Mars 1958

 

 

page de garde du site

 

1 Mars 1958 :

Rien

 

2 Mars 1958 :

Rien.

 

3 Mars 1958 :

Robert Lacoste, ministre résident, assiste au départ, depuis le port de Philippeville du premier pétrolier de brut algérien

Deux personnes enlevées lors de l'attaque d'un convoi.

Une famille de 8 personnes, toutes musulmanes, dont 4 femmes et deux enfants, massacrée dans le douar Chabersas, dans les environs de Constantine.

 

4 Mars 1958 :

Rien.

 

5 mars 1958 :

Albert Camus rencontre le général De gaulle, de façon suffisament informelle pour que, coté De gaulle il n'y en ait aucune trace. Mais Camus a noté cette rencontre dans son journal: "comme je parle des risques de trouble du coté des français d'algérie s'ils sont abandonnés, et de leur fureur, De gaulle répond: "La fureur française? j'ai 67 ans et je n'ai jamais vu de français tuer d'autres français, sauf moi".

. Camus en parle le jour même à Grenier qui l'a aussi noté dans son propre journal, le général lui a dit "l'afrique est perdue, les français sont dans une période de découragement et de manque de confiance en eux, il n'y a rien à faire".

A son épouse Francine il raconte avoir interrogé De gaulle sur l'avenir des petits blancs d'Algérie, De gaulle lui répond: "ils demanderont de lourdes indemnités". Camus explique qu'il faut donner le pleine citoyenneté, et De gaulle répond "oui, et nous aurons 50 bougnoules à la chambre".

Camus est effrayé par son cynisme, il se tiendra à l'écart du général après son retour au pouvoir. (d'après la biographie d'olivier Todd, ISBN 2-07-073238-X)

 

6 Mars 1958 :

Les tueurs du massacre de la mine de El Halia jugés à Philippeville, 36 condamnations à mort, dont 21 par contumace, des travaux forcés à perpétuité.

Accrochage à Masquerey, à l'ouest d'Aumale, 72 fells au tapis, 27 de nos soldats tués.

 

7 Mars 1958 :

Rien.

 

8 Mars 1958 :

Rien.

 

9 Mars 1958 :

Rien.

 

10 Mars 1958 :

Rien.

 

11 Mars 1958 :

Rien.

 

12 Mars 1958 :

Devant les lourdes pertes infligées à leurs troupes en algérie, et la désaffection des musulmans vivant en algérie, le FLN décide de porter la guerre sur le sol métropolitain.

L'épouse du préfet de Strasbourg, Trémaud est déchiquetée par une boite de cigare piégée expédiée depuis l'Allemagne. Mauriac refuse de condamner l'attentat "je suis la conscience de la france, pas celle de l'algérie". On ne le connaissait pas aussi nationaliste.

 

13 Mars 1958 :

Djemilah Bouired, condamnée à mort pour avoir posé des bombes à Alger graciée vu son jeune âge (et son amour pour un capitaine des paras).

A Maillot, saisi d'un convoi d'armes venant de Tunisie et destiné à la Kabylie.

~ Témoignage de Jeannette Alba-Herrera.

.Blas Herrera, âgé de 43 ans (père de 7 filles et 1 garçon) enlevé le 13 mars 1958 à Aïn-Merdja, commune mixte de Fenouane département de Saïda : "La journée du 13 mars était magnifique. Il faisait beau et notre père était parti travailler à la ferme qu'il avait louée au docteur Fernand Martinez. Ses associés étaient M. Salmeron et M. Ricco. Nous le voyons encore, heureux, gentil, paisible, confiant. Il était si bon, si généreux, si travailleur. Au retour, il est tombé dans une embuscade. Nous ne l'avons plus jamais revu. Sa voiture a été retrouvée mitraillée. "

 

14 Mars 1958 :

Un pasteur réformé qui avait aidé le FLN condamné à 8 mois de prison à Belfort.

Les policiers manifestent devant l'assemblée nationale, le préfet de police démissionne il est remplacé par Maurice Papon.

 

15 Mars 1958 :

Embuscade à Aïn el Hadjar, près de Saïda, un appellé raconte: Le 15 mars 1958, à l'aube, deux sections de la 1ère batterie du 12ème Régiment d'artillerie partent, avec trois canons de 105, pour participer à une grande opération de "ratissage". La région étant dangereuse, nous sommes escortés par deux sections de légionnaires.

