Octobre 1958:

 

 

page de garde du site

 

1 octobre 1958:

Rien.

 

2 octobre 1958:

De gaulle en tournée en algérie, dans la foulée du référendum qui a créé la cinquième république reçoit un accueil enthousiaste où il passe. Il commence par Tiaret, pour remercier ce canton qui lui a donné 98,6% de OUI, record mondial et s'y exclame "vive L'algérie avec la france, vive la france avec l'algérie". Le bon peuple peut grammairien n'y voit aucune difference avec "vive l'Algérie française" de Juin , d'autres notent.

 

3 octobre 1958:

A Constantine, De gaulle lance un plan économique pour développer et industrialiser l'algérie (plan de Constantine). On y trouve une ambitieuse réforme agraire (250.000 hectares distribués), 200.000 logements construits, 400.000 emplois crées, l'accent mis sur le pétrole fraîchement découvert, des investissements industriels en matière sidérurgique et autres. Il explique que l'algérie sera bâtie sur la double base de sa personnalité et de son unité avec la métropole. On trouvera dans Daniel Lefeuvre Chère Algérie, ISBN2-08-210501-6 une analyse detaillée du plan (pages 374 et suivantes). 

Dans ce discours il signale que "trois millions d'algériens sont venus apporter à la France et à moi-même le bulletin de leur confiance. C'est un fait aussi clair que l'éclatante lumière du ciel. Et ce fait est capital pour cette raison qu'il engage l'une envers l'autre, et pour toujours, L'Algérie et la France".

Dans la foulée il mutera (à l'exception notable de Massu trop populaire et gaulliste compulsif) tous les officiers qui ont participé au treize mai, à commencer par Salan. A ce dernier, il offre un poste créé exprès pour lui, auprès du premier ministre, l'inspection général de toutes les armées. En février 59 le poste sera supprimé, Salan l'apprendra par le journal officiel et sera nommé au placard de gouverneur militaire de Paris.

Dans l'avion, il se confie à Viansson Ponté, journaliste : "les généraux, au fond, me détestent. Je le leur rends bien. Tous des cons. Vous les avez vu, en rang d'oignon, sur l'aérodrome, à Telergma ? des crétins, uniquement préoccupés de leur avancement, de leurs décorations, de leur confort, qui n'ont rien compris et ne comprendront jamais rien. Ce Salan, un drogué. Ce Jouhaud, un gros ahuri. Et Massu ? un brave type, Massu, mais qui n'a pas inventé l'eau chaude." (d'après Viansson Poncé, Lettre ouverte aux hommes politique, Albin Michel.)

Un assassiné à Alger, un autre à Philippeville.

Le plan de Constantine vu par Jean Brune (interdit aux chiens et aux français, éditions atlantis): Le moyen d'abuser les foules algériennes sur les véritables intentions du Pouvoir que révélait la discrète érosion des mots, ce fut le plan dit "de Constantine". A ce carrefour, la supercherie atteint au chef d'oeuvre. Car l'annonce du lancement d'un plan économique étalé sur des décennies ne pouvait pas ne pas apparaître aux Algériens comme la preuve tangible de ce que le Pouvoir n'entendait pas abandonner l'Afrique, puisqu'il y investissait à long terme des sommes aussi considérables. Le Pouvoir se taisait sur les mots, mais dans les actes il semblait dire si nettement ses projets que le doute apparaissait effectivement pour ce que M. Paul Delouvrier avait baptisé "un procès d'intention".

Les grandes fortunes algériennes virent dans le "Plan" un moyen de participer au relèvement du niveau de vie des masses musulmanes dont dépendait en partie l'issue de la guerre, et peut-être une occasion d'enfermer le pouvoir dans ses propres promesses. Beaucoup s'y engloutirent jusqu'à la ruine. J'entends ce responsable d'un grand établissement financier me dire: "Je sais la liste précise des familles que j'ai contribué à ruiner parce que j'ai cru en la loyauté de M. Paul Delouvrier."

Le plan de Constantine, ce fut le piège tendu à la ferveur . Et peu importe que M. Delouvrier ait été complice ou simplement instrument du piège! Quand s'imposa l'évidence de la supercherie, des hauts fonctionnaires, dont M. Jacomet, se démirent de leurs fonctions et les jetèrent en défi aux menteurs. Le délégué général avait là l'occasion de se réhabiliter. Il a préféré avaliser les sanctions prises contre ceux qu'un ultime sursaut de l'honneur avait dressés contre ses maîtres.

