Décembre 1958

 

 

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1 décembre 1.958 :

De gaulle se déclare candidat à la présidence de la république (la nouvelle, la cinquième, mais encore élu façon quatrième), l'ancien président, Coty annonce qu'il n'est pas candidat.

Un arrêté du 1er décembre 1958 rationalise les actions en faveur de la jeunesse en créant une structure encadrante, le Service de formation de la Jeunesse algérienne (SFJA), qui sera dirigé par le général Gribius jusqu'en juin 1959, par le général Dunoyer de Segonzac jusqu'en juillet 1961, enfin par le général Boudjoua jusqu'en juin 1962. Nul n'était mieux préparé à cette mission d'encadrement de la jeunesse que le général de Segonzac, le vieux chef qui en 1941 avait encadré le centre d'Uriage où se trouvaient Paul Delouvrier et Hubert Beuve-Méry.

Voici comment Segonzac définit les objectifs du Service: "Le SFJA se propose de donner une éducation à la fraction de la jeunesse musulmane qui lui est confiée, en vue de lui permettre de devenir maîtresse de son avenir personnel dans un cadre français ... La masse des jeunes de seize ans étant considérable ... ce sont les meilleurs sujets que nous devons toucher en opérant une sélection .. .indépendante de la classe sociale, des diplômes acquis et des recommandations. On doit recruter les éléments d'une véritable élite populaire ... Mais cette élite ne se présentera comme telle que si nous avons su donner aux jeunes qui la composent une force, un élan, des raisons de vivre et de s'imposer".

S'adressant aux jeunes filles, il précise le 31 mars 1960:"Libérer la femme musulmane, c'est-à-dire lui donner une place égale à celle de l'homme; voilà la mission exaltante qui est proposée aux monitrices de Nantes ... Elles doivent croire à ce qu'elles font, croire à la réussite finale de ce qui doit être pour elles un véritable apostolat, croire à la beauté profonde de leur mission".

Les témoignages des instructeurs qui les ont formés, et des officiers SAS qui les ont employés, témoignent de l'enthousiasme et de l'adhésion des jeunes qui y ont participé. C'est dire la réussite de ce programme. Par le canal des Bureaux départementaux de la Jeunesse (BDJ) et des SAS, le SFJA prend en compte les CFJA, sous la forme d'internats de 40 jeunes, il encadre des Foyers de jeunes, externats d'une centaine de participants, et des Foyers sportifs qui rassemblent 60.000 garçons et 10.000 filles. En mai 1960 est créée à Guyotville une Ecole de cadres pour jeunes de haut niveau. A Rovigo, un Centre de formation de moniteurs agricoles instruit 80 jeunes. Foyers sportifs, Foyers de jeunes et CFJA (qui assurent la continuité des Jeunes Batisseurs) ont pour mission de donner aux enfants et aux jeunes une éducation de base, le sens de leurs devoirs de citoyens, et une initiation professionnelle. C'est ainsi qu'au troisième trimestre de 1960, sur 736 jeunes sortis des CFJA, 520 ont été placés. Les moyens humains du SFJA à la fin de 1960 sont de 46 officiers d'active, 316 officiers du contingent, 1400 moniteurs et 774 ouvriers professionnels. En 1961, 4.500 moniteurs et 300 monitrices seront en fonction dans 300 internats et externats et 700 Foyers sportifs. En marge du SFJA, la Commission Armées-Jeunesse organise des stages d'étudiants métropolitains dans les SAS, et des séjours de jeunes Algériens dans les Foyers Léo Lagrange en métropole.

Faivre Maurice, Conflits d'autorités durant la guerre d'algérie, ISBN 2-7575-7304-4

  

2 décembre 1.958 :

Tentative de franchissement du barrage, coté marocain, sans succès.

 La police arrête à Paris Boumaza Bachir, patron du F.L.N. en france, et le remet à la D.S.T. où il prétend avoir été torturé, déclaration stupide car tout le monde sait bien que seule l'armée (et encore en algérie) torture.

Il s'"évadera" de fresnes en octobre 61, à temps pour profiter des dépouilles des pieds noirs et des joies du massacre des harkis..

 

3 décembre 1.958 :

Rien.

 

4 décembre 1.958 :

Le FLN libère huit militaires du contingent qu'il détenait. à Oujda. Il y avait douze prisonniers en tout (sur les 600 recensés à cette date,) trois européens (tirés au sort) et le musulman sont gardés pour une date ultérieure. Grand deploiement de fastes, la soeur du roi, Lalla Aïcha, l'inévitable docteur Bentami qui vit à Genéve au nom de ses relations avec la croix rouge, tous les ambassadeurs des pays arabes...

