Août 1955

 

 

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1 août 1.955:

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2 août 1.955:

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3 août 1.955:

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4 août 1.955:

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5 août 1.955:

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  6 août 1.955:

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7 août 1.955:

Hafidi Lamine, chef de confrérie religieuse égorgé à Biskra.

 

8 août 1.955:

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9 Août 1.955:

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10 Août 1.955:

Un groupe de militaires tombe dans une embuscade près de Biskra, 14 tués.

600 hommes de troupe arrivent en renfort à Bône.

Le Ouakaf Fadel Mostefa ben Larbi, enlevé à Touffana (c.m. Aïn-el-Ksar) le 10.8.1955, par 5 soldats de l'A.L.N. en uniforme et en armes, fut retrouvé égorgé. Il portait sur lui une lettre le condamnant à mort.

 

11 Août 1.955:

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12 Août 1.955:

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13 Août 1.955:

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14 Août 1.955:

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15 Août 1.955:

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  16 Août 1.955:

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17 Août 1.955:

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18 Août 1.955:

 Egorgement de Fadel Mostefa ben Larbi, à Touffana.

 

  19 Août 1.955:

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20 Août 1.955:

El-Halia est attaqué entre 11 h 30 et midi. C'est un petit village proche de Philippeville, sur le flanc du djebel El-Halia, à trois kilomètres environ de la mer. Là vivent 130 Européens et 2000 musulmans. Les hommes travaillent à la mine de pyrite, les musulmans sont payés au même taux que les Européens, ils jouissent des mêmes avantages sociaux. Ils poussent la bonne intelligence jusqu'à assurer leurs camarades Degand, Palou, Gonzalès et Hundsbilcher qu'ils n'ont rien à craindre, que si des rebelles attaquaient El-Halia, "on se défendrait" au coude à coude.

A 11 h 30, le village est attaqué à ses deux extrémités par quatre bandes d'émeutiers, parfaitement encadrés, et qui opèrent avec un synchronisme remarquable. Ce sont, en majorité, des ouvriers ou d'anciens ouvriers de la mine et, la veille encore, certains sympathisaient avec leurs camarades européens... Devant cette foule hurlante, qui brandit des armes de fortune, selon le témoignage de certains rescapés, les Français ont le sentiment qu'ils ne pourront échapper au carnage. Ceux qui les attaquent connaissent chaque maison, chaque famille, depuis des années et, sous chaque toit, le nombre d'habitants. A cette heure-là, ils le savent, les femmes sont chez elles à préparer le repas, les enfants dans leur chambre, car, dehors, c'est la fournaise et les hommes vont rentrer de leur travail. Les Européens qui traînent dans le village sont massacrés au passage. Un premier camion rentrant de la carrière tombe dans une embuscade et son chauffeur est égorgé. Dans un second camion, qui apporte le courrier, trois ouvriers sont arrachés à leur siège et subissent le même sort. Les Français dont les maisons se trouvent aux deux extrémités du village, surpris par les émeutiers, sont pratiquement tous exterminés. Au centre d'EI- Halia, une dizaine d'Européens se retranchent, avec des armes, dans une seule maison et résistent à la horde. En tout, six familles sur cinquante survivront au massacre. Dans le village, quand la foule déferlera, excitée par les "you you" hystériques des femmes et les cris des meneurs appelant à la djihad, la guerre sainte, certains ouvriers musulmans qui ne participaient pas au carnage regarderont d'abord sans mot dire et sans faire un geste. Puis les cris, l'odeur du sang, de la poudre, les plaintes, les appels des insurgés finiront par les pousser au crime à leur tour. Alors, la tuerie se généralise. On fait sauter les portes avec des pains de cheddite volés à la mine. Les rebelles pénètrent dans chaque maison, cherchent leur "gibier" parmi leurs anciens camarades de travail, dévalisent et saccagent, traînent les Français au milieu de la rue et les massacrent dans une ambiance d'épouvantable et sanglante kermesse. Des familles entières sont exterminées: les Atzei, les Brandy, les Hundsbilcher, les Rodriguez. Outre les 30 morts il y aura 13 laissés pour morts et deux hommes, Armand Puscédu et Claude Serra, un adolescent de dix-neuf ans qu'on ne retrouvera jamais. Quand les premiers secours arrivent, El-Halia est une immense flaque de sang.

 

 

Le groupe de fellagha est commandé par Zighout Youcef. 123 des personnes qui l'habitent, de toutes religions, de tous sexes, de tout âge et de toutes opinions politiques sont massacrés de la façon la plus ignoble que l'on puisse imaginer. (71 européens, 52 musulmans, 120 disparus). Outre les égorgements des hommes (après ablation du sexe et vision du viol de leurs femmes et de leurs filles) et l'éventration des femmes, méthode habituelle, on note pour la première fois des personnes dépecées, vraisemblablement tant qu'elles étaient vivantes.

Ce massacre résulte des nouvelles consignes du FLN qui a échoué dans sa tentative de mobiliser massivement les français musulmans d'algérie contre la france, que ce soit par la propagande ou par la terreur. Il a également échoué dans sa tentative de créer une force militaire suffisante pour gagner des combats contre l'armée française, par manque de soutien extérieur susceptible de lui procurer des armes, aussi parce que les paras et autres troupes de choc, ramenées d'Indochine, implantent de nouvelles formes de guerre, avec des unités mobiles, et le début des opérations héliportées. Enfin de plus en plus nombreux sont les musulmans qui portent les armes françaises, d'abord protection des sections administratives spéciales nouvellement implantées, gendarmes des groupes mobiles de sécurité, puis progressivement et de plus en plus, auto défense des villages et troupes combattantes, les harkis.

Le FLN a alors décidé de faire régner la terreur, il renforce ses politiques d'attentats aveugles dans les villes, son extermination systématique des européens, ses actions de sabotage de récolte, de routes, de réseau ferré, de lignes téléphoniques qui le conduiront à la victoire. Il vise aussi les nationalistes modérés type Ferhat Abbas, dont le neveu, qui gérait sa pharmacie est égorgé pour l'exemple. Abbas comprendra parfaitement qu'il n'est plus possible de tenter une troisième force et rejoindra le Caire.

 

El Halia aura une autre conséquence, le gouverneur général Soustelle, qui était venu en algérie avec la volonté de trouver une solution politique, voyant le massacre, déçu de ses contacts, décide "qu'on ne discute pas avec des gens comme ça".

Lors de l'enterrement des victimes, les personnes présentes, menées par le maire, piétineront les gerbes et couronnes offertes par les autorités préfectorales et militaires et feront une conduite de Grenoble au sous préfet.