On trouve ICI une analyse de ce plan par un de ses principaux acteurs

 

4 octobre 1958:

Rien.

 

5 octobre 1958:

 Publication au journal officiel du texte de la constitution. Personne ne note que le territoire de la république y est indivisible et inaliénable.

 

6 octobre 1958:

Un pécheur au harpon égorgé dans l'eau non loin du cap de garde.

Un moniteur d'aéro-club assassiné près d'Oran.

 

7 octobre 1958:

En réaction aux actions massives d'aôut et de septembre, une ordonnance est prise en conseil des ministres permettant aux préfets de procéder à des internements administratifs en métropole. Cette ordonnance qui sera élargie aux étrangers en février 1961, supprime en métropole toutes les conditions judiciaires préalables à l'internement et offre un précieux délai de quinze jours pour permettre "d'approfondir l'examen de la situation des internés, recueillir d'utiles informations et étayer, le cas échéant, l'ouverture d'une information judiciaire ou une proposition d'internement ministériel de longue durée". Elle offre en outre la possibilité d'interdire de séjour toute personne suspectée d'être ou de soutenir les nationalistes algériens.

 

8 octobre 1958:

Rien.

 

9 octobre 1958:

Rien.

 

10 octobre 1958:

 Rien.

 

11 octobre 1958:

Rien.

 

12 octobre 1958:

Rien.

 

13 Octobre 1.958 :

De Gaulle indique à Salan, que "les élections législatives doivent être libres, et que les militaires ne pourront être candidats et qu'ils doivent cesser d'appartenir à des organisations à caractère politique" ce qui signifie qu'ils doivent quitter les comités de salut public.

Une bande de rebelle est interceptée près de Duvivier, parmi eux un certain Pierre Clement, du Mans, qui se présente comme le chef du service cinématographique du F.L.N. J'ignore si c'est lui qui à l'aide de soldats russes habillés partie en légionnaires, partie en paras a tourné un film où on voit les soldats français tuer des enfants et violer des femmes, film qui a eu un succès mondial, et dont certains imbéciles continuent à croire qu'il a été tourné sur le fait.

 

14 octobre 1958:

Les militaires quittent les comités de salut public, les civils sont désorientés.

Challe succèdera à Salan à la tête de l'armée en algérie mais il partagera son pouvoir avec un super préfet.

 

15 octobre 1958:

 Les civils qui entendent protester contre le retrait des militaires des comités de salut public et le départ de généraux très populaires décident une grève générale et une manifestation au forum. Salan qui n'a pas encore passé ses pouvoirs à Challe interdit les deux.

Verdict dans l'affaire du bazooka (qui visait Salan et a tué son chef d'état major, attentat monté par les gaullistes contre un général trop républicain à leurs yeux): 10 ans à Castille, Kovaks est toujours en fuite. Salan retrouvera ces hommes dans l'O.A.S. trois ans plus tard, ils lui expliqueront que c'est Debré qui menait l'affaire, Salan en fera état dans son procès.

 

16 Octobre 1.958:

Rien.

 

17 Octobre 1.958:

Embuscade dans la région de Sétif, six gendarmes tués.

Un assassiné à Alger, un autre à Aïn-Tagrout.

 

18 Octobre 1.958:

Rien.

 

19 Octobre 1.958:

Grenade dans un bar à Alger, un tué, 6 blessés.

A Lyon un abbé accusé d'être le responsable logistique du FLN local, se livre spectaculairement à la police. Il s'agit de l'affaire du Prado, les responsables du séminaire récoltaient les fonds des collectes FLN et les distribuaient aux détenus et à leurs familles, en fonction de critères basés sur leur grade dans le FLN.

 

20 Octobre 1.958:

 Echange de prisonniers, le FLN libère à Tunis quatre soldats du contingent qu'il avait fait prisonnier lors des batailles des frontières, de Gaulle libère dix terroristes à Alger.

 

21 Octobre 1.958:

Remous dans les milieux algérie française (activistes disent les médias en métropole) certains font confiance à De gaulle d'autres ne comprennent pas le rappel de la plupart des officiers du treize mai.

