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Le Maquis rouge, l'affaire Maillot

 

Henri Laban avait été instituteur à Biskra. Frappé d'un arrêté d'expulsion à la suite de ses activités anti~françaises, il disparut le 16 novembre 1954, abandonnant sa femme et son jeune enfant. C'est lui qui fut le pivot de toute cette action de soutien. Mais comme il ne put rien faire dans les Aurès, il revint à Alger où fut décidée la créations du maquis rouge de l'Ouarsenis, car l'Ouarsenis, sauf mon secteur, avait déjà été travaillé de longue date par la propagande communiste, surtout dans le douar des Beni Rached et dans ceux limitrophes.

Laban disposait dans chaque douar d'une vingtaine d'hommes de main, sur les dix mille y demeurant. Il les avait circonvenus soit avec de l'argent, soit avec des dons. Les communistes commençaient à prendre pied chez moi, sur la face sud du Cheliff, alors que la face nord, à soixante kilomètres de là, leur était en partie acquise.

J'avais à l'époque alerté les autorités. D'autres chefs de douars n'avaient pas osé le faire, ne voulant pas se "mouiller". Ils étaient, bien sûr, pour la France, mais n'étant pas des chefs de guerre, ils laissaient faire dans leur tribu.

Lorsque nous avions des réunions avec les administrateurs ou les sous-préfets, ils cherchaient à me faire passer pour un monsieur faisant de la démagogie quand je signalais que des hommes en armes se promenaient dans la région, minimisant les choses quand ils ne pouvaient faire autrement.

Avant la désertion de Maillot, j'avais appris qu'il se tramait quelque chose aux abords de mon douar et qu'une vingtaine d'hommes armés circulaient librement.

J'ai attendu d'avoir des renseignements précis et j'ai alerté le 56 régiment de la Légion étrangère et les gendarmes mobiles. L'opération a permis de rafler dix-neuf de ces hommes sur vingt qui s'y trouvaient, avec leurs armes. Nous étions passés sans le savoir à quatre cents mètres du lieu où se cachait Laban. Il avait été hébergé chez des communistes à la limite de mon douar et du djebel Lyra au lieu-dit "Rosfa el· khiane", le rocher des voleurs. Nous ne l'avons su que le lendemain et quand nous nous y sommes rendus, l'oiseau s'était envolé avec une cinquantaine d'armes. Sur place, nous n'avons retrouvé que des traces de son passage, cigarettes, pansements, etc.

Pendant le mois suivant, dans toute l'Algérie, des recherches avaient été entreprises pour retrouver Maillot, en vain.

C'est le 4 avril 1956 qu'Henri-François Maillot, né à Alger le 21 janvier 1928, avait déserté dans la forêt de Bainem près d'Alger en emportant avec lui un camion d'armement, soit les armes de tout un bataillon: 120 pistolets mitrailleurs "Sten", 140 revolvers et 85 fusils. Le lendemain, la population algérienne apprenait avec stupeur cette désertion. Il fallait bien se rendre à l'évidence, un officier de l'Armée française était passé dans les rangs des fellagha avec des armes qui allaient sous peu servir à tirer sur ses anciens compagnons d'armes.

Cette désertion n'a d'ailleurs pas tellement étonnéles Algérois. Maillot était connu à Alger pour son appartenance au parti communiste algérien. Il était l'ancien secrétaire de l'union des jeunesses démocratiques algériennes et il était resté comptable pendant un certain temps au journal communiste "Alger Républicain" En mai, les recherches avaient cessé, mais malgré cela nous avions reçu de strictes consignes spécifiant de bien surveiller les points de passage et surtout l'activité des personnes étrangères au douar.