Soustelle écrira : "Les cadavres jonchaient encore les rues. Des terroristes arrêtés, hébétés, demeuraient accroupis sous la garde des soldats….Alignés sur les lits, dans des appartements dévastés, les morts, égorgés et mutilés (dont une fillette de quatre jours) offraient le spectacle de leurs plaies affreuses. Le sang avait giclé partout, maculant ces humbles intérieurs, les photos pendues aux murs, les meubles provinciaux, toutes les pauvres richesses de ces colons sans fortune. A l'hôpital de Constantine des femmes, des garçonnets, des fillettes de quelques années gémissaient dans leur fièvre et leur cauchemars, des doigts sectionnés, la gorge à moitié tranchée. Et la gaieté claire du soleil d'août planant avec indifférence sur toutes ces horreurs les rendait encore plus cruelles "

 

Le 20 août 1955, "une date terrible, une date inoubliable" dira Yves Courrière dans son "Histoire de la guerre d'Algérie" (ed. Taillandier). Ce jour-là, Zighout Youssef, le chef de la willaya 2, lance la population civile de certains douars du Nord-Constantinois contre les Européens. A El-Halia, petit centre minier près de Philippeville, cent trente-deux personnes sont assassinées dans des conditions barbares.

 

Marie-Jeanne Pusceddu témoigne: Le 20 août 1955 j'étais à El-Halia

Je m'appelle Marie-Jeanne Pusceddu, je suis pied-noir, née à Philippeville en 1938 de parents français, d'origine italienne. Mes parents étaient des ouvriers; toute ma famille, frères, oncles, cousins, travaillait à la mine d'El-Halia, près de Philippeville. Ce petit village d'El-Halia n'était qu'un village de mineurs, d'artisans qui travaillaient dur dans la mine de fer. Il y avait également des ouvriers arabes avec qui nous partagions, au moment de nos fêtes respectives, nos pâtisseries et notre amitié. Ils avaient leurs coutumes, différentes des nôtres, nous nous respections. Nous étions heureux. Les "événements d'Algérie" ont commencé en 1954. Mais pour nous, la vie était la même, nous ne nous méfions pas de nos amis arabes.

Je me suis mariée le 13 août 1955, nous avons fait une belle fête et tous nos amis étaient là, notamment C., le chauffeur de taxi arabe que nous connaissions bien. Avec mon mari, nous sommes partis en voyage de noces. Le 19 août 1955, avec mon mari André Brandy (ingénieur des mines employé au Bureau de la recherche minière d'Algérie ), nous avons pris le taxi de C. pour rentrer à El-Halia. Pendant le trajet, C. nous dit: "Demain, il y aura une grande fête avec beaucoup de viande". Je lui répondis: "Quelle fête ? Il n'y a pas de fête". Je pensais qu'il plaisantait. Le lendemain, 20 août, tous les hommes étaient au travail à la mine sauf mon mari. Il était juste midi, nous étions à table, quand soudain, des cris stridents, les youyous des mauresques et des coups de feu nous ont surpris. Au même moment, ma belle-sœur Rose, sa petite dernière Bernadette (trois mois) dans les bras arrive, affolée, suivie de ses enfants, Geneviève 8 ans, Jean-Paul 5 ans, Nicole 14 ans, Anne-Marie 4 ans. Son aîné Roger, âgé de 17 ans, était à la mine avec son père. Avec ma mère, mon frère Roland de 8 ans, Suzanne ma soeur de 10 ans, Olga mon autre soeur de 14 ans et mon mari, nous avons compris qu'il se passait quelque chose de grave. Les cris étaient épouvantables. Ils criaient: "Nous voulons les hommes". Je dis à mon mari : "Vite, va te cacher dans la buanderie!".

Nous nous sommes enfermés dans la maison, mais les fellaghas ont fait irruption en cassant la porte à coup de hache. A notre grande stupeur, c'était C., le chauffeur de taxi, "l'ami" qui avait assisté à mon mariage. Je le revois encore comme si c'était hier. Il nous a poursuivis de la chambre à la salle à manger, puis dans la cuisine; nous étions pris au piège. C., avec son fusil de chasse, nous menaçait. Il a immédiatement tiré sur ma pauvre mère, en pleine poitrine, elle essayait de protéger mon petit frère Roland. Elle est morte sur le coup avec Roland dans ses bras, lui aussi gravement atteint. Ma belle-sœur Rose a été tuée dans le dos. Elle gardait son bébé contre le mur, ma jeune soeur Olga s'est jetée, dans une crise d'hystérie, sur le fusil, il a tiré à bout portant, la blessant salement. Il nous narguait avec son fusil. Bravement et affolée, je lui dis: "Vas-y! Tire! Il ne reste plus que moi". Il a tiré, j'ai reçu la balle à hauteur de la hanche, je n'ai même pas réalisé et il est parti. J'ai pris les enfants, les ai cachés sous le lit avec moi, mais je souffrais trop et je voulais savoir si mon mari était toujours vivant. Je suis allée dans la buanderie et me suis cachée avec lui derrière la volière. Les fellaghas, les fils de C., sont revenus. lls se dirigeaient vers nous en entendant un bruit, mais l'un d'eux a dit en arabe: "C'est rien, c'est les oiseaux". Et nous sommes restés, apeurés, désemparés, sans bouger jusqu'à cinq heures de l'après-midi.

Les cris, les youyous stridents, la fumée, le feu, quel cauchemar ! (...)

Un avion de tourisme est passé au-dessus du village et a donné l'alerte. L'armée est arrivée à dix-sept heures. Et là, nous sommes rentrés dans la maison pour constater l'horreur. Mon petit frère Roland respirait encore; il est reste cinq jours dans le coma et nous l'avons sauvé. Malheureusement, ma soeur Olga a été violée et assassinée, ma soeur Suzanne, blessée à la tête, elle en porte encore la marque. Puis l'armée nous a regroupés. Ma famille Azeï, tous massacrés au couteau, la soeur de ma mère, son mari, ses deux filles dont l'une était paralysée, l'une des filles qui était en vacances avec son bébé a été, elle aussi, assassinée à coups de couteau (c'est la fiancée de son frère, qui s'était cachée, qui a tout vu et nous l'a raconté). Le bébé avait été éclaté contre le mur. Puis, mon cousin a été tué à coups de fourchette au restaurant de la mine, le frère de ma mère, Pierrot Scarfoto a été, lui aussi massacré, en voulant sauver ses enfants, à coups de couteau, les parties enfoncées dans la bouche, ainsi que mon neveu Roger, âgé de 17 ans. Mon père, sourd de naissance, blessé à coup de couteau, s'était réfugié dans une galerie abandonnée. Il n'a pas entendu l'armée, on ne l'a retrouvé que quinze jours plus tard, mort à la suite de ses blessures. Il a dû souffrir le martyre. Mon jeune frère Julien a été également massacré.

Treize membres de ma famille ont ainsi été martyrisés, massacrés par le F.L.N.