 

22 Octobre 1.958:

Rien.

 

23 Octobre 1.958:

Violents accrochages en Kabylie, des centaines de hors la loi sur le terrain, mais des dizaines de soldats tués ou blessés.

32 terroristes (tout un réseau) arrêtés à Blida.

Une fermière de Saint Denis du Sig citée à l'ordre de la division d'Alger, avec attribution de la valeur militaire avec palmes pour avoir "à deux reprises repoussé des attaques de rebelles dirigées contre la ferme dont elle était gérante, et avoir permis en donnant l'alerte, l'anéantissement de la bande armée".

Conférence de presse de De gaulle, on y trouve tout ce qu'on veut, d'un coté confirmation du départ de Salan, nomination de Challe, un aviateur, fervent gaulliste (on connaît la suite) et surtout séparation des pouvoirs civils et militaires, Challe étant flanqué d'un délégué général, Delouvrier. De Gaulle rejette l'intégration: "un jour, la personnalité algérienne, associée à la métropole et au Sahara, se liera à la Tunisie et au Maroc". Mézossi: "Quelle hécatombe connaîtrait l'algérie si nous étions assez stupides et assez lâches pour l'abandonner". (bon prophéte. On note qu'il ne dit pas qu'il ne sera pas lâche). Il renouvelle l'appel à la discussion sur les conditions d'un cessez le feu: "nous sommes prêts à recevoir en métropole, pour mettre fin aux hostilités, les délégués de ceux qui dirigent la lutte".

 

24 Octobre 1.958:

Reddition (et incorporation subséquente en harka) d'un chef rebelle et de ses maigres troupes.

Le gouvernement français fait savoir qu'il attend dans ses ambassades du Maroc et de Tunisie des représentants des rebelles, afin de discuter du cessez le feu.

 

25 Octobre 1.958:

 Le FLN rejette les propositions de discussions de cessez le feu de De gaulle.

 

26 Octobre 1.958:

LE RALLIEMENT DE BENI.FELKAI

- Toi au moins tu es bon, que le prophète soit avec toi! Et le capitaine fit relever les femmes qui lui baisaient les mains.

- Merci I Tu sais mon officier que nous ne mangeons que des oranges. En emmenant nos hommes, ils ont tout emmené.

L'officier regarda les oranges, elles étaient très belles. L'irrigation de l'Ahrzerouftis avait fait de ce village sliman et de toute la contrée un paradis agricole. Aussi, depuis des mois, le chef de S.A.S. de Beni-Felkai voulait reprendre en main cette population musulmane de Souk-el-Tenine. Eprouvés en 1958 par la rébellion, cette région et son oued Agrioun furent longtemps un centre meurtrier d'embuscades où les patrouilles du contingent subissaient de lourdes pertes.

Le F.L.N. avait fait des gorges de Kerrata, route naturelle de Darguinah à Sétif une passe d'insécurité. Le poste de sous- quartier de l'Ahzerouftis isolé sur un terrain surplombé par des crêtes était constamment attaqué de nuit par des djounouds aguerris et magnifiquement armés, venus de Tunisie, des Aurès et de Kabylie. L'objectif était de faire tomber ce piton de résistance que le F.L.N. savait tenu par un officier de valeur, le capitaine F... Le poste protégeait la grande usine électrique de Darguinah et le chef de zone du F.L.N. avait razzié tous les hommes des sept villages autour du poste. Comble d'improvisation, l'état-major avait placé à deux kilomètres des guetteurs F .L.N .un poste avancé composé de jeunes du contingent. Le capitaine F ... avait tenté d'alerter l'état-major. On l'avait ramené à son rôle d'officier de S.A.S. en lui rappelant que "l'ordre d'urgence opérationnelle ne s'imposait absolument pas". Alors l'officier de S.A.S. avait repris la seule mission qui était jusqu'alors la sienne, la visite et l'exploration des villages abandonnés sous l'oeil des "choufs" et c'est là, dans les mechtas de Sliman qu'il avait surpris ces femmes.

- Pourquoi ne portes-tu pas tes oranges à Darguinah?

- On a peur de passer devant ton poste, y nous ont dit que tu allais nous tuer.

- Venez toutes demain, je vous jure que nous vous conduirons au marché avec vos oranges.