Vers huit heures, un avion Piper-Cub qui nous survolait envoie un message à notre officier: "Attention, il y a des fellaghas sur les hauteurs qui vous dominent!". Le message n'est pas encore terminé qu'une rafale tirée par les rebelles abat l'avion. Instantanément, c'est la fusillade générale. Nous sommes pris dans le feu de deux Katibas (compagnies). Terrible accrochage où les rebelles ont trois avantages sur nous: ils sont deux fois plus nombreux (environ 250 contre 120); ils ont pris l'initiative du combat; leur position en hauteur est plus que favorable.

Avec quelques camarades, je suis assis à l'arrière d'un camion. Des grenades à fusils explosent autour de nous. Nous voyons les balles soulever des nuages de poussière. Nous entendons les impacts contre le camion et les caisses d'obus ... sur lesquelles nous sommes assis. Il nous faut quelques secondes avant de comprendre ce qui arrive et obéir à l'ordre hurlé par nos chefs: "Sautez vite!". Bien sûr, j'obéis. Mais je saute tellement vite que j'en oublie mon fusil. Le tireur de la mitrailleuse 12/7, un brigadier-chef ancien d'indochine, saute aussi. Hurlements de notre sous-officier chef de véhicule qui lui ordonne de remonter et de tirer. Refus car la mitraille est trop violente.

Mais mon grand souci est ailleurs: "il faut que je cherche mon fusil". Je me lève. "Qu'est ce-que tu fais?" me dit mon sous-off. "J'ai oublié mon fusil sur le camion!". Réponse: "Ne monte pas". Je fais comme si j'étais sourd et escalade les caisses d'obus pour récupérer mon Garant. En haut, je me dis que je devrais me mettre à la 12/7 et tirer. Mais comment faire? Je suis tellement malhabile de mes dix doigts que je ne sais pas comment "ça marche". Je redescends. Le sous-off, devant le refus du brigadier-chef, monte à la mitrailleuse et ouvre le feu sur les fellaghas.

Mais l'étau rebelle se resserre sur nous. Tandis que la Katiba située sur notre gauche reste sur sa position haute, celle de droite passe à l'attaque et descend vers nous. Je les vois tout près de nous, portant la même tenue de combat et ... le même foulard rouge. J'entends leurs chefs crier, en français, "à l'attaque!" et "en avant!". Comment faire la différence entre les artilleurs et les fellaghas?

Mais, si maintenant je peux témoigner, si je suis encore vivant, c'est grâce à la Légion. Pour eux, aucune confusion n'est possible grâce à leurs képis blancs. Avec le calme qui les caractérise, ils sont venus nous appuyer et nous dégager. Baïonnette au canon, comme à la parade! Mais 60 légionnaires ne peuvent pas suffire, malgré leur métier et leur courage, pour repousser une Katiba. L'intervention d'un avion T6 ne suffit pas non plus. Il ne peut pas mitrailler efficacement sans risquer de toucher les artilleurs ou les légionnaires.

C'est alors que l'événement salvateur s'est produit, pour ne pas dire le miracle. À quelques kilomètres de là, un escadron du 3éme Régiment de Spahis à cheval était en patrouille. Comment ont-ils été prévenus? Ont-ils vu le Piper? Puis le T6? Ont-ils entendu la mitraille? Je laisse s'exprimer Robert Saisset, habitant à la Roche-sur-Yon en Vendée, soldat de ce régiment: "Je me souviens très bien de cet accrochage où les Spahis du 2é escadron ont chargé au galop et leur capitaine, paraît-il, sabre au clair..." (Extrait de la lettre que m'écrit cet ancien spahi le 7 avril 1997).

Cette intervention, véritable séquence extraite d'un western américain, est décisive: les cavaliers prennent à revers la Katiba qui était au contact avec nous. Les rebelles, pris de panique, se dispersent et s'enfuient vers la montagne proche, poursuivis par les légionnaires et les spahis. Pendant ce temps, la 2éme Katiba, située sur l'autre versant, décroche et se replie dans l'ordre.

Et nous les artilleurs, que faisons-nous? Nous mettons nos 3 canons en batterie et opérons, ce qu'on appelle un "tir à vue" sur les fuyards. Je suis sur un camion pour décharger les obus. Chaque caisse pèse 60 kg. Je suis grand et fort, comme chacun le sait! (1,66 m et. .58 kg à l'époque!). "Plus vite!... Plus vite!...". Je n'en peux plus. Je suis à bout physiquement. Heureusement, de temps en temps, nous arrêtons le tir pendant 2 à 3 minutes ... pour laisser refroidir l'affût du canon. Mais que ma plainte est ridicule quand on pense à ceux qui subissent la canonnade!