Je suis restée à l'hôpital près de trois mois, j'avais fait une hémorragie interne avec infection, car les balles fabriquées étaient bourrées de poils, de bris de lames de rasoir. Nous avions échappé à la mort, mais pas à la souffrance. Mon mari fut muté à Bougie, mais le Chantier ayant subi une attaque, il a dû fermer; puis à Ampère, près de Sétif, et finalement au Sahara. Mais les femmes n'étaient pas admises. J'ai été recueillie avec mes deux frères à Lacaune-les-Bains, chez les soeurs de Saint-Vmcent-de-Paul, j'y étais déjà venue plus jeune.

Le fellagha meurtrier de ma famille a été arrêté, j'ai dû venir témoigner pendant trois ans en Algérie, car j'étais le seul témoin. Mon témoignage fut mis en doute, du moins la façon dont les miens ont été massacrés. Ils ont déterré ma mère pour voir si je disais la vérité, je n'en pouvais plus. On a retiré plusieurs balles et la seule chose de positive dans tout ce cauchemar, c'est le collier qu'elle portait et que l'on m'a remis ; collier dont je ne me séparerai jamais.

Marie-Jeanne Pusceddu

 

Quelques photos de ce massacre ici.

Témoignge du docteur Baldino:

Si les civils n'étaient pas au courant des préparatifs de cette attaque, les services secrets étaient informés de l'imminence d'une action sur Philippeville et les villages environnants. Des mouvements, depuis quelques jours, se faisaient de la périphérie vers le centre ville. Les taxis avaient quitté leurs aires de stationnement et arrivaient en ville avec des passagers inhabituels. Les épiceries étaient dévalisées par des consommateurs généralement plus modestes dans leurs achats. Les futurs insurgés, une fois entrés dans la ville, étaient hébergés par des complices dans divers locaux (caves, réduits, garages. ..), autant d'anomalies qui avaient alerté les services spéciaux de la Région Militaire.

Le chef de la rébellion, ZIGHOUT YOUSSEF, commandait la zone du Nord constantinois. Il voulait faire sur Philippeville, qui était une ville moyenne de 50 à 60.000 habitants, une action spectaculaire à l'occasion du 2e anniversaire de la déposition en 1953 de Mohammed V, sultan du Maroc et exilé à Madagascar par les autorités françaises.

D'ailleurs ce même jour du 20 Août 1955 des révoltes dirigées contre les communautés françaises eurent lieu dans les villes marocaines de Kenifra et Oued Zem. Elles furent sévèrement réprimées. Cette manœuvre était destinée à montrer la solidarité des pays du Maghreb contre le pouvoir "colonial".

 

Le 20 Août 1955, je consultais à mon cabinet médical situé en centre ville par une journée torride comme l'Algérie en connaît en plein mois d'Août. Un coup de téléphone de Madame Vincent, affolée, m'informa que deux blessés venaient d'arriver à la clinique de son mari située à quelques dizaines de mètres de mon cabinet.

Fernand Vincent - le chirurgien - est à l'hôpital pour son service habituel. Il ne peut pas quitter la salle d'opération et lui demande de m'appeler pour les premiers soins. Le premier blessé est un musulman - ouvrier pâtissier chez un européen d'origine suisse. Un coreligionnaire lui a tiré dans la pâtisserie plusieurs balles de gros calibre en plein thorax. Il est dans un état alarmant. Il respire difficilement et a dû perdre beaucoup de sang pendant son transport. Il meurt quelques minutes après son admission à la clinique en récitant dans un dernier souffle la prière des morts. Quelques minutes plus tard un garçon pieds-noirs de vingt ans arrive à la clinique. Sur la route des plages, en revenant de la baignade, un jeune musulman l'aborde, un pistolet de petit calibre à la main et lui demande l'heure. Sans méfiance il lui répond: "Il est midi". Son agresseur lui tire une balle d'un pistolet 6,35 qui l'atteint à l'avant-bras, le traverse en passant entre les deux os sans faire de dégâts et se perd dans la nature. "Midi" c'était l'heure fixée pour le déclenchement de l'insurrection et le jeune baigneur avait pris ce geste pour ...une plaisanterie. Pourquoi midi? C'était une heure favorable pour les insurgés. Les militaires sont à leur cantine, les officiers et sous-officiers à leur mess respectif, leur réaction demandera un certain délai pendant lequel les insurgés pourront se répandre dans la ville en massacrant les Français ou des musulmans connus pour leur attachement à la France.

C'était bien calculé. Mais la réaction des parachutistes du 1er R.C.P. du colonel Ducournau fut immédiate et stoppa l'attaque. La caserne de Gendarmerie située en plein quartier indigène était assiégée de toutes parts. Les Paras la dégagèrent en faisant de nombreuses victimes et prisonniers parmi les assaillants.

La fusillade que nous entendions de la clinique du Docteur Vincent où j'avais reçu les premiers blessés cessa après une heure de combat.

Mais l'attaque n'avait pas porté uniquement sur la ville. A une vingtaine de kilomètres de Philippeville se trouvait une mine d'extraction de minerai de fer - El Halia et les carrières de marbre de Fil Fila.

La mine d'El Halia était dirigée par un jeune ingénieur métropolitain récemment nommé, Monsieur Revenu. Deux cent cinquante familles algériennes vivaient et travaillaient dans cette entreprise encadrées par cent trente européens dans une cohabitation parfaite. Pour Zighout Youssef cette entente entre européens et musulmans était insupportable. Il finit par convaincre ses coreligionnaires de se retourner contre les "roumis" (les infidèles) de la manière la plus barbare qui soit -c'est-à-dire sans épargner femmes et enfants. Le massacre commença quelques heures avant l'assaut sur Philippeville. Mais toutes les communications avaient été coupées et la mine était totalement isolée. Le directeur de la mine, un athlète d'un mètre quatre-vingt dix, partit en courant dans le maquis infesté d'insurgés pour alerter le camp militaire Péhan situé à 12 kilomètres de la mine sur la route de Philippeville. Il eut la chance de ne rencontrer aucun fellagha dans cette course de fond et alerta les militaires du camp qui montèrent immédiatement une opération mais il était trop tard. Des dizaines de corps (une soixantaine) horriblement mutilés par des instruments tranchants (poignards, coutelas, haches) suivant la tradition du sacrifice rituel du mouton gisaient sur le carreau de la mine. De très nombreux blessés par armes blanches ou armes à feu tirant des balles artisanales qui font de gros dégâts difficiles à corriger ensuite.

Des armes avaient été demandées par Monsieur Revenu mais elles lui furent refusées par les autorités préfectorales.