Au congrès SFIO, Mollet déclare "j'espère que le général De gaulle ne permettra pas une politique contraire à celle qu'il a défini."

 Maginot, embuscade, 4 militaires tués.

De gaulle visite l'algérie, à Hassi Messaoud il déclare : "le pétrole du Sahara est une réussite française".

Deux trains sautent sur deux mines, dégâts matériels.

Tribunal militaire d'Oran, trois condamnations à mort à des tueurs du F.L.N., deux ans de prison fermes à un agriculteur européen de Tlemcen qui avait versé dix mille francs au F.L.N. pour avoir la paix.

Le propriétaire d'un hôtel de Batna enlevé par des inconnus.

Un agent des contributions assassiné d'une rafale de mitraillette devant son domicile.

 A Paris la D.S.T. arrête Francis Mustapha, étudiant en chirurgie dentaire de 29 ans, frère d'Ahmed Francis, trésorier du F.L.N. et beau-frère de Ferrât Abbas. Mustapha Francis est mis à l'hôpital de l'hôtel-Dieu le 7 décembre, il se plaint d'avoir été torturé à Paris par la DST. Il applique ainsi la consigne officielle, toujours se plaindre d'avoir été torturé.

Début de la sixième mission de la croix rouge internationale, jusqu'au 23 seulement, la mission se focalise sur les 8 C.M.I. recemment créés. Ces C.M.I. sont destinés à interner les militaires de l'A.L.N. pris les armes à la main, et depuis peu soustraits aux poursuites judiciaires. Ce statut les rapproche de celui des prisonniers de guerre. La croix rouge avait réclamé cette distinction. Elle en est satisfaite mais montre son étonnement devant les cours d'action psychologique destinés à retourner les prisonniers et à les faire rejoindre les harkis.

 

5 décembre 1.958 :

 Rien.

 

6 décembre 1.958 :

De gaulle, toujours en algérie lance un nouvel appel au F.L.N. : "la solution politique apparaîtra quand seront résolus les problèmes humains".

Les patrons des différentes willayas ont été réunis par Amirouche. Ils se plaignent du manque de support de l'extérieur, du manque d'agressivité des troupes qui y sont stationnés, demandent des comptes sur la "mort" de Ramdane. En outre ils décident de tuer sans discuter quiconque les rejoindra après s'être échappé des prisons françaises.

Amirouche apparaît comme le leader de l'intérieur. Il faut le supprimer, décide Challe. Les services spéciaux décident d'une opération psychologique. Ils façonnent la personnalité d'Amirouche, ils font dire à Faure, le général qui commande la Kabylie toute son estime pour lui, ils soulignent à quel point il est implacable (Mélouza, les purges). Les journaux en font le futur interlocuteur valable. Des journalistes de gôche sont intoxiqués et courent avertir Tunis des intentions hégémoniques et séparatistes du personnage. Les petits copains des willayas en rajoutent. Boumedienne convoque Amirouche en Tunisie pour s'expliquer, Amirouche y va avec une forte escorte de témoins et des cantines de documents, il sera intercepté le 28 Mars dans les hauts plateaux, sans doute sur renseignements, dans la région de Bou Saada.

 

7 décembre 1.958 :

Prés de Bône, le directeur des mines d'Aïn-Barbar, qui venait de remplacer le directeur assassiné dans son bureau, assassiné à son tour ainsi qu'un employé.

De gaulle tranche sur un sujet qui a agité les militaires depuis le début de l'année, le retour à 24 mois de service, au lieu des 27. Ces trois mois en moins coutent 45.000 hommes. Depuis le retour de De gaulle, Salan et Zeller lui demandent de rester à 27 mois. L'arrivée des classes d'âge suivant le baby boom fait déjà baisser les effectifs de 40.000 hommes, le retour à 24 mois fait baisser à 330.000 hommes les effctifs , 20 % de baisse. De gaulle est insensible à tous les arguments (et il est agacé de l'insistande de Salan) le service est ramené à 24 mois. Salan obtient seulement de recruter plus largement parmi les musulmans; il publie une directive sur la politique militaire musulmane en 1959, il demande (pour pallier les classes creuses métropolitaines) 15.000 engagés volontaires au premier trimestre, puis 600 par mois. Il lui faut atteindre 300 officiers et 2800 sous officiers musulmans. Les conscrits seront au nombre de 30.000 par an (il est vrai sur un potentiel de 100.000) mais avec les engagés ( 20400) et les harkis (30000), 80% de la classe d'âge seront sous les drapeaux.