Elles vinrent toutes, et rendues confiantes par l'accueil de toute la S.A.S., elles commencèrent l'éternelle confession de toutes les mechtas de l'Algérie, la terreur, l'enlèvement des hommes, et puis leur lutte à l'intérieur des maquis contre les bons à rien venus de Tunisie, les exécutions, les menaces sur les familles. Le capitaine transforma aussitôt son poste en village d'accueil et des bergers furent chargés d'aller porter les propositions de paix de l'officier de la France aux maris restés avec les rebelles dans la montagne.

Le dimanche 26 octobre 1958 l'officier de S.A.S. vit arriver au poste six hommes, affamés, chaussures usées, habits déchirés: " Nous voulons voir le capitaine... Voici nos armes. " C'était un premier groupe de maris des femmes que l'officier de S.A.S. avait conduites au marché de Darguinah. Restaurés, habillés, décontractés, les rebelles, affirmèrent que les autres allaient venir. Trois jours plus tard, une caravane de trente fellagha dont deux responsables de village, précédait le responsable politique Smail, gaillard costaud, yeux clairs.

- Ma femme m'a dit que tu nous a donné ta parole...Nous en avons assez... les Tunisiens commandent... il ne faut pas nous en vouloir... Vois-tu, dans nos villages on ne savait pas ce que c'était qu'un administrateur français... On n'en veut pas à la France... Alors quand nos femmes nous ont dit comment tu traitais les musulmans, on est venu. J'ai d'abord envoyé six hommes pour voir, puis nous voilà... Tes ennemis sont les nôtres... Ce sont des assassins et des voyous, ils nous battent, ils volent nos papiers et comme on a peur on marche. Si tu veux nous faire confiance, on ira les dénicher. L'homme s'arrêta un moment, puis de son barda il tira une loque sale, regarda l'officier dans les yeux et fixant de lui-même la position comme il l'avait fait jadis dans l'Armée française : Tiens, je t'ai apporté la preuve de ma fidélité, mon drapeau.

Boualem, les harkis au service de la france, Editions france Empire, 1963.

 

C'est fin Août à Colombey que le premier ministre Michel Debré apprend avec stupéfaction la décision du général de proposer l'autodétermination de l'Algérie. Il venait lui présenter un plan comportant un "statut de 25 ans" et "une souveraineté partagée".

Sa première réaction est négative ("ce texte ambigu, d'application lointaine, remet en cause la souveraineté française") mais il se soumet.

Il écrit le 26 Octobre à Delouvrier (2DE75), que "les habitants de l'Algérie, après une période d'apaisement, doivent librement choisir leur destin, dans un délai maximum de quatre ans. L'initiative politique appartient à la France, grâce au succès de nos armes. Faire la paix et la justice implique de ménager la liberté des Algériens." Trois points sont essentiels:

1. La déclaration du 16 septembre détermine un plan et une politique qui n'est pas négociable.

2. Le général de Gaulle a souligné le caractère désastreux de la sécession; les responsables ne doivent donc pas poser le problème du statut futur.

3. L'avenir impose de pacifier, de rénover et de promouvoir. Il faut montrer la France telle qu'elle veut être, rapprocher les communautés." Les effectifs seront maintenus, le plan de Constantine accéléré. "La France ne craint pas la consultation."

Repris dans "conflits d'"autorité durant la guerre d'algérie, nouveaux inédits" de Maurice Faivre, ISBN2-7475-7304-4

 

27 Octobre 1.958:

Grenade dans un café d'Alger, six blessés.

Condamnation à mort du chef terroriste Yacef Saadi (la troisième ou la quatrième). Il va bien merci pour lui.

L'armée publie le bilan de la semaine (dont les importants accrochage de Kabylie) 661 rebelles tués ou fait prisonnier, nombreuses armes récupérées.

 

28 Octobre 1.958:

Rien.

 

29 Octobre 1.958:

Ben Bella entame une énième grève de la faim dans sa prison parisienne.

 Une des nombreuses intoxication des maquis : Lorsqu'il voit, penchés sur lui, des visages européens, Kouidder préfère replonger dans un coma... qui lui donnera le temps de la réflexion.

Un groupe de Moudjahid venu du djebel Mansourah pour tendre une embuscade au col de Teniet el Merdja s'est brusquement trouvé au petit jour nez à nez avec une compagnie de soldats français. L'affaire s'est réglée en quelques minutes; réfugiés dans une anfractuosité de rochers, onze hommes du groupe ont été tués à la grenade. Kouidder fait le mort au milieu de ses hommes.