Tout près de la mine d'El Halia, les carrières de marbre du Fil Fila étaient dirigées par un de mes amis, le regretté Robert Fèvre, issu d'une famille de carriers bourguignons installée à Philippeville depuis plusieurs décennies. Il y employait des musulmans et des cadres européens au nombre d'une douzaine de familles. Il avait enfreint les interdictions préfectorales et avait acheté plusieurs fusils de chasse ou de tir. En outre il avait transformé un bâtiment inutilisé en fortin, ce qui permit aux familles de s'y réfugier au moment de l'attaque. Un seul ouvrier, trop tard informé, n'eut pas le temps de regagner ce fortin improvisé et fut abattu sauvagement. Pilote pendant la guerre de 39-45, Robert Fèvre avait continué à pratiquer le pilotage amateur. Avec un avion de l'Aero-Club il survola sa carrière pour s'assurer que la protection était efficace. L'après-midi du 20 Août, accompagné de deux amis anciens combattants de la guerre 42-45 Claude Tribaudeau, un ancien des commandos, et Eugène Kobelski, un ancien de la guerre d'Indochine - ils partirent en voiture, armés jusqu'aux dents, aux carrières encore mal contrôlées par l'armée et ramenèrent à Philippeville tous ceux qui étaient encore les cibles des insurgés et leurs familles.

C'était un bel exemple de courage et de camaraderie qui méritait d'être relaté.

A la clinique du Docteur Vincent un coup de téléphone de mon confrère me demande de venir rapidement le rejoindre à l'Hôpital. Nous apprenons alors le carnage d'El Halia et surtout l'arrivée de 200 blessés graves à l'Hôpital en l'espace de deux heures. "Viens, me dit-il, avec Gisèle. On aura besoin d'elle". Gisèle Vincent était sage-femme et aidait son mari à la clinique et en anesthésie. Nous prenons la rue principale qui conduit à l'Hôpital - une longue rue qui partage la ville en deux et qui s'appelle tout naturellement rue Georges Clémenceau. La situation qui nous attendait était dramatique mais Gisèle Vincent et moi n'avons pas pu éviter un sourire devant le spectacle de cette rue déserte après la réaction des parachutistes et jalonnée de toutes sortes de chaussures, espadrilles ou babouches qu'on abandonne pour échapper le plus vite possible aux forces de l'ordre.

L'Hôpital de Philippeville, construit sur une colline qui dominait le port, datait du début de la colonisation. Un Hôpital militaire jouxtait l'Hôpital Civil. Celui-ci avait été agrandi au fil des décennies et des besoins. Mais il restait suffisant pour une ville moyenne d'Algérie. Il pouvait accueillir 400 à 500 malades chirurgicaux ou médicaux et surtout beaucoup de cas sociaux. Le personnel infirmier et technique correspondait à l'importance de l'établissement. En ce mois d'Août la moitié des agents était en congé annuel. C'est donc dans cette situation qu'il fallait faire face à l'arrivée brutale de 200 blessés graves par des agresseurs déchaînés qui avaient utilisé les méthodes les plus barbares qui soient. L'officier des Pompes Funèbres perdit la raison devant tant d'horreurs.

L'Hôpital disposait d'une ambulance qui était plutôt une camionnette de transport. Tous les blessés d'El Halia ou de la ville avaient été transportés à l'Hôpital sans précautions de manipulation ou d'hygiène dans des véhicules divers. Certains blessés moururent pendant leur transport par impossibilité de soins d'urgence. L'insuffisance de personnel infirmier fut en partie compensée par une communauté religieuse rattachée au centre hospitalier. Certaines religieuses avaient des connaissances médicales. Elles furent d'un dévouement remarquable. Toutes donnèrent leur sang pour les premiers blessés et certaines à plusieurs reprises - à la limite du possible: un soutien psychologique avant l'époque avec l'efficacité de leur foi.

Quelle était la situation sur le plan médical?

Il y avait à Philippeville - toutes spécialités confondues - 25 à 30 médecins. Un certain nombre était en vacances, en France ou à l'étranger. Dans la ville même la situation était mal perçue, l'information avait mal circulé. Les habitants craignaient de nouvelles attaques et restaient à l'abri. Nous nous retrouvions six chirurgiens médecins pour gérer cette situation. Le Docteur Vincent, chirurgien installé à Philippeville en 1946, avait été mobilisé dans un Hôpital militaire de campagne pendant la guerre de 42-45, en Italie puis en France. Il était chef du service de chirurgie de l'Hôpital civil et aussi de l'Hôpital militaire. Il avait acquis une grande expérience en chirurgie de guerre. L'organisation des soins de ces journées tragiques lui revint. Un jeune chirurgien, Alain Farruggia, qui finissait son internat à l'Hôpital Mustapha à Alger était à Philippeville pour remplacer le 2e chirurgien de la ville, le Docteur Grasset, parti en vacances quelques jours avant. C'était son premier remplacement et il fut confronté à une situation et à une chirurgie qui ne lui étaient pas familières. Il donna le maximum de lui-même. Je l'aidais de mon mieux à la table d'opérations.

Un médecin généraliste, le Docteur Gabriel Godard, était l'aîné de ce petit groupe. Il avait été mobilisé de 1942 à 1945 dans un Hôpital de campagne où il fit la connaissance de Fernand Vincent. Il était tout désigné pour l'aider à la table d'opérations. Le Docteur Hughes Blanc était radiologue, installé à Philippeville après la guerre de 42-45. Il fut décoré de la Légion d'Honneur sur le champ de bataille pour son attitude courageuse et son dévouement. Il était aussi le responsable du service de radiologie de l'Hôpital. Le Docteur Pierre Sultan, médecin pneumo-phtisiologue était installé depuis peu de temps dans la ville. Il dirigeait en outre le service de cette spécialité à l'Hôpital. Avec Hugues Blanc, il fut chargé du tri des blessés, de la radiologie générale et du repérage des projectiles. Pour ma part, installé depuis deux ans à Philippeville comme pédiatre, mon cabinet jouxtait la clinique du Docteur Vincent. Il m'appelait fréquemment pour l'aider aux interventions. C'est ce que j'ai fait pendant ces deux journées opératoires en alternance avec mon confrère Godard.

Gisèle Vincent nous aidait efficacement pour les anesthésies. Elle faisait le va-et-vient entre l'Hôpital et la clinique où il lui fallait s'occuper de quelques malades encore hospitalisés.

L'Intendance Hospitalière (stérilisations, instruments, lingerie) était suffisante pour un fonctionnement normal de l'établissement mais très vite débordée par l'afflux de blessés.

Il y avait bien deux jeunes internes algériens nommés officiellement à l'Hôpital pour leur stage interné. Nous les avons "aperçus" mais rapidement ils nous ont fait savoir qu'ils étaient souffrants et qu'ils ne pourraient pas nous aider. Nous n'avons pas insisté car ils étaient incompétents et auraient pu être, aussi, malveillants. C'est dans une ambiance de souk ou de marché persan que nous nous sommes mis au travail.

Nous disposions de deux salles d'opérations précédées d'un sas où les infirmiers préparaient les blessés. Fernand Vincent opérait dans l'une d'elles avec son ami Gabriel Godard. Alain Farruggia occupait la deuxième salle et avait commencé à opérer aidé par un interne algérien qui accumulait les fautes et travaillait lentement - volontairement ou pas. Je le remplaçai à la table d'opérations et Alain retrouva un rythme normal. Dans les couloirs qui conduisaient aux salles d'opérations les chariots ou les brancards faisaient une chaîne.

