toujours disponible.
Ce que je n'ai pas copié est aussi passionnant que ce que j'ai sélectionné.
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