Le 29 mai, j'avais appris de bon matin que des hommes en armes avaient été aperçus près du douar des Beni-Rached. Je pensais qu'il s'agissait à ce moment des premiers F.L.N. arrivés dans la région. Mais il n'était pas signalé encore d'Européens parmi les rebelles. Les premières recherches entreprises ne donnèrent strictement rien. Puis le 3 juin au soir, au douar Beni-Rached, situé à trente kilomètres au nord-est d'Orléansville, un acte de terrorisme était commis. Quatre Musulmans furent assassinés, mais on était loin de se douter, à ce moment, que des Européens participaient à ces meurtres.

L'opération déclenchée aussitôt dans la région ne donna aucun résultat. Le 4 juin, au cours de l'après-midi, des bergers et des femmes aperçurent un groupe d'hommes armés suivis de deux mules qui remontaient l'oued Bouhhfrakh en bas du marabout de sidi-ouriache. Au même moment, un Musulman inconnu qui convoyait une mule chargée de ravitaillement était intercepté par mes administrés. Interpellé, l'homme prit la fuite abandonnant sa mule. Le 5 juin, vers trois heures du matin, j'entends près de ma maison le bruit caractéristique d'un cheval au galop. Le bruit s'arrête près de ma porte et j'entends la sentinelle s'écrier:

- Achkoun?

Le nouveau venu se nomme. C'est un envoyé du chef de fraction. De chez moi, j'entendais l'estafette répéter sans cesse:

- Ouine el bachaga? Ouine el bachaga? Pressentant quelque chose de grave, je me suis levé et je suis sorti. La nuit était belle, aucun bruit ne troublait son silence sauf de temps à autre le ricanement hideux d'un chacal rôdant autour des postes militaires, vers les cuisines.

Les flancs du cheval battaient à tout rompre et de l'écume blanchâtre perlait sur sa robe brune. La brave bête avait fait son possible sous la pression de son cavalier.

- Les bergers ont aperçu un groupe de dix hommes armés, composé d'Européens et Musulmans, me dit l'homme en me désignant de la main la mass~ sombre du groupe forestier de sidi-abderrahmane (quatre mille hectares environ).

Immédiatement, j'ai alerté le capitaine Conill, chef de la S.A.S. de Lamartine. Celui-ci devait à son tour aviser le commandant d'armes de la place d'Orléansville, la gendarmerie, le sous-préfet et l'administrateur de la commune mixte. J'ai appris par la suite que toutes ces autorités n'avaient pu être contactées que quatre heures plus tard, soit vers sept heures du matin, les appels étant restés vains jusqu'à ce moment et le parti communiste noyautant également certains postes. Voyant que les heures passaient et qu'on perdait ainsi un temps précieux, j'ai pris mes dispositions. Du moment que des Européens étaient mêlés à des fellagha l'événement était assez grave pour que je fasse le nécessaire sans attendre l'accord des hautes autorités.

Grâce à mon beau-frère qui partit transmettre mes consignes, le malheureux devait payer de sa vie cette action, j'avais fait alerter les gardes champêtres et forestiers pour la mise en place d'urgence d'un serrvice de guet, "le chouf", sur toute l'étendue des vingt-quatre fractions de la tribu. C'est d'ailleurs ce qui a toujours stupéfié les autorités militaires en Algérie, c'est qu'en quelques minutes par le feu, le téléphone arabe et les cavaliers, nous étions à même de transmettre des messages sur de vastes étendues. Sur une ligne de quatre-vingts kilomètres et une profondeur de cinquante, tous les passages, les cols, les puits et les crêtes du douar étaient surveillés.

Hommes, femmes et enfants étaient à l'affût, prêts à signaler tout mouvement des rebelles. Et cette population merveilleuse qui n'avait en tout et pour tout, pour se protéger sur ce vaste terrain, que vingt quatre fusils, était prête à en découdre les mains nues avec les rebelles puissamment armés.

Voilà ce qu'étaient les partisans de l'Algérie française.