Sur l'un des chariots, j'avais remarqué un algérien qui manifestement faisait partie des insurgés. Il avait les deux jambes brisées par une rafale d'arme automatique. Il avait un visage exalté sur lequel se lisait une haine intense. Ses yeux étaient exorbités, il se tordait les mains d'impuissance. Une arme en mains, il aurait continué son oeuvre. Il était manifestement sous l'emprise de la drogue. Il fut opéré par le Docteur Vincent. L'anesthésie fut difficile en raison de son imprégnation par le kif ou autre drogue. On sût par la suite qu'il avait assassiné, entre autres, un notable musulman fidèle à la France et ses cinq enfants. Il fallut mettre en garde les agents des services spéciaux qui menaient leurs enquêtes colt à la ceinture, colt qui aurait pu servir au geste désespéré d'un terroriste kamikaze qui n'aurait pas eu son compte de victimes françaises.

Ainsi les heures commencèrent à se dérouler dans un cortège de blessures horribles (abdomens ouverts au poignard, femmes enceintes éviscérées, blessures par balles artisanales de gros calibre qui pénétraient dans l'abdomen ou le thorax en faisant des dégâts souvent irrécupérables). J'ai encore le souvenir d'un grand gaillard, employé de la mine d'El Halia qu'on amena dans la salle où travaillait Alain Farruggia. On le plaça à plat ventre sur la table d'opérations trop courte pour lui. Sa tête dépassait et bascula dans le vide - c'était impressionnant. Il avait reçu un coup de coutelas qui lui avait tranché tous les muscles de la nuque jusqu'aux vertèbres cervicales. Alain et moi n'avions jamais été confrontés à ce type de blessure qu'on ne peut voir qu'en chirurgie de guerre. On sutura - vaille que vaille - les muscles de la nuque, les aponévroses, les tissus cutanés. On confectionna une minerve en plâtre pour bloquer sa colonne cervicale. Quel ne fut pas notre étonnement de le croiser une dizaine de jours plus tard se promenant dans la rue Clémenceau avec sa minerve et une démarche un peu guindée. Je me souviens - 50 ans après - de son nom: Rivière.

Ainsi les deux équipes chirurgicales se partageaient les victimes au hasard de leur arrivée dans le sas qui précédait les salles d'opérations et suivant les critères de gravité qu'avaient retenus les confrères chargés des diagnostics et du tri. Le rythme était rapide et il était illusoire, dans cette agitation et le va-et-vient du personnel réduit, de respecter des règles strictes d'asepsie.

Ainsi l'après-midi du 20 Août se passa en interventions les plus urgentes et les plus graves. L'été était particulièrement chaud et on ne connaissait pas la climatisation. Nos tenues étaient très allégées. Nous buvions beaucoup, on grignotait quelques biscuits entre deux transferts de table. Les cigarettes défilaient à un rythme accéléré et il y avait une grande consommation de café pour essayer de garder l'oeil vif. La nuit qui suivit connut le même rythme avec une température un peu plus supportable en salle d'opérations, fenêtres grandes ouvertes pour essayer de faire pénétrer une brise marine.

Le lendemain nous retrouvons les deux équipes au grand complet mais déjà assez fatiguées par une nuit blanche et des interventions lourdes. Les installations de stérilisation et les blanchisseries sont surutilisées et menacent de nous lâcher. Les quelques flacons de sang dont nous disposions au début sont épuisés. Le stock d'antibiotiques baisse à vue d'oeil et on les utilise très largement en raison des risques d'infections post-operatoires dans ce type de chirurgie. Il fallut faire appel aux pharmacies de la ville. Une collecte de sang au niveau de la cité est difficile à mettre en place. Quelques donneurs généreux se présentent à l'Hôpital mais on redoute les erreurs de groupage et des fautes d'asepsie dans le recueil tant la situation est confuse.

 

Le Dimanche 21 Août à midi la direction de l'Hôpital dépassée par la situation prend conscience que nous n'avions pratiquement rien mangé depuis plus de 24 heures. Ce sont les soeurs de la communauté religieuse qui corrigent cet oubli. Elles nous préparent un vrai repas - avalé rapidement - puis elles iront donner encore un peu de leur sang. Alain Farruggia, exténué, va se reposer quelques heures dans l'après-midi et revient dans la soirée en salle d'opérations pour quelques interventions. En fin d'après-midi c'est le tour de notre aîné Gabriel Godard de nous abandonner. La station verticale prolongée crée des œdèmes des jambes qui deviennent très vite douloureux. Il y a encore un certain nombre blessés à opérer.

Fernand Vincent est une force de la nature. Il a connu des situations identiques durant la dernière guerre. Il doit continuer à opérer et moi à l'assister. Nous gérons la pénurie du mieux possible. A minuit, le 21 Août après 36 heures de salle d'opérations nous pensions en avoir terminé avec les blessés les plus urgents, mais on nous signale l'arrivée d'un blessé: un Algérien avec une balle dans le crâne. Fidèle à la France ou fellagha? Fernand me demande si je peux tenir encore une heure ou deux. Nous transpirons à grosses gouttes, ivres de fatigue. Nos chevilles ont doublé de volume et nous opérons en espadrilles "grande taille". Nous sortons de la salle d'opérations en titubant et nous regagnons ensemble nos domiciles fort heureusement très voisins.

Quarante heures sans dormir, dans un état de tension extrême: nous étions à la limite de l'épuisement.

Quarante-huit heures plus tard, Alger nous dépêchait deux chirurgiens de l'Hôpital Mustapha: un des Docteurs Cohen-Solal - le chirurgien - et un de ses jeunes collègues, le Docteur Py. Ils ont pu mesurer le travail exécuté par leurs collègues de Philippeville. Ils venaient pour nous aider mais c'était trop tard. Ils ont fait un rapport pour refaire les stocks, et tirer un enseignement de ces journées tragiques. Et de toutes façons, où aurions-nous mis nos deux confrères Algérois?

Quelques jours plus tard le Gouverneur Général de l'Algérie, Jacques Soustelle, nous adressa une lettre très chaleureuse pour nous remercier et nous féliciter pour cette action.

Mais ces remerciements, nous les avons partagés avec ceux et celles qui se sont dépensés sans compter pour nous aider malgré les difficultés rencontrées en raison de la brutalité de l'attaque.