Combien ce combat a-t-il fait de morts? Le simple soldat que j'étais n'a pas eu droit à cette information. Plusieurs tués chez les légionnaires. Sans doute aussi chez les spahis. (Sept au total?). Pas de morts chez nous mais seulement quatre blessés pour les deux sections. C'est incroyable! Il est vrai que le combat, dans sa première partie, avant l'intervention des cavaliers, a été très court. Aussi court que violent. Environ 70 rebelles tués et 15 prisonniers.

J'ai encore devant les yeux le regard tragique de ce "gamin" de 15 ans, le ventre ouvert par une rafale de mitrailleuse de 12/7. Avant de mourir il nous a dit pourquoi il était là. Il avait été enrôlé de force par les rebelles car il savait bien écrire le français. Il était le secrétaire de la katiba mais il n'avait pas d'arme. On ne ment pas quand on sait qu'on va mourir.

Témoignage d'Yves Mangeon, donné fin 2008 à "l'écho de saïda".

 

16 Mars 1958 :

On trouvera ICI la présentation que le prefet de Mostaganem faisait de son departement et de son action à ses visiteurs.

 

17 Mars 1958:

Un convoi rebelle venant de Tunisie accrochés à Sidi mesriche, 47 tués.

 Deux inspecteurs de police vendaient des vrais/faux passeports à des FLN, à Lille.

Arnaud adresse aux députés une lettre émouvante en faveur de l'assassin Djémila Bouhired, il en obtiendra la grâce. Avec Vergés il écrit le livre à sa glorification où ils racontent (mensongèrement) qu'elle a été torturée. Il sera arrêté en Avril 60 pour avoir rendu compte d'une conférence de Jeanson sans l'avoir dénoncé à la police, libéré en 62, il devient le collaborateur du ministre algérien de l'information, se fait virer par Boumedienne en 66 comme presque tous les pieds verts, rejoint Barcelone où il meurt.

 

18 Mars 1958:

L'armée continue à liquider le convoi venant de Tunisie. 201 rebelles tués.

 

19 Mars 1958:

Au total, 845 rebelles ont été mis hors de combat dans l'opération du sud tunisien, le plus elevé bilan quotidien

Une grenade dans une bijouterie de Morsott fait un mort et un blessé.

Un agriculteur enlevé à Philippeville.

 

20 Mars 1958:

Rien.

 

21 Mars 1958:

Rien.

 

22 Mars 1958:

Nombreux attentats en oranie (fermes et récoltes brûlées) un mort, un agriculteur .

A Sétif, un cafetier assassiné dans son café.

 

23 Mars 1958:

 Rien.

 

24 Mars 1958:

Les services secrets français, grâce à un de leurs agents introduits au Caire, arrive à se procurer la liste des porteurs de valise qui passent de france en suisse l'argent des collectes du F.L.N. on y trouve des noms moyennement connus, des artistes, des comédiens, des écrivains de seconde zone. Le F.L.N. leur ristourne dix pour cent à chaque passage réussi.

Le gouvernement qui a d'autres chats à fouetter, laisse pisser.

 

25 Mars 1958:

Près de Bône, un chef de culture abattu sur ses champs.

 

26 Mars 1958 :

Témoignage de Mme Georges Raoux-Traverse (Gaby), la fille de Lucien Traverse, né le 2octobre 1903. Il était agriculteur et habitait 5, rue Marceau a Saïda.

" Le 26 mars 1958, alors qu'il cueillait du lilas sur sa propriété dite le "Poirier", près de Nazareg, mon père a été blesse à bout portant, d'un coup de fusil dans le dos. Alerté par les ouvriers, son voisin et ami Jo Jaubert est venu immédiatement sur les lieux, bravant en cela les risques qu'il encourut pour lui-même. Il transporta immédiatement papa à l'Hôpital où il décédait dans la soirée. Je dois à la vérité de dire que les ouvriers l'avaient prévenu qu'un "étranger à la région rôdait dans les parages avec mission d'éliminer quelques personnes ". Papa n'avait pas voulu croire en cette menace, et lui avait même répondu qu'avec eux il était en sécurité.

Ces mêmes ouvriers n'ayant pu prendre le risque d'assister aux obsèques, étaient malgré tout présents, massés sur la place de la Mairie, alors que passait le cortège funèbre. Il me semble que c'était hier... "

Bombe dans la foule à Constantine, lors du passage du préfet Chapel et de son escorte. 31 blessés dont 11 enfants.

 

 27 Mars 1958:

La campagne contre la torture en algérie bat son plein, orchestrée par le parti communiste et ses suiveurs.