 

8 décembre 1.958 :

Les députés d'algérie décident de créer un inter groupe avec comme plate forme :

- pas de collectivité territoriale particulière à l'algérie. (ils luttent contre l'application du fameux article 72 à l'algérie).

- pas de lois en algérie autres que celles votées par le parlement pour l'ensemble de la france.

- Fusion des administrations des deux cotés de la Méditerranée.

- Promotion des musulmans.

 Aux nations unis, la délégation française quitte la salle pour montrer son désaccord devant la discussion d'un problème interne à la france.

 

9 décembre 1.958 :

Rien.

 

10 décembre 1.958 :

 Le bachaga Boualem élu à la quasi unanimité (sauf les cocos) vice président de l'assemblée nationale.

Un decret crée ex nihilo un nouveau poste dans la hiérarchie militaire "inspecteur général de la defense". Il est pressenté comme le plus haut poste de la defense, et est reservé au général Salan. Le poste sera supprimé deux mois plus tard.

 

 11 décembre 1.958 :

De Gaulle reçoit Challe, nouveau géné chef et lui accorde ce qu'il demande, soit le maintien du service militaire à 26 mois et demi jusqu'à mi 59, et le recrutement de 30000 harkis supplémentaires

 

12 décembre 1.958 :

Delouvrier succède à Salan comme chef des administrations civiles en Algérie, Challe comme commandant en chef.. Salan est nommé inspecteur général de la défense national, un poste formidable qui sera supprimé trois mois après. De gaulle aura supporté cinq mois celui qui l'a fait président, une sorte de record.

68 tonnes de munitions destinées au F.L.N. saisies par les autorités chérifiennes à Casablanca.

La DST arrête un réseau F.L.N./communiste à Paris, une vingtaine de personnes dont quelques jeunes femmes.

 Delouvrier vu par Jean Brune (interdit aux chiens et aux français, éditions Atlantis) :

Le maître était M. Paul Delouvrier: Le délégué général n'avait pas l'intelligence aiguë de Jacques Soustelle, ni la truculence un peu vulgaire de Robert Lacoste, ni même l'aspect un peu comique du parfait fonctionnaire qu'avait eu M. Léonard, ou l'allure de proconsul que prenait volontiers M. Marcel E. Naegelen. On cherchait en vain à le définir. Il n'était rien; une sorte de chef-d'œuvre , dans l'impersonnalité. Quand on le voyait; on pensait irrésistiblement à un bon élève; non pas l'un de ces sujets brillants évoluant entre thème et version avec une nonchalance à peine affectée, et qui ne sont pas tout à fait de bons élèves, au sens étriqué où l'entendent les censeurs; mais le véritable élève modèle, appliqué jusqu'à l'épuisement, et qui en reste marqué jusqu'au bout des jours parce que l'effort l'a distrait de l'essentiel qui n'est pas le savoir accumulé, mais l'approche de la vie et ce qui en elle ne se met pas en équation.

Jeté dans une tragédie où justement tout était bouillonnement de la vie, M. Paul Delouvrier y est passé comme une salamandre dans un brasier. Loin de dominer l'événement, il l'a subi, avec dans le regard quelque chose de l'élève perpétuellement inquiet d'être pris en faute et qui supplie le maître d'étude. On s'attendait à lui entendre dire: "Ce n'est pas moi, monsieur." Et effectivement ce n'était jamais lui. Ce faux proconsul n'avait pas été envoyé outre-mer pour gérer, mais pour liquider, et il semblait parfois conscient de l'ignominie de la tâche qui lui était assignée, s'emportant dans de brusques colères contre des subalternes, mais qui en fait s'adressaient à "l'autre" , celui qui commandait plus durement qu'autrefois les maîtres d'étude, et l'avait lié à ce poteau au coeur d'une terre en délire.