Les obsèques des victimes d'El Halia, de Fil-Fila, de Philippeville et de sa région eurent lieu quelques jours plus tard. Soixante cercueils étaient alignés à l'entrée du cimetière de la ville: ceux des 34 victimes d'El Halia, des 14 de Philippeville, et 12 militaires tombés au cours des combats de rue contre les assaillants. Les autorités préfectorales avaient fait le déplacement de Constantine: les mêmes qui avaient refusé d'armer le personnel de la mine d'El Halia. Toute la population Philippevilloise était réunie autour des familles des victimes. La colère était à son comble et, une réaction violente risquant de survenir d'un moment à l'autre, les autorités furent tenues à l'écart. Paul-Dominique Benquet-Crevaux, maire de la ville calma la population en entonnant une vibrante "Marseillaise". Les gerbes officielles furent malmenées et les représentants de la Préfecture s'éclipsèrent discrètement. La cérémonie put alors se dérouler dans la dignité malgré une très intense émotion.

Tous les confrères qui ont participé à ces journées tragiques du 20 août ont été dispersés après l'indépendance de l'Algérie, sept années plus tard. Le Docteur Gabriel Godard s'est installé et a fini sa carrière à Grasse. Il avait reconstitué une belle clientèle. Il y est décédé dans les années 70. Le Docteur Pierre Sultan fut reclassé à l'Hôpital de Montbéliard à la tête du service de pneumo-phtisiologie. Il y est décédé dans les années 80. Le Docteur Femand Vincent avait pris sa retraite à Paris. Après une carrière épuisante il nous a quitté il y a une dizaine d'années pendant une croisière aux Seychelles. Le Docteur Hughes Blanc, après l'indépendance, a traversé la Méditerranée sur son bateau et a jeté l'ancre à Saint-Tropez où il a créé plusieurs cabinets de radiologie. Retraité, il a gardé un anneau au port. Il me faudra enquêter sur la carrière du benjamin, Alain Farruggia. Je n'ai pas suivi son cursus, mais son premier remplacement de chirurgien, je pense qu'il ne l'oubliera jamais.

Depuis le 20 Août 1955, j'ai évoqué chaque année, en moi-même, le souvenir de ces années tragiques. Cinquante ans après ce carnage et avant la disparition des derniers témoins, j'ai voulu, en quelques pages, rendre hommage aux victimes d'El Halia, de Fil Fila et de Philippeville, dire ma reconnaissance au personnel de l'Hôpital et à la communauté religieuse, évoquer le souvenir des confrères aujourd'hui disparus, et faire que ce premier massacre de la Guerre d'Algérie, qui fit tant de victimes innocentes, ne tombe pas dans l'oubli... .

Docteur Charles Baldino, dans "mémoire vive" le bulletin du CDHA.

L'armée poursuit les rebelles elle en tue 1275, dont beaucoup de fellah entraînés de force dans ce carnage.

 

Extrait du livre du général Aussaresses "Services spéciaux, Algérie 1955-1957", éditions Perrin:

Vers 16 heures, Nectoux appela Mayer au téléphone : "Mon colonel, je suis là-haut, à la mine. Ah, mon Dieu ! C'est pas beau à voir !

- Combien à peu près?

- Trente. Quarante, peut-être, mon colonel. Mais dans quel état !

- Vous avez des prisonniers ?

- Oui, à peu près soixante. Qu'est-ce que j'en fais, mon colonel ?

- Quelle question! Vous les descendez, bien sûr!"

Un quart d'heure plus tard, nous avons entendu des bruits de moteur. Des camions GMC arrivaient. C'était Nectoux. "C'est quoi, tous ces camions, Nectoux?

- Ben, je suis venu avec les prisonniers, mon colonel, puisque vous m'avez dit de les descendre." Prosper et moi avons réprimé un rire nerveux qui n'était peut-être que de la rage. Je me suis tourné vers Nectoux : "C'est parce que vous êtes bourguignon, Nectoux, que vous ne comprenez pas le français ? Allez, débarquez votre cargaison et foutez-moi le camp, Nectoux !" J'ai dit au colonel que j'allais m'en occuper. Dans le groupe de prisonniers, j'ai pris un homme pour l'interroger moi-même.

C'était un contremaître musulman qui avait assassiné la famille d'un de ses ouvriers français. "Mais pourquoi tu les as tués, bordel de Dieu, ils ne t'avaient rien fait! Comment tu as pu tuer des bébés? - On m'avait dit que je ne risquais rien. - Tu ne risquais rien? Comment ça? - Hier, il y a un représentant du FLN qui est venu nous trouver. Il nous a dit que les Egyptiens et les Américains débarquaient aujourd'hui pour nous aider. Il a dit qu'il fallait tuer tous les Français, qu'on ne risquait rien. Alors j'ai tué ceux que j'ai trouvés." Je lui ai répondu en arabe : "Je ne sais pas ce qu'Allah pense de ce que tu as fait, mais maintenant tu vas aller t'expliquer avec lui. Puisque tu as tué des innocents, toi aussi tu dois mourir. C'est la règle des parachutistes." J'ai appelé Issolah : "Emmène-le, il faut l'exécuter immédiatement!"

J'ai fait aligner les prisonniers, aussi bien les fels que les ouvriers musulmans qui les avaient aidés. J'ai été obligé de passer les ordres moi-même. J'étais indifférent: il fallait les tuer, c'est tout, et je l'ai fait. Nous avons feint d'abandonner la mine. Des pieds-noirs rescapés ont été chargés de faire le guet. Quelques jours plus tard, comme on pouvait s'y attendre, les fellaghas sont revenus. Une fois prévenus par nos guetteurs, nous y sommes montés avec le premier bataillon. Nous avons fait une centaine de prisonniers qui ont été abattus sur-le-champ.

fin de l'extrait du livre d' Aussaresses

Une tentative semblable à Philippeville est liquidée en quelques heures par l'armée, qui y perd 12 hommes.

A Constantine, attentats individuels, 5 morts, dont le neveu de Abbas, qui gérait sa pharmacie, Abbas comprend parfaitement le message. Le député socialiste de Constantine, Maître BenHamed, avocat, le 20.8.1955 ne dût la vie qu'à l'intervention de la police qui abattit le tueur désigné pour l'assassiner ce même jour. Ce tueur était en effet porteur d'un verdict de condamnation libellé d'avance à la manière d'un procès-verbal d'exécution: "A.L.N. - Juridiction de guerre Pour collaboration avec l'ennemi, prise de position contre la Révolution, la Juridiction de guerre condamne le nommé BenHamed Mostefa à la peine capitale." - "Exécuté le 20 août 1955. Le Commandement."

Au Maroc, à Oued Zem la quasi totalité des français, 49 personnes, dont 15 enfants sont assassinés. Le résident général Grandval démissionne.

Il apparaît clairement que les massacres d'oued zem et du constantinois ont été planifiés et organisés par une autorité unique.

 

  21 Août 1.955:

On découvre ce qui s'est passé à Aïn Abied le 20.