- Il n'a pas une égratignure, vérifie l'infirmier de la compagnie. Il joue la comédie, une piqûre dans les fesses le réveillera. Sous la menace, le prisonnier consent à geindre, ouvre un oeil, une paire de claques le remet sur son séant .

- Mais c'est Kouidder ! constate avec satisfaction l'officier de renseignements qui a le "trombinoscope" de ses adversaires en tête. Kouidder! Le chef d'un groupe de la katiba de la zone. L'homme, un kabyle, ancien comptable des chemins de fer d'Algérie à Bordj-bou-Arréridj, a rejoint le maquis depuis près de deux ans sur les conseils d'un instituteur du pays.

C'est une capture d'autant plus intéressante que les agents de renseignements du secteur signalent périodiquement son passage de nuit à Bordj-bou-Arréridj pour récupérer l'argent ramassé par les collecteurs de fonds ou les médicaments fournis par le médecin du lieu. Une heure plus tard, un hélicoptère dépose Kouidder sur la D.Z. des Tagarins où le capitaine M... du B.E.L. le prend en compte. Les inquiétudes du prisonnier fondent très vite devant les prévenances dont il est l'objet, prévenances fort éloignées des horribles traitements dénoncés par la propagande du Front et de ses amis. La villa où il est hébergé n'a rien d'une prison. Il est bien nourri, on lui procure des lectures saines: L'Aurore, Paris - Presse, Match...

Toutefois, chaque soir Kouidder doit subir une heure de conversation avec le capitaine M..., un chaud partisan de l'Algérie nouvelle débarrassée des exploiteurs et des fellaghas où chaque musulman retrouvera une dignité perdue depuis Abd-el-Kader, où les grands domaines fonciers seront répartis entre les fellaghas, où la fonction publique sera, enfin, largement ouverte aux autochtones "instruits". Le capitaine se propose de rendre à Kouidder une liberté que celui-ci veut retrouver. Tout devrait être simple et pourtant la conversation emprunte des chemins subtils: le premier, pour justifier la libération du second, doit lui proposer une mission que ce dernier ne saurait accepter d'emblée sans perdre le respect de lui-même. Tous les poncifs chers au cinquième Bureau et à la propagande du Front y passent.

- L'émancipation des femmes musulmanes ? N'est-ce pas un pas vers le progrès ? avance M... qui, au fond de lui-même, s'en moque éperdument.

- Parlons-en ? rétorque Kouidder avec la même mauvaise foi. Les filles de la casbah qui se dévoilent publiquement pourraient aussi bien se mettre toutes nues: ce sont des prostituées.

- Et les écoles qui s'ouvrent partout ?

- Pour apprendre que nos ancêtres étaient les Gaulois !

- Et les dernières élections! Ça ne compte pas ? se fâche M les Algériens se sont exprimés librement !

- Pour élire qui ? Des fantoches !

Ce soir-là après une dernière tasse de thé, on campe sur ses positions. Le lendemain, on fait en voiture un tour de la ville illuminée : la casbah n'est pas cet amas de ruines que prétendent les propagandistes F.L.N. Le capitaine aborde un problème qu'il sait cher au coeur des Kabyles: les travailleurs algériens en métropole.

- L'indépendance, c'est la rupture avec la France... la fin des mandats, observe-t-il.

- Nos frères sont scandaleusement exploités par les capitalistes français, récite Kouidder encore imprégné des vérités syndicales.

Chacun des interlocuteurs feint de perdre pied dans des discussions qui remettent en cause le sort de l'Algérie, la guerre qui se traîne avec ses horreurs inutiles.

- Vos bombardements! reproche Kouidder .

- Melouzza ! rappelle le capitaine.

Après le 16 septembre 1959, l'autodétermination promise au peuple algérien simplifiera les entretiens de ce genre; la sincérité du général de Gaulle sera le seul point de discussion car c'est dans le post-scriptum que se révèle la pensée gaullienne. M estime enfin arrivé le moment crucial que Kouidder attend :

- Accepterais-tu de retourner au maquis pour convaincre tes amis de déposer les armes ?