J'ai toujours été frappé par l'extraordinaire justesse du choix qui avait été fait à Paris de M. Paul Delouvrier. Jacques Soustelle envoyé en Afrique par Mendès-France y avait découvert la vérité africaine par le chemin de la sensibilité et de l'intelligence. Robert Lacoste, délégué par Guy Mollet, l'avait entrevue par d'autres voies. Paul Delouvrier confronté à l'Afrique n'a fait qu'y réciter l'obtuse leçon qu'on lui avait apprise à Paris. Celui-là était un robot. Mis en face d'hommes écorchés dans leur chair, blessés dans leur fierté et leur ferveur, torturés par la crainte d'être chassés de leurs souvenirs d'enfance, il n'a rien trouvé à leur dire pour toucher leur coeur, et leurs détresses ne l'ont pas révolté. Il obéissait comme la pièce détachée d'une machine. Et quand enfin atteint par l'intensité dramatique de la tragédie qui se jouait à travers lui, il s'est décidé à parler, il n'a plus trouvé que de pauvres mots vides. On eût dit qu'il s'adressait à des joueurs de boules. Que n'eut-il pas obtenu de ces foules algériennes s'il avait su trouver le chemin du coeur des hommes, s'il avait essayé de le forcer, car en ce domaine les collectivités pressentent l'intention avec une étonnante intuition et parfois sont émues davantage au spectacle des efforts maladroits que l'on consent pour se faire aimer d'elles, que des virtuosités suspectes des habiles.

Quand on laisse s'éteindre les grandes rumeurs qui ont accompagné le drame et que l'on réfléchit, on comprend que M. Paul Delouvrier a été envoyé à Alger en connaissance de cause. Il savait le but ultime et il était chargé de tromper les Français et les Algériens sur ce but. Il a fait laborieusement le devoir qui lui avait été donné comme un fort en thème jeté dans une grande aventure de brousse et de vent où le thème c'est la vie et la mort des hommes et qui, affolé par l'intensité tragique des événements, cherche la solution dans les pages de son dictionnaire.

J'entends la voix de ceux qui ont approché le délégué général et qui me disent: "Paul Delouvrier était un homme charmant."

Je n'en doute pas. L'histoire moderne, écrite dans l'ombre des bureaux par des techniciens anonymes, est pleine de ces hommes doux devenus loups pour les foules; poètes - bourreaux, comme ces fillettes aux yeux de rêve qui arrachent distraitement les ailes des papillons. M. Paul Delouvrier résume en lui et symbolise les hommes de son cabinet. Victimes des mythes, ceux-ci sont arrivés à Alger convaincus de ce que les Français d'Algérie étaient des monstres. Leur action s'explique psychologiquement par deux réflexes: ils avaient peur et chaque coup qu'ils portaient clandestinement à la malheureuse communauté française d'Afrique, leur paraissait un juste châtiment. Ils étaient des justiciers terrorisés par leurs propres cauchemars.

 

13 décembre 1.958 :

Rien.

 

14 décembre 1.958 :

La résolution sur l'algérie, présentée par les pays non alignés échoue à recueillir les deux tiers des voix nécessaires ( 35 pour, 18 contre, 28 abstentions, dont les U.S.). Il aurait fallu plus de 53 voix.

 

15 décembre 1.958 :

 Rien.

 

 16 décembre 1.958 :

Le train revenant de Khralfallah vers Saïda saute sur une mine, tous les militaires du 1/12 d'artillerie qui l'escortaient sont blessés, deux sont morts, les huit autres (dont deux musulmans) ont des séquelles plus ou moins graves, un pensionné à 75 % présente encore des troubles de la locomotion.

 

17 décembre 1.958 :

Guillaumat, ministre des armées, annonce en confidence au général Ely, chef d'état major général que "le général De gaulle m'a chargé d'éliminer les acteurs du treize Mai ". (archives du général Ely, repris par Faivre, "les archives inédites de la politique algérienne", l'harmattan. ISBN 2-7384-9117-0) Explique-t-il que la nomination de Salan à un nouveau poste supérieur à celui d'Ely n'est qu'une basse manoeuvre? sans doute, mais Ely ne l'écrit pas.

Sanglante embuscade près de Blida, 14 militaires tués, 26 blessés.

 

18 décembre 1.958 :

De gaulle félicite Salan nommé à un poste créé exprés pour lui en france, il lui écrit : "au milieu des événements du treize mai, vous vous êtes comporté avec honneur ". Salan devait être nommé au poste d'inspecteur général des armées. C'est dans le journal officiel qu'il apprendra en février que ce poste est supprimé.

dualité Challe/Delouvrier:

"Cependant cette dualité n'est qu'apparente, la doctrine Challe tendait, à l'échelon directement au contact des populations, à opérer, entre les mains des officiers S.A.S., militaires d'état mais organes de l'administration civile, une totale fusion de la double autorité administrative et militaire. Ainsi s'achevait une évolution qui partant des textes sur l'état d'urgence et les pouvoirs spéciaux avait fini de délégation en délégation par confier, en 1958, tous les pouvoirs aux militaires. Le principe de l'unité prôné par le règlement sur l'arme psychologique et par la doctrine Challe était réalisé. Sa mise en oeuvre la plus spectaculaire avait consisté à confier, à Alger en 1957, les pouvoirs civils de police au Général Massu, commandant la 10e D.P. Avant même le 13 mai 1958, la délégation des pouvoirs, déjà permanente aux frontières, avait été étendue par le Ministre Résidant à toute l'Algérie, exceptés le département d'Oran et l'arrondissement d' Am Beida qui conservaient leur autorité civile. En juin 1958, on passe de la délégation à l'attribution directe des pouvoirs civils au Commandant en chef et aux autorités militaires à tous les échelons.