Aïn Abied, dans le département de Constantine, est attaqué vers midi. Un seul groupe d'émeutiers s'infiltre par différents points du petit village, prenant d'assaut, simultanément, la gendarmerie, la poste, les coopératives de blé, l'immeuble des travaux publics et les maisons des Européens. Comme à El-Halia, jusqu'à 16 heures, c'est la tuerie, le pillage, la dévastation. Les centres sont isolés les uns des autres, les Français livrés aux couteaux. Mais les civils sont armés et ils se défendent avec un acharnement qui finit par tenir les rebelles en respect jusqu'à l'arrivée des renforts militaires, vers 16 heures. C'est à cette heure-là qu'on découvrira le massacre de la famille Mello.

Qu'il suffise de savoir qu'à Aïn Abied, une petite fille de cinq jours, Bernadette Mello, fut tronçonnée sur le rebord de la baignoire, devant sa mère, dont on ouvrit ensuite le ventre pour replacer la nouveau-née ! Que, sous le même toit, Faustin Mello, le père, est assassiné dans son lit, amputé à la hache, des bras et des jambes, de cette façon il voit tout ce qu'on fait subir à sa femme et à sa fille sans pouvoir réagir, puis il meurt. La tuerie n'épargne ni Marie-José Mello, une fillette de onze ans, abondamment violée avec sa mère ni la grand-mère de soixante-seize ans.

Ailleurs aussi dans le Nord Constantinois, le F.L.N. a essayé de soulever la population. A Héliopolis, les émeutiers brandissaient le drapeau américain, et clamaient que la cavalerie arrive. Monsieur Monge y laisse la vie. A Kellerman, les époux Heck, à Hammam Meskoutine monsieur Bohrer, à El-Arouche 4 membres de la famile Benchetrit, à Catinat 3 européens et deux harkis, à Condé Smendou, au Kroub, à Saint Charles, à Robertville, à Collo, à Jemmapes à Gastonville des militaires, gendarmes, garde champêtre... A fort national le maire, Frappolli est assassiné.

 

22 Août 1.955:

Nombreuses attentats dans le Constantinois, 31 morts, 66 blessés, parmi eux trois journalistes.

C'est l'offensive terroriste déclenchée le 20 qui continue. Au total ces émeutes dans le constantinois ont fait 171 morts européens (Historia n° 206, decembre 71, page 406). On y ajoute 49 morts au Maroc (Oued Zem) , 24 militaires et plus de 200 musulmans, dont le neveu de Ferhat Abbas.

"Manquant de troupes, raconte Gérard Lemel dans Paroles d'officiers, Zighout Youssef avait mis au point une technique qui consistait à rameuter des civils arabes, au préalable gavés de slogans et de fausses nouvelles, à les armer de tout ce qui se présentait, puis à les lancer solidement, mais discrètement encadrés, contre des objectifs précis.

Dès les premières réactions, les soldats du FLN se retiraient rapidement, laissant les masses musulmanes face à la répression."

Cette tactique servira aussi à Paris en Juin 1961.

Jean Morizot met en lumière l'origine sociale des insurgés; même s'ils sont originaires du bled, ils ne sont ni des paysans ni des prolétaires, mais des commerçants, employés, fonctionnaires, membres des professions libérales.

Les analyses de M. Harbi (p.3l4) et de M. Teguia confirment la direction petite-bourgeoise du mouvement.

Le FLN justifie le recours à la terreur en raison de l'indifférence du peuple vis-à-vis de l'indépendance. "Notre mouvement, écrit F. Abbas, privé du soutien indispensable de l'opinion populaire".

"Les premiers insurgés, écrit J. Daniel, ont compris qu'un sentiment national ne pouvait naître que dans et par le sang et qu'il leur fallait transformer en traîtres et en collaborateurs tous ceux qui n'étaient pas pour eux, c'est-à-dire au début, tous les Algériens. Cela ne pouvait qu'être cruel, sanglant, ce le fut".

M. Yazid, diplomate à l'ONU, déclare en 1956: "il ne faut pas hésiter à tuer et écraser toute opposition". M. Harbi précise que la terreur ne résultait pas d'excès commandés par les circonstances, mais de "la doctrine que s'était forgée le pouvoir populaire". Il cite la conférence de Ben Tobbal aux cadres du parti en 1960: "Notre révolution doit écraser sans pitié toute tentative d'opposition" (p. 305-310).

Le professeur Benchenane explique le recours à la terreur: "La démarche intellectuelle du FLN était simple et manichéenne: on était pour ou contre l'indépendance du pays. Qui n'était pas pour était contre. Ceux qui ne s'engageaient pas dans la lutte sous la direction du FLN étaient des traîtres. La sentence était la mort. Quiconque était favorable à la lutte armée et à l'indépendance mais essayait de s'organiser en dehors du FLN était éliminé physiquement". (revue Autrement, mars 1982, p.83).

La brutalité des méthodes de terreur est décrite par le rapport de P. Béteille à la Commission de sauvegarde des libertés: "Les fellaghas tuent pour tuer, pillent, incendient, égorgent, violent, écrasent contre les murs la tête des enfants, éventrent les femmes, émasculent les hommes ; il n'y a pas de supplice imaginable pour le cerveau le plus déréglé, le plus sadiquement porté vers la cruauté, qui ne soit couramment appliqué".

 

Parmi les morts, Marcel Frapolli, assassiné à Fort national, son fils Jean-Pierre se souvient:

Notre famille vit des revenus de géomètre de notre père, avec des journées d'arpentage et de bornage de terrains à travers la Kabylie, et des émoluments de sage-femme de notre mère, avec des soins et des accouchements dans les villages souvent lointains d'Aït Atelli à Taourirt, de Taddert à Tamazirt, d'lchirridène à Djemâa Saharidj. ..

Ces revenus subviennent aux besoins de la famille avec sept enfants (sept puisque la huitième naîtra le lendemain de la mort de notre père) et avec nos grands-parents maternels, notre grand-père Michel Gomila, ancien boulanger à Maison-Blanche et à Mogador et sa femme Remédios Calatayud.

Durant notre enfance, mêlés aux enfants kabyles des villages environnants, nous allons à l'école communale dont le directeur est Mouloud Feraoun. Ensuite les aînés Jean-Pierre et Paul sont pensionnaires à Alger, au collège jésuite de Notre-Dame d'Afrique, et les cadettes Geneviève, Colette et Catherine internes au collège Sainte Chantal. Nous ne retrouvons le "Fort" que tous les trois mois pour les vacances de Noël, de Pâques et d'été. Après un passage à l'école coranique du "Fort" comme initiation à la langue arabe, mon père nous fait prendre l'arabe littéraire en première langue au bac, en tant qu'exigence morale.