Vers six heures du matin, le capitaine Conill n'ayant pu avoir de renforts me dépêchait deux sections de G.M.P.R. (groupe mobile de protection rurale), commandées par le capitaine Bonnet. Je les faisais aussitôt diriger sur le lieu-dit Timaxiouine pour couper toute retraite possible vers les Beni Bouattab et le pic de l'Ouarsenis. Vers huit heures du matin, une colonne militaire stoppait enfin vers chez moi, près de Lamartine. Elle était composée d'un peloton de gendarmerie mobile commandé par le lieutenant Dabadier, d'une compagnie du 504 B.T. et de gendarmes de la brigade d'Orléansville, commandés par le capitaine Tiber-Inglès.

Elle fut dirigée vers sidi-ouriache pour ratissage du terrain. Mais elle avait encore à parcourir plus de vingt-cinq kilomètres pour s'y rendre. Au passage, j'appelais tous les hommes valides, occupés par les moissons, à se joindre à nous pour les fouilles. Environ trois cents personnes nous rejoignirent. A Timaxiouine, le capitaine Bonnet et le garde champêtre, à leur tour, faisaient appel à la population et rassemblaient cent cinquante hommes environ. Les rapports de mes guetteurs me parvenaient au fur et à mesure que le temps s'écoulait. Ils étaient tous semblables: "R.A.S. Rien à signaler."

Personne n'avait vu passer les rebelles et pourtant tout avait été contrôlé. Ils étaient donc encore dans le secteur. Les recherches effectives commencèrent vers dix heures du matin en partant de Timaxiouine et du djebel de sidi-oumrache. Le contact ne fut établi que vers douze heures. A cet instant, le groupe était aperçu sur les crêtes du djebel sidi-Deraga. Les éléments du 504e Bataillon du Train (unité à laquelle appartenait Maillot lors de sa désertion) firent un vaste mouvement d'encerclement. Tout se passa alors très vite. Soudain, derrière un rocher, une silhouette se dessina. Elle tenait à la main un pistolet mitrailleur qui cracha ses balles dans notre direction. Puis deux, puis trois, puis dix silhouettes en firent autant faisant feu de toutes leurs armes. Mais les gendarmes mobiles veillaient au grain et la riposte fut foudroyante. Sous la rafale d'un gendarme, un Européen tomba, bientôt suivi d'un second la poitrine zébrée par une rafale. Deux jeunes soldats du 504 firent également merveilles. Ils abattirent trois rebelles dont Zelmatt, celui qui avait fait feu le premier.

Le combat dura un quart d'heure environ. On devait retrouver cinq cadavres sur le terrain.

Deux de nos guetteurs, prisonniers de Maillot. mirent à profit l'engagement pour s'évader. Ces guetteurs avaient été pris au moment où ils suivaient les rebelles à la trace. Avec Zelmatt, se trouvaient au tapis Zelkaoui originaire du douar des Beni-Rache, et un autre Musulman dont l'identité ne fut jamais découverte. Il y avait également deux autres cadavres que nous ne pûmes identifier sur place.

Mais les cinq autres rebelles dont l'aspirant déserteur Guerram réussirent à prendre la fuite. Ils sont partis dans la direction des gens de mon douar qui m'avaient accompagné mais nous n'étions pas armés. Pourtant l'un de mes hommes chercha à le rattraper et à le maîtriser, mais il fut blessé par lui d'une balle dans la nuque. Entre-temps, la nouvelle de l'accrochage avec une bande rebelle, dans laquelle se trouvaient des Européens, était parvenue au P.C. opérationnel ainsi que les résultats. Aussi de nombreux officiers arrivèrent bientôt dont le capitaine Bruat. Bruat qui est aujourd'hui commandant reconnut aussitôt dans le cadavre d'un Européen celui de Laban que toutes les polices recherchaient. Il avait été en classe avec lui.

Pour le second, l'identification fut plus longue. Lorsque le cadavre fut transporté à Lamartine devant les services de l'identité judiciaire. le colonel Combat, aujourd'hui général. reconnut formellement Maillot.