"Un retour à la normale - la situation antérieure - s'effectuera peu à peu dans la lettre des textes, mais beaucoup moins dans la réalité en raison des délais et des dérogations chaque fois prévus par ces textes. Déjà, en décembre 1958, le nouveau Commandant en chef, s'il n'est plus Délégué Général, se voit déléguer par celui-ci les pouvoirs essentiels de maintien de l'ordre et ses généraux subordonnés gardent tous les pouvoirs civils. C'est dire que Challe a tous les pouvoirs civils... puisqu'il est le chef de ceux, les généraux-préfets, qui les gardent intégralement. Le cas est typique de l'habituelle efficacité gaullienne.

" Dans les groupes de départements, les généraux commandants de corps d'armée délégueront au secrétaire général régional leurs attributions concernant la coordination de l'action administrative, le plan d'équipement, la gestion des crédits et du personnel. C'est l'Armée qui délègue. Parallèlement, il est demandé aux généraux commandants de zone de déléguer à des membres du corps préfectoral celles des attributions qu'ils n'exercent pas personnellement. Cette unité consacrée entre les mains des généraux dut provoquer quelques tiraillements pour que Paul Delouvrier ait dû revenir sur ses arrêtés de délégation dans une note aux généraux et fonctionnaires de la préfectorale pour rappeler son intention de "réaliser l'unité de commandement et donc confier à l'autorité militaire l'exercice des pouvoirs civils", situation "provisoire" manifestée par le "rétablissement dans leurs attributions normales" d'un préfet, celui du département d'Alger et partiellement de celui d'Oran (qui doit à son tour déléguer ses pouvoirs aux colonels chefs de secteurs). Il insiste enfin pour que les "autorités civiles exercent par délégation les attributions administratives" et soient "considérées par les autorités militaires responsables comme leurs conseillers politiques".

D'après l'excellent kayanakis, Algérie 1.960, la victoire trahie, éditions atlantis. ISBN 3-932711-16-5

 

Analyse semblable:

En surface, et en douce, les préfets reviennent dans les départements pour reprendre, dans toute leur plénitude, les pouvoirs civils. Les commandants de zone, c'est-à-dire les généraux de division ont pourtant accepté, en vertu des pouvoirs spéciaux, de demeurer responsables de l'ordre public. C'est là le plus grave, parce que quand on lutte contre la subversion, il n'est pas possible de maintenir une discrimination entre les pouvoirs civils et militaires. La guerre révolutionnaire dont on se gargarise exige un seul pouvoir pour faire face à des aspects multiples. Le F.L.N. n'a-t-il pas coiffé toutes ses hiérarchies par une autorité politico-militaire? Il n'existe plus de direction globale pour mener une "lutte globale".

Pour sauver la face en attendant mieux, les généraux de Corps d'Armée sont demeurés I.G.A.M.E. mais ils sont flanqués d'inspecteurs généraux, Chapel à Alger, Bonliez (?) à Constantine et Guy à Oran auxquels ils délèguent pratiquement tous leurs pouvoirs civils.

Ce retour à la séparation des Pouvoirs est à mon sens l'aspect le plus inquiétant des réformes apportées en 1959, les fonctionnaires civils et en particulier les policiers, qui avec 10.000 GMS sont près de 25.000, l'équivalent de trois divisions, ayant tendance, ce qui est normal, à s'aligner plus sur le préfet que sur le général et étant ainsi parfois distraits de la tâche principale qu'est la lutte contre le F.L.N., au profit de besognes secondaires de routine administrative ou de combinaisons politiques.

Je suis, moi, Directeur de la Sûreté Nationale, en position HCM, c'est-à-dire hors cadre en mission. C'est Salan qui m'a mis dans ce guêpier et Delouvrier m'y a maintenu. Je l'avais rencontré à l'automne 59, époque à laquelle, sous le couvert d'une vague mission, il faisait en Algérie le tour du futur propriétaire (ce que j'ignorais totalement). Il m'avait convoqué - je ne me souviens plus pour quel motif - et tout en affectant de se soucier de questions de budget, il m'avait inventorié. Peut-être lui ai-je paru acceptable! Je crois plutôt qu'il a estimé que je pourrai lui servir, au moins pendant quelque temps. Quoi qu'il en soit, quand il est devenu Délégué, je suis resté en place.