Le livre d'Alleg, "La question" est saisi. Alleg, membre dirigeant du parti communiste algérien, directeur d'Alger Républicain, est entré dans le maquis en novembre 56, au moment des attentats massifs d'Alger où le PCA était le maître d'oeuvre de la fabrication et de la pose des bombes. Arrêté le 12 juin 1957, il parle puis se plaint d'avoir parlé parce que torturé. Il est condamné à la prison, Il s'évadera en Octobre 1961 de l'hôpital où il était gardé près de Rennes et rejoint Prague, puis Moscou. Il est en pleine santé, contrairement aux torturés par le FLN, dont la mort est la fin systématique. Pour la petite histoire on rappelle les faits suivants: Alleg avait porté plainte contre l'armée. Le juge d'instruction demande au professeur Piere Michaux, de la faculté de médecine d'Alger, expert près des tribunaux, s'il peut déterminer si les cicatrices d'Alleg sont ou non dues à l'électricité, comme il l'affirme. Le professeur répondant par l'affirmative, Alleg retire sa plainte. Coïncidence? le professeur est convaincu du contraire.

 

28 Mars 1958:

Le gendarme Gilbert Godefroid

 Sur le réseau électrifier ligne Morice Est constantinois 28 mars 1958.Poste électrique de Mondovi.

Ce jour là nous dormions, comme à l'habitude, en tenue de combat, équipements, et armes, chaussures aux pieds. Les moteurs tournent.

Nous sommes prêts à aller sur "la coupure" A zéro heure, environ des rafales d'armes lourdes, des 12,7 et mortiers nous réveillent, elles viennent de Barral.

- Une coupure a eut lieu ! Nous crie un électromécanicien, qui vient de surgir dans la tente de garde.

Nous sautons du lit, réveillé d'un seul coup, quelques secondes après nous roulons dans le GMC blindé, et le 4x4 blindé également. Nous armons nos mitrailleuses, déjà nous sommes prêts. Le froid de la nuit, ne tarde pas à nous faire grelotter. Personne ne parle. Nous arrivons sur la coupure.

Un half track est au milieu de la route et tire tant qu'il peut sur le djebel du côté Algérie. Nous l'imitons. Quelques courtes rafales et coups isolés nous répondent. Et le feu s'arrête, faute de répondants. Le passage a réussi. Un lieutenant a été blessé, alors qu'il arrivait avant nous sur la coupure dans son half-track. Il s'agissait d'une forte bande de fells en tenues et en armes, bien équipés, même très bien, nous le sûmes par la suite. Certains avaient deux armes, et tous portaient des sacs de munitions pour ravitailler les fells de l'intérieur

 Concertation des officiers, mise en place d'un dispositif de protection d'un côté et de l'autre de la route. Personne sur les traces, les chiens n'arriveront qu'au petit jour. Nous somnolons jusqu'à ce qu'une Jeep paraisse avec un gendarme et son chien. La piste est facile, car les fells nombreux ont suivi en colonne un même itinéraire. D'habitude, ils se dispersent, mais là c'est un gros passage, et beaucoup sûrement ne connaissent pas la région.

Nous sommes désignées. Le peloton Le Palmec, qui comprend un groupe de combat, renforcé, plus un détachement de Harkis. Cette Harka comprend une dizaine d'hommes, plus le chef un Européen. Ils ont deux ou trois PM 11,43 et des fusils US 17 et Lebel. Nous, nous sommes le sous-lieutenant, un sous officier adjoint, et un chef de groupe, avec neuf hommes armés de PM et d'une pièce FM. Bien mince commando pour pister des centaines de Fells. Mais le 1ier REP, est en attente, prêt à embarquer à quelques km.

 Devant la direction supposée des Fells, c'est nous avec le chien qui devra les premiers les accrocher, et donner des renseignements précis pour le largage des paras en attente. Mission vraiment périlleuse s'il en est!

 Je parle avec le gendarme, il se présente :

- Gendarme Godefroid!

Je me présente également. Nous échangeons quelques cigarettes avant l'ordre du départ.

Il me présente son chien Gamin :

- Ne le touchez pas, il ne connaît que son maître, il est très méchant. Mais c'est une bonne bête ! Dit-il, la larme à l'œil

- Nous sommes de véritables copains, ajoute-t-il.

Ce gendarme en tenue de campagne à un seul PA comme arme de défense. Nous partons, je fais suivre mes voltigeurs en PM de chaques côté du gendarme; La pièce FM en colonne derrière à distance. La Harka derrière en protection de queue.

 

Je suis à quelques mètres le gendarme. Le chien tire ferme sur la laisse, la piste est impressionnante de clarté. De temps à autres nous arrêtons pour permettre à la colonne de derrière, de suivre. Nous profitons pour échanger avec le gendarme nos impressions :

- Ils sont au moins 200 ! Me dit-il.