- Je ne suis pas un traître! s'indigne vertueusement l'ancien cheminot.

Le lendemain, après une nuit de réflexion, dit-il, son refus est plus nuancé.

- Quel sera le sort de ma famille si je ne reviens pas ? s'inquiète-t-il d'un air innocent .

- Le service social s'en occupera, affirme le capitaine en toute sincérité cette fois: les services sociaux se faisant un devoir d'assister par priorité les familles des rebelles.

Après un honnête délai destiné à faire taire ses scrupules de conscience, Kouidder accepte enfin. Un scénario est mis au point. Renvoyé à Bordj-bou-Arréridj après guérison d'un "traumatisme crânien", le prisonnier s'évade en cours de transfert. Triomphant, Kouidder rejoint son maquis, révèle la mission dont les Français l'ont chargé.

- J'ai feint d'accepter, l'essentiel était de revenir au maquis.

Le responsable liaison- renseignement de la nahia s'excuse mais les ordres sont les ordres et ceux de la wilaya prescrivent la méfiance à l'égard des évadés. Il fouille donc consciencieusement Kouidder et découvre dans la semelle, évidée, de l'une de ses chaussures une liste d'une dizaine de combattants de la région. Kouidder s'étonne.

- C'est une machination des Français affirme-t-il, indigné de la suspicion qu'il sent peser sur lui.

Or, les noms découverts sont ceux d'individus qui se sont déjà faits remarquer pour leur tiédeur révolutionnaire, un excessif pessimisme, leurs moeurs coupables ou leur indiscipline. La documentation des officiers de renseignements de secteurs où la rébellion prend le visage du "rebelle de base" replacé dans le cadre de sa famille, de son douar, avec ses qualités et ses défauts, ses amitiés et ses antipathies fournit au B.E.L. un fond inépuisable de vérités aisément vérifiables.

- Et ça ? interroge brutalement le responsable liaison- renseignement, brandissant furieux des papiers trouvés, roulés dans un ourlet de la djellaba de l'évadé. Il s'agit de deux messages sibyllins adressés par l'officier de renseignements du quartier, l'un à un djoundi qui vient de perdre son père, l'autre à un collecteur de fonds déjà soupçonné de détourner à son profit une partie des sommes récupérées. Kouidder, atterré, perd pied, on le passe à 1'"hélicoptère": suspendu à une potence par les pieds et les mains liées derrière le dos, il tournoie au-dessus d'un brasier qui, chaque fois que la corde se déroule, lui brûle le ventre. Il avoue tout ce que veut son bourreau. Les destinataires des messages interrogés reconnaissent de la même manière leurs relations avec l'ennemi, donnent leurs complices. La purge en chaîne se déclenche.

Capturé par les parachutistes du 1er R.E.P. au cours d'un engagement près de Molière dans l'Ouarsenis, Ouezzani, responsable politique d'une katiba évoluant en mintaka III de la wilaya 4 est remis entre les mains du capitaine R .

- C'est un dur, prévient l'officier de renseignement du R.E.P., Il refuse de parler sauf pour décliner son nom et son grade. Il se retranche derrière le statut de prisonnier de guerre prévu par la convention de Genève.

Dans une adroite opération de propagande, le G.P.R.A. vient de souscrire en effet à la convention de Genève, à la grande satisfaction de ses hérauts habituels trop heureux de mettre en parallèle "l'humanité évidemment du F.L.N." et les "atrocités coutumières des forces de l'ordre".

- On respectera sa personne et ses idées, le rassure R.

A grands coups de slogans qu'il croit irrésistibles, Ouezzani, un ancien instituteur membre du P.C.A. avant d'opter pour le Front, fait subir à son interlocuteur un véritable lavage de cerveau. R , apparemment subjugué par le verbe de son prisonnier, entre dans le jeu de la discussion marxiste. Il en a une certaine habitude, et renonce à tirer de lui des renseignements opérationnels. Mais dans les bureaux de l'EM. du secteur où se déroulent les interrogatoires, Ouezzani est aux aguets. L'organigramme de la Mintaka qui fait face au portrait du général de Gaulle est étonnamment à jour les Français semblent bien renseignés. Profitant d'une brève absence du capitaine R le prisonnier jetant sur son bureau un coup d'oeil indiscret, découvre une lettre écrite en arabe par un certain Abd-el-Aziz.