Il y a en Algérie différentes polices.

Il y a d'abord la D.S.T. , faite pour veiller à la sécurité du territoire et qui, à ce titre, devrait porter tout le poids de la lutte contre la rébellion. Mais la D.S.T., peu développée d'ailleurs, est indépendante et ne dépend que de Paris.

Il y a ensuite la Sûreté Nationale. C'est un gros morceau puisque, sans compter les renforts métropolitains temporaires, ses effectifs sont de l'ordre de 25.000 hommes. Mais cette sûreté est multiple, en dehors des habituelles discriminations entre ceux qui portent un uniforme et ceux qui "instrumentent" en tenue bourgeoise. Certains policiers sont soldés par le budget de l'Algérie, d'autres sur le budget de l'Etat. Certains sont titulaires, beaucoup sont contractuels et 10.000 sont supplétifs. Un vrai chef d'œuvre de simplicité!

La police dite "d'Etat", c'est-à-dire les agents de police des commissariats urbains sont consommés par les broutilles, circulation, enquêtes, petits délits, constats d'adultère. Elle n'est donc un instrument de protection que très accessoirement, d'autant plus qu'elle ne descend que très rarement en dessous de l'échelon préfecture.

La P.J., dont le nombre de brigades est très insuffisant, à une époque où il faut réprimer -c'est là l'origine de bien des bavures- oscille entre l'autorité judiciaire et celle qui a charge de rétablir l'ordre. Parmi ses commissaires, il y a du bon et du mou mais d'une façon générale, la P.J. tend plutôt à servir le procureur que celui qui chasse le fellagha. Je me suis employé, dans l'intérêt même du Parquet, de remonter le courant. Je n'y suis pas tout à fait arrivé.

Il y a aussi les Renseignements Généraux, dont la tâche est de pénétrer pour permettre aux chefs de prévoir et de prévenir. Là, c'est un désastre. Agglutinés dans les grands centres du littoral, n'ayant aucune antenne valable dans ceux de l'intérieur, ignorant le bled, les R.G. dont le F.L.N. a facilement neutralisé les petits mouchards, peu nombreux et faiblement rétribués, fait encore du papier aux préfets, mais ce n'est que de la médiocre information de basse politique, à base de revue de presse. Quand j'ai pris la Sûreté en 58, j'ai découvert qu'il y avait à cet échelon un fichier central, abondamment doté en personnel et en moyens matériels. J'y ai retrouvé les dossiers, assez complets, des autorités traditionnelles et des élus. Celui de Krim, par contre était vide depuis qu'il avait disparu dans le maquis Kabyle, inculpé d'homicide. Quant à celui de Yacef Saadi, il ne comportait que la mention: "voir la D.S.T. "

Document d'archive du colonel Godard, sans doute un manuscrit pour un nouveau tome de ses mémoires, déposé dans une université de Californie et publié par les amis de Raoul Salan.

 

19 décembre 1.958 :

RAS

 

20 décembre 1.958 :

 RAS

 

21 décembre 1.958 :

De gaulle est élu président de la république (ancienne formule, grands électeurs).

Il rafle 62338 voix sur les 79414 exprimées, soit 78,5 % (une élection de maréchal)

En algérie il a 279 voix sur 297, soit 94 %.

On notera que les plus gaullistes sont les Oranais, 18 sur 19 et les moins gaullistes les algérois, plus politiques (23 sur 29, 79 % comme en métropole). Le bled profond (baptisé oasis et saoura), qui bénéficie de 220 voix (et après ça on dira que les musulmans étaient mal représentés en algérie) a voté pour par 214 voix, 92,7 %, magouilles politiciennes usuelles.

 

22 décembre 1.958 :

Challe prend son commandement, voici ses axes stratégiques explicités dans une directive du même jour . Quand De gaulle se propose en 1958 de lui donner le commandement de l'Armée d'Algérie, Challe met pour condition à son acceptation le droit de recruter "des Harkis en grand nombre (d'après Challe, Notre Révolte, Presse de la cité, 1.958), après s'être indigné: "on ne pose pas de conditions à De gaulle", De gaulle n'en aurait pas moins insisté pour connaître les conditions de Challe ("quelles sont vos conditions? mais donnez-les moi") et les accepter.