- Peut être plus ! Lui dis-je. Nous sommes d'accord, c'est un gros morceau.

Nous reprenons notre route suant et soufflant. Arrivée sur un plateau après 5 à 6 heures de marche, le soleil est déjà haut, la chaleur torride. Le gendarme donne à boire à Gamin, lui flatte le dos, en le caressant. Il met sa tête contre la sienne, et lui cause :

- Nous allons les avoir hein ! Mon vieux, nous allons les avoir Gamin!

 Ce gendarme je l'observe, et lui fais remarquer qu'il va un peu vite, et qu'il défit toute prudence. Il hausse les épaules, il en vu d'autres. Je redouble de vigilance pour lui, le doigt sur la détente de mon PM. Mes hommes sur les côtés font pareil. Nous sentons que la rencontre va avoir lieu, car avec les avions et les Helicos qui ne cessent de tourner, les Fells ont du s'embusquer dans les hautes végétations très denses.

 Nous arrêtons, et repartons toujours. Quelques fois il y a une tentative de brouillage de piste par les fells, qui sont repartis en retournant sur leurs pas. Mais finalement Gamin retrouve toujours le gros paquet des traces. Vers 11 heures, soudain le gendarme s'arrête, sur un petit plateau, le chien hérisse son poil, tout le monde stop, rien ne se passe. J'interpelle le gendarme lui demande ce qu'il y a :

- Plus de traces ! Dit-il

- Ils se sont comme envolés !

De chaque côté du petit plateau, des surplombs à une centaine de mètres nous dominent. Nous sommes comme sur un billard. Ils sont arrêtés pour faire une embuscade, et se sont dispersés de chaques côté que je signale au gendarme.

- Je ne sais pas, ils devraient tirer! Me dit-il

- Bien oui ! Que je réponds bêtement!

 Tous mes hommes s'accroupissent en défense, la moitié d'un côté et l'autre moitié de l'autre. La sueur coule sur le visage du gendarme, le chien est trempé de sueur également, sa langue pend, il semble renoncer, et attendre lui aussi.

- Votre PA Monsieur le gendarme !

Car il ne l'a pas encore sortie de son étui, trop occuper à retenir son chien. Il dégaine et arme son PA. La Harka vient nous relever pour la protection du gendarme. Je proteste, et veux ainsi que mes hommes continuer à assurer la protection du maître chien. Mais les ordres sont les ordres. Et après tout, nous sommes crevés à marcher en dehors de la piste des Fells. Le maître chien repart. Je lui dis :

- Soyez prudent allez doucement! Il me répond d'un air un peu "médusé"

- Au moins s'ils me tuent on saura où ils sont!

Ce fut ses derniers mots. Il n'avait pas fait vingt mètres qu'un Fell lui tire le chargeur de son PM dans le dos à bout portant. Il était précisément douze heures trente.

 Il a fallu 44 ans pour que j'apprenne par une coupure de presse, que le Harki me remplaçant fut tué en même temps que le gendarme. (Source le Parisien libéré du 30/12/1958/) A cette époque les nouvelles n'étaient pas diffusées comme de nos jours. Chacun ayant à gérer ses problèmes dans leurs unités respectives. Ce fut le déclenchement d'un combat comme jamais nous n'avions subit. Que nous nous sentions petits, dans cet enfer de feu! 9 MG 42 90 PM et une centaine de fusils tirent en même temps en notre direction.

 Nous nous aplatissons au sol derrière les moindres rochers, en ripostant dans le vide, des deux côtés sur les crêtes nous surplombants, car nous ne voyons rien. Sinon que le coup des armes se rapproche de plus en plus. Je retiens mon tireur FM à terre. Je ne sais comment, l'obligeant de force en le frappant sur son casque pour qu'il ne reste debout. Il aurait très certainement été tué. J'appelle un à un par leur prénom tous mes hommes, je ne sais par quel réflexe, je sais tout leur prénom d'un seul coup. En temps normal il m'aurait été bien difficile de m'en rappeler plus que quelques-uns uns! Nous formons un carré entre quatre gros rochers que j'avais remarqué quelques 50 mètres derrière nous. Et là entassés avec les Harkis nous étions résolus à vendre chèrement notre peau. On ne se faisait pas d'illusions. Je rampais prés du lieutenant, et lui tiens la carte pour qu'il donne les coordonnés pour le largage des paras du 1ier REP du Colonel Jeanpierre.