- C'est Maillot, dit-il: j'en suis sûr. Regardez sa photo et son signalement sur sa fiche anthropoméétrique. C'est bien lui.

Mais Maillot, pour n'être pas reconnu, s'était fait teindre les cheveux en roux à l'aide d'eau oxygénée ou de henné, ce produit dont se servent pour leurs cheveux les femmes musulmanes ... Il ressemblait bien plus à un Kabyle qu'à un Européen, d'autant plus que ses sourcils étaient également décolorés. En outre, il avait dans ses papiers deux cartes d'identité. L'une au nom de Djebbour SmaÏn et l'autre au nom de Paul Amar. Pourtant le colonel Combat était formel et l'on fit venir les officiers de son ancien régiment qui l'avaient connu. Eux aussi furent catégoriques.

A signaler que ce sont les hommes de sa section, utilisant le camion qui avait servi à sa désertion qui participèrent à sa fin. L'officier qui commandait la section était celui qui l'avait remplacé après sa félonie. Ainsi vont les choses.

Maillot et ses complices furent enterrés en marge du cimetière européen de Lamartine sans aucune cérémonie. Aussitôt, les télégrammes officiels partirent pour la capitale, les journaux du soir ne tardaient pas à titrer sur huit colonnes en énormes caractères la fin du traître. Mais entre-temps, les communistes avaient déjà appris la fin de leur agent car chacun sait qu'il suffit qu'un message porte la mention "secret", pour que tout Paris soit alerté.

Ils se déchaînèrent. "Maillot n'a pas été tué, il est en Egypte, c'est encore de l'action psychologique des militaires." Pour eux, c'était évidemment un rude coup. Chacun a voulu vérifier le bien-fondé de la fin de Maillot et pendant toute la soirée des coups de téléphone venus de Paris me pressaient de questions: - C'est bien vrai, vous l'avez vu, êtes-vous sûr?

Les communistes savaient bien que la fin de Laban et Maillot allait leur porter un gros coup. Ils ont bien tenté, le lendemain, d'esquiver, d'accuser l'Armée de faux. Rien n'y fit. La femme de Maillot et sa mère furent amenées spécialement et reconnurent formellement le déserteur malgré ses cheveux roux.

Dans les poches des deux félons, surtout sur Laban qui était le gros patron, on trouva des documents fort éducatifs. Tous les papiers concernant la formation du "maquis rouge" avec ses buts, son implantation, ses moyens, son armement, ses complicités en France, toutes les PREUVES DE L'IMMIXTION COMMUNISTE dans la REBELLION ALGERIENNE étaient réunies.

Sur lui, Laban portait l'ordre écrit comme objectif premier de m'abattre. Devaient par la suite suivre le même sort, mon garde champêtre, mes deux gardes forestiers et deux ou trois notables à titre d'exemple.

Laban était le véritable patron. A côté de lui Mailllot n'était qu'un petit gosse qui ne faisait pas le poids mais à qui le vol des armes de son bataillon avait donné de l'importance. Ainsi le "maquis rouge" avait vécu. Cette opération eut plusieurs conséquences heureuses. Prouver l'apport du communisme à la rébellion, mettre fin à deux traîtres, stopper définitivement la création du maquis rouge.

A partir de cette date aucun étranger n'a pu entrer dans ma tribu sans recevoir de coups de fusil.

Mais l'Armée ayant enfin vu l'utilité d'employer des Musulmans du cru, pour le guet notamment, se rendit bientôt à mes vues et créa à quelque temps de là le premier goum, la première harka. Ainsi, nous avions apporté la preuve que toute la population musulmane n'avait qu'un but: lutter volontairement contre les tueurs qui venaient apporter la désolation et la ruine dans nos campagnes. La fin de Maillot et de Laban n'a pas d'autre sens.

 

Copié sur " Mon pays la France ", ISBN 2 7048 0549 0 DU BACHAGA Ali Boualam.

 

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