En quelques mois le nouveau Commandant en chef va jeter dans la balance plus de deux cents mille français d'algérie qui doublent les effectifs opérationnels de l'Armée française et multiplient sa capacité de frappe. (Pour fixer les idées, en Algérie, les troupes musulmanes qui atteindront 225.000 hommes, représentent, en effectifs, la moitié de l'armada américaine de la guerre du golfe numéro 1).

Les commandos de chasse ne sont pas, en Algérie, une innovation pour le commandement français qui bénéficie de l'expérience indochinoise des commandos du G.C.M.A. et des maquis implantés sur les arrières de l'ennemi. Mais il est une différence essentielle entre les deux territoires: en Indochine, il s'était agit d'opérations de type coup de poing en va-et-vient ou bien d'organisation de maquis de résistance sur les arrières de l'ennemi; en Algérie, le terme de chasse traduit parfaitement la mission donnée: il s'agit même de chasse à courre pour lever les rebelles qui ont perdu la maîtrise du terrain et de la population. Ici il ne s'agit plus de résistance mais d'offensive et avec des effectifs en masse.

La mission en Algérie est clairement définie par Challe dans cette note : "cette chasse à courre devra coller aux katiba, qu'elles se déplacent dans les zones- refuges ou que se fractionnant, elles cherchent asile dans la population". "J'ai décidé que, dans chacun des soixante-quinze secteurs, il y aurait au moins un commando de chasse pour tenir le djebel en même temps que les rebelles, pour les marquer et enclencher des opérations avec les éléments réservés du secteur."

La formation de leur encadrement est entreprise aussitôt, début 1959, décentralisée, ainsi à Constantine et Sétif pour les commandos du Corps d'Armée de Constantine. Elle est généralisée aux jeunes officiers d'infanterie dès la promotion de Saint-Cyr Laperrine, à Saint-Maixent, pendant l'hiver 1959 et intégrée à la formation déjà classique de combat en contre- guérilla. Cette formation précise les caractéristiques et les principes d'action des commandos de chasse : "le commando constitue une troupe d'élite", qui reçoit un entraînement la rendant capable d'actions qui se caractérisent par : "une préparation minutieuse une mise en place discrète et une exécution rapide". A ces caractéristiques conventionnelles de tous commando s'ajoutent pour la chasse "l'esprit d'offensive" et des méthodes militaires qui s'apparentent effectivement à la chasse ou à celles d'un garde-chasse qui, parcourant sans cesse et connaissant à fond son domaine, cherche les traces, surveille les passages et les gîtes, piste les fauves, puis les lève et les traque lorsque la battue est en place (c'est-à-dire quand les réserves sont prêtes à intervenir).

Le Général Challe entend créer chez les rebelles le climat d'insécurité permanente qui était naguère celui des forces de l'ordre. L 'homme des commandos est donc comme le rebelle: "fluide, mobile, rustique, rusé, renseigné, gardé, déterminé, bien instruit, bon tireur". La tactique des commandos de chasse a pour maîtres- mots "rapidité, souplesse, rusticité, sûreté, agressivité". Le commando est une compagnie dotée de quatre officiers au lieu de trois, allégée de ses éléments administratifs et de son mortier. La troupe initialement devait ne pas comprendre moins de 25% et pas plus de 50% de F.S.N.A.(musulmans) Mais très vite le succès sur le terrain allait augmenter la part des F.S.N.A. dans l'amalgame. Autant la souplesse est-elle demandée dans l'organisation du commando, autant la directive N° 1 du Général Challe est-elle stricte sur les règles d'action: présence permanente sur le terrain en alternance de la moitié de la compagnie- commando. Autre particularité essentielle: le commando de chasse, s'il est rattaché hiérarchiquement à un secteur, échappe aux contraintes habituelles qui limitent la zone d'action des troupes à une circonscription géographique qui est souvent encagée entre des crêtes abandonnées aux rebelles; l'espace d'intervention du commando est celui de la bande qu'il accroche et comporte donc un droit de suite d'un secteur à l'autre. Enfin le commando doit pouvoir déclencher et guider par radio des appuis feu d'artillerie ou d'aviation d'attaque au sol et "normalement être épaulé par tout un système de réserves" : à l'échelon du secteur, au minimum une compagnie en alerte, prête à être transportée en appui du commando, en camions au moins à défaut d'un détachement d'hélicoptères disponible; à l'échelon de la zone ou du corps d'armée, il doit pouvoir bénéficier de l'intervention sur son objectif d'une plus grosse unité, régiment ou bataillon désimplanté de préférence hélitransporté.