 Une longue rafale de MG 42 nous aveugla soudain de débris de pierres et de branches. Les impacts étaient à 10 cm le long de notre corps. Je le fis remarquer au lieutenant Le Palmec, qui dévissait l'antenne du poste de radio, et nous giclons dans notre réduit improvisé. (Les Fells avaient vu l'antenne bien droite dépasser des lentisques) De là nous soufflons un peu, mais les coups se rapprochent de plus en plus, ils étaient à 15 mètres dans les broussailles, bientôt cela allait "chauffer", dans un corps à corps ! Aplatis derrière nos armes nous attendions, sans un mot, car pour se parler, il fallait hurler à l'oreille de son voisin, tant le roulement des armes à feu était proche de nous.

 Soudain les B 26 piquent, chacun croit que c'était sur nous, les traceuses venaient droit sur nous, puis éclatant sur les rocailles à 25 mètres. Ils voyaient le mouvement d'approche des Fells. Grâce à ces avions et le 1ier R E P nous allons en sortir vivants. Le chef de la Harka me demandait une cigarette après l'autre, tant et si bien que je lui abandonnais le paquet. Jamais je n'avais vu un homme fumer aussi vite, très surpris, je lui demandais ce qu'il avait:

- J'ai trois mômes! Dit-il pour toutes réponses.

 Nous restons quelques minutes dans cette position, sans bouger. Ceci nous semblait interminable.

- Mais que fout la légion ! On va se faire couper les C…s!

Enfin les paras de la légion arrivèrent par vagues, sections après sections. Nous leurs fîmes une véritable ovation. Ils ressemblaient à des "êtres irréels" en tenue de combat propre le visage frais rasé, des équipements comme à la parade. Les voilà ces hommes du colonel Jeanpierre du 1ère R E P ils étaient nos sauveurs bienvenus. Nous à côté, étions minables, débraillé, sales hirsutes, épuisés. Eux, il y avait quelques minutes, ils étaient encore bien à l'ombre sous abris des arbres à 20 ou 30 Km de là. Il fallait que ce soit comme cela!

La machine de combat de la légion se mit en route méthodiquement, et remarquable d'efficacité. Au coude à coude ils avançaient tuant tous les Fells qu'ils trouvaient Désemparés certaines jeunes recrues Fells n'arrivaient même pas à remplacer les chargeurs vides de leurs armes.

- Complètement paniqués! Déclare un vieux légionnaire.

- Des gosses! Ajouta-t-il les larmes aux yeux.

En deux heures de combat la légion tua 150 fellaghas. Fit 20 prisonniers. Et récupéra autant d'armes y compris 9 Mitrailleuses MG 42 les Fells étaient au total 225. (Seulement deux légionnaires furent blessés) Quand je pense que nous étions à peine plus d'une vingtaine d'hommes et un chien ! Notre retour se fit dans les bananes de la légion. Cela nous enchanta de voyager dans les engins de ces illustres soldats. (Au PC nous étions déjà portés disparus)

***

J'avais à l'époque, consigné sur des feuilles de papier ce texte intégral que j'ai repris sans presque y toucher. Cela fait aujourd'hui exactement 46 ans, le 28 mars 2004 que j'avais noté cela, en manuscrit. Jamais le souvenir du gendarme Gilbert Godefroid, ne s'estompa dans ma mémoire. Cet homme m'avait donné une leçon de patriotisme, comme jamais personne ne me le fit; il est parti avec la ferme conviction d'une victoire proche. Il était ici pour défendre les institutions républicaines en danger. Il avait eu le temps de me dire qu'il était marié et avait une fille, et qu'il les adorait plus que tout. Je garde en moi son regard qu'il me fit en repartant derrière son chien Gamin, suivit d'un Harki, qui avait pris la relève de la protection que je lui avais prodiguée durant toute la matinée. Ce regard amical que nous avions entre sous officier. Un regard de confiance dans nos actes.

 Il tourna un gros buisson, sur sa gauche disparaissant de ma vue. Puis ce fut le déluge de feu qui le fit entrer pour toujours dans l'histoire de la gendarmerie nationale, et de la république Française.

 Signé : Francis Mauro sous officier au 4 ieme Hussards en protection ce jour, sous les ordres du sous lieutenant Le Palmec Claude. J'ai voulu par ces quelques lignes retracer la vérité d'un fait d'armes, que certain n'étant pas directement sur place ont voulu plus ou moins s'approprier . Il fallait que j'écrive tout ceci avant de disparaître dans l'oubli de la vie qui passe.