"La Katiba de la nahia 5 est commandée par Si M'hamed. N'ayant plus de munitions elle a caché deux FM. dans une grotte du djebel Homra." "Qui se dissimule sous le pseudonyme d'Abd-el-Aziz ?" se demande troublé Ouezzani.

Quarante-huit heures plus tard, son compagnon de cellule, un membre de l'0.P A. où il faisait fonction de "juge" , lui confie: - En m'interrogeant les Français ont parlé entre eux d'un certain Abd-el-Aziz qui les renseignerait. "Quel Abd-el-Aziz a demandé le capitaine?" "Mohand" a répondu le sergent interprète. Mohand ? sursaute Ouezzani. Vieux militant syndicaliste, responsable politique de la nahia, Mohand est la bête noire de l'ancien instituteur depuis que celui-ci l'a invité fermement à cesser sa propagande communiste auprès des Djounouds. "Le Front ne tirera pas les marrons du feu pour Moscou" lui a-t-il dit.

Mohand n'est pas seulement un analphabète politique mais aussi une vipère lubrique que la jeunesse de certaines recrues ne laisse pas indifférent. Le traître est bien placé pour renseigner les Français. Déçu par l'attitude et la discrétion de son prisonnier, R. lui annonce :

- Demain, on te transférera à Orléansville, le D.O.P. te réclame. Par la vertu des campagnes de presse qui ont fait aux D.O.P. la plus sinistre des réputations, ces spécialistes de l'interrogatoire sont devenus la terreur des fellaghas: l'appel à la convention de Genève les laisse indifférents. Le soir même, profitant de la négligence d'une sentinelle, Ouezzani s'évade. Au maquis, le chef liaison- renseignement de la zone hésite à accorder crédit aux assertions d'Ouezzani. Mohand, malgré quelques défauts, remplit avec conscience son rôle d'éducateur politique. Pourtant quelques jours plus tard, Radio- France V diffuse un appel: "Ahmed demande à Abd-el-Aziz de venir à Orléansville pour confirmer devant le cadi leur accord de Molière." Chaque soir Radio- France V émet ainsi en l'air des messages familiaux à l'adresse des soldats des forces de l'ordre et même, depuis quelque temps, à la demande du B.E.L. à destination des maquisards. Certains messages sibyllins ne visent qu'à inquiéter l'adversaire et n'ont aucun sens, d'autres diffusent des consignes à des agents, un certain nombre, comme celui qu'Ahmed vient d'adresser à Abd-el-Aziz, s'inscrivent dans le cadre de l'intoxication. Mohand alias Abd-el-Aziz, le B.E.L. vient de l'apprendre, s'est discrètement rendu à un rendez-vous près de Molière avec un ami, secrétaire de la mairie Orléansville, qu'il veut rallier au Front.

Sommé de s'expliquer à son retour, Mohand se trouble devant les accusations d'Ouezzani, avoue... déclenchant l'épuration.

Les chefs rebelles ne sont pas totalement dupes de ces manœuvres. Si Salah, le commandant de la wilaya 4, ne passant pas pour exceptionnellement sanguinaire, avouera: "La purge est inévitable. A négliger la "bleuite" on risque de faciliter l'espionnage."

Favorisées par le climat d'insécurité engendré par les opérations du plan Challe, les purges pèsent lourd sur l'existence des wilayas. Selon des documents établis par les chefs rebelles eux-mêmes, on décomptera de 1958 à fin 1960 4768 exécutions de cadres pour complot ou trahison après jugements; encore les scribes de la rébellion ne tenaient-ils compte ni des simples Djounouds ni des exécutions sommaires.

(Henri Jacquin, la guerre secrète en algérie, Olivier Orban 1977, ISBN 2-85565-055-0)

 

30 Octobre 1.958:

 Explosion de deux obus piégés sur un marché de Tiaret, 12 tués (trois chrétiens, neuf musulmans dont deux enfants) trente blessés.

 

  31 Octobre 1.958:

 Le gouvernement libère 1.000 des détenus dans les centres d'hébergement de métropole .

La police arrête un réseau F.L.N. à Lille et un autre dans l'Isère, ils vont rejoindre les centres ainsi libérés.

A Tunis, Bourguiba se déclare "attristé par l'attitude intransigeante du F.L.N.".