L'instruction du Général Challe codifiant un an après, en décembre 1959, l'ensemble de la doctrine de pacification de l'Algérie situe donc dans la stratégie globale politico- militaire de reconquête, les diverses catégories de troupes musulmanes auxquelles sont de plus en plus confiés localement le maintien de l'ordre, la recherche du renseignement et l'élimination des résidus de bandes locales: G.A.D., Groupes d'autodéfense dans les villages, Maghzen autour des S.A.S., Harkis adaptés aux unités régulières et composants essentiels des commandos de chasse. L'emploi des commandos de chasse s'intègre dans la situation et la stratégie globales en Algérie en 1959-1960. Depuis les dernières batailles aux frontières de 1958, les barrages, devenus hermétiques, ne permettent plus d'incursions d'origine extérieure: les rares tentatives de franchissement se soldent par des centaines de rebelles tués pour quelquefois de rares rescapés parvenant à l'intérieur qui ne reçoit plus ni armes ni renforts.

A l'intérieur, la rébellion est cassée par le rouleau compresseur des grandes opérations qui s'est déplacé d'ouest en est atteignant au moment de la directive Challe la petite Kabylie et le Constantinois. Voir ICI la carte du plan Challe.

Les trois divisions de réserve sont disponibles pour achever bientôt, en 1960, le ratissage, en intervenant groupées dans les Aurès. Les bandes décimées, les rebelles survivants ont éclaté en petits groupes à la portée, sans risque important, des unités déconcentrées. C'est dans ce contexte que les commandos de chasse peuvent achever de nettoyer le terrain, tout en ne prenant pas de risque majeur, l'impératif étant un "potentiel... sur le terrain au moins équivalent à celui de l'adversaire "; en outre des réserves naturelles sont désormais disponibles: le maintien de l' ordre étant de plus en plus assuré par des troupes de recrutement local, les unités de quadrillage sont, dans la structure à Quartiers de pacification, regroupées au niveau du Quartier ou du Secteur et dès lors prêtes à intervenir en soutien des commandos qui lèvent les rebelles. Dans ce contexte stratégique la directive Challe insiste pour conclure sur l'une des "qualités les plus rares" exigée d'un commando : l'abnégation, pour jouer le jeu à fond avec désintéressement et faire appel en temps utile aux unités de réserve au risque de voir celles-ci cueillir les lauriers du succès. Car seules les unités de réserve ont une supériorité telle sur l'adversaire qu'elle peuvent mener à bien les accrochages quasiment sans pertes.

Encore une fois, Kayanakis, algérie 1.960, la victoire trahie, éditions Atlantis. On trouvera ICI le texte de la directive de Challe.

 

23 décembre 1.958 :

Embuscade eu lieu dit "La Fosse aux Lions , dans le secteur d'Aumale. Cette embuscade a suffisamment marqué Jean-Louis Gérard pour qu'il dédie son excellent livre "dictionnaire de la guerre d'algérie", une de mes sources à ceux qui en ont été victimes. (Jean Currutchet, ISBN 9 782 912 932273.)

Le conseil des ministres prend une ordonnance autorisant les forces de maintien de l'ordre à tirer sans sommation sur qui paraît suspect.

Le cargo danois Granita, fouillé par la marine au large des cotes, contient 40 tonnes d'explosifs destinés au F.L.N., chargées en Pologne.

 

24 décembre 1.958 :

RAS

 

25 Décembre 1.958:

Suppression du couvre feu (à Alger) pour la nuit de Noël.

 

26 Décembre 1.958:

Rien.

 

27 Décembre 1.958:

Rien.

 

28 Décembre 1.958:

Discours de De gaulle, "je ne cache pas que notre pays va se trouver quelques temps à l'épreuve".

 

29 Décembre 1.958:

Rien.

 

30 Décembre 1.958:

Grenade à Sidi-bel-Abbés, 10 blessés dont quatre légionnaires.

Une locomotive saute sur une mine, près d'Orleansville, 5 militaires tués, 20 blessés.

Grenade dans la rue à la casbah, 4 blessés.

 

31 Décembre 1.958:

 3084 tués, 8016 blessés chez nous, 30686 tués, 7256 rebelles prisonniers, pour 58.

Le bilan des deux années 57 et 58 marque le niveau maximum des activités militaires avec les deux grandes batailles gagnées par l'armée française, la bataille du terrorisme (bataille d'Alger) et la bataille des frontières.

62774 rebelles tués, 13276 prisonniers, 5736 soldats français tués pour ces deux années.