Soustelle écrit à De Serigny, le directeur de l'écho d'Alger, une lettre que Serigny copie partiellement dans son livre de souvenir (tome 2): Il donne l’essentiel d’une lettre adressée à lui par Jacques Soustelle le 28 mars 1958: "Le Général voit actuellement le problème en historien ou en philosophe, bien plus que sous l’angle de l’action immédiate. Il se considère d’ailleurs comme exclu de l’action réelle et c’est pour cela qu’il ne veut pas parler. Il est persuadé que la volonté des divers partis de lui barrer la route est insurmontable (...) Sans illusion sur le régime, il est convaincu qu’il finira par se plier aux formules d’internationalisation et d’abandon.".

 

29 Mars 1958:

L'armée met fin à l'opération qui consistait à organiser une Zone Autonome d'Alger fantôme grâce au capitaine Leger et à ses bleus. Cette opération durait depuis Novembre 1957 où Hani Ahmed, un des plus intelligents et déterminé adjoint de Leger parvint à établir le contact avec la wilaya III d'Amirouche et fut chargé de recréer la ZAA. Grâce à cela, Noël 57 fut sans attentat à Alger, et tous les hommes envoyés par Amirouche ainsi que les armes et l'argent furent utilisés par Leger et les siens. Il encaissa même de Omar Ouzegatte, ancien député communiste d'Alger, réfugié chez les pères blancs de la casbah, 5 millions de francs solde du trésor de Saadi.

Il contribuèrent considérablement à l'épidémie de bleuite d'Amirouche.

Les bleus de Leger sont incorporés dans l'armée, et forment la 5ème compagnie du 3ème RPC, sous les ordres de Leger.

 

30 Mars 1958:

Toujours la bataille des renforts infiltrés 160 rebelles tués ente Barral et Souk-Arras, 5 soldats tués. (épisode de la "bataille des frontières" qui s'étale sur les quatre premiers mois de 58.) Il s'agit du communiqué repris par la presse relatif à la bataille racontée ci-dessus le 28.

Une grenade sur le marché de Palestro, 16 blessés dont dix enfants.

Une grenade à Constantine, 14 blessés.

Un fermier, sa femme et ses deux filles de 12 et 9 ans enlevés non loin de Mascara.

 

31 Mars 1958:

 A Oujda (au Maroc) la police marocaine arrête des dirigeants FLN qui ont piqué dans les caisses marocaines pour la bonne cause algérienne.

80 personnes arrêtées à Oran, elles sont accusées de support au F.L.N. (collecteur de fonds, lanceurs de grenades).

Bombe au siège du parti radical socialiste de Montebello, gros dégâts.

 En France, le FLN a pratiquement pris le contrôle de la population immigrée, il oriente son action vers le pouvoir et ses représentants les plus visibles, les policiers en tenue. Au cours du premier trimestre, il en tue trois et en blesse 10. Deux commissariats, une gendarmerie, une voiture de police sont mitraillés.

La communauté algérienne présente sur le territoire français était en voie de rapide progression puisque, selon les chiffres des recensements de 1954 et de 1962 (tous deux effectués au mois de mars), elle était passée de quelque 211000 à environ 350000 personnes.

Les dossiers de police comme les déclarations de Maurice Papon devant le Conseil municipal de Paris donnent des informations plus précises sur la répartition de ces effectifs: En octobre 1961, le département de la Seine comprenait 150000 Algériens, parmi lesquels 8000 femmes, 29000 enfants, 90000 hommes actifs et quelque 20000 hommes appartenant à une "population flottante". Avec l'apport de la périphérie, surtout du département de Seine-et-Oise, on arrivait au chiffre de 180000 personnes. L'immigration algérienne était donc massivement masculine. Elle se composait d'hommes jeunes, dont beaucoup étaient mariés mais avaient laissé leur famille en Algérie. Ils travaillaient pour la plupart comme manoeuvres, parfois comme ouvriers qualifiés. Les uns vivaient dans les baraquements des bidonvilles, à Nanterre, Aubervilliers, Argenteuil ou Bezons. D'autres se regroupaient dans les quartiers les plus miséreux de Paris, à la Goutte-d'Or, à Ménilmontant, à Saint-Merri, à la porte d'Italie, ou en proche banlieue; ils y logeaient dans des hôtels surpeuplés, sans hygiène, généralement à plusieurs par chambre. Sur bien des points, faisait observer Albert Gazier dans Le Populaire de Paris du 7 novembre 1961, la vie de ces travailleurs ressemblait à celle des prolétaires du milieu du XIXe siècle.

La solidarité d'origine atténuait la dureté de leur condition, car les réseaux informels d'immigration qui s'étaient mis en place leur avaient permis de se regrouper par villages ou bourgs d'origine, et nul ne connaissait la solitude.