Notre mère Marcelle Gomila accouche les femmes kabyles, voyageant de jour comme de nuit, sous le torride soleil d'été ou dans une Kabylie enneigée, finissant souvent son parcours à pied ou à dos de mulet pour atteindre les villages escarpés. Durant plus de vingt ans d'exercice professionnel passionné, elle met au monde des centaines d'enfants et, avec l'aide de son mari, elle collabore à la création du dispensaire de Fort-National où elle participe aux grandes campagnes de vaccination. A l'occasion de l'Aïd, du Mouloud et de l'Achoura, notre mère affectueusement appelée "immaa zizou" reçoit de nombreux présents adressés par ses anciennes clientes, sous forme de petits gigots d'agneau pour les plus aisées, et sous forme plus humble de paniers tressés contenant des oeufs "timlalit" toujours au nombre symbolique de sept, ou de corbeilles de figues-fleurs protégées par des feuilles de figuier pour les femmes les plus pauvres, en reconnaissance de son travail et en témoignage d'amitié.

A la suite de son grand-père Antoine, de ses oncles Laurent et Lucien et de son père Antoine, notre père occupe la fonction de maire de la commune de plein exercice. C'est un ami des Kabyles, partisan d'une évolution des sociétés algériennes et alors que la loi ne l'obligeait pas, il est l'un des premiers maires d'Algérie à donner l'exemple en incorporant dans son équipe municipale, dès 1945, une forte majorité de Kabyles pour rééquilibrer une représentation des deux éléments de la population. En particulier son ami Mouloud Feraoun devient le premier adjoint avec des amis d'Aguemoun, de Taourirt Amokrane, de Taourirt Mimoun, de Taddert Bouada, de Taddert Oufela... comme adjoints et conseillers municipaux.

Depuis quelques années nous avons construit notre maison familiale. Il s'agit d'une maison isolée, bâtie en dehors des remparts du "Fort", sur la route d'Aguemoun près de la Porte d'Alger. Nous l'avons construite hors du village car il n'y a plus de terrains constructibles à l'intérieur des remparts (hormis ceux qui appartiennent à l'armée) et que les maisons existantes ont pratiquement toutes, année après année, été achetées par des Kabyles, pour la plupart travailleurs émigrés en France.

Le 23 août 1955 à 20 heures, la famille est réunie pour le repas du soir, notre mère est rentrée dans l'après-midi après un accouchement dans le village de Tamazirt; ses sept enfants: Jean-Pierre 19 ans, Paul 17, Geneviève, Colette, Catherine, Antoine et Michel de 15 à 6 ans (Marcelle la huitième n'est pas encore née) et nos grands-parents attendent l'arrivée de notre père. Ce soir d'août 1955 les bruits de la montagne kabyle s'estompent; la nuit tombe, dévoilant un ciel étoilé particulièrement net; Marcel Frapolli, après une journée de travail au village de Taourirt Mimoun, passe à la mairie pour ses activités quotidiennes de maire. A cette heure le village est plus qu'à l'accoutumée silencieux et désert.

Arrivé devant notre maison notre père, Marcel Frapolli, est assassiné ce soir d'août 1955 à la tombée de la nuit. Un seul coup de fusil, une seule pression de l'index éteint la flamme de la vie et arrête à jamais un coeur riche et généreux. La famille terrifiée se presse, ma mère se couche sur mon père et lui parle à l'oreille. Le sang coule sur le bas-côté gravillonné de la route. Nous sommes seuls dans le silence de la montagne, épouvantés et marqués à vie. Le grand-père est dans un coin et pleure silencieusement en demandant ce que nous allons devenir. Cette mort violente a laissé de nombreuses victimes dans son sillage, dont sa femme, ses huit enfants et nos grands-parents, et peut-être une population kabyle amie?

Fin août 1955: notre soeur Marcelle naît à Fort-National le lendemain de la mort de notre père.

En octobre 1955, par lettre, l'Armée de libération nationale ordonne à notre mère de cesser ses accouchements dans les villages sous peine d'enlèvement de ses enfants.

En novembre 1955, suite à cette lettre les autorités militaires nous informent ne pas pouvoir assurer notre sécurité et conseillent à notre mère de ne plus se rendre dans le bled.

En décembre 1955 nous quittons définitivement Fort-National pour nous réfugier à Alger et notre mère devient infirmière au dispensaire du Clos Salembier.

En mai 1958, rassurée par les engagements politiques de la France, elle décide de placer ses économies dans la réalisation d'une petite maison d'accouchement.

M. Feraoun rapporte dans ses écrits: "Voilà une vraie algérienne ou je ne m'y connais pas", après que notre mère lui ai rappelé que les femmes continueront d'accoucher quelle que soit l'issue du drame algérien.

Le 26 mars 1962, la maison d'accouchement est achevée lorsque survient la fusillade de la rue d'Isly où l'armée française tire de sang- froid sur des manifestants Pieds-Noirs, en abat plusieurs dizaines et en blesse plusieurs centaines. Ce 26 mars va constituer pour tous, le signal irrémédiable du départ et pour notre famille le début d'une véritable "déroute". Cette "déroute" de plus de 20 ans nous conduira de Revel à Aix-en-Provence, de la Seyne-sur-Mer à Baccarat et enfin à Eguilles. Les grands-parents eux, ont échoué dans un asile en Normandie; ils vont successivement se laisser mourir de faim.

Durant cette "débâcle" notre mère ne peut compter que sur elle-même et notre famille: les Dubois, Dumazer et la grand-mère Jeanne Frapolli, eux-mêmes rapatriés. Elle subvient seule aux besoins de sa nombreuse famille, sans l'aide d'aucun parti, d'aucun syndicat, d'aucune église, d'aucune association et dans l'absence de compassion et la quasi-indifférence des Français. Aujourd'hui elle repose à Eguilles; son âme a rejoint celle de son mari dans les cieux kabyles, comme elle l'avait toujours évoqué.

Dans l'épitaphe prononcée aux obsèques de Marcel Frapolli, Jacques Soustelle souhaite que "cette terre kabyle, si chèrement aimée, lui soit douce et légère", mais les Kabyles n'exaucent pas ce voeu puisque les tombes de notre arrière-grand-père Antoine arrivé en 1860, de notre grand-père et de ses frères et la tombe de notre père, sont profanées, ouvertes, les cendres fouillées et répandues dans les allées du cimetière. Pour parachever le tout, dans la fièvre spéculative et certainement dans un désir de gommer tout signe de notre présence, le cimetière disparaît dans les fondations d'une opération immobilière.

Repris dans l'Algerianiste de Decembre 2005

 

23 Août 1.955:

Le gouvernement proclame l'état d'urgence (qui permet de garder plus longtemps un suspect avant de le traduire devant le juge, qui permet au préfet de mettre dans des camps spéciaux des suspects sans jugement) pour toute l'algérie et plus seulement pour les Aurès.

Le 30, une loi votée à l'immense majorité des députés confirme cette decision.

 

24 Août 1.955:

rien.

 

25 Août 1.955:

rien.

 

  26 Août 1.955:

rien.

 

27 Août 1.955:

rien.

 

28 Août 1.955:

rien.

 

29 Août 1.955:

rien.

 

30 Août 1.955:

Soustelle demande de nouveaux renforts au gouvernement.

 

31 Août 1.955:

rien.