Les rapports de la hiérarchie du FLN semblaient d'ailleurs regretter que, même cotisants, les Algériens s'adaptent assez bien à leur nouveau mode de vie. Tous envoyaient au pays une part considérable de leur salaire qui pouvait varier de 400 à 700 francs "lourds" par mois - on sait que la réforme monétaire due à Antoine Pinay instituant le nouveau franc était entrée en vigueur le 1 er janvier 1959.

L'imposition prélevée sur cette communauté algérienne en France était déterminante pour le FLN et son gouvernement provisoire (GPRA) installé au Caire. Si l'on en croit Ali Haroun, un rapport de 1961 dû au ministre des Finances du GPRA, Ahmed Francis, l'évaluait à 80 % des ressources totales du FLN; le reste représentait essentiellement les versements de la Ligue arabe, rarement effectués d'ailleurs selon les délais et les montants initialement prévus. D'après le procès-verbal d'une réunion du Service de coordination des informations nord-africaines (SCINA), la Fédération de France du FLN aurait recueilli environ 63 millions de francs (nouveaux) au cours de l'année 1960; sur ce total 3.413.000 francs avaient été saisis par les services de police et environ 20 %, soit quelque 12,6 millions, semblaient avoir été retenus par la Fédération pour son fonctionnement; en sorte que 47 millions avaient dû être transmis au GPRA.

Les chiffres donnés par Ali Haroun sont très voisins: pour l'année 1960, 59.820.013 F pour les "entrées", 10.203.595 F au titre des "sorties". A l'automne 1961, le SCINA faisait état d'une estimation selon laquelle le FLN, sur un total de 240 000 travailleurs algériens présents en France, en contrôlait environ 170 000, dont un peu plus de 55000 dans la région parisienne. Et ces effectifs de cotisants étaient en constante progression depuis plusieurs années.

La cotisation était identique pour tous les travailleurs actifs, et se montait à 35 F par mois à l'automne 1961, c'est-à-dire quelque 5% à 9% des salaires. A cette imposition s'ajoutaient des contributions exceptionnelles, deux ou trois fois par an, lors de fêtes ou d'anniversaires. Par exemple à l'occasion de l'anniversaire du déclenchement de la guerre d'indépendance, le 1 er novembre 1961, le F.L.N. fixa la cotisation supplémentaire à 30 F. Les commerçants et hôteliers étaient; quant à eux, taxés suivant un barème qui tenait compte du chiffre d'affaires et du nombre de lits occupés. Surveillés par des "commissaires d'hôtel", les hôteliers devaient ainsi acquitter une somme mensuelle de 5 francs par locataire. Mohammed Harbi dans son livre ajoute que le F.L.N. avait décidé d'imposer les Algériens, non pas en fonction de leur date d'adhésion au mouvement, mais à compter du 1er novembre 1954. Il décourageait ainsi par avance les velléités d'adhésion retardataire. Mais ce procédé dit de l'"arrérage" plongeait les Algériens concernés dans des drames insolubles, car ils ne pouvaient plus envoyer le moindre mandat à leur famille et devaient même se cacher pour échapper aux collecteurs de fonds et aux sanctions de l'organisation.

Il était une autre activité, moins avouable, mais que reconnaît Ali Haroun, et qui rapportait gros: la prostitution. Selon le SCINA, le F.L.N. ne semble pas avoir organisé une forme spécifique de prostitution - "les proxénètes musulmans ne sont pas forcément des militants du F.L.N." -, mais le mouvement utilisait méthodiquement les réseaux de prostitution métropolitains que des Algériens avaient réussi à prendre en main. Proxénètes et prostituées étaient lourdement taxés. Le "milieu" offrait également au Front un réservoir d'agents de renseignements et de liaison, de trafiquants d'armes et de membres de son Organisation spéciale.

Dans son livre de mémoires, Ali Haroun estime absurde de soutenir, comme le faisait la police, que ces cotisations étaient le produit d'un racket: "Combien d'hommes de main aurait-il fallu pour "racketter" 300000 victimes?" Il souligne que les inculpés algériens reconnaissaient souvent qu'ils ne payaient que sous la contrainte la cotisation qu'on leur réclamait, mais qu'il s'agissait de "la tactique de l'époque". Dans un autre passage cependant, il compare la cotisation à un impôt d'Etat, ce qui semble contradictoire, car l'impôt d'Etat n'est-il pas strictement obligatoire?

En la matière, les archives de police mettent au jour une multitude de drames.

Extrait de l'excellent livre "Police contre F.L.N." ISBN 2-08-067691-1 de Jean Paul Brunet, consacré au drame du 17 octobre 1961.